Sommaire
IUrbanisation, développement économique et préservation du patrimoine : Paris entre protection et nouvel urbanismeAParis : le patrimoine de la ville lumièreBL'urbanisation de ParisCDéveloppement économique, projets innovants et préservation du patrimoineIILa destruction, la protection et la restauration du patrimoine, enjeu géopolitique : l'exemple du MaliALe Mali : une terre de richesses culturellesBUn enjeu culturel et géopolitiqueCLes réactions : entre protection, restauration et punitionIIILe tourisme culturel, entre valorisation et protection : l'exemple de VeniseAUn site et une histoire d'exceptionBVenise et le tourismeCUne nécessaire mais difficile protection patrimonialeLe patrimoine, par sa variété et sa richesse, peut être un vecteur de développement économique et d'attractivité par le biais des activités touristiques, mais aussi de sa propre dégradation quand l'impact de ces dernières est mal évalué. C'est pourquoi des politiques de préservation, considérée comme l'action de protéger et d'empêcher une altération, sont mises en place par les acteurs concernés à des échelles différentes. Toutefois, la pluralité des acteurs, aux stratégies et aux intérêts variés, parfois contradictoires, peut aboutir à des concurrences ou même à des tensions, c'est-à-dire des situations relationnelles marquées par des difficultés de communication et par un enjeu, lui-même source de conflits.
L'analyse de situations culturelles, économiques et géopolitiques très différentes - Paris, le Mali et Venise - est riche en réflexions pour comprendre à quel point la préservation mais aussi la valorisation du patrimoine peuvent être menacées, instrumentalisées, et l'enjeu de concurrences, de tensions et même de conflits, de la simple procédure juridique à la violence armée.
Urbanisation, développement économique et préservation du patrimoine : Paris entre protection et nouvel urbanisme
Paris est considéré à travers le monde comme la Ville lumière, son patrimoine est très riche. C'est une ville marquée par des ruptures et des continuités avec l'urbanisation, entre développement économique, projets innovants et préservation du patrimoine.
Paris : le patrimoine de la ville lumière
Paris est à la fois la capitale politique, économique, religieuse et culturelle de la France. Toutefois, Paris est également une ville rebelle où sont nées des révoltes. Elle est ainsi devenue la capitale de la République, de la France et du monde.
Le rôle des Capétiens dans la valorisation de Paris a été déterminant. Hugues Capet (roi en 987) en fait sa capitale puis Philippe Auguste y installe son administration qui devient fixe. La résidence des rois est successivement installée dans le palais sur l'île de la Cité puis au Louvre et enfin au palais des Tuileries. C'est aussi une capitale très chrétienne qui s'explique par l'admiration de Clovis pour sainte Geneviève. L'abbaye de saint Denis (IIIe siècle), qui aurait été le premier évêque de Paris, est largement financée par le roi Dagobert (début VIIe siècle). Les rois de France s'affirment comme les défenseurs du christianisme notamment par la construction de lieux de culte majeurs, la cathédrale Notre-Dame (1163-1250) et la Sainte-Chapelle (1243-1248).
Cette concentration de pouvoirs crée une attraction pour les autres activités, économiques et intellectuelles, notamment avec la création de l'université de Paris au milieu du XIIe siècle, reconnue par le roi en 1200 puis par la papauté en 1215.
Un des collèges de cette université, créé au milieu du XIIIe siècle par le chapelain du roi Louis IX dit Saint-Louis, Robert de Sorbon, pour des étudiants pauvres, donnera plus tard le nom à l'ensemble de l'université de Paris, la Sorbonne.
Il y a une accumulation des pouvoirs qui permet la puissance de Paris : au XIIIe siècle, elle devient une des plus grandes cités d'Europe (50 000 hectares environ).
Paris est aussi une ville de révolte. Les guerres de religion l'ont montré au XVIe siècle. La révolte de la Fronde (1648-1653), et notamment le rôle de Paris dans cette contestation du pouvoir royal, ont convaincu Louis XIV, alors mineur, de s'en méfier et de faire de Versailles le lieu de sa cour. Paris est par ailleurs le point de départ de trois révolutions et d'une révolte : la révolution de 1789, mais aussi 1830 et 1848, ainsi que la Commune en 1871. L'architecture et l'urbanisme s'en trouvent modifiés entre les destructions et la relative préservation du patrimoine. Des lieux, des monuments et des symboles des pouvoirs royal et religieux sont détruits tandis que d'autres sont conservés en changeant de fonction ou de nom :
- La destruction de la Bastille, forteresse puis prison, symbole de l'arbitraire royal. Une colonne est érigée pour commémorer la révolution de 1830.
