Sommaire
IL'instauration de la laïcité en TurquieALa mise en place de la laïcité par Mustapha KemalBLa laïcité turqueCLa montée de l'islamismeIIL'influence de la religion dans la politique intérieure des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondialeALes États-Unis, un État laïqueBUne société profondément religieuseCUne politique étrangère basée sur un esprit missionnaireLa Turquie et les États-Unis présentent deux formes originales de sécularisation de l'État et de la société. En principe, les deux États se revendiquent laïques. Toutefois, depuis l'instauration de la laïcité en Turquie en 1924, on constate que l'État et la religion sont mal séparés, et que l'islam prend de plus en plus d'importance dans la société. De même aux États-Unis, bien que l'État soit laïque, la société est très religieuse et influence les actions politiques du pays.
Comment la sécularisation est-elle pensée et appliquée en Turquie depuis 1924 et aux États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ?
L'instauration de la laïcité en Turquie
La séparation entre l'État et la religion est proclamée en 1924 en Turquie, avec l'abolition du califat, sous Mustapha Kemal. La laïcité turque présente des caractéristiques particulières. Toutefois, cette séparation du pouvoir religieux et du pouvoir politique a créé des tensions et provoqué la montée de l'islamisme dans le pays.
La mise en place de la laïcité par Mustapha Kemal
La République de la Turquie est proclamée en 1923 après le démembrement de l'Empire ottoman. La sécularisation de la Turquie moderne s'effectue entre 1923 et 1938, sous l'action du président de la République Mustapha Kemal, qui abolit le califat en 1924. Il impose la laïcité par une série d'actions menées au sein de l'État et de la société.
Laïcité
La laïcité est le principe de séparation des comportements religieux (espace privé) et civiques (espace public) au sein de la société.
En 1918, l'Empire ottoman est affaibli par la Première Guerre mondiale. En avril 1920 a lieu une grande assemblée nationale de Turquie présidée par Mustapha Kemal, et en août le traité de Sèvres est signé : l'Empire ottoman est démembré. Le 24 juillet 1923, le traité de Lausanne définit les frontières de l'actuelle Turquie.
La République de Turquie est donc fondée en 1923. Mustapha Kemal devient président de 1923 à 1938. Il entreprend la sécularisation du pays dans le but d'affirmer l'identité turque en s'éloignant du passé ottoman et en s'occidentalisant.
Sécularisation
La sécularisation est un processus par lequel la religion est reléguée dans la sphère privée.
© Wikimedia Commons
Pour créer une identité turque laïque, Mustapha Kemal abolit le califat en 1924. Le calife Abdülmecid II s'exile avec sa famille.
Califat
Un califat est un territoire soumis à l'autorité d'un calife.
Calife
Calife est le titre porté par les successeurs du prophète Mohammed. Le calife est le chef politique et religieux des musulmans.
L'occidentalisation de la société turque passe par la mise en place de la laïcité. Pour Mustapha Kemal, la laïcité doit être le principe fondateur de l'identité nationale turque. Elle devient l'un des piliers de la République turque. La laïcité turque est imposée par l'État. Une série de mesures sont prises contre la tradition musulmane :
- Les tribunaux religieux sont supprimés en 1924.
- Les confréries, couvents et autres sectes religieuses sont dissous en 1925. Leurs biens passent sous l'autorité de l'État. Ils sont remplacés par des « maisons du peuple » en 1931.
- Le Diyanet ou Présidence des affaires religieuses est créé en 1924. Il contrôle les mosquées, fournit les prêches à lire le vendredi et nomme et rémunère les imams.
- Le droit islamique est remplacé par le droit républicain : abolition de la charia, interdiction de la polygamie et de la répudiation, qui est remplacée par le divorce.
- Le foulard islamique et le fez sont interdits dans l'espace public en 1925.
- En 1928, l'islam n'est plus religion d'État.
- En 1938, toute référence à l'islam dans la Constitution est supprimée, ce qui fait de la Turquie un pays musulman sous régime laïque.
La laïcité passe par une occidentalisation des mœurs turques :
- Le calendrier grégorien occidental remplace le calendrier musulman.
- L'école devient obligatoire et mixte en 1924 pour inculquer la laïcité aux enfants. L'enseignement est pris en charge par l'État et non plus par les écoles coraniques.
- L'alphabet latin remplace l'alphabet arabe.
- Les femmes sont autorisées à exercer une profession et obtiennent le droit de vote aux élections locales en 1930 et aux élections nationales en 1934, ainsi que l'éligibilité en 1934.
