Sommaire
ILa société avant la création de l'ÉtatALa société et son existence à l'état de natureBL'idée du contrat socialCLa vie sociale, un paradoxeIIL'État garant de la sociétéALa création de l'État pour protéger la sociétéBL'État pour apporter la liberté et la justice à la sociétéIIILes rapports complexes entre société et ÉtatAL'État, une forme d'oppression sur la sociétéBL'État contre la société : le totalitarismeCLa "société ouverte" pour lutter contre le pouvoir de l'État : le libéralismeDDes sociétés rejetant l'ÉtatLa société avant la création de l'État
La société et son existence à l'état de nature
En effet, selon Aristote, la famille est une "société naturelle" qui existe avant l'État.
Plus précisément, la famille est la forme élémentaire de la société, formée de l'union d'un homme (le chef de famille) et d'une femme avec leurs enfants. Ainsi, la société serait naturelle, puisqu'elle correspond à l'union des sexes en vue de la reproduction de l'espèce.
L'homme est naturellement un animal politique.
Aristote
La Politique, trad. Jules Tricot, Paris, éd. Vrin, coll. "Bibliothèque des Textes philosophiques" (1995)
IVe siècle av. J.-C.
Pour Aristote, il est dans la nature de l'homme de vivre au sein d'une société. D'ailleurs, selon lui, un homme qui ne vivrait pas en société ne serait pas pleinement un homme : il serait soit un sous-homme, soit un surhomme, c'est-à-dire un dieu.
La société est le résultat d'un processus naturel d'expansion de la famille. Il existe en effet plusieurs stades dans la socialisation :
- Le premier stade est la famille, qui vise la procréation et la vie quotidienne.
- Le deuxième stade est le village (une communauté formée de plusieurs familles) qui est gouverné par un chef et qui procède d'une sorte d'extension du lien familial.
- Le troisième stade est la cité, ou polis, (une communauté achevée formée de plusieurs villages), dont le bien visé n'est pas seulement de vivre, mais de bien vivre.
L'homme s'insérerait donc naturellement dans ces différents niveaux de la vie en commun. Il faut toutefois distinguer les notions de communauté et de société :
- La communauté correspond à une forme d'organisation plus traditionnelle, dans laquelle l'individu est encadré par la famille ou la corporation. Les membres d'une communauté partagent un mode de vie commun, une même vision du monde.
- La société rassemble des individus obéissant aux mêmes règles, sans pour autant partager un mode de vie ni des objectifs communs. Elle repose sur un pacte ou une convention volontairement formée par ses membres afin de poursuivre leurs objectifs individuels.
Historiquement, le clan (défini par les liens de parenté naturelle et par les règles de l'alliance) a précédé la famille. Celle-ci est issue d'une division du peuple et associée à l'usage d'un nom particulier. Ce nom est commun à tous les membres de la famille. Il est défini par des règles de transmission précises pour chaque type de société ainsi que l'a montré Lévi-Strauss dans ses Structures élémentaires de la parenté. Les règles en usage dans le clan, en particulier le mode de transmission du nom (transmission par le père ou par la mère), se maintiennent dans la famille. La seule "société naturelle", au sens où Aristote l'entend, serait la horde primitive dont parle Darwin, et où aucune règle n'existe en dehors des nécessités de la vie. Tout y est "nature", mais il n'y a pas encore de famille ni même de clan.
L'idée du contrat social
La société est l'union de différentes familles en vue du bien commun.
Le bien commun recouvre ce que l'Antiquité définit comme l'objet même de la vie en société. Selon Aristote, l'homme étant "l'animal politique", il ne peut que vouloir le bien qui est le même pour tous : la justice.
Le mot latin societas signifie "association". Ainsi se forme l'idée selon laquelle la société n'est pas "naturelle" mais résulte d'une convention passée entre des individus isolés. C'est Du contrat social de Rousseau, écrit en 1762, qui étend l'idée de contrat à la société entière. On sort de l'état de nature et on entre en société par le contrat social.
Contractualisme
Le contractualisme est un courant de philosophie politique selon lequel l'origine de la société est un contrat passé entre les hommes, par lequel ceux-ci acceptent une limitation de leur liberté en échange de lois garantissant la perpétuation du corps social.
Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution.
