Sommaire
ILes sources et personnages historiques ayant inspiré l'œuvreAL'utilisation de faits historiquesBLa galerie des personnages réels apparaissant dans l'œuvreIILes guerres de religionIIILa vie à la cour de FranceALe développement de l'humanismeBUne société scléroséeLa nouvelle "La Princesse de Montpensier" s'inspire de faits historiques du XVIe siècle. Les guerres de religion sont la toile de fond et de nombreux personnages historiques sont mêlés aux intrigues (le duc de Guise, la reine Catherine de Médicis, le duc d'Anjou, les Montpensier, etc.). Le seul personnage réellement fictif est le comte de Chabannes. Le film et la nouvelle peignent une époque sombre et violente, marquée par des massacres et des batailles sanglantes (l'événement le plus traumatisant étant la Saint-Barthélémy). On voit également la vie à la cour, marquée par l'hypocrisie. La société est sclérosée par les privilèges mais également par l'importance des titres et de la richesse qui empêchent les humains de vivre selon leur cœur.
Les sources et personnages historiques ayant inspiré l'œuvre
L'utilisation de faits historiques
Madame de La Fayette cherche à inscrire le cadre de sa nouvelle classique dans un contexte historique peu éloigné du sien et de ses lecteurs. La toile de fond est donc historique et pour être la plus fidèle possible aux événements relatés, la romancière n'hésitera pas à se renseigner sur l'époque abordée et à consulter de nombreux ouvrages dont l'Histoire des guerres civiles D'Enrico Davila et L'Histoire de France depuis Faramond de De Mézeray. Elle adopte la démarche que les auteurs historiques qui suivront adopteront après elle. Cependant, l'histoire n'est présente qu'en toile de fond, ce sont les aventures des personnages et la complexité de leurs relations qui sont mises en avant dans la nouvelle.
Au début de la nouvelle "La Princesse de Montpensier", l'avertissement du "libraire au lecteur" dans la première édition de 1662 informe que l'aventure racontée a été "inventée à plaisir". Pourtant, Madame de Lafayette s'inspire de faits historiques. On trouve notamment dans le récit des liens avec une des Historiettes de Tallemant des Réaux, recueil de souvenirs et de conversations écrit par Gédéon Tallemant des Réaux à partir de 1657.
La source première de l'œuvre est l'histoire de la fin du XVIe siècle. L'auteur propose une réécriture romanesque d'éléments historiques. Certes, il y a des développements purement fictifs, de l'invention, des changements, mais l'arrière-plan de la nouvelle reste l'Histoire. On trouve ainsi dans la nouvelle des mentions plus ou moins précises à des faits historiques, répertoriés dans le tableau suivant et liés à des moments clés de l'intrigue romanesque.
Dates | Faits historiques | Intrigue romanesque |
---|---|---|
1562 | Première offensive de la guerre de religion | |
1563 | Paix d'Amboise | |
1566 | Mariage du prince de Montpensier et de Marie de Mézières. Départ pour Champigny. | |
1567 | Deuxième offensive de la guerre de religion, siège devant Paris. | Marie est seule à Champigny avec Chabannes qui lui déclare son amour. |
1568 | Paix de Longjumeau puis reprise de la guerre | Retour de la guerre du prince de Montpensier puis départ de Chabannes et Philippe pour le camp royal. |
1569 | Succession de batailles importantes, mort du prince de Condé, chef des huguenots. | Scènes de bataille où Guise, Montpensier et Anjou s'illustrent. Rencontre entre Anjou et Marie, retrouvailles de Marie avec le duc de Guise puis départ de la princesse pour la cour de France à Paris. |
1570 | Paix de Saint-Germain-en-Laye, mariage d'Henri de Guise avec Catherine de Clèves, mariage du duc de Montpensier (père de Philippe) avec Catherine-Marie de Lorraine (sœur de Guise). | Vie à la cour de France, Marie et Guise se rapprochent et se déclarent leur amour. Marie apprend le projet de mariage de Guise et Madame qui décide alors d'y renoncer. Annonce du mariage entre le duc de Montpensier et Catherine. |
1571 | Henri de Guise et Catherine de Clèves accueillent leur premier enfant. | Bal au cours duquel Marie confond Henri et le duc d'Anjou. |
1572 | Nuit de la Saint-Barthélémy, massacre mené par le duc de Guise. | Marie est envoyée à Champigny par son mari, Guise vient la retrouver avec l'aide de Chabannes. Philippe découvre ce dernier dans la chambre de Marie et le chasse. Marie tombe malade, Chabannes est tué lors de la nuit de la Saint-Barthélémy, mort de la princesse. |
L'intrigue romanesque débute en 1566 avec le mariage de Marie et Philippe et se termine en 1572.
