Sommaire
IL'Union européenne, une originalité géopolitiqueAL'Union européenne : la construction d'un projet politiqueBLes critères d'adhésion à l'Union européenneC1951-2010 : les élargissements successifs de l'EuropeIIL'Union européenne et ses frontières : entre ouverture, intégration et fermetureAEntre ouverture des frontières internes et intégration transfrontalièreBUn contrôle croissant aux frontièresIIIL'exemple des frontières d'un État : le cas de la HongrieALa volonté de fermeture des frontièresBUne quadruple analyse de la fermeture des frontières de la Hongrie1L'analyse géographique2L'analyse historique3L'analyse géopolitique4L'analyse du point de vue des sciences politiquesL'Union européenne (UE) est le fruit d'une construction politique établie dans le contexte de l'après Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide. D'abord CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier) en 1951 puis CEE (Communauté économique européenne) en 1957, réunissant 6 États, et enfin depuis le 1er janvier 1993, UE. L'Union européenne est une organisation internationale regroupant 27 États européens aux dimensions multiples : économique, politique et culturelle. L'Union européenne correspond à un projet politique dont les structures institutionnelles, les objectifs politico-économiques et la géographie ont évolué avec le temps (processus). En ce sens et en ces temps de crises migratoire et épidémiologique, l'analyse des frontières à la fois internes - à l'intérieur de l'UE – et externes est une question capitale.
Quels sont les enjeux, les fonctions et les formes des frontières internes et externes de l'Union européenne ? Dans quelle mesure les crises successives que connaît l'Union européenne depuis une dizaine d'années contribuent-elles à une certaine fermeture à l'intérieur de son espace et vis-à-vis du monde extra-européen ?
L'Union européenne, une originalité géopolitique
L'Union européenne est une originalité géopolitique : c'est une organisation dont les limites géographiques n'ont pas été fixées par avance, elles ne cessent d'évoluer. Ce projet politique a connu un processus de construction particulier. Il repose sur des critères d'adhésion précis. Depuis 1951, des élargissements se sont succédés.
L'Union européenne : la construction d'un projet politique
L'Union européenne est née de la construction européenne. À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, un certain nombre d'hommes politiques constatent que le nationalisme a abouti à une « guerre civile européenne » de 30 ans (1914-1945) et au déclin de l'Europe. La construction européenne est aussi le fruit d'un contexte historique particulier - la guerre froide (1947-1991) – qui engendre la division de l'Europe en deux : l'Europe de l'Ouest, sous influence des États-Unis, et l'Europe de l'Est, sous contrôle de l'URSS. La survie de l'Europe occidentale passe alors par l'alliance avec les États-Unis et la construction d'une union européenne. Construire une union européenne permet de renforcer les liens économiques et de maintenir la paix.
L'Union européenne commence sa construction après la Seconde Guerre mondiale, dans le but de préserver la paix. La capacité à transformer et à surmonter les tensions entre les États peut être plus forte que les tensions elles-mêmes. C'est en tout cas l'intuition de Jean Monnet ou de Robert Schuman, hommes politiques français qui ont participé à la construction de l'Union européenne. Les deux hommes comprennent qu'il faut d'abord une réconciliation franco-allemande, fondée sur des intérêts politique et économique, et une mémoire maîtrisée. La création de la CECA en est la concrétisation. Elle permet une « solidarité de fait », pour reprendre les termes de Robert Schuman en 1950.
La construction européenne se fait dans le contexte de la guerre froide (1947-1991), durant laquelle l'Europe est coupée en deux :
- l'Europe de l'Ouest, sous influence des États-Unis ;
- l'Europe de l'Est, sous contrôle de l'URSS.
L'URSS, puissance géopolitique mais aussi idéologique (avec le projet marxiste-léniniste communément appelé communisme), représente une menace réelle pour l'Europe de l'Ouest. La survie de l'Europe de l'Ouest passe par l'alliance avec les États-Unis et la construction d'une union européenne solide.
