Sommaire
ILes origines et sources d'inspiration de l'œuvreALe Romancero General et l'EspagneBLes classiquesCLa dramaturgie allemandeDWilliam ShakespeareE"La couleur locale"IILa postérité du drame romantique au théâtreALes diverses représentations d'HernaniBL'influence d'Hernani sur les auteurs françaisIIIHernani à l'opéraAL'opéra du XIXe siècleBLes représentations contemporaines de l'opéraConsidérer la création, la réception et la diffusion d'une œuvre, c'est l'envisager dans sa globalité au cœur de la littérature. Tout auteur est d'abord lecteur. L'œuvre naît à une époque donnée selon un contexte précis et s'inscrit dans une démarche choisie par l'auteur dans la continuité ou la rupture avec les œuvres du passé. Elle influence les œuvres du futur et élargit les perspectives de la littérature. On appelle intertextualité ce lien qui unit l'ensemble des œuvres de la littérature. Étudier l'intertextualité d'une œuvre permet de mieux la comprendre dans son processus de création.
Les origines et sources d'inspiration de l'œuvre
Le Romancero General et l'Espagne
Dans la préface, Victor Hugo signale comme source de son œuvre le Romancero General. Il s'agit d'un recueil de récits traduits de l'espagnol en 1821 par son frère Abel Hugo. Il emprunte à ce texte le nom de Doña Sol et s'inspire de l'opposition entre le roi et un grand seigneur féodal.
Le théâtre du siècle d'or espagnol que Victor Hugo évoque dans la préface de Cromwell l'a inspiré pour son choix d'associer l'ombre à la lumière et le grotesque au sublime. Au-delà de son expérience de jeunesse en Espagne, les romantiques affectionnent l'exotisme espagnol. Alfred de Musset rédige Les Contes d'Espagne et d'Italie en 1830. Honoré de Balzac écrit la nouvelle El Verdugo la même année. Théophile Gautier publie le recueil España en 1845. Prosper Mérimée, quant à lui, publie Carmen en 1847.
Le Romancero est l'un des monuments importants et originaux de la littérature espagnole. Bien peu de nations possèdent une pareille collection de poésies, formée peu à peu au cours des siècles, d'inspiration, de dates, de valeurs fort diverses assurément, mais témoignant toutes de l'état des mœurs, des esprits, de la civilisation, à un moment donné, et toutes assujetties à la même forme, aux mêmes lois métriques. Aussi le Romancero représente-t-il, plus que tout autre genre littéraire, et mieux même que le théâtre, qui d'ailleurs lui doit tant, l'apport de l'Espagne au trésor commun de la littérature européenne, dont il forme l'un des joyaux les plus riches.
Ernest Mérimée
Le Romancero espagnol : introduction, traduction et notes
Le Romancero, ou l'œuvre espagnole dans son ensemble, est donc considérée par les romantiques comme une véritable source d'inspiration pour sa diversité et son authenticité.
Les classiques
Malgré une volonté de s'en détacher, les auteurs classiques du XVIIe ont influencé Victor Hugo. Dans la préface d'Hernani, il se réfère au Cid de Corneille, et dans la préface de Cromwell il évoque le théâtre de Molière qu'il admire. Il réinvestit des topos tragiques comme l'honneur ou l'amour passionnel. Victor Hugo s'oppose aux règles classiques telles qu'elles existent encore au début du XIXe : désuètes et maladroites, sans rapport avec leur époque. Toutefois, il ne renie pas l'influence des auteurs de cette époque.
Il prierait volontiers les personnes que cet ouvrage a pu choquer de relire Le Cid, Don Sanche, Nicomède ou plutôt tout Corneille, et tout Molière, ces grands et admirables poètes. Cette lecture, si pourtant elles veulent bien faire d'abord la part de l'immense infériorité de l'auteur d'Hernani, les rendra peut-être moins sévères pour certaines choses qui ont pu les blesser dans la forme ou dans le fond de ce drame.
Victor Hugo
Préface d'Hernani
Victor Hugo avance l'idée que ce sont ses détracteurs, qui se disent classiques au XIXe, qui sont dans l'ignorance et l'erreur.