- L'église Sainte-Geneviève devient le Panthéon, lieu de sépulture des « grands hommes ».
- La place Louis-XV devient la place de la Révolution (1792), où est guillotiné Louis XVI en 1793, puis en 1795 la place de la Concorde.
- Le Champ-de-Mars, lieu de la fête de la Fédération (le 14 juillet 1790) devient celui de l'installation de l'Exposition universelle en 1889 pour le centenaire de la Révolution.
L'installation de la IIIe République, entre 1875 et 1879, confirme Paris comme capitale de la France. Les Expositions universelles sont accélératrices du renouvellement du patrimoine urbain : la tour Eiffel (1889), le Grand Palais (1900) en sont des exemples emblématiques. Les présidents de la Ve République depuis 1958 sont des mécènes dignes des rois :
- Georges Pompidou : centre Beaubourg qui porte son nom depuis 1975 ;
- François Mitterrand : l'opéra Bastille, la pyramide du Louvre, la Grande Arche de La Défense, le Musée d'Orsay (commencé sous son prédécesseur), la Bibliothèque nationale de France dite bibliothèque François-Mitterrand ;
- Jacques Chirac : musée du quai Branly.
Paris est véritablement devenu la « Ville lumière » aux yeux du monde du fait de son patrimoine architectural et muséographique, de l'importance de l'industrie du luxe et de la gastronomie et du fait de son statut de capitale des arts.
L'expression « Ville lumière » est le titre d'un livre de l'écrivain aujourd'hui tombé dans l'oubli, Camille Mauclair (1872-1945), paru en 1904.
L'urbanisation de Paris
Au XIXe siècle, les mutations de Paris sont impressionnantes, elle devient une véritable métropole sous l'effet de l'urbanisation. Les mutations se poursuivent au XXe siècle avec des défis nouveaux, Paris devenant une métropole nationale et européenne.
L'urbanisation de la ville s'adapte à un monde qui change. La ville est mieux structurée par l'alignement de la rue de Rivoli et de la place du Châtelet dès 1802, par la création des nouveaux Champs-Élysées (sous Louis-Philippe qui a régné de 1830 à 1848), par le numérotage des rues. La ville est mieux reliée à l'intérieur de son territoire - construction du métro sous la direction de Fulgence Bienvenüe dont la première ligne en activité en 1900 – et au reste de la France avec la construction de 7 gares entre 1837 et 1900. C'est également une ville plus propre grâce aux progrès de l'hygiénisme : création de fontaines, de trottoirs, d'urinoirs, de poubelles (« créées » par le célèbre préfet Poubelle), généralisation des réseaux souterrains d'eau, des égouts, du gaz, suppression de certains cimetières et création de cimetières en périphérie (Montparnasse et Père-Lachaise) et enfin le déplacement des abattoirs à La Villette. La ville est mieux éclairée et donc plus sûre (réverbères au gaz puis à l'électricité).
Les changements urbanistiques radicaux de Georges-Eugène Haussmann sont poursuivis sous la IIIe République. Le baron Haussmann, préfet de la Seine, est chargé par Napoléon III de moderniser Paris. En fait, ce sont en grande partie les idées de Napoléon III, qui a eu l'occasion de réfléchir aux améliorations à effectuer alors qu'il était en exil à Londres. C'est un projet autant politique qu'urbain : il s'agit de contrôler la ville par de larges voies circulatoires, faciliter les communications et les flux, enraciner ces transformations effectuées au nom de la modernité dans la tradition, créer un système bien lié et unifié autour du centre. Le plan général est marqué par la cohérence, l'accessibilité, la circulation, l'uniformisation.
