À l'aide des connaissances, et après avoir répondu aux questions suivantes, répondre à la question d'interprétation littéraire :
« Comment la sensibilité de Rousseau s'exprime-t-elle dans ce texte ? »
Jean-Jacques Rousseau, Les rêveries du promeneur solitaire, 1782
Me voici donc seul sur la terre, n'ayant plus de frère, de prochain, d'ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. Ils ont cherché dans les raffinements de leur haine quel tourment pouvait être le plus cruel à mon âme sensible, et ils ont brisé violemment tous les liens qui m'attachaient à eux. J'aurais aimé les hommes en dépit d'eux-mêmes. Ils n'ont pu qu'en cessant de l'être se dérober à mon affection. Les voilà donc étrangers, inconnus, nuls enfin pour moi puisqu'ils l'ont voulu. Mais moi, détaché d'eux et de tout, que suis-je moi-même ? Voilà ce qui me reste à chercher. Malheureusement, cette recherche doit être précédée d'un coup d'œil sur ma position. C'est une idée par laquelle il faut nécessairement que je passe pour arriver d'eux à moi.
Depuis quinze ans et plus que je suis dans cette étrange position, elle me paraît encore un dans un chaos incompréhensible où je n'aperçois rien du tout ; et plus je pense à ma situation présente et moins je puis comprendre où je suis.
Eh ! comment aurais-je pu prévoir le destin qui m'attendait ? comment le puis-je concevoir encore aujourd'hui que j'y suis livré ? Pouvais-je dans mon bon sens supposer qu'un jour, moi le même homme que j'étais, le même que je suis encore, je passerais, je serais tenu sans le moindre doute pour un monstre, un empoisonneur, un assassin, que je deviendrais l'horreur de la race humaine, le jouet de la canaille, que toute la salutation que me feraient les passants serait de cracher sur moi, qu'une génération tout entière s'amuserait d'un accord unanime à m'enterrer tout vivant ? Quand cette étrange révolution se fit, pris au dépourvu, j'en fus d'abord bouleversé. Mes agitations, mon indignation me plongèrent dans un délire qui n'a pas eu trop de dix ans pour se calmer, et dans cet intervalle, tombé d'erreur en erreur, de faute en faute, de sottise en sottise, j'ai fourni par mes imprudences aux directeurs de ma destinée autant d'instruments qu'ils ont habilement mis en œuvre pour la fixer sans retour.
Je me suis débattu longtemps aussi violemment que vainement. Sans adresse, sans art, sans dissimulation, sans prudence, franc, ouvert, impatient, emporté, je n'ai fait en me débattant que m'enlacer davantage et leur donner incessamment de nouvelles prises qu'ils n'ont eu garde de négliger. Sentant enfin tous mes efforts inutiles et me tourmentant à pure perte, j'ai pris le seul parti qui me restait à prendre, celui de me soumettre à ma destinée sans plus regimber contre la nécessité. J'ai trouvé dans cette résignation le dédommagement de tous mes maux par la tranquillité qu'elle me procure et qui ne pouvait s'allier avec le travail continuel d'une résistance aussi pénible qu'infructueuse.
Quelle problématique correspond au sujet ?
Quels arguments seraient pertinents à utiliser ?
Quel plan pourrait convenir ?
Quelle accroche peut convenir ?
Quels exemples permettent d'étayer l'argument "Selon Rousseau, la sensibilité ne peut s'exprimer que dans la solitude, c'est ce qui permet de mener au mieux une introspection et d'écouter son « moi » intérieur." ?
Quels exemples permettent d'étayer l'argument "La sensibilité de Rousseau s'exprime également à travers un retour sur le passé ainsi qu'un questionnement sur ses actions. Il s'agit pour l'auteur de revenir sur les tourments auxquels il a été obligé de faire face et d'accepter le présent qui s'offre à lui aujourd'hui." ?
Quels exemples permettent d'étayer l'argument "Pour accéder à une forme de sérénité, Rousseau doit donc mener un combat intérieur permanent. Ce combat, qui dure depuis quinze ans, semble néanmoins se solder par un échec pour le philosophe." ?
Quelle phrase du texte justifie que Rousseau trouve difficile de mener un retour sur lui-même ?
Quel autre auteur pense que la sensibilité est importante dans la création littéraire ?
