Sommaire
ILa tension de l'homme entre nature et cultureALa différence entre nature et culture chez l'hommeBL'homme entre instinct et intelligenceCLe passage de la nature à la cultureDDes limites floues entre nature et cultureIILes moyens et les façons pour l'homme d'acquérir une culture savanteALa notion de culture savanteBLes moyens de l'homme pour se cultiver1La raison et la technique2La perfectibilitéCLes différentes façons pour l'homme de se cultiver1L'éducation et la transmission2L'effort pour se cultiver soi-mêmeIIIL'opposition entre les différentes culturesALa définition d'une culture par opposition à une autreBLa comparaison entre les cultures et l'ethnocentrismeCLe relativisme culturelLa culture est un terme qui présente des sens multiples, tous dérivés du sens premier de « culture de la terre ». La culture est le propre de l'homme : elle fait partie de son évolution et de sa définition. Il faut également s'interroger sur les cultures au pluriel, car il en existe une grande diversité.
La tension de l'homme entre nature et culture
La différence entre nature et culture chez l'homme
La culture peut d'abord se comprendre comme ce qui s'oppose à la nature. Il y aurait dans l'homme :
- d'un côté ce qui relève du naturel, c'est-à-dire ce qui serait inné ;
- d'un autre côté ce qui relève de la culture, c'est-à-dire d'un apprentissage.
Le mot « culture » vient du verbe latin cultura, qui se traduit par « cultiver » ou « habiter ». Il désigne avant tout l'action de cultiver la terre. Par la suite, le terme a pris un sens plus large : il désigne l'ensemble des activités humaines qui s'écartent des simples déterminismes naturels et qui sont issues de la réflexion. La culture est donc ce qui s'oppose à la nature : c'est ce qui est acquis.
La nature, c'est tout ce qui est en nous par hérédité biologique ; la culture, c'est au contraire tout ce que nous tenons de la tradition externe.
Claude Lévi-Strauss cité par Georges Charbonnier
Entretien avec Lévi-Strauss, Paris, éd. UGE, coll. « 10/18 »
1961
Dans cette citation, Lévi-Strauss met en évidence les types d'héritages que reçoit l'homme. D'un côté l'héritage biologique, qui se fait indépendamment de l'homme, de l'autre, l'héritage culturel, qui suppose une activité d'apprentissage.
Il y a donc une distinction entre les lois de la nature et les règles sociales et culturelles : les premières ne sont pas apprises, tandis que les secondes sont liées à la pratique et à l'obéissance aux règles.
L'homme entre instinct et intelligence
La culture serait alors ce qui distingue l'homme des autres êtres vivants.
En effet, alors que le comportement des animaux serait entièrement régi par l'instinct, l'homme est bien plus déterminé par son intellect et la culture qui en découle. Le cas du langage illustre bien cette différence. Certes, les animaux possèdent une forme de langage instinctif, mais celui-ci se distingue radicalement du langage humain par son caractère limité et déterminé.
L'abeille butineuse peut indiquer à ses congénères, par un ensemble de mouvements déterminés, la distance et la direction de ses trouvailles. Mais il lui est impossible de créer une nouvelle signification, ni de répondre autrement à ce signal qu'en se dirigeant vers ces trouvailles. Cette communication relève donc de l'instinct.
À l'inverse, les hommes peuvent inventer des phrases qui n'ont jamais été prononcées et réagir de la manière qu'ils veulent aux propos de leur interlocuteur. Cette communication relève donc de l'intelligence.
Instinct
L'instinct renvoie à une impulsion innée, automatique et invariable qui régit le comportement de tous les individus d'une même espèce.
Les abeilles ne peuvent construire d'autres formes d'habitat que des ruches. Certes, ces constructions sont parfaites, mais elles ne changent jamais.
Le passage de la nature à la culture
Comprendre en quoi l'homme est un être de culture passe par la mise en évidence de ce qui le fait sortir de la nature, de l'état d'animalité.
Contrairement à l'animal qui ne fait qu'habiter le monde, l'homme rend le monde habitable en le transformant, par la technique et le travail, mais aussi par la religion, le langage, l'art et l'histoire. L'homme charge ainsi les choses d'une portée symbolique.
C'est cette idée que la culture est indissociable de la nécessité pour l'homme de rendre le monde habitable que souligne Hannah Arendt dans La Crise de la culture.