Jean-Jacques Rousseau
Du contrat social, Paris, éd. GF Flammarion (2011)
1762
Rousseau présente l'idée du contrat social comme une fiction : quelque chose qui est nécessaire pour penser la société, mais qui n'a peut-être jamais existé dans les faits. La représentation du contrat social appartient en fait à une étape de l'histoire où le lien familial a déjà "éclaté" sous la pression du développement économique : les individus vont vivre dans des lieux différents pour exercer leurs activités.
John Locke généralise le contrat, fondement de la société, à la famille elle-même. Selon lui, les enfants qui reçoivent de leurs parents éducation et protection s'engagent en contrepartie, par un contrat tacite (consenti sans le savoir), à les soutenir et les nourrir lorsque ceux-ci seront vieux.
Pour les "classiques" des XVIIe et XVIIIe siècles, tout est contrat ou devrait l'être. Le contrat assure la même transparence dans la société que le commerce ou l'échange. Il n'y a pas besoin, sauf pour "gendarmer" la société, d'État pour la superviser ou la réguler. Le contrat suffit.
La vie sociale, un paradoxe
À la fin du XVIIIe siècle, Emmanuel Kant parle de l'insociable sociabilité de l'homme : malgré leur individualisme "naturel", les hommes sont poussés à nouer des relations sociales grâce à leur esprit de concurrence.
Ils ne peuvent pas s'empêcher, par amour-propre, d'entrer en compétition avec les autres, bien que leur désir premier soit d'ignorer les autres. Ils se sentent, comme l'a souligné Jean-Jacques Rousseau, dénaturés, c'est-à-dire loin de l'"état de nature" où ils vivaient seuls, tout en ayant besoin de la société pour se comparer aux autres.
Le moyen dont la Nature se sert pour mener à bien le développement de toutes les dispositions [des hommes] est leur antagonisme au sein de la Société. J'entends ici par antagonisme l'insociable sociabilité des hommes, c'est-à-dire leur inclination à entrer en société, inclination qui est cependant doublée d'une répulsion générale à le faire.
Emmanuel Kant
Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, trad. Luc Ferry, Paris, éd. Folio (2009)
1784
Dans la pièce Huis clos de Jean-Paul Sartre, trois personnages que leurs fautes ont conduits en enfer tentent d'y trouver au moins la solitude. Mais le désir de parler d'eux et l'ennui les poussent à se rapprocher des autres, quitte à souffrir toujours davantage de leur confrontation, et ceci éternellement. À la fin, l'un d'eux déclare : "L'enfer, c'est les autres". Ainsi, il est à la fois insupportable de vivre avec les autres et impossible de vivre sans eux.
Le "contrat social" peut ainsi être vu comme la contrainte paradoxale qui pousse les hommes à vivre en société contrairement à leur désir. S'il est considéré par Jean-Jacques Rousseau lui-même comme une fiction, c'est qu'il demande à être interprété. L'homme abandonne, par le contrat, tous ses droits naturels en échange des "droits civils", mais rien ne dit qu'il en soit satisfait, notamment s'il agit en raison de la peur. Néanmoins, ce dernier sentiment est moins déterminant, chez Rousseau, que celui de la sécurité, en raison des dangers qui ont suivi l'abandon de l'état de nature par l'homme
La société est inévitable, même si l'homme ne s'y sent pas toujours bien. À l'état de nature, l'homme est en famille, mais même s'il a du mal à vivre avec les autres, il entre dans la société car il a besoin de se comparer à eux. L'État va s'imposer pour tenter d'atténuer ce paradoxe et rendre à l'Homme ce qu'il a perdu en vivant en société.
L'État garant de la société
État
On appelle État le cadre juridique de la société, défini par le droit public, la Constitution. Cette dernière est la source, par le biais des institutions qui la mettent en œuvre (gouvernement, Parlement), des lois et règles de la vie sociale.
La création de l'État pour protéger la société
Si pour certains philosophes comme Rousseau, "l'état de nature" est un état de paix et de solitude, il est plus souvent perçu comme une situation de guerre perpétuelle.
Pour Thomas Hobbes par exemple, l'état naturel de l'homme est l'état de la guerre de tous contre tous où la loi du plus fort règne. Il écrit d'ailleurs que "l'homme est un loup pour l'homme". Ainsi, l'état naturel est un état de peur pour l'homme qui craint pour sa vie et celle de sa famille. Il n'est pas en sécurité.
