Sommaire
IUne volonté politique d'affirmationADe 1949 aux années 1980 : affirmer sa souverainetéBDepuis les années 1980 : l'affirmation de la puissance chinoise1Une nouvelle stratégie maritime2Devenir la première puissance spatiale mondialeIIDes enjeux économiques et géopolitiques considérables pour la Chine et le reste du mondeAAssurer des ressourcesBSécuriser les approvisionnementsCContrôler des territoires : entre tension et coopérationEn un siècle, entre le début du XXe siècle et la première moitié du XXIe siècle, la Chine est passée du statut d'État secondaire à une puissance incontournable. Elle est le pays le plus peuplé au monde. L'originalité du choix de l'économie de marché, tout en conservant un régime politique autoritaire, et la croissance économique qui s'en est suivie, lui ont permis de passer d'un grand pays en développement à l'une des grandes puissances économiques puis géopolitiques du monde. En mer comme dans l'espace, il s'agit pour la Chine de dessiner un nouvel équilibre des forces en remettant en question les rapports de force mondiaux et notamment le statut de grande puissance des États-Unis.
Comment la Chine affirme-t-elle sa puissance à l'échelle mondiale par la conquête spatiale et maritime ? Dans quelle mesure la Chine construit-elle sa stratégie d'affirmation de puissance sur les nouveaux espaces de conquête ?
Une volonté politique d'affirmation
La quête de puissance de la Chine s'est affirmée dans les discours, les investissements, les stratégies et les politiques mises en place depuis un peu plus de 70 ans. La Chine a d'abord affirmé sa souveraineté depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux années 1980. Depuis, ses ambitions sont beaucoup plus importantes et elle s'impose désormais comme une grande puissance sur la scène internationale.
De 1949 aux années 1980 : affirmer sa souveraineté
Après la Seconde Guerre mondiale, la Chine affirme de plus en plus sa souveraineté. Cela se traduit d'abord par la mise en place d'une stratégie maritime de défense côtière en 1949. Dans les années 1950, la Chine se lance dans un programme spatial qui reste modeste.
Dès 1949, la Chine souhaite construire une marine puissante, mais ses moyens demeurent limités. Pour Mao Zedong, alors au pouvoir, c'est la Chine intérieure qui compte. Il s'intéresse moins à l'extérieur. Les militaires de la marine chinoise sont essentiellement issus de l'armée de terre. La Chine étant communiste, elle bénéficie de l'aide soviétique qui cesse en 1960 : cet arrêt provoque une fragilisation. La défense se limite alors à celle des côtes.
À partir des années 1970, la Chine met en place une stratégie de « défense active ». La conquête de nouveaux territoires terrestres, comme l'occupation des îles Paracels en 1974, permet une nouvelle stratégie maritime. L'arrivée de Deng Xiaoping au pouvoir en 1978 permet une affirmation du projet de faire de la Chine une grande puissance maritime. L'ouverture de la Chine au monde se fait par les littoraux.
La Chine se lance également dans la conquête spatiale. Le programme spatial est étroitement lié au domaine militaire. En 1956, la cinquième académie de recherche du ministère de la Défense est créée. Elle lance le programme spatial chinois. Il s'agit pour la Chine de s'affirmer dans le duel entre les États-Unis et l'URSS, et de prendre ses distances avec l'URSS.
Un site de lancement est construit dans le désert de Gobi, en Mongolie-Intérieure, à Jiuquan. Le premier satellite chinois Dong Fang Hong (ce qui signifie « l'Orient est rouge ») est lancé en 1970. Ces débuts sont modestes mais permettent à la Chine de devenir le cinquième pays capable d'envoyer des satellites en orbite, après l'URSS, les États-Unis, la France et le Japon.
Le régime chinois se sert de ce succès technique à des fins de propagande : le satellite émet un chant patriotique qui contribue au culte de la personnalité de Mao Zedong.
Depuis les années 1980 : l'affirmation de la puissance chinoise
En 1978, un programme de développement économique permet à la Chine une croissance importante. L'argent est réinvesti dans une nouvelle stratégie maritime et dans le développement des recherches et explorations spatiales.
Une nouvelle stratégie maritime
En 1978, la croissance économique de la Chine est importante, l'argent est réinvesti dans une nouvelle stratégie maritime, avec des moyens financiers considérables et une politique de plus en plus dynamique. De nombreux équipements sont construits. Afin d'être présente sur toutes les mers, la Chine développe sa stratégie du « collier de perles ».
En 1978, Deng Xiaoping lance un ambitieux programme de développement économique basé sur une ouverture aux capitaux, aux technologies et aux entreprises étrangères par les villes du littoral. Cela entraîne une forte croissance économique, génératrice de moyens financiers nouveaux et importants qui vont être réinvestis.