La dramaturgie allemande
Le drame de Victor Hugo se nourrit aussi de l'influence du drame allemand. Le personnage d'Hernani est un proscrit et un bandit qui semble être inspiré de la pièce Les Brigands de Friedrich von Schiller, parue en 1781 et jouée en France en 1792. Madame de Staël en fait l'éloge dans son essai De l'Allemagne paru en 1810. Schiller est aussi l'auteur de Don Carlos, paru en 1787. Ce drame évoque l'Espagne de Philippe II alors que l'Inquisition domine. Il aurait lui aussi servi de source d'inspiration à Victor Hugo.
Un Français sait encore parler, lors même qu'il n'a point d'idées ; un Allemand a toujours dans sa tête un peu plus qu'il n'en saurait exprimer.
Madame de Staël
De l'Allemagne
1813
Madame de Staël considère les auteurs allemands tels que Schiller comme des penseurs précis, capables de maîtrise et de pudeur, au contraire des auteurs français qui laissent facilement libre cours à leurs idées. Leur influence sur le théâtre romantique français est importante, notamment dans le choix des mots et des contrastes.
Les dramaturges allemands ont été eux-mêmes fortement influencés par William Shakespeare.
William Shakespeare
Nous voici parvenus à la sommité poétique des temps modernes. Shakespeare c'est le Drame ; et le drame, qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie, le drame est le caractère propre de la troisième époque de poésie, de la littérature actuelle.
Victor Hugo
Préface de Cromwell
1827
Victor Hugo est un fervent admirateur de William Shakespeare. Dans Hernani, plusieurs évocations de la pièce Roméo et Juliette sont faites :
- le balcon ;
- l'amour interdit ;
- la mort des amants.
En effet, dans les scènes 1 et 2 de l'acte II, Don Carlos veille dans les jardins de Silva, sous les fenêtres de Doña Sol.
Don Carlos les laisse s'éloigner, puis frappe des mains à deux reprises ; à la deuxième fois, la fenêtre s'ouvre et doña Sol parait en blanc sur le balcon.
DOÑA SOL, au balcon :
Est-ce vous Hernani ?
Victor Hugo
Hernani, Acte II, scène 1 et 2
1830
Cette scène rappelle la scène de Juliette sur son balcon et de Roméo au bas de celui-ci. Par ailleurs, la mort des amoureux semble directement inspirée de William Shakespeare.
LE PRINCE :
Cette matinée apporte avec elle une paix sinistre. Le soleil se voile la face de douleur.
Partons pour causer encore de ces tristes choses. Il y aura des graciés et des punis.
Car jamais aventure ne fut plus douloureuse que celle de Juliette et de son Roméo.
William Shakespeare
Roméo et Juliette, Acte V, scène 24
1597
Il s'agit des derniers vers de Roméo et Juliette. On retrouve ce même "partons" à la fin d'Hernani ainsi que le champ lexical de la lumière avec "soleil" et "clartés". L'atmosphère semble aussi calme dans un cas comme dans l'autre. Contrairement à la mort "douloureuse" chez William Shakespeare, Victor Hugo a préféré une mort heureuse, avec l'idée d'un "monde meilleur".
DOÑA SOL :
Calme-toi. Je suis mieux. – Vers des clartés nouvelles
Nous allons tout à l'heure ouvrir nos ailes.
Partons d'un vol égal vers un monde meilleur.
Victor Hugo
Hernani, Acte V, scène 6
1830
"La couleur locale"
Ce n'est pas à la surface du drame que doit être la couleur locale, mais au fond, dans le cœur même de l'œuvre, d'où elle se répand au dehors, d'elle-même, naturellement, également, et, pour ainsi parler, dans tous les coins du drame, comme la sève qui monte de la racine à la dernière feuille de l'arbre. Le drame doit être radicalement imprégné de cette couleur des temps ; elle doit en quelque sorte y être dans l'air, de façon qu'on ne s'aperçoive pas qu'en y entrant et qu'en en sortant qu'on a changé de siècle et d'atmosphère.