Dans la nouvelle tout comme dans le film, de nombreux événements de l'intrigue paraissent bien plus rapprochés. Ainsi, il ne paraît pas se passer trois ans entre l'arrivée de Marie à la cour et sa mort. Les événements sont bien plus resserrés. Si Madame de Lafayette utilise bien des faits historiques, elle ne respecte pas la chronologie.
Dans la réalité, le duc de Guise ne tombe jamais amoureux de la duchesse de Noirmoutiers, on constate qu'il épouse bien plus tôt une autre femme, la princesse de Clèves (sans rapport avec l'héroïne fictive de Madame de Lafayette).
Le terme "huguenots" qu'utilise Madame de Lafayette pour parler des protestants a été donné après les guerres de religion. Il s'agit du groupe dont le prince de Condé était le chef.
La galerie des personnages réels apparaissant dans l'œuvre
Madame de Lafayette n'invente pas complètement l'histoire entre Marie de Mézières et le duc de Guise, elle réécrit et transforme une liaison ayant réellement existé. En effet, elle transpose la vie de la duchesse de Roquelaure, mariée contre son gré à 19 ans et morte en couches à 23 ans après avoir subjugué l'abbé qui la surveillait et connu les joies d'une liaison puis le désespoir d'être abandonnée.
Les personnages utilisés dans sa fiction sont souvent réels et très documentés, ce sont des personnages issus de la cour des Valois. Les personnages suivants ont bien existé :
- Nicolas d'Anjou, marquis de Mézières (père de Marie dans la nouvelle)
- Gabrielle de Mareuil, dame de Villebois (mère de Marie dans la nouvelle)
- Renée d'Anjou-Mézières épouse de François Bourbon-Montpensier, marquise de Mézières (Marie dans la nouvelle, mais le personnage est également créé à partir de Marie de Bourbon, duchesse de Montpensier, morte très jeune et mal mariée, et de la duchesse de Roquelaure.)
- Louis III de Bourbon-Vendôme, duc de Montpensier (père de Philippe dans la nouvelle)
- Jacqueline de Longwy, (mère de Philippe dans la nouvelle)
- François de Bourbon prince dauphin d'Auvergne, duc de Montpensier à la mort de son père (Philippe dans la nouvelle)
- Charles de Lorraine, cardinal de Lorraine et oncle d'Henri de Guise (oncle d'Henri dans la nouvelle)
- Henri de Lorraine, duc de Guise (Henri de Guise dans la nouvelle)
- Charles de Lorraine, duc de Mayenne (petite frère de Guise dans la nouvelle)
- Catherine de Lorraine, duchesse de Montpensier (sœur de Guise qui épouse le père de Philippe dans la nouvelle)
- Catherine de Médicis, reine régente de France (apparaît dans la nouvelle)
- Henri de Valois, duc d'Anjou et futur Henri III (duc d'Anjou dans la nouvelle)
Le comte de Chabannes est un personnage imaginaire dont le nom reprend celui d'une famille du Limousin : François de Chabannes, marquis de Curton, lieutenant-général pour le roi en Auvergne.
L'héritière de la famille de Montpensier à l'époque de Madame de Lafayette est la Grande Mademoiselle (cousine germaine de Louis XIV). Renée d'Anjou marquise de Mézières est son arrière-grand-mère. Bien que l'histoire soit modifiée et les faits transformés, elle cesse toute relation avec Madame de Lafayette après la publication de la nouvelle.
Les guerres de religion
Pendant que la guerre civile déchirait la France sous le règne de Charles IX, l'amour ne laissait pas de trouver sa place parmi tant de désordres et d'en causer beaucoup dans son empire.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Les guerres de religion sont l'arrière-plan historique principal de la nouvelle. Madame de Lafayette associe les "désordres" des combats à ceux des passions amoureuses. Dans un entretien, Didier Le Fur, conseiller historique sur le film, raconte ce contexte historique particulier. De nombreux faits historiques ayant profondément marqué l'Histoire de France se déroulent au cours du XVIe siècle.
