Sommaire
ILes causes de la Première Guerre mondiale : un débat historiqueAL'été 1914 : l'engrenage des alliancesBLa question de la responsabilité : l'opposition entre les historiens allemands et françaisCUn débat apaiséIIMémoire et histoire d'un conflit : la guerre d'AlgérieALa guerre d'Algérie : une guerre de décolonisation (1954-1962)BDes mémoires et des histoires opposées1En France : une guerre niée et tardivement étudiée2En Algérie : une guerre mythifiée peu à peu réviséeCLa persistance de tensions malgré la reconnaissance des faitsLes conflits et leur histoire sont gravés dans les mémoires individuelles et la mémoire collective des sociétés. La Première Guerre mondiale (1914-1918) et la guerre d'Algérie (1954-1962) ont fait l'objet de nombreux travaux historiques qui peuvent être utilisés à des fins politiques. Ces travaux nourrissent les mémoires et ce que les spécialistes appellent « l'historiographie », c'est-à-dire la discipline qui étudie les historiens, leurs travaux et leurs conceptions de l'histoire, mais aussi des débats dont les enjeux dépassent le cercle des universitaires et sont à la fois politiques et mémoriels.
Comment les conflits et leur histoire s'inscrivent-ils dans les mémoires des populations et peuvent-ils faire l'objet d'une instrumentalisation politique ? Quels enjeux historiographiques et politiques peuvent représenter des conflits passés qui ont laissé des cicatrices, plus ou moins douloureuses, pour les générations suivantes ?
Les causes de la Première Guerre mondiale : un débat historique
L'un des débats historiques les plus importants est celui cherchant à établir qui est le responsable du déclenchement de la Première Guerre mondiale. En effet, l'été 1914 est marqué par une série d'événements qui poussent les deux alliances d'Europe à se lancer dans une guerre qui va durer quatre ans. Au lendemain de la guerre, les historiens allemands et les historiens français n'ont pas la même lecture de l'été 1914, chaque pays cherchant à ne pas assumer la responsabilité de cette guerre.
L'été 1914 : l'engrenage des alliances
En 1914, l'Europe est divisée en deux alliances : la Triple-Entente (France, Russie et Royaume-Uni) et la Triple-Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie). L'attentat de Sarajevo, le 28 juin 1914, déclenche une suite d'événements qui conduisent à la guerre. Le conflit devient une guerre européenne qui se mondialise et surtout qui dure plus de quatre années, et dont le bilan est catastrophique. Le traité de Versailles est très humiliant pour les perdants, dont fait partie l'Allemagne.
Le système des alliances met en marche un engrenage impossible à arrêter au cours de l'été 1914 :
- 28 juin : assassinat de l'archiduc François-Ferdinand, héritier d'Autriche-Hongrie, par un étudiant nationaliste serbe, Gavrilo Princip. C'est l'attentat de Sarajevo.
- 23 juillet : ultimatum de l'Autriche-Hongrie à la Serbie pour enquêter en Serbie. L'Autriche-Hongrie laisse 48 heures à la Serbie pour répondre.
- 25 juillet : la Serbie accepte l'ultimatum à l'exception d'une clause : la participation de policiers autrichiens à l'enquête sur l'attentat sur son territoire.
- 28 juillet : l'Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie.
- 30 juillet : mobilisation générale en Russie, alliée de Serbie, qui entraîne la mobilisation de l'Allemagne, alliée de l'Autriche-Hongrie.
- 1er août : déclaration de guerre de l'Allemagne à la Russie. La France, alliée de la Serbie et de la Russie, décide la mobilisation générale.
- 2 août : ultimatum de l'Allemagne à la Belgique lui demandant l'autorisation de passage de ses troupes. La Belgique refuse.
- 3 août : l'Allemagne envahit la Belgique et déclare la guerre à la France. L'Italie reste neutre.
- 4 août : le Royaume-Uni déclare la guerre à l'Allemagne en réponse au viol de la neutralité belge.
- 6 août : la Serbie déclare la guerre à l'Allemagne.
