Sommaire
IL'amour en poésieALa poésie comme expression privilégiée de l'amour depuis ses originesBLes diverses expressions de l'amourCLes différentes formes du lyrisme amoureuxIIL'amour dans le romanALa rencontre amoureuse et les premières amoursBL'amour partagé et l'amour impossibleCL'amour et une autre vision du mondeDLes mots pour dire l'amourIIIL'amour au théâtreALe coup de foudre et la déclaration d'amourBLes amours impossiblesCLe dilemme cornélienDLe quiproquo amoureuxL'amour est indispensable pour la construction et pour la connaissance de soi. L'amour est un sujet universel qui a beaucoup inspiré les écrivains et les artistes. L'amour peut être heureux, malheureux, tragique, fatal, impossible, retrouvé. Les écrivains s'intéressent à toutes les formes d'amour et à toutes les étapes d'une relation amoureuse : la rencontre amoureuse, le coup de foudre, la séparation. Ils s'intéressent également à l'amour familial envers un père, une mère, un enfant. L'amour est donc un thème littéraire récurrent. L'œuvre littéraire tire sa force à la fois du thème de l'amour et de la façon très variée de le traiter, de la manière de dire l'amour et de l'écrire. L'expression de l'amour trouve naturellement sa place dans la poésie mais également dans le roman et le théâtre.
Dans quelle mesure le sentiment amoureux est-il représenté à l'aide de différents thèmes et formes d'écriture ? Dans quelle mesure ce sentiment invite-t-il le lecteur à approfondir la connaissance de lui-même et du monde dans lequel il vit ?
L'amour en poésie
Les poètes ont depuis toujours fait appel à l'amour pour écrire leurs poèmes. L'amour est une grande source d'inspiration tout comme la femme aimée, l'amante, la mère ou la fille. La poésie est le genre idéal pour dire et pour évoquer des sentiments intimes tels que l'amour. La poésie propose différentes formes pour dire l'amour.
La poésie comme expression privilégiée de l'amour depuis ses origines
L'amour a inspiré de nombreux poètes depuis l'Antiquité à nos jours. Le mythe d'Orphée en est le symbole.
Orphée, après la mort de son épouse Eurydice, descend aux Enfers pour aller la chercher. Pour cela, il doit amadouer le chien Cerbère, gardien des Enfers, et Hadès, le dieu des enfers. Il réussit grâce à sa lyre et son chant. Il obtient alors l'autorisation de ramener Eurydice, mais il ne doit surtout pas se retourner avant d'avoir quitté les Enfers. Il désobéit, au moment de passer la porte du royaume des morts, il regarde derrière lui pour vérifier la présence d'Eurydice. Eurydice reste alors aux Enfers.
Orphée est considéré comme le premier poète dans la mythologie. Il exprime sa désolation, l'immensité de sa douleur, la force de l'amour qu'il éprouve pour Eurydice avec sa lyre et son chant. De là, vient l'origine du mot lyrisme.
L'adjectif lyrique provient directement du nom lyre, l'instrument de musique d'Orphée qui accompagne ses chants. L'adjectif lyrique désigne une poésie chantée et accompagnée de musique. La poésie lyrique invite le poète à dire « je » et à confier ses sentiments personnels et intimes comme l'amour et ses multiples caractéristiques.
L'expression du sentiment amoureux passe par différentes formes poétiques. On retrouve là l'origine du mot poésie qui vient du grec poíêsis et signifie création. Le poète crée, invente un nouveau langage qui est différent du langage parlé ou du style proposé par le roman ou par le théâtre.
Les diverses expressions de l'amour
Dire l'amour en poésie, c'est aussi exprimer ses différentes caractéristiques, ses multiples variantes, car l'amour peut être fou, fugace, triste, heureux, rêvé. Chaque lecteur peut se retrouver dans ces diverses expressions de l'amour.
Une variante de l'amour est l'amour familial. Il s'agit de la tendresse, de l'amour que l'on éprouve pour un membre de sa famille.
Victor Hugo dans le poème « Demain dès l'aube » (Les Contemplations, 1856), exprime tout l'amour ressenti pour sa fille Léopoldine. Cet amour est d'autant plus intense que sa fille vient de mourir.