En 1560, sous Charles IX, la France est partagée entre les catholiques et les huguenots (les protestants). Le pays compte alors 15 millions d'habitants. La guerre ne cesse jamais réellement, de 1562 à 1572. Madame de Lafayette précise d'ailleurs dans sa nouvelle que "la paix ne fit que paraître". Les guerres se succèdent rapidement :
- 1562 - 1563 : première guerre de religion
- 1567 - 1568 : deuxième guerre de religion
- 1568 - 1570 : troisième guerre de religion
- 1572 - 1573 : quatrième guerre de religion
- 1574 - 1576 : cinquième guerre de religion
- 1577 : sixième guerre de religion
- 1579 - 1580 : septième guerre de religion
- 1585 - 1598 : huitième guerre de religion
Le massacre le plus marquant de ce siècle sanglant est la nuit de la Saint Barthélémy, le 24 août 1572. Madame de Lafayette l'évoque en parlant de "cet horrible massacre si renommé par toute l'Europe". C'est la nuit où les catholiques ont massacré de nombreux protestants.
Le massacre de la Saint-Barthélémy, François Dubois
Ultimate Destiny via Wikimedia Commons
Le massacre de la Saint Barthélémy a été déclenché à Paris le 24 août 1572 mais il s'est prolongé plusieurs jours encore dans la capitale avant de s'étendre à une vingtaine d'autres villes de France. Le massacre dure donc en réalité plusieurs semaines, il y aurait eu 3000 morts à Paris et entre 5000 et 30 000 selon les sources historiques.
Madame de Lafayette évoque d'autres noms qui correspondent souvent à des batailles :
- Jarnac
- Moncontour
- Saint-Jean-d'Angely
Les contemporains de Madame de Lafayette comprennent à quoi elle fait référence, le XVIIe siècle étant encore marqué par la violence du siècle précédent. Afin de retranscrire la violence des combats, Bertrand Tavernier a choisi de tourner avec la caméra à l'épaule, notamment l'ouverture du film où il n'hésite pas à montrer comment on achève ceux qui agonisent, ou comment on tue même des femmes enceintes.
La paix s'instaure réellement après la fin du règne d'Henri III et la pacification menée par Henri IV.
La vie à la cour de France
Le développement de l'humanisme
Si le XVIe siècle est profondément marqué par la violence des guerres de religion, il n'en reste pas moins une époque de grande avancée sur le plan humain. En effet, cette époque de la Renaissance est très liée au développement de l'humanisme. Ce mouvement est né pour permettre de recentrer davantage les réflexions philosophiques autour de l'Homme. Les humanistes ont pour but :
- Un idéal religieux : chacun peut connaître la rédemption, Dieu aime l'Homme qu'il a créé.
- Le progrès intellectuel : on se replonge dans les textes antiques, on avance dans la recherche scientifique.
- L'éducation : l'instruction savante des garçons mais aussi des filles est estimée capitale.
- Un gouvernement idéal : de nombreux humanistes cherchent à théoriser une politique permettant une société équitable et juste.
C'est particulièrement dans le film que Bertrand Tavernier insiste sur le courant humaniste. Il choisit de montrer l'éducation de Marie, sa soif de connaissance. On la voit travailler le latin, s'intéresser aux étoiles et à la religion. Le comte de Chabannes représente l'humaniste par excellence : c'est un homme bon qui désire la paix, passionné de sciences et de littérature. L'éducation qu'il donne à Marie se rapproche de celle qui est théorisée dans les grands textes humanistes de François Rabelais. En effet, il faut maîtriser les langues anciennes, apprendre autant les sciences humaines que les sciences dures, et faire preuve d'esprit critique.
Surtout, la vision que Chabannes a de la guerre se rapproche de celle d'Érasme, grand intellectuel humaniste qui militait pour la paix.
