Sommaire
ILa structure de l'argumentationIIL'opposition entre la guerre et la paixIIIUn réquisitoire contre la politique des princesIVUn paradoxe : la volonté divinePaix
La guerre est un fruit de la dépravation des hommes ; c'est une maladie convulsive et violente du corps politique ; il n'est en santé, c'est-à-dire dans son état naturel, que lorsqu'il jouit de la paix ; c'est elle qui donne de la vigueur aux empires ; elle maintient l'ordre parmi les citoyens ; elle laisse aux lois la force qui leur est nécessaire ; elle favorise la population, l'agriculture et le commerce ; en un mot, elle procure au peuple le bonheur qui est le but de toute société. La guerre, au contraire, dépeuple les États ; elle y fait régner le désordre ; les lois sont forcées de se taire à la vue de la licence qu'elle introduit ; elle rend incertaines la liberté et la propriété des citoyens ; elle trouble et fait négliger le commerce ; les terres deviennent incultes et abandonnées. Jamais les triomphes les plus éclatants ne peuvent dédommager une nation de la perte d'une multitude de ses membres que la guerre sacrifie ; ses victoires même lui font des plaies profondes que la paix seule peut guérir.
Si la raison gouvernait les hommes, si elle avait sur les chefs des nations l'empire qui lui est dû, on ne les verrait point se livrer inconsidérément aux fureurs de la guerre ; ils ne marqueraient point cet acharnement qui caractérise les bêtes féroces. Attentifs à conserver une tranquillité de qui dépend leur bonheur, ils ne saisiraient point toutes les occasions de troubler celle des autres ; satisfaits des biens que la nature a distribués à tous ses enfants, ils ne regarderaient point avec envie ceux qu'elle a accordés à d'autres peuples ; les souverains sentiraient que des conquêtes payées du sang de leurs sujets ne valent jamais le prix qu'elles ont coûté. Mais, par une fatalité déplorable, les nations vivent entre elles dans une défiance réciproque perpétuellement occupées à repousser les entreprises injustes des autres ou à en former elles-mêmes, les prétextes les plus frivoles leur mettent les armes à la main. Et l'on croirait qu'elles ont une volonté permanente de se priver des avantages que la Providence ou l'industrie leur ont procurés. Les passions aveugles des princes les portent à étendre les bornes de leurs États ; peu occupés du bien de leurs sujets, ils ne cherchent qu'à grossir le nombre des hommes qu'ils rendent malheureux. Ces passions, allumées ou entretenues par des ministres ambitieux ou par des guerriers dont la profession est incompatible avec le repos, ont eu, dans tous les âges, les effets les plus funestes pour l'humanité. L'histoire ne nous fournit que des exemples de paix violées, de guerres injustes et cruelles, de champs dévastés, de villes réduites en cendres. L'épuisement seul semble forcer les princes à la paix ; ils s'aperçoivent toujours trop tard que le sang du citoyen s'est mêlé à celui de l'ennemi ; ce carnage inutile n'a servi qu'à cimenter l'édifice chimérique de la gloire du conquérant et de ses guerriers turbulents ; le bonheur de ses peuples est la première victime qui est immolée à son caprice ou aux vues intéressées de ses courtisans.
Damilaville
Encyclopédie
XVIIIe siècle
La structure de l'argumentation
- Il s'agit d'un article sur la paix qui traite en vérité de ce qui trouble la paix : la guerre.
- Cet article est divisé en deux paragraphes, qui propose chacun une approche différente du problème de la guerre.
- Le premier paragraphe propose une définition de la guerre. La guerre est une maladie : "c'est une maladie". On trouve d'ailleurs le champ lexical de la maladie : "santé", "vigueur", "membres" ,"corps", "plaies", "guérir".
- La guerre est un état de trouble. Comme la maladie, elle peut conduire à la mort.
- La paix est associée à la santé.
- L'argumentation est donc fondée sur une antithèse, une opposition entre la guerre qui est dévalorisée, et la paix qui est valorisée. Les deux termes sont associés à des états, comme les états du corps, les états de maladie et de santé.
- Le deuxième paragraphe propose une hypothèse. On peut remarquer l'utilisation de "si" et du conditionnel. L'auteur imagine un monde où les hommes seraient raisonnables et où il n'y aurait pas de guerre. Ce monde est mis en opposition, par la conjonction de coordination "mais", à l'état actuel des choses.