- Le dimanche devient le jour de repos officiel en 1935, alors qu'il s'agit du vendredi pour les musulmans.
- Le port du chapeau occidental est encouragé pour les hommes.
La laïcité turque
La laïcité turque est garantie par la Constitution, les tribunaux et la Cour constitutionnelle, mais également par l'armée. Son but principal est de soumettre la religion musulmane à l'État et de la reléguer dans l'espace privé. Toutefois, la religion musulmane est favorisée par l'État, au détriment des autres.
En Turquie, la laïcité est garantie par :
- La Constitution : un amendement de la Constitution inclut le principe de laïcité en 1937. Le principe de laïcité ne peut pas être modifié.
- Les tribunaux et la Cour constitutionnelle, qui peuvent notamment dissoudre des partis islamiques.
- L'armée, qui s'est posée en défenseur de la laïcité.
En 1960, l'armée organise un coup d'État contre le parti démocrate au pouvoir. Le Premier ministre Adnan Menderes est accusé d'avoir violé la Constitution de la République. Il est renversé et condamné à mort par un tribunal militaire. Il est pendu en 1961.
La laïcité turque n'a pas pour but de faire coexister différentes religions. Son but est de soumettre la religion dominante, la religion musulmane sunnite, à l'État.
Les musulmans peuvent être chiites ou sunnites, en fonction du descendant du prophète Mohammed dont ils suivent les préceptes.
On estime que 99 % des Turcs sont musulmans.
La laïcité en Turquie est une laïcité de contrôle. Il s'agit d'éviter que l'islam s'érige en contre-pouvoir à l'État laïque. La religion dominante, l'islam sunnite, est subordonnée à l'État.
Le Diyanet est une institution publique chargée des affaires religieuses rattachée au Premier ministre. À la tête du Diyanet est placé un dignitaire religieux sunnite.
Les ministres du culte musulman sont des fonctionnaires rémunérés par l'État au nombre d'environ 100 000.
L'islam est certes contrôlé, mais aussi favorisé par l'État laïque. Ainsi, l'État finance l'islam sunnite mais pas les autres religions. Le budget annuel du Diyanet est conséquent.
En 2016, le budget du Diyanet était de 1,75 milliard d'euros, soit deux fois supérieur à celui du ministère de la Santé et trois fois supérieur à celui des Affaires étrangères.
Les minorités religieuses chrétienne orthodoxe et juive doivent financer les lieux de culte et rémunérer leurs clercs, bien que leurs membres payent les impôts finançant le Diyanet.
L'État favorise également l'enseignement de l'islam sunnite. Les cours de religion, instaurés depuis 1982 dans les écoles publiques du primaire et du secondaire, donnent priorité à l'islam sunnite.
La liberté religieuse est officiellement garantie depuis 1923 par les accords de Lausanne pour les minorités juive, grecque et arménienne. Cependant, certaines minorités religieuses non reconnues sont victimes de discriminations de la part de l'État.
Les accords de Lausanne ne reconnaissent pas les musulmans alévis, ni les catholiques latins ni les protestants. Ces minorités religieuses sont victimes de discriminations.
La montée de l'islamisme
La laïcisation de la société turque par Mustapha Kemal a été autoritaire et n'a pas forcément été bien vécue par tous les musulmans turcs. Elle a généré du ressentiment et a permis le retour de l'islam et de l'islamisme dans l'espace public. C'est particulièrement vrai depuis l'accès au pouvoir du président Erdogan en 2003.
Laïcisation
La laïcisation est l'action de laïciser, de retirer toute influence religieuse de l'espace public.
Islamisme
L'islamisme est une idéologie politique et religieuse affirmant la primauté de l'islam, le rejet de l'Occident, et revendiquant l'application de la loi coranique (charia) dans les États.
La réduction de l'islam dans la sphère privée provoque :
- la révolte armée de Cheikh Saïd en 1925 dans le Sud-Est de la Turquie ;
- la contestation d'intellectuels islamistes. À partir des années 1980, des intellectuels comme Ahmet Arvasi et Fethullah Gülen publient de nombreux ouvrages dans lesquels l'islam est décrit comme un aspect fondamental de la nation turque.
Depuis les années 1950, on observe la montée au pouvoir de partis politiques conservateurs. Leurs réformes se traduisent par le renforcement du poids de l'islam et de sa politisation dans l'espace public. Ainsi, le parti démocrate au pouvoir entre 1950 et 1960 atténue la sécularisation de la Turquie :
- L'arabe est de nouveau utilisé dans les manuels religieux et pour l'appel à la prière.