Une autre variante de l'amour est l'amour fou. L'amour peut prendre la forme d'une immense passion. La passion fait passer de la joie à la peine, du bonheur à la souffrance, de la vie à la mort.
Louise Labé, poétesse de la Renaissance, exprime la complexité du sentiment amoureux dans ses poèmes.
« Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie. (…) »
Louise Labé
Œuvres de Louise Labé
1555
L'amour peut également être fugace : c'est un sentiment fulgurant, très rapide. Il touche le cœur du poète de manière très forte mais ne demeure pas car la rencontre avec les deux personnes est parfois impossible.
Dans le sonnet « À une passante », Charles Baudelaire met en scène une rencontre amoureuse. La vue d'une femme bouleverse totalement le poète. Ce poème rend compte d'un véritable coup de foudre :
« Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais ! »
Charles Baudelaire
« À une passante », Les Fleurs du Mal
1857
La rapidité du coup de foudre est signifiée par l'adjectif qualificatif « fugitive » et par le groupe nominal « un éclair ». Malheureusement, aussi intense soit-il, ce moment ne conduit pas à une belle histoire d'amour car la femme disparaît : « j'ignore où tu fuis ». Le subjonctif employé à la fin du poème, « j'eusse aimée », souligne l'impossibilité de cet amour.
L'amour peut être triste. Le sentiment amoureux peut rendre le poète ou l'être aimé triste. L'amour devient alors une source de souffrance parce que l'amour n'est pas réciproque, parce que l'être aimé est mort, parti, disparu ou absent.
Marceline Desbordes-Valmore, poétesse française (1786-1859), refuse les lettres de son amant car son absence lui est trop douloureuse :
« N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon cœur, c'est frapper au tombeau.
N'écris pas ! (…) »
Marceline Desbordes-Valmore
« N'écris pas », Poésies inédites
1860
La poétesse demande à la personne qu'elle aime de ne plus lui écrire comme le souligne la répétition à l'ouverture et à la fermeture de la strophe de l'impératif « N'écris pas ». Les sentiments ressentis sont contradictoires : son amant étant absent, l'amour devient source de très grandes souffrances. La poétesse ne voit plus de sens à sa vie. La métaphore « la nuit sans flambeau » qui suggère que la lumière n'existe plus, confirme son malheur.
L'amour peut également être heureux et remplir de joie les deux êtres qui s'aiment. Le sentiment amoureux apporte alors bonheur et épanouissement.
Dans le poème « Je t'aime », publiée dans le recueil Le Phénix en 1954, Paul Éluard déclare son amour à la femme aimée. Il répète plusieurs fois « je t'aime » en début de vers. Cette répétition est appelée une anaphore et elle insiste sur l'importance de l'amour et les joies du poète.
L'amour peut être rêvé :
- soit imaginé ;
- soit attendu ;
- soit espéré.
Paul Verlaine rêve d'une belle rencontre amoureuse comme il en rend compte dans son sonnet « Mon rêve familier ». En voici la première strophe :
« Je fis souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend. »
Paul Verlaine
« Mon rêve familier », Poèmes saturniens
1866
L'étrangeté du rêve est mentionnée dès l'ouverture du poème par l'adjectif qualificatif « étrange ». De plus, la femme rêvée ne cesse de se transformer. Ce rêve imagine la belle relation d'un amour réciproque : « que j'aime, et qui m'aime » ; « m'aime et me comprend ».
Finalement, satisfait ou insatisfait, accompli ou inaccompli, heureux ou malheureux, l'amour s'exprime par des mots que le lecteur peut lire et entendre comme un écho à sa propre vie : le « je » du poème lyrique invite chaque lecteur, s'il le souhaite, à s'identifier à lui.
Les différentes formes du lyrisme amoureux
Dire l'amour en poésie, c'est utiliser différentes formes d'écriture, des caractéristiques propres au genre poétique comme des figures de style, des jeux sur les sonorités, des formes de poème.
La passion mêle des sentiments contradictoires qui peuvent être décrits à l'aide de figures de style exprimant un fort contraste. C'est le cas de l'antithèse.
« Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie »
Louise Labé
Œuvres de Louise Labé
1555
Les sensations, les plaisirs partagés et les sentiments éprouvés par les amants peuvent être décrits avec raffinement et à l'aide d'images poétiques. Le poète peut utiliser la comparaison ou la métaphore :
« Son regard est pareil au regard des statues »
Paul Verlaine
Poèmes saturniens
1866
La comparaison est mise en évidence par le mot « pareil ».
« Dans la maison du vin qu'est l'amour je prie toujours »
Omar Khayyam
Rubayat
XIIe siècle, trad. Armand Robin, © Le Club français du livre, 1958
La métaphore associe deux éléments, « la maison du vin » et « l'amour », sans mot de comparaison. Cette image poétique montre toute l'intensité et le réconfort que procure l'amour.
Le sentiment amoureux peut être dit et écrit dans un langage poétique qui joue sur les sons. Ce phénomène rappelle le sens musical du mot « lyrisme » (la lyre d'Orphée). Pour cela, le poète utilise notamment des assonances et des allitérations.
« Je tresserai mes vers de verre et de verveine
Je tisserai ma rime au métier de la fée
Et trouvère du vent je verserai la vaine
Avoine verte de mes veines
Pour récolter la strophe et t'offrir ce trophée »
Louis Aragon
« La Constellation », Les Yeux d'Elsa
Paris, © Seghers, 1942
Les allitérations (la répétition volontaire d'un ou de plusieurs sons consonantiques) en [t], en [r], en [v] et les assonances (la répétition volontaire d'un ou plusieurs sons vocaliques) en [è] et [é] permettent au poète d'insister sur le chant d'amour qu'il destine à la femme qu'il aime.
L'expression du sentiment amoureux et les mots d'amour peuvent prendre place dans une forme fixe comme le sonnet.
Sonnet
Le sonnet est un poème à forme fixe qui comprend deux quatrains et deux tercets ; l'ensemble des strophes est régi par un système de rimes régulier.
Le poème « À une passante » de Baudelaire est un sonnet.
L'expression du sentiment amoureux et les mots d'amour peuvent prendre place dans une forme plus libre. Le poète se libère alors des contraintes strictes de l'écriture poétique et de la versification.
Le poète peut utiliser des vers libres plus ou moins longs.
« 1 je…
2 c'est lui !
3 j'en suis sûr […]
16 je vous aime depuis que je vous ai vu avec vos cheveux »
Jacques Rebotier
« Litanie du coup de la foudre », Le moment que
Marseille, © CIPM-Spectres familiers, 1998
Le poète peut utiliser des poèmes en prose.
« Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air. »
Charles Baudelaire
« Un hémisphère dans une chevelure », Le Spleen de Paris ou Petits poèmes en prose
1869
Le poète peut utiliser des calligrammes qui sont des poèmes associant textes et images. Guillaume Apollinaire est le premier à utiliser cette forme poétique, dans le recueil Poèmes à Lou, paru en 1955.
Le poète utilise également tout un champ lexical spécifique pour dire l'amour, comme « amant », « aimant », « aimé », « aimer », « amour », « flamme », « galanterie », « relation », « adorer », « adoration », « être épris de », « cœur », etc.
L'amour dans le roman
L'amour est également dit et raconté dans le roman. Le roman permet de pénétrer dans le cœur du personnage pour suivre la naissance du sentiment amoureux et sa progression. Le roman offre la possibilité de montrer la multiplicité du sentiment amoureux dans différentes situations et conduit à une meilleure connaissance de soi et des autres.
La rencontre amoureuse et les premières amours
La rencontre amoureuse est une étape privilégiée et fréquente dans les romans. Elle s'appelle la scène de première rencontre. L'amour d'enfance, le premier amour, marque de manière indélébile la personne. Elle s'en rappelle même quand elle a atteint l'âge adulte.
La scène de première rencontre contient différentes caractéristiques. Le cadre de la rencontre fixe le lieu et le moment où les deux amoureux échangent leur premier regard par lequel passe ce sentiment amoureux très fort qui peut aller jusqu'au coup de foudre. Cet instant produit des sentiments et des sensations intenses chez les deux personnages victimes de l'amour. Les sensations résultent d'une perception liée aux cinq sens comme la vue, l'ouïe, l'odorat, le toucher, le goût. Ainsi mêlés, les sensations et les sentiments évoquent la puissance de l'amour ressenti.
