Sommaire
ILa conscience morale de l'hommeALa conscience morale pour définir le bien et le malBL'association entre bien et plaisir : un premier frein à la conscience moraleCLe glissement vers l'immoralitéIIÉduquer la conscience moraleAL'éducation pour apprendre la moraleBLa morale pragmatiqueCLes possibles dérives de la morale utilitaristeIIIDe la morale à l'éthiqueAUne définition de l'éthiqueBL'éthique comme "philosophie première"CLes champs d'application de l'éthiqueLa conscience morale de l'homme
La conscience morale pour définir le bien et le mal
Morale
Étant privé de conscience ou du moins de conscience de soi, l'animal n'est pas le "sujet" de son comportement. L'animal ne prévoit pas son action.
L'homme est l'animal estimateur par excellence.
Friedrich Nietzsche
Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale. Un écrit polémique, (Zur Genealogie der Moral. Eine Streitschrift), trad. Patrick Wotling, Paris, éd. Le Livre de Poche, coll. "Classiques de la philosophie" (2000)
1887
L'homme, au contraire, est conscient de lui-même. Il est capable de choix réfléchi. C'est cette aptitude au choix, cette conscience, qui lui permet de porter un jugement sur ses propres actions. Ainsi, il peut distinguer le bien et le mal.
L'association entre bien et plaisir : un premier frein à la conscience morale
Lorsque l'on part de cette définition de la morale comme capacité à différencier le bien et le mal, un premier frein à la morale se dessine.
Comme le fait observer Jean-Paul Sartre, ce que l'homme juge bien est trop souvent ce qui est bon pour lui. Il finit alors par suivre son intérêt personnel ou son bonheur personnel. La morale, qui doit définir le bien et le mal, devient alors une division du monde pour l'homme entre ce qui lui fait plaisir et ce qui ne lui fait pas plaisir.
Dès l'Antiquité, on trouve chez les philosophes cette association entre bien et plaisir :
- Par exemple, l'eudémonisme d'Épicure identifie le bien au bonheur.
- On peut également citer l'hédonisme, une philosophie antique qui identifie le bien au plaisir et le mal à la douleur.
Un eudémoniste (ou épicurien) se satisfait d'une vie où il a tout ce qui est nécessaire pour vivre : un logement, de la nourriture et un revenu. Un hédoniste veut toujours plus car rien n'est suffisant, il souhaite une plus grande maison, une nourriture abondante et un revenu de plus en plus élevé.
Dans la lignée de l'association entre bien et plaisir, Sigmund Freud évoque la position de l'enfant, qui juge juste ou injuste ce qui lui plaît ou ne lui plaît pas. Il appelle cela le principe de plaisir et parle de "Moi-plaisir".
Lors de la construction de sa personnalité, le Moi de l'individu se constitue à partir du plaisir parce qu'il le trouve bon. Les enfants parlent très tôt de "morale". Pour eux, c'est la différence entre les "méchants" qui ne suivent pas la morale et les "gentils" qui suivent la morale. Ils appellent "méchants" ceux qui les contrarient et "gentils" ceux qui leur font plaisir. Même un objet peut être perçu comme "méchant" par un enfant s'il s'est cogné dessus. Ici, la morale ne sépare pas le bien et le mal, mais le juste de l'injuste, ou du moins ce qui paraît tel à l'enfant, puisque pour lui le « méchant », le déplaisir ou la douleur ne font qu'un avec ce qui est « injuste » à ses yeux, y compris par exemple la punition
Cette position infantile existe toujours dans l'inconscient de l'adulte. Lorsque quelque chose résiste à l'individu et qu'il la juge avec son âme d'enfant, il cherche "tout naturellement" un coupable, même un objet. Tout ce qui correspond à son désir ou plaisir est "bien" et tout ce qui lui fait obstacle est "mal".
Le glissement vers l'immoralité
L'association du bien au plaisir personnel conduit alors à l'immoralité, car l'homme sert avant tout son intérêt personnel.
En effet, l'homme est tenté de tout faire pour parvenir à satisfaire son propre plaisir, son propre bonheur. L'homme peut alors se détourner du bien collectif et agir de façon immorale.
Or ce type de comportement est paradoxal car l'être humain tire bien plus de bénéfices personnels du bon déroulement des affaires sociales en vue du bien collectif. C'est en partie ce qui est démontré par Kant avec l'insociable-sociabilité, c'est-à-dire la tendance de l'homme à entrer en concurrence pour s'affirmer, travaillant ainsi sans s'en rendre compte à une dynamique collective, ou par Rawls avec sa "Théorie de la Justice".
En cherchant par contre son propre bien seulement en dehors de la société, l'homme peut se perdre jusqu'à être malheureux, car sa satisfaction égoïste compromet l'équilibre social et celui des autres qu'il ignore ou méprise
Dans La République, Platon montre comment, en démocratie, une liberté excessive livrant le citoyen à lui-même, dans l'apparence d'une satisfaction de tous ses désirs, conduit peu à peu à la tyrannie. La société devenant anarchique, une autorité s'impose qui trace à nouveau des limites au désir individuel et rétablit "dictatorialement" le souci du bien commun.