- Les cours d'islam sont rétablis dans les écoles publiques. Seuls les enfants dont les parents demandent une dérogation n'ont pas de cours d'instruction religieuse.
Aujourd'hui, le président controversé Erdogan, du parti AKP, cherche à politiser l'islam et à réduire l'impact de la laïcité sur l'État et la société.
Les minorités restent discriminées, les alévis notamment n'ont toujours pas de statut légal et n'ont pas non plus l'autorisation de construire des lieux de culte.
- Des lois sont votées autorisant le port du foulard islamique dans les écoles et la fonction publique.
- Les programmes scolaires sont réécrits pour sensibiliser les enfants à la religion.
- Les théories de l'évolution sont supprimées des programmes du secondaire pour n'être abordées qu'à l'université.
- Le budget du Diyanet a été multiplié par deux entre 2007 et 2016, passant ainsi de 800 millions à 1,75 milliard d'euros.
- Le nombre de mosquées construites et d'imams augmente sensiblement.
- La vente d'alcool est strictement réglementée.
Le budget du Diyanet a été multiplié par deux entre 2007 et 2016, passant ainsi de 800 millions à 1,75 milliard d'euros.
Cette islamisation de la société provoque la colère de certains qui tentent de résister :
- Les « manifestations de la République », pro-laïques, rassemblent plusieurs centaines de milliers de personnes en 2007.
- Des mouvements féministes permettent le recul du gouvernement en 2018 sur un projet de loi qui prévoit l'amnistie des violeurs si ces derniers épousent leur victime.
Toutefois, le régime d'Erdogan est de plus en plus autoritaire : de nombreux opposants sont emprisonnés, torturés ou disparaissent. Beaucoup vivent aujourd'hui en exil.
L'influence de la religion dans la politique intérieure des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale
Les États-Unis sont un pays laïque. Toutefois, la religion a une grande influence dans la société américaine. La politique des États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale est liée à la foi chrétienne de défense du bien.
Les États-Unis, un État laïque
La laïcité américaine est garantie par la Constitution, la Cour suprême doit la faire respecter. On trouve une pluralité de religions aux États-Unis. La liberté de conscience et de culte est respectée, les différentes religions peuvent y être pratiquées sans entrave.
Aux États-Unis, la laïcité est garantie par la Constitution. Depuis 1787, les États-Unis sont un État laïque fondé sur la complète séparation de l'Église et de l'État. Le premier amendement mentionne que « le Congrès ne fera aucune loi qui touche à l'établissement ou interdise le libre exercice d'une religion ». Au nom du principe de la liberté individuelle, la Constitution :
- interdit toute religion d'État ;
- garantit la liberté religieuse à tous.
Les juges de la Cour suprême sont considérés comme les gardiens de la laïcité en interprétant le premier amendement. Si le gouvernement a le droit de mentionner la religion au sens large – sur la monnaie et les prestations de serment –, les lois qui promeuvent la religion sont invalidées. Les décisions de la Cour suprême des États-Unis confirment la séparation entre État et religions depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Créationnisme
Le créationnisme est un courant religieux selon lequel Dieu est à l'origine de tout. Ce courant s'oppose aux théories de l'évolution.
La nation américaine s'est construite dans la pluralité religieuse : entre les XVIe et XVIIIe siècles, les colons anglais sont victimes de persécutions religieuses en Europe. Ce sont surtout des protestants qui appartiennent à divers courants : baptistes, méthodistes, luthériens, pentecôtistes, etc. À partir du milieu du XIXe siècle, la nation américaine se diversifie avec :
- L'arrivée en masse des catholiques européens : Italiens, Allemands et Irlandais forment progressivement le noyau dur du catholicisme américain. Les catholiques sont ainsi 18 millions en 1920.
- L'installation des juifs aux États-Unis. Ils forment en 1920 une communauté de 3 millions d'individus.
- La conversion d'esclaves afro-américains à l'islam.
- L'arrivée des bouddhistes et hindouistes depuis les années 1960.
La laïcité à l'américaine insiste sur la liberté de conscience et de culte qui est garantie :
- entre les religions ;
- entre la religion et la non-religion (athéisme et irréligion).
La laïcité permet de :
- respecter le principe d'égalité de la Constitution et ne pas établir une hiérarchie et des discriminations entre les groupes sociaux ;
- ne pas exclure l'individu de la communauté nationale.
Par conséquent, la seule limite à la liberté de culte consiste à ne pas empiéter sur la liberté religieuse d'autrui. Toutes les religions ont droit de cité, quels que soient leur dogme et leurs rites.