On suit ici les différentes étapes pour rédiger la question d'interprétation littéraire. Le plan est détaillé par souci méthodologique, mais ce n'est pas ainsi qu'il faut présenter sa copie le jour de l'épreuve. Sur la copie, les titres des différentes parties n'apparaîtront pas et le contenu sera intégralement rédigé.
Pistes de réflexion :
- L'expression des sentiments n'a pas sa pleine place dans la société humaine, elle ne peut s'exprimer que dans un monde plus sensible.
- La nature est un miroir de l'âme qui permet à l'homme de mieux appréhender le monde qui l'entoure et d'en connaître les secrets.
- On se demande alors si l'expression des sentiments ne peut se faire qu'en communion avec la nature ou s'il existe une autre force supérieure.
- Précurseur de la sensibilité romantique, le philosophe Jean-Jacques Rousseau s'intéresse à l'expression des sentiments à travers l'introspection. Dans Les rêveries du promeneur solitaire, il relate ses pensées les plus profondes au gré de ses promenades.
- Dans cet extrait, Rousseau s'intéresse à la sensibilité humaine. Celle-ci ne peut s'exprimer que lorsque l'homme se retrouve seul, puisque c'est ce qui lui permet de mener une introspection et de réfléchir à ses actions. Cette réflexion est cependant éprouvante, dans la mesure où l'homme mène un combat intérieur avec lui-même.
- Nous nous demanderons comment la sensibilité de Rousseau s'exprime dans cet extrait.
- Tout d'abord, Rousseau montre que la sensibilité ne s'exprime que dans la solitude, créant un lien privilégié avec le « moi » intérieur. Mais elle s'exprime également grâce à un retour au passé en lien avec le présent. Enfin, pour atteindre la sérénité de l'âme, il est indispensable de mener un combat intérieur.
Paragraphe 1
Argument : Selon Rousseau, la sensibilité ne peut s'exprimer que dans la solitude, c'est ce qui permet de mener au mieux une introspection et d'écouter son « moi » intérieur.
Exemple : L'omniprésence de la première personne du singulier accentue l'idée de la solitude de Rousseau : « Me voici donc seul sur la terre ». Cette mise à l'écart de la société et des autres permet au philosophe de commencer son introspection, comme l'indique la question rhétorique « Que suis-je moi-même ? » et la formulation « d'un coup d'œil sur ma position ». C'est ainsi qu'il peut se focaliser sur ses sensations et ses émotions.
Paragraphe 2
Argument : La sensibilité de Rousseau s'exprime également à travers un retour sur le passé ainsi qu'un questionnement sur ses actions. Il s'agit pour l'auteur de revenir sur les tourments auxquels il a été obligé de faire face et d'accepter le présent qui s'offre à lui aujourd'hui.
Exemple : L'emploi du registre pathétique, les nombreuses questions rhétoriques (« comment aurais-je pu prévoir le destin qui m'attendait ? comment le puis-je concevoir encore aujourd'hui que j'y suis livré ? ») témoignent des sentiments contrastés de l'auteur, qui semble s'être perdu et se perdre encore dans les actions qui l'ont mené à sa destinée. La métaphore de la tempête « un chaos incompréhensible où je n'aperçois rien du tout », propre au romantisme, caractérise d'autant plus les tourments de Rousseau.
Paragraphe 3
Argument : Pour accéder à une forme de sérénité, Rousseau doit donc mener un combat intérieur permanent. Ce combat, qui dure depuis quinze ans, semble néanmoins se solder par un échec pour le philosophe.
Exemple : Pour montrer ce conflit interne, Rousseau n'hésite pas à avoir recours au champ lexical du combat (« débattu, violemment, débattant, prises ») et de la rébellion (« emporté, efforts, résistance, regimber »). Mais l'emploi des adjectifs « pénible » et « infructueuse » indiquent que le philosophe ne parvient pas à trouver la tranquillité de l'âme.
- Ainsi, l'expression de la sensibilité est particulièrement présente dans cet extrait, dans lequel Rousseau évoque les tourments qui ont marqué son passé et qui l'accablent encore aujourd'hui. Ces tourments passent par une introspection et un combat intérieur constant.
- Rousseau montre sa sensibilité à travers une forme de tempête intérieure qui l'accable depuis de longues années et dont il ne parvient pas à se défaire. Ce n'est que la nature qui l'aidera à trouver un apaisement.
- Par la suite, au début du XIXe siècle, Musset exprimera également son rapport compliqué au monde dans La Confession d'un enfant du siècle, que l'on nommera par la suite « Mal du Siècle ».