Éduquer la conscience morale
L'éducation pour apprendre la morale
La morale s'apprend, c'est une question d'éducation.
Pour Platon, "faire le mal" signifie ignorer le bien. Il affirme que le méchant est en réalité un ignorant. Platon en conclut que la conscience morale doit être éduquée. Ainsi, la morale n'est pas innée, et elle ne correspond pas à ce qui fait plaisir à l'individu ou à ce qui ne lui fait pas plaisir. Elle correspond à des règles qu'il faut apprendre.
Ceux qui identifient le bien au plaisir ne réfléchissent pas au fait que le plaisir aussi doit être éduqué. Le plaisir de l'enfant, déterminé par la nature, n'est pas celui de l'adolescent, ni de l'adulte. Ainsi, l'enfant n'a pas un goût culinaire inné : il préfère des aliments simples et peu variés à des préparations gastronomiques plus élaborées. Par conséquent, le plaisir n'est même pas le bien individuel puisque le plaisir évolue et doit lui aussi être éduqué. C'est l'éducation qui apprend à l'individu non seulement à séparer le bien du plaisir, mais encore à déterminer quels sont les "bons" plaisirs, c'est-à-dire ceux qui lui conviennent individuellement aux différentes étapes de sa vie.
Puisque l'homme est un "animal social", le bien individuel est une partie du bien commun et l'éducation morale est aussi une éducation civique. C'est pourquoi Platon consacre La République à la formation du citoyen. Si l'équilibre règne entre les différentes parties de l'âme (parties intellectuelle, volontaire et sensible) il régnera aussi entre les classes qui composent la cité (classes gouvernante, guerrière et artisanale). La conscience morale détermine également les notions de responsabilité individuelle et de conscience citoyenne.
Les théories de Jean-Jacques Rousseau
Jean-Jacques Rousseau a écrit à la fois sur l'éducation dans son « Émile ou de l'éducation » et sur la politique dans Du Contrat social. Dans chacune de ces œuvres, il cherche à résoudre le problème du passage de la nature où règne l'égoïsme, à la culture qui est de nature sociale. C'est l'éducation qui fait le lien, elle est à la fois morale puisqu'elle dote l'enfant d'autonomie, et politique puisqu'elle développe la responsabilité et permet ainsi aux hommes de décider et d'agir collectivement.
Ainsi, la responsabilité, acquise par l'éducation, est à la fois morale et politique. Ici, enseigner, c'est éduquer.
La morale pragmatique
Certains philosophes proposent d'enseigner une morale étrangère à tout pragmatisme (souci de l'efficacité, de la réussite) c'est-à-dire une "morale pure" qui ne s'attache qu'aux intentions.
Ce sont dans ces intentions que peuvent résider les principes de bien ou de mal du sujet de l'action.
Il n'est rien qui puisse sans restriction être tenu pour bon, si ce n'est seulement une bonne volonté.
Emmanuel Kant
Fondements de la métaphysique des mœurs, (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten), trad. Victor Delbos, Paris, éd. Le Livre de Poche (1993)
1785
Kant entend par "bonne volonté" non seulement volonté intentionnelle (libre arbitre) et éclairée par la connaissance (raison pratique) mais également l'intention avec tous les moyens d'agir dont l'individu peut disposer. La bonne volonté s'apprend donc, il faut éduquer l'homme à faire bon usage de son libre arbitre, à raisonner et à définir les moyens qu'il a à sa disposition pour agir.
Le pragmatisme va plus loin. Selon William James, est moral ce qui permet de réussir à faire le bien. C'est l'efficacité qui prime : il ne s'agit plus simplement de définir le bien et le mal, il s'agit de savoir comment parvenir à faire le bien. Les moyens importent autant que la fin dans la mesure où ils la servent. Cela ne signifie pas que la fin doive être immorale, ou que le mal l'emporte sur le bien. Le pragmatisme n'est pas un immoralisme, mais il met l'accent sur la réussite. Ainsi, il convient ici d'éduquer l'homme à réfléchir aux conséquences de son action et à valoriser une morale qui repose sur la réussite de l'action par rapport à un but précis. Il n'y a plus rien de spontané dans cette morale, contrairement à l'intention kantienne, qui doit seulement être éduquée.
Dans le Gorgias, Platon compare le peuple à un enfant, les orateurs à un cuisinier, et le philosophe à un médecin. Selon lui, l'enfant sera toujours plus attiré par les plats du cuisinier qu'il ne le sera par les médicaments du médecin indépendamment du bien qu'ils lui apportent. Par ailleurs, le peuple sera toujours plus attiré par les paroles de l'orateur et les conseils du philosophe que par un bon dirigeant. Un pragmatique conseillerait probablement au médecin de cacher ses médicaments dans de doux plats pour que l'enfant les ingère.