Une nouvelle stratégie maritime est mise en place, lancée en 1985 par l'amiral Liu Huaqing. C'est une stratégie de « la défense au large » qui remplace « la défense côtière ». Il s'agit de se défendre face à la menace des États-Unis, alliés de Taïwan en confrontation avec la Chine. Il s'agit également de renforcer la sécurité des côtes chinoises, de préserver la souveraineté des eaux territoriales et défendre l'expansion des droits maritimes. C'est bien une politique de puissance qui est désormais affirmée.
La construction d'une marine de guerre capable de rivaliser avec les États-Unis se traduit par des investissements importants dès le début des années 1990. La Chine a un important retard à rattraper, sa flotte est obsolète. Elle renouvelle sa flotte côtière (gardes-côtes) mais surtout elle investit dans une flotte de haute mer (frégates, destroyers). Les résultats sont spectaculaires :
- Dès 2008, la Chine se hisse au 3e rang mondial (passant d'un tonnage d'environ 100 000 tonnes à 847 000 tonnes).
- En 2008, elle est devenue la 2e marine mondiale derrière les États-Unis.
- Entre 2015 et 2018, elle construit l'équivalent de la marine française.
Du point de vue des équipements, la Chine a également beaucoup investi :
- construction de porte-avions : deux sont terminés, le Liaoning en 2012 et le Shandong en 2019, qui est à propulsion nucléaire et de technologie chinoise. Deux autres sont en cours de construction (pour 2025) et deux autres sont annoncés ;
- construction de sous-marins SNA et SNLE
Porte-avions
Un porte-avions est un navire de guerre qui est une véritable base aérienne mobile navale. Il est doté d'une plateforme permettant le lancement et l'atterrissage d'avions. Il est souvent le centre d'un groupe composé d'autres navires et formé autour de lui, dénommé « groupe aéronaval ».
Sous-marin nucléaire d'attaque (SNA)
Le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) est un sous-marin équipé d'un moteur à propulsion nucléaire pour le rendre indétectable et équipé de missiles (non nucléaires) pour détruire des navires ou des cibles terrestres.
Sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE)
Le sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) est un sous-marin équipé d'un moteur à propulsion nucléaire pour le rendre indétectable et doté de missiles nucléaires lancés depuis de très grandes profondeurs. C'est le meilleur moyen pour assurer la dissuasion nucléaire.
Ces équipements souffrent de faiblesses technologiques, notamment en ce qui concerne la propulsion des sous-marins, et de faiblesses humaines avec un manque d'expérience et de culture maritime.
La Chine souhaite affirmer sa position sur les mers et être présente sur l'ensemble des mers et des océans du globe. En Asie, cela se traduit par la stratégie du « collier de perles ».
Stratégie du « collier de perles »
La stratégie du « collier de perles » est une expression américaine désignant la stratégie de présence de la marine chinoise dans des ports asiatiques, moyen-orientaux et africains afin de sécuriser les voies maritimes.
En Afrique, les Chinois installent une base militaire à Djibouti en 2016.
Les appropriations d'espaces terrestres permettent de faire valoir des droits maritimes par le biais de la ZEE. La présence chinoise est ainsi affirmée dans l'espace fermé par la première chaîne d'îles (soit du Japon aux Philippines et au sud de la mer de Chine méridionale). Le but est également de dissuader tout adversaire potentiel d'intervenir dans un conflit localisé en mer Jaune, en mer de Chine orientale ou en mer de Chine méridionale. On assiste à la militarisation d'îlots de la mer de Chine méridionale (3,5 millions de km2) en créant des îles artificielles, en construisant des phares, des pistes d'atterrissage, etc.
Devenir la première puissance spatiale mondiale
Par ailleurs, la Chine développe son programme spatial et a désormais pour ambition de devenir la première puissance spatiale mondiale d'ici à 2045. De nombreux projets spatiaux se succèdent depuis les années 1980.
En 1986, le programme 863 (pour mars 1986) débute. Il fixe comme objectifs les vols habités et la construction d'une station spatiale. Cela est réaffirmé dès l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013 puis en 2016 : l'espace s'inscrit dans son objectif du « rêve chinois de grande renaissance de la nation ». C'est aussi l'une des voies indispensables pour mener la Chine vers le statut de « grande puissance technologique ». Trois axes dominent :
- l'objectif lunaire ;
- l'objectif martien ;
- la construction d'une station spatiale.
Une collaboration avec les Russes permet l'usage de fusées chinoises Soyouz et l'entraînement des futurs taïkonautes à la cité des étoiles de Moscou.