De nombreux aménagements sont mis en place :
- extension (doublement) de Paris par annexion des communes périphériques en 1860 ;
- destruction de quartiers entiers (île de la Cité) ;
- construction de grands boulevards et de grandes avenues : l'avenue de l'Opéra et le boulevard de Strasbourg en sont les meilleurs exemples ;
- avenues et boulevards dirigés vers des monuments ou des places : la place de l'Opéra (opéra construit par Charles Garnier, 1860-1875), la place de l'Étoile d'où partent 12 avenues ;
- une certaine uniformisation (loi de 1859) : alignement des immeubles, maisons de 5 étages, corniches à 20 mètres de hauteur, voies de 20 mètres de large ;
- construction d'alignement de plantations le long des avenues et d'espaces verts (par Adolphe Alphand) : 19 squares, 3 parcs (Monceau, Montsouris, Buttes-Chaumont) et 2 bois (bois de Vincennes, bois de Boulogne) ;
- restauration des monuments anciens, mais en en modifiant le contexte initial : ainsi Notre-Dame est isolée au fond d'un parvis qui est 6 fois plus vaste que celui du Moyen Âge ;
- utilisation de la pierre, mais aussi de la fonte et du verre.
Sur le tableau suivant, peint par Gustave Caillebotte, la place de Dublin est représentée depuis la rue de Moscou. Ce tableau illustre l'« haussmannisation » de Paris.
© Wikimedia Commons, Gustave Caillebotte, Rue de Paris, temps de pluie, 1877
Le Paris du baron Haussmann est à la fois l'aboutissement des projets du siècle précédent et la concrétisation de la vision urbaine de Napoléon III. Les aménagements sont une transformation radicale du paysage parisien détruisant, pour certains quartiers, des siècles d'urbanisme, mais qui donnent la physionomie actuelle de Paris et la source de son succès : un patrimoine admiré jusqu'à nos jours.
Les mutations se poursuivent au XXe siècle. Paris devient la capitale d'une région en pleine croissance démographique.
Croissance démographique à Paris et en Île-de-France :
1870 | 2010 | Évolution | |
Paris | 2 millions d'habitants | 2,2 millions d'habitants | + 10 % |
Île-de-France (sans Paris) | 400 000 habitants | 8 millions d'habitants | + 1 900 % |
Il faut également répondre aux défis du logement et du transport en construisant 300 grands ensembles (ZUP) entre 1959 et 1976 mais aussi 5 « villes nouvelles » - villes en région pour équilibrer la croissance démographique - et enfin le RER (Réseau express régional). Par ailleurs, l'élaboration à partir de 1966 d'un centre d'affaires aux ambitions internationales en périphérie, mais dans l'axe « Louvre-Champs-Élysées-Arc de Triomphe », donne naissance au quartier de La Défense.
Développement économique, projets innovants et préservation du patrimoine
Pour maintenir son rang à l'échelle mondiale, Paris doit continuer son développement économique et innover tout en préservant le patrimoine de la « ville-musée ».
Paris est devenu la métropole nationale et une métropole mondiale avec des atouts majeurs même si, par rapport à Londres, elle souffre d'une plus faible internationalisation économique.
En 2020, l'Île-de-France représente :
|
|
L'Île-de-France est marquée par une grande diversité d'activités économiques : industrielles innovantes, financières, du secteur du luxe (mode vestimentaire, parfumerie, joaillerie, décoration intérieure, gastronomie) et touristiques.
- En 2019, 50 millions de touristes visitent l'Île-de-France sur 90 millions de touristes en France.
- Plus de la moitié des employés des agences de voyage de la région se situent à Paris et notamment dans le quartier de l'Opéra.
Cette importance du tourisme est évidemment à lier aux atouts du patrimoine de Paris et de la diversité touristique de la région. De manière plus générale, Paris, c'est :
- plus de 2 000 monuments historiques ;
- 200 musées ;
- 1 000 galeries d'art ;
- 14 000 cafés et restaurants dont 90 restaurants étoilés.
Le 1er site touristique le plus fréquenté est Disneyland Paris (15 millions d'entrées) avant Notre-Dame de Paris (14 millions) et la tour Eiffel (7 millions).
La préservation du patrimoine est ancienne. D'abord, il existe une préservation qui est propre à toutes les villes en France : dans le cadre de la planification urbaine et de l'aménagement du territoire, chaque municipalité a un PLU (plan local d'urbanisme) qui permet la prise en compte du patrimoine à protéger. Il y a par ailleurs des SUP (servitudes d'utilité publique) relatives à la conservation du patrimoine pour les monuments historiques et les espaces protégés. À l'intérieur de ces SUP a été créé, en 2016, un label visant à protéger des sites présentant un intérêt historique, architectural, archéologique ou paysager : SPR (sites patrimoniaux remarquables).