Victor Hugo
Préface de Cromwell
1827
Victor Hugo ne se contente pas de s'inspirer du contexte espagnol ou du drame shakespearien ou allemand : il cherche à inscrire au cœur de son drame une véritable atmosphère afin de plonger le spectateur dans un monde fictif qui a cependant l'air réel. Le théâtre devient alors voyage, dépaysement lorsque le spectateur est contaminé par cette "couleur locale" et ne se rend plus compte qu'il assiste à un spectacle. La "couleur locale" est donc la recherche de l'exactitude historique au niveau de la mise en scène. Les noms, costumes et décors sont particulièrement soignés, comme en témoignent les nombreuses indications scéniques. Il s'agit en quelque sorte d'une reconstitution historique à l'instar de certains films actuels.
La postérité du drame romantique au théâtre
Les diverses représentations d'Hernani
La postérité du drame romantique au théâtre dure environ une dizaine d'années. Une fois l'engouement pour Hernani retombé, le genre s'essouffle. Victor Hugo propose en 1838 Ruy Blas, qui connaît un franc succès. Mais avec l'échec des Burgraves en 1843, le genre disparaît. La concurrence avec l'opéra et la comédie ainsi que les contraintes scéniques et les difficultés financières liées aux représentations à grand spectacle en sont les principales raisons.
Hernani est rejouée à la Comédie-Française en 1838 et en 1867. En 1877, deux grands acteurs obtiennent le rôle pour une nouvelle représentation : Mounet-Sully incarne Hernani et Sarah Bernhardt incarne Doña Sol. C'est un triomphe.
Pour le centenaire de sa création, Hernani est rejouée à la Comédie-Française en 1930 et n'a jamais cessé depuis d'être repris :
- 1952 : mise en scène d'Henri Rollan ;
- 1974 : mise en scène de Robert Hossein avec François Beaulieu dans le rôle d'Hernani ;
- 1985 : mise en scène d'Antoine Vitez ;
- 2002 : mise en scène d'Anne Delbée avec François Beaulieu dans le rôle de Don Gomez cette fois.
Enfin, en 2002, pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, la Comédie-Française a organisé une reconstitution de la célèbre bataille. Des joutes oratoires ont été proposées à des lycéens incarnant les "classiques" et les "romantiques". Les débats portaient sur trois thèmes imposés : l'amour, le héros, le parler. Guillaume Galienne y a participé en lisant des textes. Des visites commentées de la salle Richelieu où Victor Hugo entretenait des rapports parfois houleux avec les membres de la Comédie-Française ont été proposées.
L'influence d'Hernani sur les auteurs français
Alfred de Musset est un auteur influencé par le théâtre romantique de Victor Hugo.
En 1834, il publie Lorenzaccio. Il tire son inspiration d'Hamlet de William Shakespeare et du dramaturge allemand Friedrich von Schiller avec La Conjuration de Fiesque, comme Victor Hugo. Influencé par le drame romantique, il se détache pourtant de sa conception du théâtre, ne destinant pas ses pièces à être jouées mais lues. Musset considère le drame comme le terrain d'expression de la liberté mais ne comprend pas l'affrontement entre romantiques et classiques.
Pourquoi a-t-on opposé ces deux genres l'un à l'autre ? Pourquoi l'esprit humain est-il ainsi rétréci qu'il lui faille toujours se montrer exclusif ? Pourquoi les admirateurs de Raphaël jettent-ils la pierre à Rubens ? Pourquoi ceux de Mozart à Rossini ? Nous sommes ainsi faits ; on ne peut même pas dire que ce soit un mal, puisque ces enthousiasmes intolérants produisent souvent les plus beaux résultats ; mais il ne faudrait pourtant pas que ce fût une éternelle guerre.