Le mot « culture » dérive de colere - cultiver, demeurer, prendre soin, entretenir, préserver - et renvoie principalement au commerce de l'homme avec la nature, au sens de culture et d'entretien de la nature en vue de la rendre propre à l'habitation humaine.
Hannah Arendt
La Crise de la culture, (Between Past and Future), trad. Patrick Lévy, Paris, éd. Gallimard, coll. « Folio » (1972)
1961
Dans cette citation, Arendt met en évidence le fait que l'homme, contrairement aux animaux, entreprend un travail de transformation de la nature en vue de la rendre propre à l'habitation humaine.
Aussi pouvons-nous dire que l'homme sort de la nature dans la mesure où, au lieu de simplement habiter dans le monde, il le transforme pour le rendre habitable. La culture correspond donc à ce qui le fait sortir de l'animalité.
Des limites floues entre nature et culture
A priori, il semble possible de distinguer ce qui relève de la nature ou de la culture en l'homme.
En effet, il y aurait d'un côté notre héritage biologique, ainsi que les exigences propres à la nature d'être vivant de l'homme, et d'un autre côté les manifestations de son intelligence, telles que le langage, la technique, l'art ou bien encore la religion.
Pourtant, ce partage n'est peut-être pas si évident.
De fait, lorsque l'on tente de penser cette distinction entre nature et culture, on se place dans une perspective historique et l'on peut se demander par quel moyen l'homme s'est arraché du règne animal pour devenir un être culturel.
Or, lorsque l'on tente de rendre compte précisément de ce qui relève de l'une ou de l'autre de ces deux catégories, on se rend rapidement compte que la frontière est très floue.
Si l'enfant a peur du noir, est-ce dû aux instincts propres à sa nature animale, ou bien est-ce le résultat des histoires que lui racontait sa nourrice ?
De la même façon, il semble naturel d'avoir faim à midi, alors qu'il s'agit en vérité d'une habitude sociale.
Maurice Merleau-Ponty met en évidence cette intrication indémêlable du naturel et du culturel en l'homme : l'homme est un mélange de nature et de culture.
Il n'est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d'embrasser dans l'amour que d'appeler « table » une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain sont en réalité des institutions.
Il est impossible de superposer chez l'homme une première couche de comportements que l'on appellerait « naturels » et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme, comme on voudra dire, en ce sens qu'il n'est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l'être simplement biologique, et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d'échappement et par un génie de l'équivoque qui pourraient servir à définir l'homme.
Maurice Merleau-Ponty
Phénoménologie de la perception, Paris, éd. Gallimard, coll. « Tel » (2005)
1945
Pour Merleau-Ponty, les sentiments comme les comportements qui paraissent les plus naturels ont en réalité le même niveau d'artificialité que les mots du langage choisis arbitrairement pour désigner des objets. Il n'y a donc pas de sens à séparer ce qui, en l'homme, relèverait de l'une ou de l'autre de ces catégories.
Il faut donc dire que rien en nous n'est tout à fait naturel ou tout à fait culturel. Toutes nos réactions naturelles sont médiatisées par nos acquis culturels, tout comme nos acquis culturels sont médiatisés par nos données biologiques. L'homme est un être mélangé, un mixte de nature et de culture.
Les moyens et les façons pour l'homme d'acquérir une culture savante
La notion de culture savante
Une autre définition de la culture que l'on peut étudier est la culture savante.
En effet, lorsque l'on dit d'une personne qu'elle est cultivée (ou bien à l'inverse qu'elle est inculte), on renvoie implicitement à un type de culture particulier : la culture savante.
Parler de culture savante, c'est renvoyer à un ensemble de références scientifiques, artistiques et littéraires qui sont reconnues comme constituant la culture. Il faut donc comprendre l'idée de culture savante en tant qu'elle s'oppose à la culture populaire.
Par exemple, aller écouter un opéra de Mozart au théâtre relève de la culture savante tandis qu'écouter une chanson de variété à la radio relève de la culture populaire.
Cette distinction entre culture savante et culture populaire véhicule l'idée qu'il y aurait une forme de culture légitime : la « culture cultivée », celle légitimée par des institutions.