Le conflit, qui devait être court, dure quatre ans. À la fin du conflit, la Triple-Alliance a perdu.
Le bilan démographique, économique, politique et social de la Première Guerre mondiale est désastreux :
- 14 millions de morts ;
- 3 millions de veuves ;
- 6 millions d'orphelins ;
- des pays endettés ;
- des villes entièrement détruites.
Le traité de Versailles signé le 28 juin 1919 impose des conditions dures à l'Allemagne : elle perd son statut de grande puissance et est réduite à une puissance secondaire. Ce traité est vécu comme une humiliation pour les Allemands, un « diktat » c'est-à-dire une paix « dictée » par les vainqueurs. Un article en particulier, l'article 231, fait l'objet de controverses : l'Allemagne est considérée comme responsable de la guerre.
« L'Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre qui leur a été imposé par l'agression de l'Allemagne et de ses alliés. »
Traité de Versailles, article 231
1919
Cet article fonde la question des responsabilités et revêt une dimension éminemment politique.
La question de la responsabilité : l'opposition entre les historiens allemands et français
La question de la responsabilité a une dimension politique majeure et divise la France et l'Allemagne. Pour les historiens allemands, dont fait partie Hans Delbrück, l'Allemagne est innocente. Pour les historiens français, l'Allemagne est coupable et responsable de la Première Guerre mondiale. Après la Seconde Guerre mondiale et les horreurs commises par les nazis, un historien allemand, Fritz Fischer, crée une importante controverse. Il estime que le nazisme et la Seconde Guerre mondiale sont la continuité de l'impérialisme allemand ayant provoqué la guerre en 1914. Pour lui, l'Allemagne est donc responsable de la Première Guerre mondiale.
La question de la responsabilité est importante sur le plan politique :
- Pour la France, cela justifie le paiement de lourdes réparations par l'Allemagne et une politique de fermeté à son égard.
- Pour l'Allemagne, ce sont les socialistes et les dirigeants politiques de la république de Weimar qui sont responsables, mais pas tout le pays. La frustration et l'humiliation permettent de développer une thèse fausse et dangereuse diffusée par les militaires allemands : l'armée allemande a été trahie par un « coup de poignard dans le dos » porté par les Juifs et les socialistes.
Après la guerre, les historiens allemands défendent l'Allemagne. Elle est présentée comme un État en pleine expansion en 1914, encerclé par des voisins menaçants qui lui refusent son espace vital et sa part du partage colonial du monde. Selon cette interprétation, l'Allemagne n'a fait que se défendre. Les responsabilités sont du côté de la Russie qui s'est mobilisée contre l'Allemagne, et du côté de la France qui a soutenu la Russie. Par ailleurs, les hésitations du Royaume-Uni, interprétées par l'Allemagne comme une neutralité, ont joué un rôle dans l'engrenage de la guerre.
Pour les historiens français, l'Allemagne est plutôt responsable, même si cette analyse évolue entre 1925 et 1950.
En 1925, Pierre Renouvin publie Les Origines immédiates de la guerre. Cet historien est un ancien combattant, mutilé de guerre. Chargé de cours à la Sorbonne dès 1919, il est le premier historien français à avoir accès aux archives du ministère des Affaires étrangères.
Archives
Les archives sont l'ensemble des documents conservés. Quand elles sont publiques, elles sont conservées par un État selon des critères précis, notamment de délais de consultation.
Dans son ouvrage, Pierre Renouvin se penche sur la succession des décisions de la crise de juillet 1914 qui ont mené au conflit. Il conclut à une écrasante responsabilité de l'Allemagne et de la double monarchie austro-hongroise.
En 1933, Jules Isaac publie Un débat historique. Le Problème des origines de la guerre. Lui aussi est un ancien combattant, inspecteur général de l'Instruction publique et auteur de manuels scolaires très connus et utilisés à l'époque. Il est pacifiste et veut éduquer les jeunes générations dans la haine de la guerre. Il soutient une thèse plus nuancée : la responsabilité principale est allemande et autrichienne mais elle est partagée par la France et la Russie. Pour lui, la France n'a pas invité la Russie à une plus grande prudence et le Royaume-Uni n'a pas assez tôt fait savoir qu'il ne resterait pas neutre.