Les possibles dérives de la morale utilitariste
Toutefois, l'éducation de la conscience morale connaît des limites.
En effet, enseigner une certaine vision de la morale peut conduire à des résultats négatifs. C'est le cas de la morale utilitariste qui réduit le bien et le mal à l'utilité collective ou non d'un acte.
Nous n'appelons bien ou mal que ce qui sert ou nuit à la conservation de notre être.
Baruch Spinoza
Éthique, (Ethica), trad. Bernard Pautrat, Paris, éd. Seuil, coll. "Points" (2010)
1677
Cette morale est un compromis entre la "morale pure" et le pragmatisme qui insiste sur les moyens de la réussite. Le risque de l'utilitarisme réside dans sa mauvaise interprétation qui peut conduire à réduire le bien et le mal à l'utilité personnelle que l'on peut retirer de telle ou telle chose. Par ailleurs il y a un danger dans la mesure où il faut savoir qui a le pouvoir d'interpréter ce qui est utile ou non à la communauté.
Il semble après tout qu'éduquer la conscience morale ne peut suffire en raison du grand nombre de doctrines morales diverses.
De la morale à l'éthique
Une définition de l'éthique
Éthique
En philosophie, l'éthique est une discipline à part entière qui vise à mener des réflexions sur des cas où il peut exister un dilemme moral.
Le fondement de la réflexion éthique réside dans la notion d'altérité : on est tous l'autre d'un autre être humain, un sujet authentique et unique vivant aux côtés d'autres personnes. Cette dynamique a été notamment permise par Kant. Avec l'impératif catégorique, il souligne la nécessité de reconnaître en l'autre cette humanité qui fait de lui une finalité en lui-même. Cet autre est capable de choisir ce vers quoi il veut tendre, ce pour quoi il veut vivre.
Agis de manière à traiter la personne humaine, aussi bien en toi-même qu'en autrui, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen.
Emmanuel Kant
Fondements de la métaphysique des mœurs, (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten), trad. Victor Delbos, Paris, éd. Le Livre de Poche (1993)
1785
L'esclavagisme représente la négation parfaite de la phrase de Kant. En réduisant à l'esclavage une personne, on la traite simplement comme un moyen.
L'éthique comme "philosophie première"
Emmanuel Lévinas considère l'éthique non pas comme une partie de la philosophie mais comme la philosophie première, c'est-à-dire fondamentale.
Le terme de philosophie première était autrefois celui de la métaphysique, donc de la connaissance. En le réservant à l'éthique, Lévinas fait passer la personne humaine en première position. Dépassant Kant qui valorisait la personne d'autrui à l'égal de la nôtre, Lévinas préconise un "humanisme de l'autre homme". Cela signifie qu'il est moral d'aller jusqu'au sacrifice de soi pour autrui.
Mais la relation au visage est d'emblée éthique. Le visage est ce qu'on ne peut tuer, ou du moins dont le sens consiste à dire : "tu ne tueras point".
Emmanuel Lévinas
Éthique et Infini, Paris, éd. Fayard, coll. "Espace intérieur"
1982
Pour Lévinas, le visage n'est pas la tête d'un autre homme. Décrire simplement le visage de l'Autre, c'est le chosifier (on dit aussi "le réifier"). Pour le philosophe, le visage de l'Autre c'est sa singularité, sa spécificité. Rencontrer l'Autre, le regarder, c'est reconnaître son humanité et c'est refuser d'attenter à sa vie.
Les champs d'application de l'éthique
L'éthique passe par la reconnaissance de tout un chacun comme un sujet conscient digne d'être considéré comme une finalité en soi.
Pour autant, l'éthique n'est pas une "nouvelle morale" mais bien une discipline à part entière. Ainsi l'éthique ne se contente pas de dénoncer mais d'interroger de véritables problèmes de manière éclairée.
Les questions que l'on retrouve dans l'éthique sont :
- Peut-on admettre la gestation pour autrui ?
- A-t-on le droit ou le devoir de maintenir artificiellement en vie une personne qui souffre et qui préférerait mourir ?
- Un État devrait-il ou non tenter d'uniformiser les cultures sur son territoire ?
Toutefois l'éthique est en réalité une discipline bien plus large, qui ne se limite pas au respect de l'être humain et qui s'attache à dénouer tous les dilemmes moraux qui peuvent se jouer au quotidien. Ainsi, avec la thématique du réchauffement climatique, est née la bio-éthique qui vise à s'interroger sur les mesures à prendre face aux dangers que l'homme fait courir à la nature. De même, avec la naissance de la notion de transhumanisme (l'"augmentation" de l'homme par la technologie) et d'intelligence artificielle apparaissent des questionnements infinis dans le champ de ce que certains appellent la techno-éthique. Dans cette mesure, l'éthique est aujourd'hui une des branches les plus actives de la philosophie.