Le sociologue Pierre Bourdieu s'est intéressé à cette distinction. Il montre que la culture et les styles de vie fonctionnent comme des moyens de produire des différences et des hiérarchies sociales. La culture légitime apparaît comme le produit d'une domination. La classe dominante maintient sa position dominante par une stratégie de distinction : en définissant et en imposant pour le reste de la société la norme du « bon goût », en imposant sa culture comme culture légitime pour toute la société, elle se pose en classe supérieure. La possession de ce capital culturel lui permet de se distinguer.
Bourdieu insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une recherche explicite de distinction : les jugements portés sur le beau et le laid sont le résultat de ce qu'il nomme habitus, c'est-à-dire de manières de penser et d'agir intériorisées à travers l'éducation et le milieu familial.
L'enjeu, pour Bourdieu, est de montrer que dans les sociétés contemporaines, les inégalités culturelles jouent un rôle au moins aussi important que les inégalités socio-économiques. Ainsi, en dépit d'une réussite sociale et économique, un individu ne possédant pas les codes de la culture légitime demeurera culturellement inférieur. On oppose ainsi à la figure du nouveau riche celle de l'aristocrate qui, bien que ruiné, maîtrise à la perfection les règles du bon goût.
En ce sens, la « culture » peut être utilisée comme un instrument de domination et de légitimation de cette domination. Les dénominations utilisées pour désigner ceux qui n'ont pas cette culture sont péjoratives : incultes, profanes, etc.
Les moyens de l'homme pour se cultiver
La raison et la technique
L'homme possède deux qualités spécifiques qui le distinguent des animaux et lui permettent de se cultiver : la raison et la technique.
On oppose souvent à cette idée que les animaux possèdent eux aussi la technique : les castors construisent des barrages à la perfection, et les ruches des abeilles présentent une technique que l'homme peine à reproduire. Pourtant, il est difficile de parler de culture dans ce cas-là dans la mesure où, lorsque les animaux réalisent de telles prouesses techniques, ils ne font que réaliser ce qu'exige d'eux leur instinct. Malgré ce dont ils sont capables, les animaux ne peuvent pas innover : les abeilles continuent de construire les mêmes ruches, les castors de construire le même type de barrages.
L'homme, grâce à la raison, est capable d'inventer de nouveaux objets techniques : la raison en l'homme correspondrait à l'instinct chez l'animal. C'est d'ailleurs cette différence que met en évidence le mythe de Prométhée tel que le rapporte Platon dans Protagoras.
Le mythe de Prométhée
Ce mythe décrit la façon dont les dieux, au moment de la création des races mortelles, confient à deux frères la tâche de répartir les qualités entre les espèces. L'un des frères, Épiméthée, distribue ainsi entre les animaux diverses qualités : la force, la rapidité, la possession de griffes, d'ailes, etc. Mais, au cours de ce partage, il oublie l'homme, qui reste le singe nu, c'est-à-dire un être sans qualité. L'espèce humaine ne possède donc pas l'équipement naturel nécessaire pour assurer sa propre survie. C'est afin de réparer cette erreur que son frère, Prométhée, intervient : comme toutes les qualités ont été distribuées, il dérobe aux dieux le feu qui est le symbole de l'intelligence technicienne. L'espèce humaine obtient alors les moyens d'assurer sa survie, au même titre que les autres animaux. Toutefois, dans la mesure où l'intelligence provient directement des dieux, l'espèce humaine obtient en même temps quelque chose de plus que les animaux : la technique est synonyme d'invention, et c'est par elle que vont apparaître la religion, le langage, ou bien encore l'agriculture.
Ainsi, la culture est avant tout une réponse à un manque : l'homme est une espèce démunie face aux autres animaux. En effet, il ne possède ni outil ni instinct, c'est-à-dire un savoir-faire technique inné. C'est donc pour pallier ce manque qu'il reçoit une part du divin, l'intelligence technique, laquelle est susceptible de progrès indéfinis.
La perfectibilité
De plus, contrairement aux animaux, l'homme dispose de la capacité de faire usage de sa raison et de développer de nouvelles techniques. C'est ce que l'on appelle la perfectibilité.
Il est alors possible d'affirmer que la particularité de l'homme est de n'avoir aucune nature prédéfinie. De ce point de vue, l'homme est un être changeant, ayant la capacité de se développer d'une infinité de manières différentes. C'est ce que souligne Jean-Jacques Rousseau dans la première partie du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.