Le narrateur se souvient d'Adrienne. Il l'a rencontrée un soir lors d'une fête.
« À peine avais-je remarqué, dans la ronde où nous dansions, une blonde, grande et belle qu'on appelait Adrienne. Tout d'un coup, suivant les règles de la danse, Adrienne se trouva placée seule avec moi au milieu du cercle. Nos tailles étaient pareilles. On nous dit de nous embrasser, et la danse et le chœur tournaient plus vivement que jamais. En lui donnant ce baiser, je ne pus m'empêcher de lui presser la main. Les longs anneaux roulés de ses cheveux d'or effleuraient mes joues. De ce moment, un trouble inconnu s'empara de moi. »
Gérard de Nerval
Sylvie
1853
Cet extrait réunit les caractéristiques principales de la scène de première rencontre :
- le cadre avec la scène de bal (« la ronde où nous dansions ») ;
- le premier regard (« avais-je remarqué ») ;
- les deux personnages réunis de manière proche (« seule avec moi ») ;
- le baiser (« embrasser », « ce baiser ») ;
- les mains prises (« presser la main ») ;
- l'effleurement par les cheveux (« effleuraient ma joue ») ;
- l'intense sensation de malaise due à la force du sentiment amoureux ressenti (« un trouble inconnu »).
L'amour d'enfance peut être destiné à l'un des parents – souvent la mère –, ou peut constituer la première relation amoureuse pour une autre personne. Quelle que soit sa nature, l'amour d'enfance est un épisode marquant dans la vie d'une personne, qui le poursuit jusqu'à l'âge adulte dans les sensations et sentiments éprouvés à ce moment-là. Les écrivains relatent souvent cet épisode marquant car ils cherchent, grâce à ce moment, à expliquer et à comprendre comment s'est formée leur personnalité, leur rapport avec les femmes, leur rapport au sentiment amoureux. Le lecteur peut se retrouver dans de telles expériences et parvenir lui aussi à mieux se connaître, se comprendre.
Dans Le Château de ma mère publié en 1957, Marcel Pagnol écrit ses souvenirs d'enfance et célèbre sa mère en lui rendant hommage. Pagnol vouait un amour indescriptible à sa mère ; elle fut sa mère, son réconfort, sa confidente, son premier amour. Sa mort laisse Marcel, à quinze ans, inconsolable.
L'amour partagé et l'amour impossible
On retrouve surtout deux types de relations amoureuses dans les romans : l'amour partagé et l'amour impossible. Quand l'amour est partagé, il peut engager les deux amants dans une relation amoureuse sereine et heureuse. Toutefois, l'amour est parfois impossible et mène à la souffrance.
L'amour permet aux deux êtres qui s'aiment de s'épanouir ensemble, de vivre heureux, de partager les mêmes centres d'intérêt, de ressentir, avec la même force et la même puissance, le sentiment amoureux. Quand l'amour est partagé, il permet aux deux êtres qui s'aiment de vivre un grand bonheur, de ne pas pouvoir vivre l'un sans l'autre, de grandir ensemble, c'est-à-dire d'appréhender le monde ensemble et d'évoluer sur le même rythme.
Serge Mouret rencontre la jeune Albine chez un ami. En plus de lui déclarer sa flamme, c'est-à-dire son amour, il lui explique combien sa présence est indispensable au bon déroulement de sa vie :
« Je t'aime parce que tu es venue. Cela dit tout… Maintenant nous sommes ensemble, nous nous aimons. Il me semble que je ne vivrais plus, si je ne t'aimais pas. Tu es mon souffle. [...] On ne sait pas cela tout de suite. Ça pousse en vous avec votre cœur. Il faut grandir, il faut être fort… tu te souviens comme nous nous aimions ! Mais nous ne le disions pas. On est enfant, on est bête. Puis, un beau jour, cela devient trop clair cela vous échappe... Va, nous n'avons pas d'autre affaire ; nous nous aimons parce que c'est notre vie de nous aimer. »
Émile Zola
La Faute de l'abbé Mouret
1855
L'amour peut ne pas être partagé pour différentes raisons :
- le sentiment amoureux n'est pas réciproque ;
- les deux personnes ne sont pas compatibles ;
- l'amour est empêché par d'autres personnes qui refusent ce lien (dispute, jalousie, etc.) ;
- l'amour peut être source de mensonges et de tromperies ;
- l'une des deux personnes décède, l'autre se retrouve donc plongé dans la peine.