Dans les années 1950, Pierre Renouvin révise son jugement. Sans renoncer à la thèse d'une responsabilité décisive de l'Allemagne, il reconnaît que les Alliés n'ont pas fait tout leur possible pour empêcher la guerre.
En Allemagne, la controverse de Fritz Fischer en 1961 réanime le débat. La Seconde Guerre mondiale a changé l'orientation de l'analyse. Le nazisme et ses atrocités posent de nouvelles questions aux historiens :
- Comment et pourquoi le nazisme a-t-il régné en Allemagne ?
- Le nazisme est-il un accident de l'histoire ou l'aboutissement extrême d'une volonté de puissance ancienne ?
Cela nécessite une révision profonde de la manière d'analyser la Première Guerre mondiale et donc une mutation de l'historiographie dominante.
Historiographie
L'historiographie est une discipline qui étudie les historiens, leurs travaux et leurs conceptions de l'histoire.
L'historien Fritz Fischer propose une nouvelle analyse. Il publie d'abord un article en 1959 puis un livre en 1961 intitulé Les Buts de guerre de l'Allemagne impériale 1914-1918. Le titre allemand est Griff nach der Weltmacht, c'est-à-dire La Quête du pouvoir mondial. Ce livre déclenche une longue querelle d'historiens jusqu'aux années 1980. Selon Fritz Fischer, il y a bien une responsabilité décisive de l'Allemagne.
« L'Allemagne, confiante dans sa supériorité militaire, ayant voulu, souhaité et appuyé la guerre austro-serbe, prit sciemment le risque d'un conflit militaire avec la France et la Russie. Le gouvernement allemand portait ainsi une part décisive de la responsabilité historique de la guerre mondiale […]. »
Fritz Fischer
Les Buts de guerre de l'Allemagne impériale 1914-1918
1961
L'Allemagne aurait déclenché les hostilités afin d'accéder au rang de puissance mondiale. Cela revient à placer l'expansionnisme nazi du IIIe Reich dans la continuité du IIe Reich. Le nazisme n'est donc plus une exception mais une continuité nationaliste « de Bismarck à Hitler ». Fritz Fischer explique également que la politique intérieure (le poids de l'armée et des forces nationalistes) a eu une influence déterminante sur les décisions du chancelier et de l'empereur, plus que les rapports de force internationaux. C'est véritablement un renversement des systèmes d'interprétation.
La thèse de Fritz Fischer s'oppose aux analyses dominantes de l'époque. Les débats ont même dépassé les cercles universitaires et se sont étendus dans la société et le monde politique, le chancelier allemand au pouvoir à cette époque-là s'opposant aux idées de Fritz Fischer.
Un débat apaisé
Aujourd'hui, la question est plus apaisée, les responsabilités sont partagées et la dimension politique et polémique s'est éteinte avec le temps. Cela s'explique par le nouveau contexte politique international et par la réorientation des recherches historiques.
Le contexte international permet d'apaiser le débat. La construction européenne à partir de 1951 est fondée sur la réconciliation franco-allemande. Il faut oublier les tensions et les conflits passés. La construction européenne permet d'instaurer une solidarité entre les États de l'Europe de l'Ouest qui apaise la mémoire des conflits passés.
Les recherches historiques se réorientent. On note un certain désintérêt pour la Première Guerre mondiale au profit de la Seconde Guerre mondiale. À partir des années 1980-1990, les historiens privilégient une approche anthropologique, culturelle et sociale de la guerre de 1914-1918 et ne s'intéressent plus à la question des responsabilités mais plutôt aux questions des violences de guerre, de la guerre totale, de la « brutalisation » des sociétés.