L'Union européenne est aussi le résultat d'un projet et d'un processus politiques. Le projet politique est de construire un espace démocratique, de prospérité économique et de paix. Les moyens ont été économiques et politiques par la mise en place progressive d'un marché de libre circulation :
- d'abord, le charbon et l'acier (1951) ;
- ensuite, les marchandises, avec la création de la CEE (1957) ;
- puis, la mise en place d'une Politique agricole commune (PAC) en 1962 ;
- puis, la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes est fixée par le marché unique (1986) pour le 1er janvier 1993 ;
- enfin, la mise en place d'une monnaie commune, l'euro (1992-2002).
Les critères d'adhésion à l'Union européenne
Des critères ont été établis pour définir les modalités et les limites géographiques de l'Union européenne. Ces critères sont économiques, politiques, et dans une certaine mesure culturels (partage des mêmes valeurs).
Le Conseil européen de Copenhague de juin 1993 a fixé les critères d'entrée de tout nouveau pays dans l'Union européenne :
- des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, la protection des Droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection ;
- l'existence d'une économie de marché viable, la capacité de faire face à la concurrence et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union ;
- la capacité du pays à assumer les obligations de l'Union et notamment à souscrire aux objectifs de l'union politique, économique et monétaire.
L'Union européenne est également une communauté de valeurs. Pour le Conseil européen de Lisbonne en 1992, le terme Europe « combine des éléments géographiques, historiques et culturels qui, ensemble, contribuent à l'identité européenne. Leur expérience partagée de proximité, d'idées, de valeurs et d'interaction historique ne peut être condensée en une formule simple et reste sujette à révision à chaque génération successive. Il n'est donc pas possible ni opportun d'établir maintenant les frontières de l'Union européenne dont les contours se construiront au fil du temps. »
On constate que la définition de l'Union européenne est essentiellement économique, politique et culturelle – et non géographique –, ce qui permet de ne pas dessiner les frontières de manière fixe et définitive.
« La construction européenne s'est réalisée selon un processus évolutif auto-entretenu sans se préoccuper de ses limites géographiques ultimes. »
Michel Foucher
La République européenne, © Belin
1998
1951-2010 : les élargissements successifs de l'Europe
La CEE puis l'Union européenne ont connu plusieurs extensions géographiques, transformant ainsi leurs frontières internes comme externes. De 1951 à la fin de la guerre froide, les élargissements ont été effectués au sein de l'Europe de l'Ouest. Les bouleversements géopolitiques de la fin de la guerre froide ont permis une véritable réunification européenne par la capacité d'attraction politique et économique de l'Union européenne et l'adhésion à cette dernière d'un certain nombre d'États de l'ancien bloc soviétique dès 2004. La multiplication des domaines de compétences à géographie variable de l'Union européenne crée néanmoins une complexification de son fonctionnement, de ses relations internes et avec le monde extérieur.
De 1951 à la fin de la guerre froide, les élargissements ont été effectués au sein de l'Europe de l'Ouest.
Les bouleversements géopolitiques de la fin de la guerre froide ont permis une réunification européenne. Entre 1995 et 2013, l'Union européenne voit l'intégration de 16 nouveaux États.
Ces élargissements géographiques sont capitaux pour deux raisons :
- D'abord, l'Union européenne connaît une extension comme elle n'en a jamais vécu : 16 États en moins de 20 ans, c'est-à-dire plus que durant les 35 années précédentes de son existence.
- De plus, il s'agit, pour une grande partie d'entre eux, d'États de l'ancien bloc soviétique aux niveaux économique et social beaucoup plus faibles et à la démocratie naissante. Cela prouve à la fois la capacité d'attraction de l'Union européenne et engendre une modification des limites - donc des frontières - internes et externes de l'Union européenne.
« Pour la première fois dans l'histoire, le continent est uni dans sa totalité. »
Ralf Dahrendorf (1929-2009), sociologue et homme politique germano-britannique
Parallèlement à ces élargissements géographiques, l'Union européenne devient une organisation plus complexe par la multiplication des compétences politico-économiques à la géographie différenciée. L'Union européenne est une organisation globale de 27 États (le Royaume-Uni l'a quittée en 2020), mais tous n'ont pas intégré chacun des domaines :
- l'espace Schengen : 22 États, mais 4 États non membres de l'Union européenne (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse) ;
- la zone euro : 19 États.