Alfred de Musset
Revue des Deux-Mondes, "De la tragédie"
1838
Alfred de Musset ne recherche pas en priorité la couleur locale défendue par Victor Hugo. Il dépeint des situations localisées à Florence qui pourraient tout à fait être transposées à Paris. En revanche, il utilise le mélange des genres, transgresse la règle des trois unités ou la bienséance. Les lieux changent fréquemment. Le temps reste resserré à quelques jours alors que, dans la réalité historique, onze ans s'écoulent. Il met en avant de longues répliques, les scènes ne sont pas rythmées par les entrées et les sorties des personnages mais par les changements de lieux. Les personnages sont très nombreux. On peut en décompter plus d'une quarantaine.
Comme Alfred de Musset, Hernani a influencé Alfred de Vigny pour son œuvre Chatterton en 1835. Dans la préface, Vigny essaie de persuader la société qu'il faut réagir face au sort réservé au poète. Comme Victor Hugo, il souhaite faire du théâtre une tribune pour énoncer ses idées.
Hernani a poursuivi son influence jusqu'au XXe. Dans Le Soulier de satin, Paul Claudel rédige "une action espagnole en quatre journées". Avec La Reine morte, en 1942, Henry de Montherlant publie un drame inspiré de l'âge d'or espagnol à la manière d'Hernani.
Hernani à l'opéra
L'opéra du XIXe siècle
Le drame romantique a influencé l'esthétique de l'opéra du XIXe. Les jeunes compositeurs français comme étrangers ont été inspirés par le drame de Victor Hugo.
Les reprises célèbres d'Hernani à l'opéra au XIXe, sous le nom d'Ernani, sont les suivantes :
- Bellini en 1830 ;
- Vincenzo Gabussi en 1834 ;
- Alberto Mazzucato en 1843 ;
- Verdi en 1844, traduit en italien.
Pourtant, Victor Hugo s'oppose aux projets d'opéra tirés de ses pièces et refuse de voir jouer son drame dans une autre langue que le français. Verdi est donc obligé de changer les noms de ses personnages et de donner un nouveau titre à son opéra : Il Proscritto, "le proscrit". Il s'agit bien de la reprise d'Hernani. Victor Hugo rejette l'opéra italien qui pourtant continue de s'intéresser à ses œuvres. Verdi reprend Le Roi s'amuse (1832) de Victor Hugo sous le titre Rigoletto en 1851. Enfin, Wagner reconnaît l'influence du drame de Victor Hugo dans les duos d'amour de ses opéras, reprenant le lyrisme et l'élan de désespoir d'Hernani et de Doña Sol.
La structure du drame et sa mise en scène coïncident avec celles d'un opéra : elles permettent d'intégrer différentes actions héroïques, des affrontements épiques et des monologues propices aux chants de l'opéra. Les chœurs s'intègrent parfaitement à l'histoire, lors du rassemblement des conjurés dans l'acte IV ou au moment de la noce au début de l'acte V. Cette structure musicale associée aux grands thèmes du drame comme l'amour passionnel, l'ambition politique et l'honneur, expliquent l'attrait de l'opéra pour les drames romantiques comme Hernani.
Les représentations contemporaines de l'opéra
Au XXe et aujourd'hui encore, le drame romantique Hernani est souvent repris à l'opéra, à partir du travail de Verdi sous le nom d'Ernani.
- en 1982, à la Scala de Milan en Italie ;
- en 1983, au Metropolitan Opera de New York, avec Luciano Pavarotti dans le rôle d'Ernani sous la direction de James Levine ;
- en 2017, au théâtre du Capitole à Toulouse avec une mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman ;
- en 2018, à l'opéra de Marseille avec une mise en scène de Jean-Louis Grinda.
Le drame romantique Hernani s'inscrit donc dans une histoire littéraire qui dépasse largement la date de sa première représentation en 1830. Hernani s'est créé au fil de l'expérience de Victor Hugo et de son ambition pour la littérature. Le processus de diffusion de ce drame romantique, la célèbre bataille, lui a permis d'entrer dans l'histoire du XIXe et d'ouvrir la voie à un monde artistique encore plus libre et engagé. Les nombreuses influences d'Hernani dans le drame et à l'opéra jusqu'à nos jours témoignent encore de son universalité et son intemporalité, faisant de ce drame un chef-d'œuvre.