Le dernier livre en date sur la question des responsabilités est paru en 2012. Il est écrit par un enseignant à Cambridge, Christopher Clark et s'intitule Les Somnambules. Été 1914 : comment l'Europe a marché vers la guerre. Cet ouvrage avance plusieurs thèses dont deux importantes :
- Il n'y a pas un coupable mais des coresponsables, idée explicite dans le titre du livre.
- Les responsabilités russes, serbes et françaises sont importantes et minimisent donc celles des Allemands et des Autrichiens.
« Au total, cette recherche orientée, mais exemplaire dans son genre, débouche sur une métaphore : celle des "somnambules", des hommes d'État prisonniers de perceptions faussées de leurs adversaires, acteurs d'une "tragédie" débouchant sur un "cataclysme". »
Critique du livre Les somnambules. Été 1914 : comment l'Europe a marché vers la guerre dans Le Monde
septembre 2013
Mémoire et histoire d'un conflit : la guerre d'Algérie
La guerre d'Algérie a longtemps été « une guerre sans nom ». L'État français a refusé de reconnaître qu'il s'agissait d'une guerre. Pourtant, ce conflit violent a coûté la vie de nombreuses personnes, surtout algériennes, entre 1954 et 1962, en divisant profondément la société française. Les mémoires de la guerre d'Algérie sont opposées, chaque pays ayant sa version des faits. Aujourd'hui, on note une reconnaissance de la responsabilité de l'État français mais des tensions perdurent.
La guerre d'Algérie : une guerre de décolonisation (1954-1962)
En 1954, l'Algérie est une colonie française qui a un statut particulier : elle est découpée en trois départements. Les Algériens, qui sont moins bien considérés que les colons français, souhaitent retrouver leur indépendance et leur liberté, mais la métropole s'y oppose. La guerre pour l'indépendance de l'Algérie débute en 1954 et se termine en 1962. De nombreuses atrocités sont commises des deux côtés pendant cette période, mais particulièrement du côté de l'armée française.
La conquête française de l'Algérie date de 1830 et provoque l'installation d'une population française nombreuse que l'on appelle les « pieds-noirs ».
Pieds-noirs
Les pieds-noirs sont les Européens d'Afrique du Nord émigrés depuis plusieurs générations et rapatriés en France après l'indépendance de l'Algérie.
L'Algérie est une colonie de peuplement dans le sens où de nombreux Français y vivent. Elle est divisée en trois départements français.
Avant la Seconde Guerre mondiale, le nationalisme algérien existe. Il est renforcé après la guerre, d'abord en raison de la défaite française en 1940, preuve de sa fragilité, mais aussi à cause de l'utilisation de l'Algérie comme réserve de soldats disponibles après 1942.
La première manifestation des Algériens a lieu à Sétif le 8 mai 1945. C'est le jour de la capitulation allemande mettant fin à la Seconde Guerre mondiale. Cette manifestation s'achève par une répression violente.
Le FLN algérien (Front de libération nationale) réclame l'indépendance. À la Toussaint 1954, il déclenche une insurrection armée et gagne progressivement la confiance des Algériens musulmans. La France s'engage dans une guerre coloniale sanglante. Le FLN et son armée, l'ALN (Armée de libération nationale), commettent des attentats contre la population française, contre les Algériens restés fidèles à la France et contre les harkis.
Harkis
Les harkis sont les soldats algériens engagés aux côtés de la France dans la guerre d'Algérie.
L'armée française use d'une répression féroce et de la torture. Quelques rares officiers s'y opposent au nom du respect des Droits de l'homme.
La guerre a également des répercussions en métropole où des manifestations d'Algériens sont réprimées dans le sang le 17 octobre 1961 ou encore dans le métro Charonne le 8 février 1962. L'OAS (Organisation de l'armée secrète), organisation terroriste soutenant l'Algérie française, commet de nombreux attentats en métropole, notamment des tentatives d'assassinat du président Charles de Gaulle.
La paix est conclue par les accords d'Évian le 18 mars 1962 qui conduisent à l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962. Le bilan de la guerre est lourd :
- 25 000 soldats français et entre 300 000 et 400 000 Algériens, civils et militaires, ont été tués.