Cet enchevêtrement des compétences à géographie variée ou variable crée une complexification du fonctionnement de l'Union européenne et de ses relations internes et avec le monde extérieur. La délimitation de l'Union européenne en tant qu'entité géopolitique en est complexifiée, tout comme son identité.
« L'Europe ne se définit pas comme une géographie préexistante à toute action collective, bornée dans des limites à la netteté confortable, mais comme un processus historique inscrit dans un espace à géographie variable ».
Michel Foucher
La République européenne, © Belin
1998
L'Union européenne et ses frontières : entre ouverture, intégration et fermeture
L'Union européenne n'est pas un État et n'a donc pas de frontières extérieures à proprement parler, ce sont les frontières extérieures de ses États membres. Le fonctionnement de l'Union européenne impose donc une différenciation de fonctionnement entre ses frontières internes et ses frontières externes et donc une analyse différenciée des deux types de limites. On assiste aujourd'hui à un contrôle croissant aux frontières, notamment à cause des crises migratoire et sanitaire. La Hongrie est un exemple de pays de l'Union européenne dont la question des frontières est au cœur des débats.
Entre ouverture des frontières internes et intégration transfrontalière
Depuis 1957, les frontières internes de la CEE puis de l'Union européenne se sont progressivement ouvertes. La libre circulation est en effet l'un des grands principes et acquis de la construction européenne depuis 1957. Le traité de Rome (1957), l'Acte unique (1993) et les accords de Schengen (1985-1995), qui créent l'espace Schengen, mettent fin aux contrôles aux frontières intérieures des États membres de cet espace. Cette ouverture a favorisé la création d'une coopération et de territoires transfrontaliers.
Depuis 1957, les frontières internes se sont progressivement ouvertes. La libre circulation étant l'un des grands principes et acquis de la construction européenne depuis 1957 – libre circulation des marchandises, des personnes, des capitaux et des services –, les frontières internes de l'espace européen communautaire se sont progressivement ouvertes. Le principe de la libre circulation a été inscrit dans les différents traités de la construction européenne : le traité de Rome (1957), l'Acte unique (1993) et les accords de Schengen (signés en 1985 et entrés en vigueur en 1995) qui permettent la création de l'espace Schengen. Cet accord met fin aux contrôles aux frontières intérieures des États membres de cet espace et institue la disparition progressive des postes-frontières.
L'extension géographique de l'Union européenne et donc de l'espace Schengen depuis 1995 augmente le nombre de résidents d'un État européen travaillant au moins 1 fois par semaine dans un autre pays. Entre 1999 (580 000 personnes) et 2015 (2 millions), les effectifs ont été multipliés par plus de 3.
Cette ouverture a favorisé la création d'une coopération et de territoires transfrontaliers. La mise en place de différents programmes et structures à l'échelle de l'Union européenne a permis de faciliter des coopérations entre les régions d'États frontaliers.
Les coopérations entre les régions d'États frontières se font notamment entre :
- l'Alsace en France ;
- le Bade-Wurtemberg en Allemagne ;
- le canton de Bâle en Suisse.
Les coopérations entre régions prennent différentes formes :
- Eurorégions : officiellement les GECT (Groupement européen de coopération territoriale).
- Un programme européen (Interreg) vise la promotion des politiques de coopération entre les régions européennes : le programme Interreg V pour la période 2014-2020 est financé à hauteur de plus de 7 milliards d'euros.
- Le programme Erasmus (European Community Action Scheme for the Mobility of University Students) à partir de 1987 permet aux étudiants, apprentis et enseignants de 48 États européens d'effectuer un séjour de formation de 3 à 12 mois dans un autre État européen.
Erasmus connaît un réel succès et a été accompagné par la mise en place d'un espace européen de l'enseignement supérieur grâce au processus de Bologne (1998-2010) qui permet une harmonisation des cursus universitaires (crédits ECTS et LMD) afin de faciliter la reconnaissance internationale des diplômes et des qualifications à l'échelle européenne.
L'ouverture des frontières a également abouti au développement progressif de territoires transfrontaliers. Ces relations s'expliquent par des différentiels entre certains territoires européens :
- Le chômage est moins important qu'en France et les salaires plus élevés en Allemagne, au Luxembourg, en Suisse ou à Monaco.