L'amour peut donc rendre malheureux et être source de souffrance, de tristesse, de peine, de déception.
Le Roman de Tristan de Béroul est un roman du Moyen Âge qui relate un amour impossible. Tristan part en mission en Irlande pour le roi Marc. Il doit escorter Iseult, la fiancée du roi. La servante d'Iseult donne un philtre d'amour destiné aux futurs mariés, le roi Marc et Iseult, lors de leur nuit de noces. Mais, durant le voyage, assoiffés, Tristan et Iseult boivent par erreur ce philtre et tombent amoureux l'un de l'autre. Cependant, leur amour est interdit, ils vivent leur passion en trompant le roi Marc. Après de multiples aventures, les deux amants meurent et sont enterrés côte à côte. Une ronce pousse qui relie leurs deux tombes, symbole de leur amour éternel.
L'amour et une autre vision du monde
L'amour ressenti peut être tellement fort qu'il conduit l'être aimé et celui qui aime à voir le monde autrement.
La force de l'amour peut être telle qu'elle parvient à faire voir le monde différemment. La personne amoureuse voit le monde autrement ou plus exactement voit le monde à travers l'amour. La beauté du paysage est alors exaltée, notamment la nature.
Félix de Vandenesse est tombé amoureux de Mme de Mortsauf rencontrée lors d'un bal à Paris.
« Elle demeurait là, mon cœur ne me trompait point : le premier castel que je vis au penchant d'une lande était son habitation ; quand je m'assis sous mon noyer, le soleil de midi faisait pétiller les ardoises de son toit et les vitres de ses fenêtres ; sa robe de percale produisait le point blanc que je remarquai dans ses vignes sous un hallebergier. […] L'amour infini, sans autre aliment qu'un objet à peine entrevu dont mon âme était remplie, je le trouvais exprimé par ce long ruban d'eau qui ruisselait au soleil entre deux rives vertes, par des lignes de peupliers qui paraient de leurs dentelles mobiles ce val d'amour, par les bois de chênes qui s'avancent entre les vignobles sur des coteaux que la rivière arrondit toujours différemment, et par ces horizons estompés qui fuient en se contrariant. »
Honoré de Balzac
Le Lys dans la vallée
1836
Félix de Vandenesse ignore où habite exactement Mme de Mortsauf mais il parvient à déduire la localisation de sa maison car le paysage qui entoure la demeure lui évoque toutes les beautés physiques de la dame qu'il aime. Il compare ainsi le corps de sa bien-aimée « à ce long ruban d'eau ».
Les mots pour dire l'amour
Il existe tout un champ lexical pour dire l'amour heureux ou malheureux.
Les mots pour dire l'amour heureux sont :
- des noms : « amour », « bonheur », « joie », « ravissement », « passion », « transport », « élégance », « tendresse », « attirance », « désir », « admiration » ;
- des verbes : « aimer », « adorer », « s'éprendre », « soupirer », « admirer » ;
- des adjectifs qualificatifs : « amoureux », « passionné », « transporté », « chaleureux », « délicat », « gentil », « tendre », « élégant ».
Les mots pour dire l'amour malheureux sont :
- des noms : « aversion », « peine », « tristesse », « jalousie », « honte », « agacement », « embarras », « remords », « culpabilité » ;
- des verbes : « détester », « mépriser », « refuser », « repousser » ;
- des adjectifs qualificatifs : « agacé », « embarrassé », « honteux ».
Les métaphores sont également très utilisées : « un coup de foudre », « une passion ardente », « déclarer sa flamme », « brûler de jalousie », « le cœur brisé », etc.
L'amour au théâtre
L'amour est également dit et raconté au théâtre aussi bien dans la tragédie, dans la comédie que dans la tragi-comédie. L'expression amoureuse correspond à des moments forts comme le coup de foudre ou la déclaration. Le théâtre met en scène des amours impossibles et le dilemme amoureux ou encore le quiproquo amoureux.