L'opposition entre la guerre et la paix
- Le texte est donc structuré sur l'opposition entre la paix et la guerre, la santé et la maladie.
- La guerre est synonyme de destruction, de désordre. La paix est synonyme de prospérité.
- On peut relever une série d'oppositions : "santé/maladie convulsive et violente", "état naturel/dépravation", "ordre/désordre", "licence/lois forcées de se taire", "accroissement de la population/dépeuple les États", "développement de l'agriculture/les terres deviennent incultes et abandonnées", "développement du commerce/fait négliger le commerce", "le bonheur/rend incertaines la liberté et la propriété".
- Les aspects positifs de la paix s'opposent ainsi aux aspects négatifs de la guerre. La paix permet en plus l'enrichissement humain et économique d'un pays, alors que la guerre n'est que la destruction et le malheur.
- On peut noter l'opposition du champ lexical du succès, lié à la paix, au champ lexical de la perte, lié à la guerre.
- On perçoit l'idée que la guerre est historique, qu'elle est perpétuelle : "dans tous les âges".
- On peut remarquer une énumération qui renforce l'idée que la guerre s'inscrit dans l'Histoire : "L'histoire ne nous fournit que des exemples de paix violées et de guerres injustes et cruelles, de champs dévastés, de villes réduites en cendres".
- On trouve l'idée que les guerres ont toujours été absurdes voire inutiles : "le sang du citoyen s'est mêlé à celui de l'ennemi".
Un réquisitoire contre la politique des princes
- Le texte est un réquisitoire contre la guerre.
- L'auteur imagine un monde où "la raison gouvernait les hommes", et surtout où le roi serait éclairé : "l'empire qui lui est dû".
- Seulement, cela ne correspond pas à la situation actuelle. En utilisant le conditionnel, l'auteur analyse la conduite des princes de son temps.
- On peut relever des formes négatives qui sont une énumération des malheurs apportés par la guerre.
- L'attitude des princes n'est pas réfléchie : "inconsidérément".
- On trouve des hyperboles : "les fureurs de la guerre", "bêtes féroces".
- Une leçon est donnée aux princes. Ainsi, ils devraient être : "Attentifs à conserver une tranquillité de qui dépend leur bonheur", "satisfaits des biens que la nature a distribués à tous ses enfants".
- Si les princes s'accordaient à maintenir la paix, le monde serait plus beau : "les souverains sentiraient que des conquêtes payées du sang de leurs sujets ne valent jamais le prix qu'elles ont coûté".
- Les princes sont aveugles et ambitieux : "passions aveugles", "étendre les bornes", "édifice chimérique de la gloire du conquérant".
- Les princes sont capricieux : "peu occupés du bien de leurs sujets", "le bonheur de ses peuples est la première victime qui est immolée à son caprice".
- On trouve aussi la dénonciation de l'attitude de l'entourage du prince : "ministres ambitieux", "vues intéressées de ses courtisans", "guerriers dont la profession est incompatible avec le repos", "guerriers turbulents".
- L'hypothèse permet donc à l'auteur de faire un portrait du monarque raisonné et humaniste qu'il aimerait avoir, et de l'opposer aux princes qui gouvernent les pays à son époque.
Un paradoxe : la volonté divine
- L'auteur s'attaque aux "nations". Il dénonce la peur qui entraîne la guerre : "une défiance réciproque", "repousser les entreprises injustes des autres ou à en former elles-mêmes", "les prétextes les plus frivoles".
- Pourtant, si les nations semblent bien responsables ("on croirait qu'elles ont une volonté permanente de se priver des avantages"), il semble qu'une volonté divine s'y mêle : "par une fatalité déplorable".
- On peut parler de paradoxe, car si c'est la raison qui entraîne la guerre ou la paix, pourquoi parler de destin ?
- La même idée se retrouve avec : "avantages que la Providence ou l'industrie leur ont procurés". De nouveau, une mention est faite à Dieu, au destin. Ce ne sont plus les princes qui décident.
En quoi cet article "Paix" est-il surprenant ?
I. Un article polémique
II. Une opposition entre "guerre" et "paix"
III. Une critique de la politique des princes
Comment Damilaville dénonce-t-il la guerre ?
I. La guerre, une maladie
II. La guerre, un caprice des princes
III. La paix, un remède contre la guerre
Quels sont les outils de l'argumentation ?
I. Une argumentation fondée sur une opposition
II. Une hypothèse : la paix
III. Un réquisitoire contre la politique des princes