- Certains produits sont moins chers dans d'autres pays comme les cigarettes ou certains produits alimentaires.
- Certains pays attirent pour les loisirs et les vacances.
- Certains habitants ont des résidences secondaires dans des pays frontaliers.
Les relations sont permises par la maîtrise de la même langue ou la maîtrise du pays frontalier.
Le français est utilisé pour les relations avec la Belgique et une partie de la Suisse.
Les relations sont également permises par l'existence de moyens de transport transfrontaliers.
Ces coopérations et ces formes d'intégration transfrontalières ont également été facilitées par l'introduction d'une monnaie unique, l'euro, à partir de 2002.
Un contrôle croissant aux frontières
L'Union européenne et l'espace Schengen ont des frontières extérieures à l'échelle du continent européen et de certains territoires ultra-marins (Canaries, Mayotte). Elles sont protégées par Frontex (forme abrégée de « frontières extérieures ») qui est l'agence européenne chargée de contrôler les frontières extérieures de l'Union européenne. Face aux instabilités du monde depuis les années 2010, on constate un renforcement des frontières par un processus de « barriérisation » et de « refrontiérisation » des interfaces internes et externes.
Ces crises successives nourrissent des débats politiques de plus en plus vifs, notamment entre les citoyens favorables à la construction européenne et ceux qui s'y opposent (extrême droite et extrême gauche).
L'Union européenne et l'espace Schengen ont des frontières extérieures à l'échelle du continent européen et de certains territoires ultra-marins (Canaries, Mayotte). Elles sont protégées par Frontex (forme abrégée de « frontières extérieures »), qui est une agence européenne, dont le siège est à Varsovie, composée de 1 500 gardes-frontières et de gardes-côtes, créée en 2004 et chargée de contrôler les frontières extérieures de l'Union européenne.
La question des frontières est un véritable débat au sein de l'Union européenne :
- Il subsiste des différences juridiques, fiscales et culturelles entre les États.
- Certains États européens ont fait le choix de ne pas faire partie de l'Union européenne ou de l'espace Schengen ou de la zone euro.
- Des situations géopolitiques contraignent les États à réactiver un contrôle aux frontières, externes mais aussi internes : crise migratoire depuis 2013-2015, menaces terroristes, épidémie du Covid-19 en 2020.
Face aux instabilités du monde, on constate un renforcement des frontières par un processus de « barriérisation » et de « refrontiérisation » des interfaces internes et externes.
Ce processus s'effectue sous plusieurs modalités. D'abord, le rétablissement des contrôles aux frontières en raison des crises ou des menaces successives :
- La crise migratoire à partir de 2013-2015 : elle pose une question capitale et constitue un enjeu majeur, l'accueil des migrants et d'une politique migratoire européenne sur cette question. Or, un certain nombre d'États d'Europe centrale - Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie (= groupe de Visegrad) - souhaitent une restriction de l'immigration.
- Les menaces terroristes depuis 2015.
- Le risque épidémiologique depuis 2020 avec la diffusion du Covid-19.
Ensuite, le renforcement de la matérialisation des frontières par :
- La « barriérisation » : processus de renforcement des frontières au moyen de dispositifs matériels et techniques de manière à en limiter le franchissement (murs, barbelés, miradors, caméras thermiques, drones, patrouilles militaires, etc.).
- La multiplication et l'externalisation des lieux de contrôle et d'enfermement : renforcement notamment dans les aéroports – portes d'entrée majeures de l'Union européenne - multiplication des lieux d'enfermement, externalisation du contrôle des flux auprès et avec certains États de transit ou de départ des migrants (Maroc, Turquie, etc.).
Depuis moins de dix ans, on assiste à un processus inverse de celui que l'Europe a connu depuis un demi-siècle : une « refrontérisation » de l'Union européenne, c'est-à-dire une dynamique de renforcement des frontières, externes mais aussi internes.
Les différentes crises que l'Union européenne a connues depuis les années 2010 ont révélé l'importance des frontières :
- le processus historique de réduction de leur rôle depuis un demi-siècle et ses conséquences sur les mobilités humaines facilitées ;
- la nécessité de mettre en place des politiques européennes concertées ;
- le retour des frontières comme affirmation de la souveraineté des États.