Taïkonaute
Un taïkonaute est un astronaute chinois. Ce terme signifie « homme du grand vide ».
En 1993, l'Agence spatiale de Chine est créée.
Le budget spatial de la Chine est estimé à 10 milliards de dollars.
Ces investissements permettent un enchaînement de succès.
Shenzhou
Shenzhou (expression chinoise signifiant « vaisseau céleste ») est un terme utilisé pour nommer les missions du programme de vol spatial habité.
Le programme d'exploration lunaire Chang'e (« déesse de la Lune ») est ouvert en 2004. Il représente un enjeu scientifique mais aussi de prestige. Le régime serait favorable à des financements conjoints d'équipements et de programmes scientifiques et autoriserait des astronautes étrangers. Comme l'ISS est en fin de vie, la Chine pourrait devenir la seule puissance à disposer d'un laboratoire scientifique permanent en orbite et ouvert à la coopération internationale. De nombreux projets sont entrepris dans le cadre du Programme Chang'e.
Le programme d'exploration martienne est lancé en juillet 2020 avec la mission Tianwen-1 qui prévoit la mise en orbite d'une sonde en février 2021 et son atterrissage en mai 2021.
Des enjeux économiques et géopolitiques considérables pour la Chine et le reste du monde
La conquête maritime et spatiale chinoise est la démonstration des liens étroits entre sciences, technologie, économie et géopolitique. La géostratégie maritime et spatiale est un vecteur de puissance et de déstabilisation des équilibres mondiaux. La Chine tente d'assurer ses ressources, de sécuriser ses approvisionnements et d'exercer sa puissance pour dominer progressivement le monde, à son profit et au détriment notamment des États-Unis.
Assurer des ressources
La population chinoise est la seconde plus nombreuse au monde, juste après l'Inde. Ses besoins sont très importants. La Chine doit assurer ses ressources. Celles des mers et des océans sont très riches. Les ressources potentielles de l'espace intéressent également la Chine.
Les besoins énormes sont liés à sa population : la Chine est le premier consommateur mondial de poissons, elle en est le premier producteur et exportateur. Elle a racheté des droits de pêche à certains États (Madagascar, l'île Maurice, etc.) pour satisfaire ses besoins.
Les besoins concernent aussi l'exploitation des ressources minérales et d'hydrocarbures offshore.
Offshore
Offshore est un terme anglais signifiant littéralement « vers le large ». C'est une activité qui se déroule en pleine mer.
Des compagnies chinoises investissent dans des projets d'exploitation des régions arctiques. En effet, la région de l'Arctique abriterait 13 % des ressources conventionnelles en pétrole non découvertes et 30 % des ressources en gaz, ainsi que d'importantes richesses minérales (or, zinc, graphite, nickel, platine, uranium, etc.) et halieutiques.
Par ailleurs, la Chine a l'espoir de pouvoir exploiter les ressources de la Lune (titane, uranium, hélium-3, glace d'eau) et de transformer la Lune en base avancée de la Terre, notamment vers Mars. La fabrication de centrales solaires est aussi en projet : en interceptant les rayons du soleil 35 % à 70 % plus puissants que sur la Terre, la Chine pourrait alors produire de l'énergie.
Sécuriser les approvisionnements
La Chine est la première puissance commerciale du monde. Pour le rester, elle doit garantir ses approvisionnements. Cela passe notamment par la sécurisation des espaces maritimes et spatiaux.
La Chine est devenue la première puissance commerciale mondiale : elle représente 18 % des exportations mondiales de marchandises en 2020.
La Chine doit garantir ses approvisionnements en matières premières, notamment énergétiques et minières, mais aussi alimentaires. Elle doit également garantir ses exportations de produits manufacturés. Comme le transport maritime assure 90 % du commerce mondial, il est stratégique pour la Chine d'avoir des infrastructures portuaires de qualité et d'assurer la sécurité des routes maritimes. Ainsi, la source de sa puissance économique n'est pas touchée ni fragilisée.
La problématique est la même concernant le bon fonctionnement d'Internet et donc l'entretien et l'accès des câbles sous-marins mais également de certains satellites.
La Chine a développé son propre système de navigation et de positionnement, Beidu, en concurrence du GPS, et doit donc garantir le bon fonctionnement d'Internet pour que Beidu fonctionne.
La Chine protège ainsi les routes maritimes qui la bordent et sur lesquelles passent 100 000 navires par an, soit un tiers du commerce mondial.