Pour pallier un manque juridique, il a aussi été créé un label de protection pour le patrimoine de moins de 100 ans - « architecture contemporaine remarquable » - non protégé jusqu'alors. Paris en compte 10 dont le Centre Georges Pompidou et la Grande Arche de La Défense.
Malgré ces outils de protection et de préservation, la crainte d'une certaine innovation et de la verticalité nourrit des débats et des conflits d'usage. Nombre d'innovations artistiques ou architecturales sont contestées et décriées puis, au final, acceptées.
La création de la pyramide du Louvre a suscité de vives critiques.
© Wikimedia Commons
Pour certains, la verticalité des immeubles gâche le patrimoine français. La construction de la tour Montparnasse (1969-1973), haute de 209 mètres, avait suscité des critiques. Il s'en est suivi l'interdiction de construire à Paris des immeubles de plus de 37 mètres (standard haussmannien) et la construction des gratte-ciels du nouveau quartier d'affaires en périphérie s'est effectuée à La Défense.
Des projets innovants, liés au projet du Grand Paris, font resurgir le débat et les procédures juridiques : la tour Triangle (2010-2021, 180 mètres et 42 étages qui en fait le 3e immeuble le plus élevé) a été un projet très controversé et marqué par 10 ans de procédures.
La préservation de l'urbanisme s'effectue également en évitant des constructions qui modifient complètement l'allure esthétique de la ville. Mais une telle préservation se fait au risque d'une muséification, terme souvent employé de manière péjorative pour décrire la transformation d'une ville en musée au nom de la préservation de son patrimoine. Le patrimoine architectural est finalement une mise en décor de la ville.
La destruction, la protection et la restauration du patrimoine, enjeu géopolitique : l'exemple du Mali
Le Mali est un pays africain au patrimoine très riche mais mal connu et mal préservé. Depuis les années 2000, la région est particulièrement instable et l'État ne parvient pas à se solidifier. De nombreux acteurs, notamment terroristes, sévissent dans la région et détruisent le patrimoine malien, malgré des tentatives de punition de ces actes et de protection des richesses culturelles maliennes.
Le Mali : une terre de richesses culturelles
Le Mali est héritier d'une histoire multiséculaire riche. Récemment, une valorisation du patrimoine a commencé mais se fait en Afrique, dans un continent peu reconnu.
Ignorée par les sociétés européennes, l'Afrique a connu une succession d'empires prospères et puissants qui sont très peu documentés et valorisés. C'est le cas au Mali, qui bénéficie d'une histoire très riche.
© Wikimedia Commons
L'histoire de l'Afrique est marquée par une succession de couches culturelles : l'animisme (croyance en un esprit, une force vitale, qui anime les êtres vivants, les objets ou les éléments naturels) puis l'islamisation à partir du IXe siècle sans supprimer totalement les croyances précédentes. Cela a abouti au Mali à des formes d'art plurielles liées :
- aux ethnies composant les empires (et toujours présentes actuellement) - les Bambaras, les Dogons, les Peuls, les Touaregs, etc. ;
- à l'islam : un des rois de l'empire du Mali, Kanga Moussa (1312-1337), à la suite d'un pèlerinage à La Mecque, fait construire la mosquée de Tombouctou en 1328 ;
- aux formes (arrondies) et aux méthodes de construction typiques de la région du delta du Niger (murs en banco : terre crue renforcée par du bois).
Ce sont des sociétés et des constructions politiques structurées par l'islamisation et la mise en place d'un commerce transsaharien bien organisé.
« Et puis, c'est le propre de tout commerce, il faut qu'il y ait une offre et une demande, que la soif de l'or – au nord du Sahara – réponde à la faim de sel – au sud. »
François-Xavier Fauvelle, un des grands historiens et archéologues spécialistes de l'Afrique
2013
Tombouctou a été le carrefour commercial, religieux (« ville aux 333 saints ») et intellectuel.