L'exemple des frontières d'un État : le cas de la Hongrie
La Hongrie est un exemple de pays appartenant à l'Union européenne qui cherche aujourd'hui à fermer ses frontières. Cela s'explique par une quadruple analyse.
La volonté de fermeture des frontières
La Hongrie est au cœur de l'Europe et du débat sur les frontières. Entre 1989 et 2015, la Hongrie connaît une mutation majeure et inattendue dans le domaine des frontières : elle passe d'un pays du bloc soviétique qui s'ouvre à l'Ouest et intègre l'Union européenne en 2004 à un pays de l'Union européenne qui se ferme dans le contexte de la crise migratoire. Mais en réalité, la crise migratoire est révélatrice d'un enjeu beaucoup plus profond : la volonté de se protéger des flux migratoires passe par la défense des frontières. Elle est assimilée à une défense de l'identité culturelle hongroise, et notamment du christianisme : les migrants musulmans sont donc mal perçus.
En mai 1989, avant même la chute du mur de Berlin (9 novembre 1989), la Hongrie démantèle le « rideau de fer » qui la sépare de l'Autriche, et donc de l'Europe de l'Ouest, permettant ainsi à des milliers d'Allemands de l'Est de rejoindre la RFA par cette brèche. La fin de la guerre froide et la disparition du « rideau de fer » marque pour la Hongrie l'ouverture vers l'Europe de l'Ouest, puis son intégration à l'Union européenne en 2004.
Mais à partir de la seconde moitié des années 2010, à la suite des guerres en Afghanistan (2001-2014), en Irak (2003-2011) et surtout en Syrie (depuis 2011), des flux de migrants de plus en plus importants provoquent une véritable crise migratoire en Europe. La Hongrie met en place en deux phases, entre 2015 et 2017, une frontière quasi-militarisée avec la Serbie, État non membre de l'Union européenne :
- en 2015 : construction d'une clôture de fils de fer barbelés de 175 kilomètres entre la Hongrie et la Serbie, destinée à empêcher les migrants de passer ;
- en 2017 : doublement et renforcement de la clôture par la mise en place de miradors, de caméras thermiques, de projecteurs, de détecteurs de mouvement, d'une route bitumée pour le passage des soldats hongrois chargés de patrouiller.
On assiste à la construction d'un mur (une smartborder) et à la fermeture sud-est de la Hongrie.
© Wikimedia Commons
Cette fermeture des frontières concerne le rapport à l'autre. On constate l'existence dans l'esprit des Hongrois d'un lien fort entre ouverture des frontières et menaces variées.
« L'immigration est le problème central de l'Europe. Cette question détermine tout le reste : les problèmes économiques, démographiques, les questions sociales ou religieuses… »
Porte-parole du gouvernement hongrois, Zoltan Kovacs
Le Monde
Mai 2019
Selon une enquête internationale de 2017, l'immigration a des conséquences négatives pour 83 % des Hongrois.
La crise migratoire est le révélateur d'un enjeu beaucoup plus profond : la volonté de se protéger des flux migratoires et notamment de populations musulmanes. Cette protection passe par la défense des frontières et est assimilée à une défense de l'identité culturelle chrétienne hongroise.
« Rétablir la visibilité des frontières colmate l'anxiété culturelle, parfois fantasmée, face aux bruits et aux fureurs du monde. »
Michel Foucher, géographe et diplomate
Le Retour des frontières, © CNRS Éditions
2016
Une quadruple analyse de la fermeture des frontières de la Hongrie
La géographie, l'histoire, la géopolitique et les sciences politiques permettent d'analyser la fermeture actuelle des frontières de la Hongrie.
L'analyse géographique
D'un point de vue géographique, la Hongrie est au centre de l'Europe mais pas de l'Union européenne. Dans l'Union européenne, la Hongrie est en situation de périphérie et d'interface avec les États balkaniques, non membres de l'Union européenne et eux-mêmes sur la route des migrants venant du Moyen-Orient et en direction de l'Europe du Nord.