La Chine anticipe également sur l'avenir en sécurisant déjà les « routes de la soie polaires ». Ces routes sont une alternative au passage par l'océan Indien et le canal de Suez. Le trajet Shanghai-Rotterdam est réduit d'un quart (environ 5 000 kilomètres) en passant par la route du Nord-Est. Depuis 2013, des cargos chinois empruntent les routes maritimes arctiques. En 2019, l'armateur Cosco a lancé un service reliant l'Europe à l'Asie. La Chine a construit un brise-glace, le Xue Long (« dragon des neiges »), pour assurer le passage des navires et ne plus dépendre des Russes. Enfin, la Chine multiplie les expéditions scientifiques, installe des stations scientifiques et des stations satellitaires en Norvège ou au Groenland.
Depuis 2013, la Chine a un poste d'observateur au Conseil de l'Arctique alors qu'en principe, cette instance ne concerne que les pays riverains. Elle y est parvenue avec le soutien de l'Islande qui bénéficie de l'aide financière chinoise.
Contrôler des territoires : entre tension et coopération
La Chine a désormais des bases dans le monde entier. Les mers et les océans sont un moyen pour contrôler le monde. L'espace est le meilleur moyen pour surveiller le monde et le contrôler. La Chine entend contrôler ses territoires et provoque ainsi des tensions. Toutefois, des formes de coopération avec d'autres acteurs existent.
L'Asie-Pacifique est un espace stratégique majeur. Dans son discours, la Chine veut donner une image positive de son ascension en jouant sur l'image du développement pacifique, de la coopération entre grandes puissances, des relations « gagnant/gagnant ». Elle veut aussi se présenter comme une alternative au modèle occidental et libéral qu'elle estime en déclin. C'est aussi une manière de s'imposer face aux États-Unis.
L'enjeu des ZEE dans la mer de Chine est majeur.
Zone économique exclusive (ZEE)
Une zone économique exclusive (ZEE) est un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d'exploitation et d'usage des ressources sur une distance de 200 milles marins à partir des côtes (soit 370 kilomètres).
La Chine provoque des tensions en voulant s'attribuer des ZEE.
L'incident dans les Spratleys, en 2012, déclenche un recours des Philippines devant la Cour permanente d'arbitrage de La Haye. La Cour rend un avis contraignant en juillet 2016 affirmant que la Chine n'a pas de « droits historiques » sur ces îles. Mais la Chine continue de ne pas le respecter.
La Chine organise des voyages touristiques sur des îles qui ne lui appartiennent pas. Elle privilégie les accords bilatéraux pour négocier en situation de force et minimiser la pression d'autres États ou des institutions internationales. Elle achète des participations dans des ports étrangers.
« La Chine veut modifier l'ordre mondial à son avantage. »
Jean-Pierre Cabestan, spécialiste de la Chine
Le Monde
mai 2021
C'est depuis l'espace que se font l'observation de la Terre, la météorologie, les communications, la navigation, la surveillance de l'espace, le renseignement, etc. Pour cela, il faut avoir un accès autonome au milieu spatial depuis le sol terrestre, raison pour laquelle la Chine souhaite disposer de lanceurs. Il faut également pouvoir surveiller la Terre ou assurer les communications, raison pour laquelle la Chine souhaite contrôler des satellites.
La plupart des puissances spatiales sont d'abord des puissances militaires. La Chine ne fait pas exception. Depuis 2015, il existe au sein de l'APL (Armée populaire de libération), une FSS (Force de soutien stratégique) qui supervise l'ensemble des moyens spatiaux (sites de lancement, satellites, stations de surveillance de l'espace en Chine et à l'étranger, programme de la station spatiale). Tous les lancements sont opérés par l'armée qui fournit aussi les taïkonautes. Les capacités spatiales pour le développement des forces armées augmentent.
Le nombre de satellites d'écoute électronique (pour repérer d'éventuels ordres de bataille ennemis) et d'alerte (repérer les tirs de missile) sont passés de 6 en 2015 à une vingtaine.
La Chine est donc en train d'acquérir une capacité de surveillance de l'espace (les États-Unis la maîtrisent depuis 40 ans).
Malgré tout, la Chine sait aussi coopérer avec de nombreux acteurs dans différents domaines :
- la sécurité de la navigation : coopération entre la Chine et l'ASEAN (Association of Southeast Nations) depuis 2002 en matière d'échange d'informations, de prévention et d'élimination de la piraterie ;
- la protection environnementale des zones maritimes des mers d'Asie du Sud-Est ;
- la coopération spatiale concerne la Chine et la France depuis 1997 pour l'étude des océans et la Chine et la Russie avec la signature en mars 2021 d'un accord de construction conjointe d'une future station lunaire, ouverte à tous les États et partenaires internationaux intéressés.