Anomie
Émile Durkheim
Émile Durkheim
Le Suicide
1897
Émile Durkheim (1858 - 1917) est le père fondateur de la sociologie en France. Il développe l'idée d'un "mal de l'infini" dans Le Suicide, écrit en 1897, et met ainsi en évidence la contradiction entre les aspirations des individus (leurs désirs) et les possibilités de les satisfaire. Les désirs des individus s'accroissent dans les sociétés modernes car une plus grande place est laissée à l'individu et les instances socialisatrices et intégratrices sont moins présentes.
Pour Durkheim, l'anomie caractérise le processus par lequel les règles sociales perdent leur pouvoir de régulation et les liens de solidarité se distendent. Ce concept s'applique particulièrement dans son analyse de la société et dans le passage d'une solidarité mécanique (traditionnelle, où le groupe a une importance prépondérante face à l'individu) à une solidarité organique (société moderne où s'affirme le primat de l'individu).
Dans les sociétés modernes, la dimension "individualiste" de la personnalité tend à se renforcer, au détriment du collectif. Le pouvoir des institutions s'affaiblit : le risque de cette montée de l'individualisme qui caractérise les sociétés modernes est l'anomie. Les normes sociales s'imposent aux individus avec moins d'efficacité.
Durkheim parle également de perte de repères. Cette situation a des conséquences négatives sur le corps social, conduisant notamment à l'augmentation de phénomènes pathologiques dont le suicide peut être une manifestation.
Analyse de la délinquance
Robert King Merton
Robert King Merton
Éléments de théorie et de méthode sociologique
1965
Robert King Merton (1910 - 2003) est un sociologue américain, le premier à recevoir la plus haute distinction scientifique américaine, la National Medal of Science (1994).
Dans un recueil d'articles écrit de 1936 à 1950 et publié en 1953, il établit une typologie des adaptations individuelles à la société.
Merton explique la déviance par le résultat d'une confrontation entre les buts (les valeurs) et les moyens pour y parvenir. Pour Merton, certains crimes sont motivés par le désir de réussite sociale, valeur partagée par tous aux États-Unis. Cependant, tous les individus n'ont pas les moyens d'atteindre cette réussite en respectant la légalité, faute de diplômes ou de revenus. Les moyens illicites sont ainsi une tentation non négligeable pour parvenir à l'idéal collectif.
Merton distingue cinq types de comportements face aux buts valorisés (valeurs) et aux moyens (normes) d'y arriver.
- Le conformisme : c'est le comportement d'un individu qui adhère aux valeurs de la société et respecte les moyens légaux pour y parvenir .
- Le ritualisme : comportement des individus qui respectent les normes sociales, les comportements prescrits, mais sont indifférents aux valeurs. Ainsi, ils appliquent les règles prescrites, même lorsque celles-ci ne permettent pas d'atteindre le but visé.
- L'innovation : comportement des individus qui acceptent les valeurs sociales mais utilisent des moyens illégaux pour parvenir aux idéaux de la société (par exemple, un élève qui triche aux examens pour les réussir, ou encore un individu qui, pour s'enrichir utilise le vol).
- L'évasion : comportement de ceux qui n'adhèrent pas aux valeurs et normes de la société, et se mettent en retrait de la société, sans chercher à atteindre les objectifs socialement valorisés. C'est le cas des "marginaux".
- La rébellion : comportement de ceux qui n'adhèrent ni aux valeurs, ni aux normes de la société, mais luttent pour changer ces normes et valeurs plutôt que de se mettre en retrait.
Analyse interactionniste de la délinquance
Howard Becker
Howard Becker
Outsiders
1963
Pour Howard Becker, sociologue américain né en 1928, la stigmatisation passe par l'étiquetage de certains individus qui entrave leur intégration et favorise ainsi des comportements déviants, en particulier délinquants. La déviance est une étiquette appliquée avec succès, autrement dit, elle est produite par le regard qui est posé sur l'individu ou ses actes.
L'institution de normes conduit à un étiquetage des individus qui les transgressent. Pour qu'un comportement soit déviant, la transgression d'une norme est une condition nécessaire mais non suffisante : l'acte doit être classé comme déviant. Cela enferme donc les individus et peut selon H. Becker les pousser à rentrer dans ce rôle et à épouser "une carrière de déviant" (résultant d'un apprentissage social et passant par une redéfinition de l'identité sociale).
Becker refuse donc l'idée que la déviance est uniquement le produit de facteurs pesant sur les individus qui commettent des actes déviants. L'acte déviant est le résultat d'un double processus :
- L'acte doit être défini comme déviant par la société. Becker s'intéresse ainsi aux "entrepreneurs de morale", c'est-à-dire ceux qui se mobilisent pour qu'une activité soit caractérisée comme déviante.
- L'acteur entreprenant une action déviante doit être étiqueté comme tel lors d'une interaction sociale.
Il établit la typologie suivante, qui permet de mettre en évidence qu'il n'existe pas simplement deux catégories d'individus, les "conformes" et les "déviants" :
Perçu comme | |||
---|---|---|---|
Déviant | Non déviant | ||
Comportement réel | Obéissance | Accusé à tort | Conformiste |
Désobéissance | Pleinement déviant | Secrètement déviant |
Analyse de la délinquance
École de Chicago
William Thomas, Florian Znaniecki
Le Paysan polonais en Europe et en Amérique
1919
Clifford Shaw, Mac Kay
Juvenile Delinquency and Urban Areas
1942
L'École de Chicago, dans les années 1930, étudie la criminalité, la délinquance et les déviances, notamment à Chicago et dans ses alentours. Les chercheurs de cette école ont montré que le crime organisé (très présent à Chicago dans les années 1930) est une réponse à la désorganisation sociale. Ainsi, les adolescents des classes populaires sont partagés entre, d'une part, les valeurs traditionnelles diffusées par leur famille et le système d'enseignement, et, d'autre part, le système de valeurs et normes des "bandes" s'opposant aux normes dominantes de la société américaine. Ils expliquent ainsi la délinquance juvénile comme un moyen pour les adolescents de combler un vide, de trouver des repères, alors que leurs parents, souvent des immigrés d'Europe de l'Est déracinés, sont en décalage avec les normes et valeurs de la société américaine. Ils insistent également sur l'effet d'une socialisation de quartier, car c'est notamment au contact des bandes de délinquants que les jeunes deviennent délinquants.