La valorisation du patrimoine est relativement récente :
- Les livres des bibliothèques privées à Tombouctou ont évalués à environ 100 000. Ces manuscrits sont parmi les plus anciens du monde arabo-musulman (mathématiques, religion, droit, etc.). Cela a mené à une sauvegarde progressive à partir de 1964 puis un projet de sauvegarde et de formation du personnel au travail de traduction et de numérisation des livres par l'université du Cap (Afrique du Sud) en 2003.
- Quatre sites ont été classés au patrimoine mondial de l'Unesco : Tombouctou et Djenné (1988), les falaises de Bandiagara (1989) et le tombeau des Askia (2004) à Gao.
Un enjeu culturel et géopolitique
Le patrimoine malien est menacé. Ce patrimoine est aujourd'hui instrumentalisé dans un conflit multidimensionnel, dû à la faiblesse de l'État et à différents acteurs déstabilisateurs comme les groupes terroristes.
Le Mali est situé dans une région de tensions, l'État malien est déstabilisé. Un coup d'État militaire en mars 2012 renverse le président et coupe le pays en deux, le Nord étant occupé par les islamistes et les rebelles touaregs. Les racines d'un tel événement sont profondes. D'une part, ce sont d'abord les conséquences indirectes du « printemps arabe » (2011) et notamment de la chute du dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi. La destruction de l'État libyen et l'anarchie qui s'en est suivie ont provoqué un afflux d'armements en circulation dans le Sahara qui profitent aux groupes terroristes et aux Touaregs, minoritaires dans le Nord du Mali, mais très actifs et alliés dans certains cas avec certains djihadistes.
D'autre part, la faiblesse de l'État malien est structurelle : fragilité de l'armée et de la police, clientélisme, corruption. L'État a d'ailleurs été le théâtre d'un nouveau coup d'État militaire en août 2020. Les conséquences de cette faiblesse structurelle sont dramatiques dans le Nord : les difficultés économiques et l'éloignement par rapport au Sud, plus développé, nourrissent les mécontentements et profitent aux réseaux islamistes et aux Touaregs qui souhaitent l'indépendance.
Les acteurs du terrorisme au Mali sont :
- Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) : créée en 2007 par des Algériens, ex-membres du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) chassés de l'Algérie voisine à l'issue de la guerre civile meurtrière (années 1990). Enrichie par les rançons des otages et les trafics de drogue, Aqmi est devenue un employeur, y compris auprès d'une partie des Touaregs, trafiquants historiques dans ce désert qu'ils connaissent mieux que personne.
- Ansar Eddine ou Ansar Dine (les « partisans de la religion ») : mouvement islamiste.
- Le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) : organisation politique et militaire touareg dont l'objectif est l'indépendance du territoire de l'Azawad dans le Nord du Mali.
La force des réseaux terroristes et criminels et la conjugaison des mécontentements ont eu raison de l'État malien. De plus, le Sahel a gardé son rôle d'espace de circulation et donc de trafic et, par son immensité, constitue un atout pour ces groupes.
Le patrimoine n'a pas été la victime collatérale de la guerre, mais clairement l'objet d'une volonté de destruction mue par une démarche idéologique. Tombouctou est prise par les miliciens de Ansar Eddine et occupée entre avril 2012 et janvier 2013. L'Unesco déclare Tombouctou « patrimoine mondial en péril » et les djihadistes décident de la destruction des monuments – 3 mosquées et 14 des 16 mausolées qui abritent les tombes des marabouts – mais aussi celle de 4 200 livres sur les 100 000.
Cette destruction est mue par des motivations idéologiques, le fanatisme, et des intérêts à nourrir les trafics d'art :
- Lutte contre une manière de pratiquer l'islam : les marabouts, guides religieux, interprètent de manière plus ouverte le Coran, et ne peuvent être tolérés par les salafistes.
- Lutte contre un islam tolérant : même musulmane, l'ethnie des Dogons accepte une minorité chrétienne et n'a pas renoncé à leurs traditions animistes.
- Opposition à la reconnaissance internationale (Unesco) considérée comme une soumission intolérable.
Cette destruction s'inscrit dans un processus de destruction à l'échelle mondiale depuis 2001 :
Les réactions : entre protection, restauration et punition
Pour protéger le patrimoine malien, trois réactions différentes se dessinent : protection du patrimoine, restauration du patrimoine et punition des responsables des destructions.