Il n'y a qu'une manière de sortir de cet affrontement général : la création de l'État. Les hommes passent ensemble une convention ou un pacte par lequel ils délèguent tous ensemble leur force naturelle à l'État. Ils renoncent à leur force et acceptent de laisser l'État se charger de leur protection. Selon Hobbes, la société a donc été instituée afin de préserver la survie des hommes.
Cette vision est aussi celle de Machiavel pour qui le "Prince", le Souverain, gouverne par la peur qu'il inspire, mais aussi par la ruse.
En vertu du pouvoir conféré par chaque individu dans l'État, il dispose de tant de puissance et de force assemblées en lui que, par la terreur qu'elles inspirent, il peut conformer la volonté de tous en vue de la paix à l'intérieur et de l'entraide face aux ennemis de l'étranger.
Thomas Hobbes
Léviathan, Paris, éd. Gallimard, Gérard Mairet (2000)
1651
En considérant tous les hommes comme des loups, Thomas Hobbes nie l'innocence des agneaux. Il ne croit pas à la pureté naturelle ni au "bon sauvage" de Jean-Jacques Rousseau. Dans le Léviathan, Thomas Hobbes voit dans la création de l'État la moins mauvaise des solutions : la transformation du loup en chien soumis qui, reconnaissant le pouvoir absolu de son maître, renonce à la violence de l'état de nature et s'en protège. L'État permet alors de protéger la société.
L'État pour apporter la liberté et la justice à la société
L'État est la structure qui permet d'apporter la liberté et la justice à la société.
En 1821, dans ses Principes de la Philosophie du droit, Hegel présente l'État comme la plus haute des institutions. Selon lui, il permet de réaliser le plus haut degré de la liberté, il est "Dieu sur terre". Hegel le présente comme l'arbitre des rivalités entre familles ou des luttes entre classes sociales. Il parle de la "classe universelle", les fonctionnaires, qui poursuivent une entreprise universelle : la justice, qui coïncide avec la liberté. L'État est même "au-dessus" de la famille et de la société civile parce que son droit (le droit public ou constitutionnel) est le plus élevé : c'est le droit qui permet aux individus d'acquérir la liberté et la justice.
L'État est la réalité effective de la liberté concrète.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel
Principes de la philosophie du droit, (Grundlinien der Philosophie des Rechts), trad. Jean-Louis Vieillard-Baron, Paris, éd. GF-Flammarion n° 664 (1999)
1820
Les mots "effective" et "concrète" soulignent, chez Hegel, que l'État est bien plus qu'un concept. Étant défini par le droit (la Constitution), l'État est, comme toute réalité juridique, "liberté réalisée". Le droit privé, le droit des personnes, réalise aussi la liberté : c'est le cas dans la propriété qui réalise la liberté individuelle, ou encore celle du commerce et de l'échange dans la société civile. Il y a également un droit familial. Toutefois le droit de l'État est au-dessus de tous les autres, parce qu'il garantit ce que nous appelons les libertés publiques, communes à tous les citoyens (aller et venir, penser et s'exprimer librement, pratiquer une religion).
L'État tend à protéger la société et à lui apporter la liberté, il est nécessaire pour dépasser la violence. Toutefois, il peut également être facteur d'injustice, suscitant des révoltes individuelles ou sociales légitimes. Si l'État s'impose à la société, celle-ci peut aussi s'opposer à l'État et entretient avec lui des rapports complexes.
Les rapports complexes entre société et État
L'État, une forme d'oppression sur la société
Alors qu'il peut apporter protection et liberté, l'État a souvent été considéré comme une source d'oppression.
Au fur et à mesure que les États se sont agrandis - passant de la cité grecque, par exemple, à l'Empire d'Alexandre le Grand, ensuite de César ou de Napoléon - ils sont devenus plus autoritaires, écrasants par rapport aux populations. Là où l'État n'est pas un empire, il cherche à le devenir (comme en Allemagne nazie ou en Russie soviétique) et ses chefs deviennent des dictateurs.
George Orwell, dans son roman 1984, a même imaginé un système dont on ne connaît pas le chef, "Big Brother", mais auquel tous les individus sont soumis par la terreur.
L'État est le plus froid des monstres froids.
Friedrich Nietzsche
Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre pour tous et pour personne, (Also sprach Zarathustra. Ein Buch für Alle und Keinen), trad. Georges-Arthur Goldschmidt, Paris, éd. Le Livre de Poche, coll. "Classiques" (1972)
1883 - 1885
Pour lutter contre un État oppressif, l'homme peut toutefois se rebeller.