Une Église afro-cubaine peut pratiquer des sacrifices ritualisés d'animaux car cette démarche ne diffère pas fondamentalement de ceux pratiqués par les juifs et les musulmans.
Les États-Unis s'affirment comme une démocratie laïque dans laquelle les religions peuvent être pratiquées sans entrave.
Une société profondément religieuse
La société américaine reste profondément religieuse. On parle de religion civile. On trouve des symboles religieux dans les institutions américaines. La société américaine est imprégnée de christianisme. L'influence des Églises est incontestable dans la société américaine, elles ont beaucoup de pouvoir.
Religion civile
La religion civile est l'ensemble des valeurs, symboles et rites partagés par l'ensemble des citoyens d'une nation.
La religion est un facteur de cohésion sociale. Les références à Dieu sont récurrentes dans la société américaine. Ainsi :
- La mention « In God we trust » (« Nous avons foi en Dieu ») est inscrite sur la monnaie depuis 1856 et devient la devise nationale en 1956.
- La formule « God Bless America » (« Que Dieu bénisse l'Amérique ») conclut fréquemment les discours des présidents américains.
© Wikimedia Commons
La place de la religion est importante dans la société américaine, avec une prédominance du christianisme.
La religion est importante dans la vie quotidienne des Américains.
- 56 % des Américains considèrent la religion comme importante dans leur vie.
- 39 % des Américains assistent à l'office religieux le dimanche.
- 75 % des Américains disent avoir lu un passage de la Bible durant l'année écoulée.
- 37 % des Américains font des dons annuels aux Églises chrétiennes.
Les Églises sont influentes :
- Elles diffusent les valeurs religieuses dans la société : respect de Dieu et de la vie, compassion et pardon, honnêteté et intégrité dans tous les domaines de la vie.
- Elles participent à l'intégration des immigrés, aident les pauvres et encouragent les œuvres de bienfaisance. Elles jouent un rôle majeur dans l'intégration culturelle des populations, notamment celle des Hispaniques.
- Elles éduquent de nombreux enfants. Les écoles confessionnelles sont nombreuses et variées pour enseigner la religion. Certaines écoles privées enseignent encore le créationnisme.
- Elles influencent les médias. Les prêches des télévangélistes occupent une place importante dans les programmes télévisés.
Le pasteur baptiste et télévangéliste Jerry Falwell lance à la fin des années 1970 une campagne anti-avortement dans son émission hebdomadaire.
Les Églises connaissent de profondes mutations sous l'effet de la croissance démographique. On observe de plus en plus de méga-églises (très grosses églises).
On compte 800 méga-églises aux États-Unis, elles sont capables de réunir 25 000 personnes chaque semaine, comme celle de Lakewood à Houston au Texas.
Les Églises sont également présentes dans la vie politique : elles sont constituées en groupes de pression et pèsent sur les votes au moment des élections. Elles obligent les candidats à prendre en compte leurs revendications :
- Des Églises soutiennent le parti démocrate car il est plus favorable aux minorités (irlandaise, juive, italienne, afro-américaine, hispanique).
- D'autres Églises soutiennent le parti républicain pour défendre les valeurs de la droite chrétienne.
- L'Église baptiste de Martin Luther King s'est engagée, en faveur de l'émancipation des Noirs dans les années 1960, aux côtés des démocrates et de John Kennedy.
- Les évangélistes ont activement participé aux victoires républicaines de George W. Bush et de Donald Trump aux élections présidentielles de 2000 et 2016.
Une politique étrangère basée sur un esprit missionnaire
Après la Seconde Guerre mondiale, la religion civile est mobilisée par le pouvoir politique pour donner à sa politique étrangère une vision religieuse du monde. Dans cette vision du monde, les États-Unis jouent le rôle de gendarme : ils sont les défenseurs du juste et du bien.
Placés « sous la protection de Dieu » selon le président Abraham Lincoln, les États-Unis ont pour mission de défendre et diffuser la démocratie libérale et le capitalisme dans le monde. Ils se posent en défenseurs du « bien » contre le « mal ».
Les États-Unis parlent de « l'axe du Mal » dans les années 2000 pour désigner les États soutenant le terrorisme (Afghanistan) et/ou souhaitant se procurer des armes de destruction massive (Irak, Iran, Corée du Nord, etc.).
Les États-Unis justifient leurs interventions dans le monde en s'appuyant sur la religion.
Durant la guerre froide (1947-1991) contre l'URSS, les États-Unis opposent la foi américaine à l'idéologie communiste athée.