Je me suis souvent interrogé sur les raisons qui poussent, je ne dirai pas les chrétiens, mais tous les hommes, à ce degré de folie où au prix de tant d'efforts, de dépenses, de dangers, ils se lancent à leur mutuelle destruction. Que faisons-nous d'autre, notre vie durant, que de nous combattre ? Tous les animaux ne combattent pas, mais seulement les fauves. Ceux-ci mêmes ne se font pas la guerre à l'intérieur d'une même espèce, mais d'une espèce à une autre ; et ils combattent avec leurs armes naturelles, et non pas, comme nous, avec des machines inventées par un art diabolique ; ni encore pour n'importe quelle raison, mais ou bien pour leurs petits ou bien pour leur nourriture ; nos guerres proviennent ou de la colère ou de la luxure, ou de quelque semblable maladie de l'âme ; enfin, ils ne vont pas à leur destruction réciproque en troupeaux compacts, comme nous. Nous qui nous glorifions de nous désigner d'après le nom du Christ, qui n'a enseigné que la douceur et qui en a donné l'exemple, nous qui sommes les membres d'un seul corps, qui sommes une seule chair, nous que fait vivre un seul esprit, qui sommes nourris des mêmes sacrements, qui reconnaissons une seule tête, qui sommes appelés à la même immortalité, qui espérons cette communication suprême où nous ne ferons plus qu'un avec le Christ, de même que le Christ ne fait qu'un avec son père : une seule chose en ce monde peut-elle être assez importante pour nous exciter à la guerre ? une chose si néfaste et si sombre qu'alors même qu'elle est des plus juste, nul véritable homme de bien ne saurait l'accepter.
Érasme
Lettre à Antoine de Berghes
14 mars 1514
Une société sclérosée
Dans la deuxième partie du XVIe siècle, la Renaissance est déclinante. Après l'espoir s'installe une forme de désillusion. Les guerres s'installent, il est plus difficile de croire en l'Homme. Le XVIe siècle connaît de profonds changements dans les mœurs. Ainsi, autant le début du siècle se montre assez libre en ce qui concerne notamment le corps et la nudité, autant à partir de 1560 - 1570, on note que le puritanisme s'installe. Cela est lié à l'évolution de la maladie de la syphilis et à l'expansion de la mentalité protestante. Le catholicisme, afin de conserver ses fidèles et de lutter contre le protestantisme, se fait plus puritain lui-même. Ainsi, le Concile de 30 se montre plus moralisateur, il y a plus de pruderie qui s'installera ensuite réellement avec le XVIIe siècle.
À la cour de France, l'hypocrisie s'installe. La société est sclérosée par le fonctionnement du système des privilèges, par l'attachement aux titres et à la richesse. On le voit bien dans la nouvelle et dans le film, les mariages sont des alliances entre riches familles, il y a des tromperies, des paroles non tenues. Chacun désire s'élever, se rapprocher le plus possible de la famille royale.
Le duc de Guise avoue à Marie qu'il a été flatté à l'idée d'épouser Madame et de faire ainsi une alliance avec son roi.
Les ambitions animent les âmes. Madame de Lafayette le précise bien concernant le duc de Guise, assurant au début de la nouvelle qu'il aurait pu épouser Marie s'il avait eu du courage, puisque jeune il n'était pas encore dévoré par l'ambition qui va ensuite le tenir. Tavernier filme les coulisses de cette cour où tout le monde s'observe et se juge. À Champigny, Marie est bien plus libre, elle peut étudier, elle s'amuse, elle n'est pas épiée. Le danger arrive réellement à la cour de France. Chacun joue un rôle, tout le monde semble tout savoir.
La reine même est au courant des liens entre Marie et le duc de Guise et la met en garde contre son hypocrisie.
Dans les couloirs du palais, Bertrand Tavernier filme la princesse comme une proie traquée. Le montage choisi est nerveux et émotionnel, le cadrage et les éclairages privilégiant les regards.
Cette ambiance est parfois suffocante. Les jeunes personnages ne semblent pas maîtres de leurs existences, on décide à leur place, on choisit les liens qui vont les enchaîner pour des raisons de titres et d'argent. Ainsi, Bertrand Tavernier filme dans un long plan-séquence la rencontre entre tous les protagonistes principaux : Guise, Montpensier, Marie et Chabannes. C'est le moment où Marie va apprendre qu'elle doit finalement épouser Philippe. D'abord, Henri et lui font un duel amical. Pour le moment, il n'y a pas d'animosité, une forme d'innocence les protège encore. Mais bientôt, Henri est appelé par son oncle et Philippe par son père. Marie, sous le porche, entre les Montpensier devant le château et les Guise dans la cour, observe les échanges qu'elle n'entend pas. Sur son visage, on lit ce qu'on devine : son destin est scellé sans elle. Après cette scène, tous les personnages rentrent dans le monde mondain et hypocrite des adultes de la cour de France, des tensions se créent, des honneurs sont blessés que chacun va vouloir venger.