Antigone
Dans la tragédie antique Antigone de Sophocle, Antigone est une jeune fille révoltée contre la loi de la cité (c'est-à-dire l'État) représentée par son oncle Créon : ses deux frères s'étant entretués au cours d'une bataille pour le pouvoir, l'un d'eux a été privé de sépulture par Créon. Antigone veut l'enterrer religieusement. Dans cet exemple, Hegel voit le conflit du droit familial, représenté par Antigone, et du droit de l'État, représenté par Créon. Non seulement la jeune fille ne reconnaît pas le droit de l'État, mais elle invoque également des valeurs sacrées, légitimes pour Hegel parce qu'elles sont au-dessus de l'État lui-même.
La séparation des trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, vise à atténuer l'absolutisme de l'État et donc à atténuer les possibilités d'oppression. Selon Montesquieu, qui l'écrit dans De l'esprit des lois (1748), "le pouvoir arrête le pouvoir" : cela sous-entend que le pouvoir doit être divisé car ainsi plusieurs pouvoirs s'affrontent et une balance peut être trouvée. L'indépendance de la justice est particulièrement importante afin que l'État reste un "État de droit" où un chef ne puisse plus dire, à l'instar de Louis XIV : "L'État, c'est moi" en monopolisant et en concentrant les pouvoirs sur sa personne.
En démocratie, le pouvoir appartient au peuple. Le pouvoir législatif ne peut être exercé par le gouvernement lui-même. Il suppose la représentation par un Parlement issu d'élections libres. Ce système de séparation des pouvoirs définit la démocratie par opposition à la dictature. La souveraineté populaire s'oppose ainsi à la souveraineté nationale, qui peut être représentée par un seul. La souveraineté (le principe du pouvoir) n'est pas le gouvernement.
L'État contre la société : le totalitarisme
L'oppression de l'État sur la société peut se transformer en véritable totalitarisme.
Le pouvoir est alors dans les mains d'un seul dictateur. Tous les exemples d'États totalitaires dans l'histoire supposent l'acceptation d'une partie de la société. Cela s'explique car la tentation est grande pour les hommes de s'en remettre à la seule autorité de l'État, dont on a vu qu'elle les protège d'eux-mêmes en tant qu'êtres potentiellement violents.
Les historiens soulignent que si Hitler a légalement accédé au pouvoir dans l'Allemagne de 1933, c'est qu'il satisfaisait les désirs de revanche d'une "petite-bourgeoisie" ruinée par la "grande crise" de 1929 et aussi ceux d'un peuple "humilié" par la défaite de la Première Guerre mondiale.
L'État "totalitaire" est un État maximal qui concentre toute l'autorité au point de règlementer lui-même la société, l'économie et les libertés publiques. Ces dernières tendent à disparaître du fait du poids de la censure et de la police. Les juges eux-mêmes ne sont pas indépendants. Le totalitarisme rejette toute forme de contrat social et de contrôle du gouvernement par le peuple ou ses représentants.
La "société ouverte" pour lutter contre le pouvoir de l'État : le libéralisme
Le philosophe Karl Popper oppose au totalitarisme le concept de société ouverte.
La société ouverte est la société "libérale" dans laquelle l'État ne joue qu'un rôle minimal, le rôle sécuritaire. Le libéralisme "anglo-saxon" dont parle John Locke valorise le commerce et le droit privé. Les individus, sujets de droit à part entière, ne peuvent que s'épanouir dans le "libre-échange" que populariseront par la suite Jeremy Bentham et Stuart Mill. Les nations s'épanouissent par le commerce, qui ne doit connaître aucune entrave. La société comme l'échange reposant sur un contrat, le droit privé suffit, l'État est à peine nécessaire, sauf sur le plan pénal, afin que les contrats et la sûreté individuelle soient respectés.
Pour les penseurs libéraux, le "contrat social" est la société elle-même. L'État n'est que le produit d'un contrat parmi d'autres (un "contrat de gouvernement") et les gouvernants peuvent être révoqués par le peuple s'ils ne donnent pas satisfaction. L'État "libéral" est un État minimal qui assure la sécurité sans gêner le libre-échange qu'il favorise le plus possible. La justice est supposée en résulter "automatiquement" en vertu du principe de la "main invisible" de Smith.