Le coup de foudre et la déclaration d'amour
Il existe plusieurs scènes typiques des histoires d'amour que l'on retrouve au théâtre. Le coup de foudre est un moment très important qui scelle la rencontre entre les deux êtres aimés tout comme la déclaration d'amour.
Dans une relation amoureuse, l'amour peut être un sentiment très fort et fulgurant qui frappe l'être aimé. On l'appelle le coup de foudre. L'amour pour la personne vue ou rencontrée devient évident et génère des émotions très fortes.
Dom Juan, gentilhomme, multiplie les rencontres amoureuses et les coups de foudre qu'il peut ressentir. Voici l'exemple du coup de foudre éprouvé pour Charlotte, une jeune paysanne :
« DOM JUAN, apercevant Charlotte.
Ah ! ah ! d'où sort cette autre paysanne, Sganarelle ? as-tu rien vu de plus joli ? et ne trouves-tu pas, dis-moi, que celle-ci vaut bien l'autre ?
SGANARELLE.
Assurément. Autre pièce nouvelle.
DOM JUAN.
D'où me vient, la belle, une rencontre si agréable ? Quoi ? dans ces lieux champêtres, parmi ces arbres et ces rochers, on trouve des personnes faites comme vous êtes ?
CHARLOTTE.
Vous voyez, Monsieur.
DOM JUAN.
Êtes-vous de ce village ?
CHARLOTTE.
Oui, Monsieur.
DOM JUAN.
Et vous y demeurez ?
CHARLOTTE.
Oui, Monsieur.
DOM JUAN.
Vous vous appelez ?
CHARLOTTE.
Charlotte, pour vous servir.
DOM JUAN.
Ah ! la belle personne, et que ses yeux sont pénétrants ! »
Molière
Dom Juan ou le Festin de Pierre, acte II, scène 2
1665
À la première vue de Charlotte, Dom Juan tombe sous les charmes de son physique comme le suggèrent les expressions mélioratives « plus joli », « la belle », « une rencontre si agréable », « ses yeux sont pénétrants ». Dans cette comédie, les sentiments de Dom Juan ne sont pas sincères et sont très changeants puisqu'il peut tomber amoureux de toutes les jeunes femmes qu'il rencontre (« et ne trouves-tu pas, dis-moi, que celle-ci vaut bien l'autre ? »).
La déclaration amoureuse est un moment clef dans une relation amoureuse. En plus d'engager les deux êtres qui s'aiment, elle permet le dévoilement des sentiments et offre ainsi la possibilité de vivre l'amour, de le partager.
La scène de déclaration d'amour dans la tragédie Roméo et Juliette de Shakespeare est très célèbre. Roméo est caché dans le jardin de Juliette sous son balcon. Elle parle de Roméo et avoue qu'elle l'aime. Roméo ose alors se montrer et lui déclarer son amour.
Les amours impossibles
Les amours impossibles sont un thème fréquent de la tragédie.
Dire et vivre l'amour peut conduire à des situations tragiques comme la mort. L'amour est impossible, il est refusé et les amants s'aiment d'un amour indestructible et éternel que même la mort ne peut empêcher.
L'amour de Roméo et Juliette dans la tragédie de Shakespeare est impossible. C'est seulement dans la mort que les deux amants pourront être réunis en raison de l'impossible réconciliation de leur famille.
Racine, dramaturge du XVIIe siècle, a peint dans ses tragédies les maux de l'amour. Ses héros et ses héroïnes plongent dans de terribles souffrances et n'ont que la mort pour sortir de ce conflit tragique :
- Dans Andromaque (1668), Racine met en scène l'histoire tragique d'Andromaque. Pour sauver son fils de la mort, elle accepte d'épouser Pyrrhus qu'elle n'aime pas. Fidèle à Hector, son mari défunt, elle se donne la mort juste après la cérémonie du mariage pour ne pas le tromper.
- Dans Bérénice (1670), Racine met en scène un amour rendu impossible à cause du pouvoir politique. Titus, empereur de Rome, aime passionnément Bérénice, reine de Palestine. Mais le pouvoir et la tradition à Rome refusent sur le trône une reine étrangère. Titus ne parvient pas à choisir et menace de se suicider. Bérénice résout la situation en décidant de quitter Rome et en sacrifiant son amour pour Titus.