« Les efforts se sont intelligemment conjugués pour dire au monde que le Mali est et reste debout éternellement. Les apprentis fossoyeurs de la culture du Mali avaient pour dessein cynique de détruire nos âmes. Aujourd'hui, nous sommes plus que jamais soudés par la diversité de nos expressions culturelles et résolus à combattre avec comme seule arme redoutable : la culture. »
N'Diaye Ramatoulaye Diallo, femme politique et ministre de la Culture du Mali depuis 2014
mars 2017
Le tourisme culturel, entre valorisation et protection : l'exemple de Venise
Venise bénéficie d'un patrimoine exceptionnel qui fait sa renommée dans le monde entier. Cette ville sans voitures, connue pour ses canaux et ses gondoles, ses bâtiments exceptionnels, est toutefois en grave danger, le tourisme détruisant le patrimoine.
Il est très difficile de protéger ce patrimoine, les Vénitiens le souhaitent mais la politique de la ville ne semble pas aller dans ce sens.
Un site et une histoire d'exception
Venise, c'est d'abord une lagune entre eau, boue et roseaux. Les fondements de la prospérité de Venise sont le sel, sa situation géographique, ses navires et sa capacité à innover.
Venise, c'est l'histoire d'un milieu contraignant qui a été conquis par les hommes et d'un site avec des atouts permettant le refuge contre les invasions venant du Nord et une protection contre celles du Sud. La conquête du milieu s'est effectuée par l'assèchement des marécages et la consolidation du sol par des pilotis en bois. Cela a permis une extension du territoire habitable et une augmentation de la population.
Au XVe siècle, Venise est peuplée par 200 000 habitants, ce qui fait d'elle l'une des plus grandes villes d'Europe, équivalente à Paris.
Le succès de Venise est fondé :
- sur une absence de ressources à l'exception du sel, extrait de la lagune ;
- sur une situation géographique, entre l'Europe occidentale et centrale, l'espace méditerranéen et la mer Noire, qui permet une position d'intermédiaires entre les différentes grandes puissances et les marchés et donc le développement du port ;
- sur la construction navale avec l'Arsenal (1104), un des plus grands chantiers et des mieux organisés du monde au Moyen Âge ;
- sur sa capacité à innover : comptabilité à partie double, création d'une monnaie qui sera être une référence dans toute l'Europe – le ducat en or de Venise (1284) ;
- sur la transformation des produits (verrerie, orfèvrerie, soieries qui font de Venise une capitale de la mode).
Venise a construit progressivement un empire commercial et une puissance politique et culturelle jusqu'au XVIe siècle, date à laquelle la réorientation des échanges vers l'Atlantique a marqué le début de son déclin.
Néanmoins, la Venise actuelle est structurée par une histoire originale et des monuments qui font d'elle un site culturel d'exception :
- la place Saint-Marc - cœur politique et religieux et donc historique et culturel de la ville -, entourée du palais des Doges et de la basilique Saint-Marc ;
- le Grand Canal ;
- le centre historique composé de ruelles sinueuses, d'églises, de petites places ;
- les ponts : Rialto, Soupirs, etc.
Ce patrimoine est associé à un imaginaire (les gondoles, la ville des amoureux, la « dolce vita » italienne, etc.) et le développement du tourisme est concomitant à la préservation : l'inscription sur la liste du patrimoine culturel mondial date de 1987.
© Wikimedia Commons
Venise et le tourisme
Venise est une ville très touristique dont l'économie dépend des activités touristiques. Toutefois, le tourisme a des effets très négatifs sur la ville.
Le nombre de touristes est en croissance exponentielle à Venise depuis 20 ans.
Venise, c'est :
- 30 millions de touristes par an ;
- 5 millions de touristes qui y dorment au moins une nuit ;
- un élan touristique qui a triplé entre 1997 et 2017 ;
- 365 touristes/1 habitant.
La richesse culturelle permet de comprendre en partie cette croissance, mais il y a d'autres facteurs d'explication :
- une politique de développement du tourisme : politique de promotion, infrastructures d'accueil, organisation d'événements (carnaval, festival du film – la Mostra -, biennale d'architecture, etc.) ;
- des infrastructures de communication de qualité : un aéroport (10 millions de passagers par an) et des aéroports secondaires situés à Trévise et à Padoue, une gare internationale et une gare maritime pour les navires de croisière ;
- le terrorisme a provoqué une réorientation du tourisme international vers des lieux sécurisés, dont Venise ;
- une patrimonialisation et une valorisation internationale, source de financements ;
- des retombées économiques considérables.