L'État, selon mes idées, est une société d'hommes instituée dans la seule vue de l'établissement, de la conservation et de l'avancement de leurs intérêts civils.
John Locke
Lettre sur la tolérance, trad. John Locke, Paris, éd. PUF, coll. "Quadrige" (2006)
1689
Comme son nom l'indique, le libéralisme préfère la liberté à la justice, ou plutôt il pense qu'elles peuvent coïncider, à condition que l'État remplisse exactement son rôle. La société ouverte et l'État peuvent, selon John Rawls dans sa Théorie de la justice, s'accommoder de certaines injustices et inégalités. Ainsi, une répartition inégalitaire des biens entre les individus est acceptable si les individus qui bénéficient du moins de biens dans ce modèle de société disposent tout de même de plus de biens que s'ils se trouvaient dans un autre.
L'État peut intervenir dans le domaine de la propriété individuelle (expropriation) mais seulement si c'est en faveur des individus défavorisés (intérêt général) et sans léser les autres.
Le libéralisme est très critiqué et remis en question aujourd'hui, avec la crise. On lui reproche notamment de donner tous les pouvoirs au monde de la finance, devant laquelle même les États semblent impuissants, la gouvernance semblant s'être déplacée du politique au financier, et de l'État à l'international. La question de la monnaie, en particulier, gouverne les échanges entre les États eux-mêmes mais est gérée au niveau international.
La Banque centrale européenne (BCE) est indépendante des États européens. Elle fixe librement la création de la monnaie ainsi que les taux d'intérêt, avantageant ou désavantageant indirectement tel ou tel État (inflation) ce qui peut fragiliser la cohésion européenne comme on l'a vu au moment de la crise grecque ("Grexit").
Des sociétés rejetant l'État
Dans son livre La Société contre l'État, l'ethnologue Pierre Clastres, ayant observé différentes "sociétés premières" d'Amazonie, affirme que ces sociétés n'ignorent pas l'État comme on l'a toujours pensé, mais le rejettent.
Ce sont des sociétés qui font le choix de se passer d'État.
L'histoire des peuples sans histoire [c'est-à-dire géographiquement indépendantes et sans interaction] c'est [...] l'histoire de leur lutte contre l'État.
Pierre Clastres
La Société contre l'État, Paris, Éditions de Minuit, Collection "Critique"
1974
Les "peuples sans histoire" correspondent à ce que Claude Lévi-Strauss appelle les "sociétés froides", qui se préservent de l'interaction avec d'autres, et par conséquent des conflits historiques. Il semblerait alors que les sociétés continuant d'évoluer sans avoir d'État ne connaissent pas les mêmes troubles que les autres et sont plus heureuses (c'est l'un des sens que l'on peut donner à "sans histoire").
Selon Pierre Clastres, les "sociétés premières" n'ont pas besoin de l'État comme juge ou arbitre de leurs conflits. Elles ont des chefs, mais elles les "contrôlent" afin qu'ils ne deviennent pas trop puissants et ne fondent des États. Les guerres elles-mêmes, internes ou extérieures, ont pour fonction d'éloigner le "spectre" de l'État.
En effet, en temps de paix, ces sociétés sont une sorte de "démocratie directe" où société et État se confondent : elles réalisent le rêve de Rousseau. Elles ne sont pas, précise Clastres, "sans État" ou anarchiques (sans ordre), car elles sont suffisamment organisées. Elles représentent ce que Marcel Mauss appelle le "fait social global", sans différenciation de classes ou de métiers, ou encore par la propriété.
Ces sociétés sont pacifiques tant que la forme de l'État ne s'impose pas comme une contrainte par rapport à la vie sociale elle-même. Elles entrent en guerre les unes contre les autres dans la mesure où elles craignent que l'une d'entre elles leur impose le cadre de l'État et donc les opprime et les domine, en détruisant leur équilibre interne.
Les sociétés luttent contre l'État comme contre une menace, à la manière de quelqu'un qui se débat, se défend contre l'angoisse ou contre une maladie dont il pense qu'elle lui sera fatale.
Les "sociétés sans État" sont aujourd'hui extrêmement minoritaires et ne concernent guère que quelques groupes de "chasseurs-cueilleurs" d'Amazonie ou de Nouvelle-Guinée, ou encore le peuple Ayoreo du Paraguay, État où Pierre Clastres avait observé, vers 1970, les Indiens Guayaki, exemple de ce qu'il appelle une "société contre l'État".