- Dans Phèdre (1677), Racine montre les conséquences tragiques d'un amour interdit. Seconde épouse de Thésée, Phèdre tombe amoureuse d'Hippolyte, son beau-fils, issu du premier mariage de Thésée. Elle brûle d'une passion secrète pour lui. Honteuse et coupable, Phèdre avoue ses sentiments mais Hippolyte ne l'aime pas. Détruite par cet amour fou, Phèdre se suicide.
Le dilemme cornélien
L'amour impose parfois de faire un choix, de choisir entre deux possibilités. C'est un thème que l'on retrouve surtout dans la tragédie ou la tragi-comédie de Corneille, on parle alors de dilemme cornélien.
Corneille, dramaturge du XVIIe siècle, soumet ses héros à un dilemme : on parle de dilemme cornélien. Les héros doivent faire un choix qui oppose l'amour au sens du devoir et de la famille. En effet, au XVIIe siècle, les personnes de naissance noble devaient faire passer l'honneur de leur famille et leur devoir avant leurs sentiments personnels et l'être aimé. Le personnage de théâtre se retrouve ainsi face à un questionnement intérieur dans lequel il doit faire un choix et prendre une décision qui dans tous les cas le fait souffrir.
Dans la tragi-comédie de Corneille intitulée Le Cid, Don Rodrigue doit venger son père qui vient d'être offensé par Don Gomès, père de Chimène. Don Rodrigue aime Chimène. Il est donc confronté à ce dilemme : venger son père et choisir son devoir et son honneur, ou protéger le père de Chimène pour sauver son amour.
Le quiproquo amoureux
Dans les comédies particulièrement, les situations amoureuses s'accompagnent de confusions et d'incompréhension : on parle au théâtre de quiproquo.
Quiproquo
Le quiproquo est une erreur qui consiste à prendre une chose, une personne, une parole pour une autre. Cela crée un malentendu entre les personnes concernées. Au théâtre, le quiproquo est souvent source de comique et suppose une complicité avec le lecteur-spectateur qui comprend tout et mesure les conséquences du malentendu.
Le quiproquo est très souvent présent au théâtre, notamment lors de déclarations amoureuses.
« HORACE.
À ne vous rien cacher de la vérité pure,
J'ai d'amour en ces lieux eu certaine aventure,
Et l'amitié m'oblige à vous en faire part.
ARNOLPHE.
Bon ! voici de nouveau quelque conte gaillard ;
Et ce sera de quoi mettre sur mes tablettes.
HORACE.
Mais, de grâce, qu'au moins ces choses soient secrètes.
ARNOLPHE.
Oh !
HORACE.
Vous n'ignorez pas qu'en ces occasions
Un secret éventé rompt nos prétentions.
Je vous avouerai donc avec pleine franchise
Qu'ici d'une beauté mon âme s'est éprise. […]
Une jeune objet qui loge en ce logis
Dont vous voyez d'ici que les murs sont rougis ;
Simple, à la vérité, par l'erreur sans seconde
D'un homme qui la cache au commerce du monde, […]
C'est Agnès qu'on l'appelle.
ARNOLPHE, à part.
Ah ! je crève !
HORACE.
Pour l'homme
C'est, je crois, de la Zousse ou Source qu'on le nomme :
Je ne me suis pas fort arrêté sur le nom ;
Riche, à ce qu'on m'a dit, mais des plus sensés, non ;
Et l'on m'en a parlé comme d'un ridicule.
Le connaissez-vous point ? »
Molière
L'École des femmes
1662
Horace raconte à Arnolphe la rencontre avec Agnès dont il est tombé amoureux. Le quiproquo réside sur la personne même d'Arnolphe. Horace ignore que ce Monsieur « de la Zousse ou Source » n'est autre qu'Arnolphe, qui lui se reconnaît parfaitement. Le quiproquo provoque le rire et met en place le comique puisque Horace rapporte que ce monsieur est « ridicule ».
La peinture est aussi un art qui a souvent mis en scène l'amour.
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