- 1 million de pieds-noirs et 40 000 harkis sont exilés en France et mal accueillis, les harkis sont relégués dans des camps de transit en France et considérés comme des traîtres par l'Algérie.
- Les militaires français qui ont dû faire leur service militaire en Algérie (les appelés) n'ont pas le statut d'anciens combattants et taisent leurs douleurs.
Des mémoires et des histoires opposées
La guerre n'a pas la même signification pour l'Algérie et pour la France. Pour la France, c'est une guerre de décolonisation qui est d'abord niée et peu étudiée. Pour l'Algérie, c'est une guerre de libération, considérée et dénommée comme une « révolution », elle est mythifiée avant d'être révisée.
En France : une guerre niée et tardivement étudiée
En France, la guerre est d'abord niée : on parle des « événements » d'Algérie et non pas de « guerre ». Les mémoires de la guerre émergent peu à peu dans le débat public à partir des années 1970. Elle devient un véritable objet d'étude des historiens dans les années 1990.
Dès le déclenchement de l'insurrection algérienne en 1954, l'État français fait tout pour minimiser l'ampleur de ce qui se passe. Cela commence par la manière de désigner la guerre : « événements », « opérations de police », « actions de maintien de l'ordre », « pacification », etc. C'est une guerre qui ne dit pas son nom. Par ailleurs, plusieurs lois d'amnistie sont votées, dès 1962, garantissant l'impunité de tous les combattants.
Cependant, la guerre n'est pas oubliée par ceux qui ont été impliqués, notamment les pieds-noirs qui cultivent une « nostalgérie », les harkis venus s'installer en France, et les anciens combattants qui ne peuvent pas partager leur vécu traumatisant.
Nostalgérie
La nostalgérie désigne la nostalgie de l'Algérie ressentie par ceux qui l'ont quittée à la suite de l'indépendance du pays en 1962.
Les mémoires de la guerre émergent à partir des années 1970. Le cinéma joue un rôle certain en dénonçant les violences de la guerre.
Le film La Bataille d'Alger de Gillo Pontercorvo sorti en 1965 puis le film Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier sorti en 1972 traitent de la guerre d'Algérie.
La reconnaissance de la guerre passe par une indemnisation des pieds-noirs dans une loi de 1970, mais cette loi est considérée comme insuffisante. Les pieds-noirs constituent un électorat important et pèsent donc politiquement dans les régions méditerranéennes. Leur vote est majoritairement à droite et à l'extrême droite.
Des manifestations des harkis en 1975-1976 et en 1991 dénoncent les conditions de vie déplorables dans lesquelles ils vivent et l'absence de reconnaissance de la part de la France.
La montée de l'extrême droite en France à partir des années 1980 provoque un mouvement contre le racisme organisé par les immigrés ou leurs enfants, la « génération beur ».
Beurs
« Beurs » est une appellation argotique (« Arabes » en verlan) qui désigne les jeunes nés en France de parents maghrébins.
L'ouverture des archives à partir des années 1990 et l'arrivée de nouvelles générations d'historiens permettent une progression de la connaissance de cette période. À partir de 1992, en vertu de l'expiration du délai de 30 ans, les archives sont ouvertes. Plusieurs générations d'historiens étudient la guerre :
- ceux qui ont vécu la décolonisation de l'Algérie ;
- ceux qui ont un rapport plus ou moins fort avec ce processus (travaux de Gilbert Meynier et de Benjamin Stora) ;
- ceux qui n'ont aucune expérience de la guerre et ont fait des travaux sur des questions sensibles (la justice par Sylvie Thénault ou la torture par Raphaëlle Branche).
La parole des anciens appelés se libère et les témoignages et les publications se multiplient.
En Algérie : une guerre mythifiée peu à peu révisée
En Algérie, la guerre est mythifiée. Cela signifie qu'elle fait partie de la mythologie nationale : c'est une guerre valorisée dans laquelle le rôle des Algériens est magnifié. On observe une remise en cause du récit national à partir des années 1980.