La perfectibilité, c'est la faculté de se perfectionner, faculté qui, à l'aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l'espèce que dans l'individu ; au lieu qu'un animal est au bout de quelques mois ce qu'il sera toute sa vie, et son espèce au bout de mille ans ce qu'elle était la première année de ces mille ans.
Jean-Jacques Rousseau
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Paris, éd. GF Flammarion (2016)
1755
C'est bien la perfectibilité qui rend l'homme susceptible de progrès et d'innovation, alors que l'animal, déterminé par l'instinct propre à son espèce, ne peut que reproduire ce qui est propre à sa nature.
Si la nature de l'homme est de n'avoir pas de nature définie, il possède néanmoins la faculté de se perfectionner.
Les différentes façons pour l'homme de se cultiver
L'éducation et la transmission
La culture se transmet et s'apprend.
En effet, le patrimoine culturel n'est pas de nature biologique, il ne se transmet pas par les gènes. Bien au contraire, comme le souligne Edgar Morin, la transmission de la culture relève d'une volonté de transmission et d'une appropriation active.
La culture est un patrimoine informationnel constitué des savoirs, savoir-faire, règles, normes propres à une société […]. La culture s'apprend, se réapprend, se retransmet, se reproduit de génération en génération. Elle n'est pas inscrite dans les gènes, mais au contraire dans l'esprit-cerveau des êtres humains.
Edgar Morin
Le Paradigme perdu : la nature humaine, Paris, éd. Seuil
1973
La culture ne passe pas par les gènes mais nécessite une transmission volontaire et une appropriation active : c'est notamment le but de la lecture de livres, mais aussi de la création des écoles ou des musées.
Mais la culture ne doit pas seulement s'entendre au sens de l'héritage culturel : se cultiver, c'est aussi se transformer soi-même, développer au mieux ses facultés.
L'effort pour se cultiver soi-même
Se cultiver, c'est donc prendre soin de ce que l'on possède déjà : son corps et son esprit. En ce sens, la culture correspond à l'amélioration de ce qui est donné.
La culture de ses forces naturelles (forces de l'esprit, de l'âme et du corps), comme moyens en vue de toutes sortes de fins possibles, est un devoir de l'homme envers lui-même. L'être humain se doit à lui-même (comme être rationnel) de ne pas laisser inutilisées et, pour ainsi dire, de ne pas laisser se rouiller les dispositions et facultés naturelles dont sa raison peut un jour faire usage.
Emmanuel Kant
Métaphysique des mœurs, (Die Metaphysik der Sitten), trad. Alain Renaut, Paris, Flammarion (1994)
1795
L'homme, en tant qu'être rationnel capable de se cultiver, se doit d'améliorer ses capacités (celles du corps et celles de l'esprit) s'il veut devenir pleinement humain.
Cette culture de soi ne se fait pas naturellement ou instinctivement : c'est par un effort sur lui-même et un dépassement de ses instincts que l'homme s'améliore. On peut parler de devoir envers lui-même, l'être humain devient un peu meilleur à chaque évolution.
L'opposition entre les différentes cultures
La définition d'une culture par opposition à une autre
Historiquement, la notion de culture s'est développée par opposition à son autre : le sauvage, le barbare. Ainsi, dans l'Antiquité, les Grecs appelaient « barbares » tous ceux qui ne participaient pas à la culture gréco-romaine. Étymologiquement, le mot « barbare » englobait toutes les personnes qui parlaient « en charabia » : leur langage, inarticulé en apparence, n'était pas reconnu comme tel, semblant apparenté aux cris émis par les animaux. Plus généralement, parler d'acte barbare ou de mœurs et de traditions barbares revient à refuser le statut de culture, et donc le statut humain, à un groupe d'hommes.
L'usage de la notion de sauvage fonctionne de la même manière : on qualifie de « sauvages » les populations dont les modes de vie semblent proches de ceux des animaux, en particulier au moment de la conquête du continent américain. À nouveau, parler de « sauvages » équivaut à refuser le statut d'être de culture, donc un statut proprement humain, à certains hommes. Montaigne dénonce l'usage de la notion de barbarie dans ses Essais.