© Wikimedia Commons
L'analyse historique
D'un point de vue historique, la Hongrie a un passé conflictuel avec l'Empire ottoman musulman. De plus, la Hongrie a déjà été traumatisée par une réduction de ses frontières.
Du Moyen Âge au XVIIIe siècle, le royaume de Hongrie a été un front face aux forces turques de l'Empire ottoman (donc musulman) :
- De la fin du Xe siècle à 1301 (dynastie des Arpadiens), la Hongrie a été le bouclier de l'Occident catholique face aux forces turques. Mais elle est battue par les Ottomans musulmans en 1526 à la bataille de Mohacs.
- De 1541 à 1699, la Hongrie est divisée en 3 : la royale, dirigée par les Habsbourg catholiques, celle dirigée par les Ottomans et la principauté de Transylvanie, vassale des Ottomans.
- Entre 1699 –la paix de Karlowitz – et 1718 – traité de Passarowitz –, la Hongrie se libère de la domination ottomane.
Cette relation conflictuelle et de domination avec l'Empire ottoman musulman a marqué durablement la Hongrie au point de réapparaître encore au XXIe siècle dans l'esprit des Hongrois par cette crainte de flux migratoires venant des pays arabo-musulmans. La Hongrie se pense comme un nouveau rempart – cette fois-ci de l'Union européenne - face à des forces extérieures considérées comme dangereuses.
À partir des XVIIIe et XIXe siècles et surtout après le « compromis » de 1867, la Hongrie établit un système de « double monarchie » avec l'empire d'Autriche : les possessions de Hongrie et celles des Habsbourg en Autriche. Mais le traité du Trianon en 1920, à la suite de la défaite lors de la Première Guerre mondiale, réduit considérablement la superficie et la population, et donc la puissance physique de la Hongrie.
Le territoire hongrois est passé de 283 000 km2 à 93 000 km2, soit une réduction de -71 %.
La population hongroise vivant en dehors de la Hongrie est de 32 %, soit 2 750 000 habitants, dont 1,5 million en Roumanie.
La Hongrie du XXIe siècle est l'héritière de ce démantèlement et de cette humiliation. La Hongrie a des frontières avec 7 États dont 5 de l'Union européenne (2 États non membres de l'UE : l'Ukraine et la Serbie) qui totalisent 2 189 kilomètres. Le sentiment de peur face à l'autre engendre un repli sur soi, d'où une volonté de renforcer les frontières.
L'analyse géopolitique
La peur de l'autre, alliée au souci de défense de l'identité culturelle, explique la fermeture des frontières.
À partir de 2015, la guerre civile en Syrie (depuis 2011) et la situation instable en Irak et en Afghanistan (depuis le milieu des années 2000) engendrent des flux migratoires importants vers l'Union européenne. Les migrants traversent la Méditerranée pour rejoindre l'Italie ou les Balkans puis l'Europe centrale ou l'Europe du Nord en passant par la Hongrie.
L'Union européenne connaît une grave crise migratoire et a du mal à coordonner sa politique migratoire. Certains États acceptent un nombre important de migrants (Allemagne), tandis que d'autres refusent les quotas imposés par l'Union européenne. La Hongrie fait partie de ce second groupe.
L'analyse du point de vue des sciences politiques
La politique gouvernementale autoritaire de la Hongrie renforce la volonté de contrôler la population, mais aussi son identité culturelle, et donc les relations avec le monde extérieur.
La mise en place progressive d'un régime politique inédit contribue à ce repli. La Hongrie est devenue un « État illibéral », selon les termes du dirigeant hongrois depuis 2010, Viktor Orban. Cet État présente une dérive antilibérale sans être encore une dictature :
- Renforcement des pouvoirs du Premier ministre, ce qui lui donne une prépondérance dans le fonctionnement des institutions.
- Contrôle des contre-pouvoirs : une justice plus contrôlée et donc moins indépendante ; médias moins indépendants par le rachat par des proches du parti au pouvoir – le Fidesz - ou d'Orban (78 % du chiffre d'affaires des médias appartiennent à des proches du parti).
- Culture politique conservatrice, discriminatoire (notamment homophobe) et xénophobe, encore plus nettement depuis 2015.