Le FLN monopolise le pouvoir en mettant en place un régime politique à parti unique. L'histoire est instrumentalisée et devient un enjeu majeur : c'est au nom de son action au cours de la guerre que le FLN justifie son pouvoir. D'où une triple conséquence :
- une survalorisation du rôle du FLN et une minimisation de celui des autres groupes nationalistes ;
- une présentation de la guerre comme un soulèvement populaire unanime (ce qui est faux) ;
- une surestimation des pertes : 1,5 million de victimes alors qu'elles sont estimées en réalité entre 300 000 et 400 000.
En 1980, des émeutes en Kabylie éclatent et sont durement réprimées ; elles remettent en question le discours du FLN sur la nation algérienne. En effet, les Kabyles ne sont pas des Arabes et rejettent le discours du gouvernement autour d'une Algérie arabe unie.
En 1980, 60 % des Algériens ont moins de 20 ans. Cette population n'a pas connu la guerre et se sent moins concernée. Elle adhère moins au discours et au régime autoritaire du FLN.
En 1988, des soulèvements obligent le pouvoir à accepter le multipartisme et l'organisation d'élections libres qui permettent la victoire des islamistes. L'armée décide d'interrompre le processus électoral pour empêcher les islamistes d'arriver au pouvoir mais provoque une guerre civile qui va durer 8 ans, de 1992 à 2000. N'ayant jamais effectué une analyse critique des excès commis lors de la guerre d'Algérie, le FLN est mal placé pour dénoncer la violence des islamistes.
Le travail des historiens algériens est compliqué du fait de la fermeture des archives de la guerre.
Mohammed Harbi est né en 1933. C'est un combattant dans les rangs du FLN, conseiller du président Ahmed Ben Bella. Il est emprisonné en 1965 à la suite de la prise de pouvoir par Houari Boumédiène puis il s'évade et s'exile en France en 1973 pour devenir un historien du FLN et de la guerre d'Algérie. Certains de ses ouvrages sont interdits en Algérie.
La persistance de tensions malgré la reconnaissance des faits
Dans les années 1990, une politique de reconnaissance mémorielle de la part de la France débute. On observe des tentatives pour aller vers une histoire commune bien qu'il y ait toujours des mémoires cloisonnées. L'historien Benjamin Stora parle d'une « guerre des mémoires ».
En France, les crimes commis par l'armée française sont de plus en plus reconnus depuis la fin des années 1990. Le terme de « guerre » a été reconnu en 1999. Dans les années 2000 et 2010, les présidents français Jacques Chirac, François Hollande et Emmanuel Macron ont contribué à reconnaître la responsabilité de la France dans le conflit.
Le débat à l'occasion de la publication des mémoires du général Aussaresses en 2001 sur la question de l'utilisation de la torture par l'armée française est emblématique : ancien chef des services de renseignement lors de la bataille d'Alger en 1957, il justifie la torture, ce qui lui vaut une condamnation par la justice et la perte de sa Légion d'honneur.
On observe des tentatives pour poser les bases d'un dialogue et d'un travail commun.
Un livre sur la guerre d'Algérie dirigé par Benjamin Stora et Mohammed Harbi est publié en 2004.
Mais les mémoires sont encore sous tension :
- En 2005, un article de loi vantant « le rôle positif de la présence française en Afrique du Nord » suscite la polémique et est finalement retiré.
- En 2006, pour commémorer la fin de la guerre, la date du 19 mars, qui marque le cessez-le-feu suivant les accords d'Évian du 18 mars 1962, est proposée mais est refusée par certains députés arguant que des massacres d'Européens et de harkis ont eu lieu après.
- Des lieux de mémoire suscitent des polémiques liées aux différentes communautés ou sensibilités politiques.
En Algérie, la mémoire officielle reste la même et est liée au maintien au pouvoir du FLN.
« Histoire commune entre les deux pays, la guerre d'Algérie n'est pas encore une histoire partagée. La réconciliation est difficile tant le cloisonnement des mémoires est fort. »
Benjamin Stora
Le Monde
février-mars 2012