On appelle « sauvage » celui dont on considère qu'il n'a aucune culture, et « barbare » celui dont on considère la culture comme étrangère à la nôtre.
Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage.
Michel de Montaigne
Essais, Bordeaux, éd. Simon Millanges
1580
Montaigne met en évidence le fait que la notion de barbarie ne sert qu'à qualifier des pratiques qui nous sont étrangères.
C'est cette distinction entre peuples civilisés d'un côté et peuples sauvages de l'autre que recouvre la culture comprise comme civilisation : certes, tous les peuples attestent d'une forme de culture (c'est-à-dire de modes de vie particuliers et d'expressions de leur histoire), mais tous les peuples n'ont pas atteint le même degré de civilisation.
La comparaison entre les cultures et l'ethnocentrisme
Il importe d'être conscient du fait que l'usage même de la notion de culture peut servir à dévaloriser des modes de vie qui s'opposent à ceux de la culture à laquelle on appartient. C'est pour cette raison que la comparaison des cultures est un exercice extrêmement délicat.
En effet, le fait de comparer suppose que l'on prenne un étalon à partir duquel on effectue la comparaison. Ainsi, un modèle de culture est toujours choisi, et on évalue les autres cultures en fonction de ce modèle. De là naît le risque d'ériger en normes des pratiques particulières à partir desquelles évaluer les autres cultures. Autrement dit, comparer les cultures peut se réduire à universaliser des habitudes acquises par une culture particulière au détriment des autres.
C'est cette difficulté majeure que l'ethnologue Claude Lévi-Strauss a mise en lumière, à travers le concept d'ethnocentrisme. En effet, l'ethnocentrisme est la « tendance, plus ou moins consciente, à privilégier les valeurs et les formes culturelles du groupe ethnique auquel on appartient ».
C'est ainsi que l'Occident a généralement pris son modèle d'évolution historique de la culture pour évaluer les autres cultures du monde. Lévi-Strauss souligne que ce que l'on évalue alors n'est pas une évolution, mais simplement un changement par rapport à sa propre culture. Autrement dit, ce qui apparaîtra comme un changement à un individu donné pourra apparaître comme une stagnation à un autre, car chacun voit le changement en fonction des critères propres à la culture à laquelle il appartient.
Ethnocentrisme
L'ethnocentrisme est la tendance, pour une culture donnée, à considérer ses normes et ses pratiques comme la mesure et le modèle pour comprendre toutes les autres cultures. Cette tendance amène à rejeter les autres formes de cultures, ou à les considérer comme inférieures à la sienne.
Le relativisme culturel
Cette difficulté de comparer les cultures, et plus largement d'utiliser, pour étudier des cultures, des modes de pensée qui lui sont étrangers, a des effets sur l'appréhension des cultures.
En effet, en réaction à l'ethnocentrisme s'est formé ce que l'on nomme le relativisme culturel.
Le relativisme culturel est une thèse qui soutient que les croyances et les activités mentales d'un individu dépendent de la culture à laquelle il appartient : il importe de reconnaître la diversité des cultures ainsi que leur égale dignité. Cette reconnaissance s'accompagne d'une tolérance à l'égard des autres cultures. Elle pose comme principe qu'il est impossible de juger moralement les actes d'un individu d'un point de vue extérieur.
La pratique de la polygamie n'est pas une marque de sauvagerie mais fait partie intégrante du mode de fonctionnement d'une société donnée.
Le relativisme culturel énonce que les normes et les règles morales changent d'une culture à l'autre. Il n'existe donc pas de modèle culturel universel : les normes ne sont pas absolues, elles sont le résultat de coutumes et de pratiques sociales. Aussi ces règles ne peuvent être comprises qu'à l'intérieur de l'aire culturelle où elles ont émergé.
Néanmoins, le relativisme culturel met l'ethnologue dans une position difficile : en tant que scientifique, le regard qu'il porte sur les sociétés étudiées doit être objectif. Mais en même temps, cette attitude risque de l'amener à accepter des comportements qu'il condamnerait par ailleurs, comme la cruauté. La solution pourrait consister à suspendre tout jugement moral dans le cadre de l'étude des populations, et à refuser de penser les cultures sur le mode du progrès ou de l'évolution, tout en maintenant l'exigence du respect de la dignité de l'être humain comme idéal.