En quoi le titre Les Faux-Monnayeurs donne-t-il des indices sur la critique de la société par André Gide ?
Quel thème essentiel le titre du roman suggère-t-il ?
Outre la monnaie, qu'est-ce qui est faux dans le roman ?
Quel personnage est à la recherche de l'authenticité ?
Quels personnages incarnent le plus la fausseté dans le roman ?
Quels personnages se résignent à souffrir plutôt qu'à s'opposer aux carcans sociétaux ?
Le titre du roman de Gide, Les Faux-Monnayeurs, ouvre un horizon d'attente correspondant à un roman d'aventures ou de roman policier. Une intrigue correspond d'ailleurs avec le trafic de fausse monnaie mené par un groupe d'adolescents mais celle-ci n'est pas au cœur du roman. C'est donc sur un autre aspect de la fausseté qu'il conviendra de s'interroger, celui de la fausseté des relations entre les personnages. C'est pourquoi la polysémie du titre sera analysée car elle donne des indices sur la critique que fait Gide de la société dans laquelle il vit. Tout d'abord, le motif de la fausse monnaie sera étudié, puis l'univers de la fausseté, déployé tout au long de l'œuvre, sera analysé.
Le motif de la fausse monnaie
Le thème du faux, du mensonge et de l'hypocrisie court tout au long du roman et ce depuis le titre qui est à ce niveau annonciateur. Les Faux-Monnayeurs renvoie au trafic de fausse monnaie. Cette idée est en lien avec un article de presse lu par Gide dans le journal Le Figaro qui, le 16 septembre 1906, raconte l'arrestation d'une bande de faux-monnayeurs surnommée "la bande du Luxembourg", composée alors de repris de justice mais aussi d'étudiants et de fils de fonctionnaires. Dans le Journal, Gide inscrit d'ailleurs que certains redistribuaient même l'argent "à de pauvres diables peu fortunés que cela aidait". C'est certainement cet aspect peu conventionnel qui intéressa Gide.
Le titre renvoie donc bien entendu au personnage de Strouvilhou et à sa bande. Les premières pièces apparaissent tardivement, au cours de la deuxième partie du roman, à Saas-Fee lorsque Strouvilhou affirme détenir "cinquante-deux boîtes de vingt pièces". Les détails techniques du trafic sont mentionnés, il s'agit de recouvrir d'or des rondelles de cristal aux mêmes dimensions que les pièces d'or. Le bénéfice est assez important sur chaque pièce. Le faussaire se montre prudent et attentif aux moindres détails. Il a exercé de nombreux autres emplois, ce qui fait de lui un personnage difficile à cerner mais intéressant à suivre. Il fait preuve d'un très bon sens de l'organisation. Il met au point un profil type des personnes à recruter afin de ne pas attirer l'attention. Contre toute attente, il recrute en effet, comme dans le fait divers, des fils de bonne famille et il pousse ses recherches jusqu'à trouver des jeunes gens au courant de secrets de familles inavouables. Il a par ce biais la mainmise sur des parents tentés d'aller trouver la police.
C'est donc une affaire bien menée et bien organisée que celle mise au point par Strouvilhou. Grâce à son stratagème, l'enquête, menée par le juge Profitendieu ne sera jamais résolue. La justice est elle aussi contaminée par la fausseté au détriment de la vérité. En effet, ne souhaitant pas faire témoigner George, l'enquête piétine, laissant le temps à George de prévenir la bande qui sera immédiatement disloquée afin d'éviter toute poursuite judiciaire.
Le trafic de fausse monnaie est donc présent, il fait partie des quatre intrigues principales, mais nous sommes loin de l'enquête haletante de certains romans policiers de l'époque. De même, l'absence de résolution de l'enquête et de punition des coupables laisse sous-entendre que derrière ce trafic se cache une autre forme de fausseté, plus généralisée et plus difficile à mettre au jour.
Une société artificielle
Dans le roman, il sera également question de la fausseté de certains personnages car c'est la fausseté humaine qui semble davantage intéresser Gide. Les personnages sont le reflet de la société, le reflet de ceux qui mentent aux autres et qui finissent pas se mentir à eux-mêmes, ne sachant plus qui ils sont véritablement. Les tricheurs ont donc plusieurs visages. Le personnage de Passavant incarne la fausseté intellectuelle. Contrairement à Édouard, il n'écrit pas pour la beauté de l'art, par conviction personnelle ni pour faire évoluer la littérature. Il ne développe aucune théorie littéraire, il est une sorte d'imposteur qui écrit ce que les lecteurs souhaitent lire. Il ne se met pas en danger mais profite de sa notoriété pour vendre encore plus d'exemplaires. À ce titre, l'argent est bien au cœur du problème et cela se voit parfaitement avec la famille Azaïs-Vedel et la déchéance de la pension qui semble être un havre de paix mais à l'intérieur de laquelle se nouent des relations dangereuses, voire destructrices comme pour Boris.
Toutefois, certains personnages, dans le roman, sont en quête d'authenticité, c'est le cas notamment de Bernard qui rentre en opposition avec sa famille dont il découvre le secret. Ce sont donc les adultes qui incarnent le plus le mensonge car ils se cachent derrière leurs valeurs bourgeoises, les conventions sociales et familiales. Les femmes par exemple, ne sont pas heureuses en ménage mais elles préfèrent prendre un amant ou vivre dans la résignation plutôt que quitter leurs maris. Les piliers de la société ne sont pas non plus épargnés : la justice est partiale, l'éducation est mensongère et la famille n'est pas le refuge attendu.
Le titre est donc programmatique tout d'abord à travers l'intrigue policière liée aux faussaires mais surtout à travers l'analyse de la fausseté des personnages et des conventions sociales de l'époque. C'est donc bien une critique de la société que propose Gide à travers cette œuvre pour le moins originale.