À Venise, le tourisme :
- représente 11 % du PIB de la ville ;
- fait vivre 65 % de la population et lui rapporte 500 millions d'euros/an ;
- constitue un apport de 2 milliards d'euros/an pour la municipalité.
Le tourisme a toutefois des effets très négatifs sur la ville. L'économie de l'hébergement provoque une hausse des prix de l'immobilier et une fuite de la population vénitienne qui préfère habiter sur la terre ferme. On observe alors une baisse de la population de Venise.
La population de Venise a été divisée par 3 :
- années 1950 : 150 000 habitants ;
- années 2010 : 55 000 habitants.
Les ruelles sont saturées par les touristes, la pollution, les nuisances sonores et l'incivisme des touristes. La navigation d'immenses paquebots (600 par an, transportant 1,5 million de touristes) déplacent des masses d'eau considérables et provoquent l'affaiblissement des fondations de la cité (pilotis en bois).
On assiste à une surfréquentation liée au tourisme qui aboutit à un tourisme de masse et à une « disneylandisation » de la ville, terme inventé par la géographe Sylvie Brunel pour décrire le processus de transformation des sociétés et des territoires à des fins seulement touristiques. La ville est progressivement dépeuplée des Vénitiens, qui se sentent dépossédés. C'est aussi le résultat des actions d'acteurs variés, aux intérêts contradictoires, qui finissent par être en situation de concurrence sur un même territoire.
Une nécessaire mais difficile protection patrimoniale
Face aux conséquences du tourisme, qui détruit finalement le patrimoine qu'ils viennent visiter, le premier mouvement est l'exaspération et la colère des Vénitiens. Il faut réussir à concilier valorisation et protection du patrimoine. On peut se demander toutefois si la volonté politique de le faire est réelle.
La colère des Vénitiens se manifeste notamment par la campagne de sensibilisation et de protestation « No Grandi Navi » contre la présence de navires de croisière. Ils réclament de concilier valorisation et protection du patrimoine vénitien :
- Campagne de communication et de sensibilisation #EnjoyRespectVenezia (2017) a eu pour but de développer un tourisme plus durable et en harmonie avec la vie quotidienne des Vénitiens : ensemble de recommandations comme goûter aux produits locaux, acheter des produits faits par des artisans et non du « made in China », ne pas mettre de cadenas sur les rambardes de certains ponts, ne pas nourrir les pigeons, etc.
- Gestion des flux de touristes par la mise en place de portiques de régulation, d'itinéraires spécifiques pour les touristes qui créent des accès réservés et réduits, de numerus clausus pour limiter le nombre, de taxes pour les touristes voyageant sur des bateaux de croisière.
- Politique municipale : interdiction d'ouvrir de nouveaux hôtels et restaurants.
Toutefois, la volonté politique de protéger le patrimoine ne semble pas réellement exister. L'interdiction aux navires de plus de 55 000 tonnes de circuler dans la lagune existe depuis 2012, mais il y a des dérogations. L'interdiction d'installer de nouveaux hôtels est contournée de la même manière. La municipalité de Venise est même actrice de son contournement : elle a ainsi vendu le siège de la police qui a été transformé en hôtel pour 14 millions d'euros en 2017.
En 10 ans, l'État italien, la région de la Vénétie et la ville de Venise ont vendu une trentaine d'immeubles publics dont la moitié sont devenus des hôtels.
Le tourisme serait-il un atout trop important ? L'exploitation touristique du patrimoine est un enjeu économique majeur, mais peut-être l'est-il trop pour être limité ? C'est à la fois la solution au développement économique et la source des problèmes.
« Ces importantes fréquentations touristiques semblent dessiner un « star system » patrimonial autour d'un nombre de sites patrimoniaux, […]. La course au patrimoine mondial s'est intensifiée au fur et à mesure que les biens patrimoniaux ont été valorisés par l'industrie touristique. »
Maria Gravari-Barbas et Sébastien Jacquot, géographes
Atlas mondial du tourisme et des loisirs
© Éditions Autrement, 2018