Sommaire
IL'existence des choses et du tempsALes notions d'existence et de tempsBL'existence de différentes représentations du tempsIILa nature du tempsALe temps objectif et le temps subjectifBLa notion de duréeIIILe temps comme rapport de l'homme à son existenceAL'irréversibilité de l'existence1La conscience de la mort2La crainte de la mortBLa projection dans le futur pour supporter l'existenceL'existence de l'homme est marquée par un temps qui s'écoule sans cesse. Mais la saisie de la nature du temps n'est pas aisée. En outre, le rapport de l'homme au temps est très complexe : il se situe à la fois dans le souvenir du passé, dans l'instant présent et dans l'anticipation du futur.
L'existence des choses et du temps
Les notions d'existence et de temps
Le rapprochement des notions de temps et d'existence n'est pas évident.
Au sens large, exister semble qualifier tout objet dont on peut constater la réalité : on dira ainsi d'un théorème, d'une chaise ou bien encore d'un tableau qu'ils existent.
La notion d'existence est rapprochée de celle du temps lorsque l'on parle de l'homme. En effet, l'existence de l'homme est temporelle à deux niveaux :
- D'une part, elle se déroule dans le temps.
- D'autre part, elle entretient un rapport constant au temps par la remémoration du passé, le vécu au présent et l'anticipation de l'avenir.
C'est le temps proprement humain, c'est-à-dire tel qu'il est vécu par une conscience, qui permet le rapprochement des notions d'existence et de temps.
L'existence de différentes représentations du temps
Il existe une multiplicité de représentations du temps qui sont autant de signes que celui-ci passe.
On peut définir trois temps :
- Le temps de la nature d'abord : c'est le passage des saisons, l'horloge biologique du corps ou bien encore les mouvements des astres dans l'Univers.
- Le temps de l'horloge ensuite : c'est le temps qui peut être compté, la notion de durée.
- Enfin, le temps psychologique : c'est le temps vécu par l'homme, par exemple le temps de l'attente, de l'ennui ou bien encore du souvenir.
À neuf heures du matin, il y a un cocon. À dix heures, il y a un papillon. Ce que l'homme mesure, c'est le changement survenu en une heure, entre deux instants. Le changement (ou mouvement) permet de mesurer le temps.
La nature du temps
Le temps objectif et le temps subjectif
Il existe donc trois grandes représentations du temps entre lesquelles se dessine une opposition.
En effet, on peut dire qu'il existe :
- un temps objectif, que l'on peut constater dans le monde (celui de la nature et celui de l'horloge)
- un temps subjectif, le temps psychologique tel qu'il est vécu par une conscience.
Dès lors, comment comprendre l'articulation du temps objectif, le temps commun dans lequel s'inscrit notre existence quotidienne, et le temps vécu subjectivement par une conscience ?
C'est à cette difficile question que s'est confronté le philosophe saint Augustin dans ses Confessions. En effet, s'interrogeant sur la nature du temps, celui-ci se retrouve face à une difficulté qu'il énonce de la façon suivante.
Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si je veux l'expliquer en réponse à une demande, je ne le sais plus.
Saint Augustin
Les Confessions, (Confessiones), trad. Joseph Trabucco, Paris, éd. Flammarion (1993)
397 - 401 ap. J.-C.
Saint Augustin énonce ici qu'une notion évidente, dont on se sert régulièrement, le temps, est en réalité extrêmement difficile à expliquer.
D'un côté, le sens commun affirme l'existence du temps comme réalité évidente et objective, mais d'un autre côté, une analyse logique montre que le temps n'existe pas à proprement parler. En effet, saint Augustin fait le constat suivant : le passé n'est plus, le futur n'est pas encore. Quant au présent, ce n'est qu'un instant, un point de passage entre ce qui n'est pas encore (le futur) et ce qui n'est plus (le passé), que l'on peut diviser indéfiniment.
La saisie de la nature du temps constitue donc une aporie, c'est-à-dire une difficulté que la pensée n'arrive pas à résoudre.
La résolution de cette aporie passe par un changement de perspective sur le temps lui-même : il apparaît en effet à saint Augustin que le temps mesuré ne correspond pas au mouvement des choses mais se situe plutôt à l'intérieur de l'esprit de l'homme. Ainsi, ce n'est que pour un esprit humain qu'il est possible de parler de temps.
Ce n'est pas user de termes propres que de dire : il y a trois temps, le passé, le présent et l'avenir. […] Car ces trois sortes de temps existent dans notre esprit et je ne les vois pas ailleurs. Le présent du passé, c'est la mémoire ; le présent du présent, c'est l'intuition directe ; le présent de l'avenir, c'est l'attente.
Saint Augustin
Les Confessions, (Confessiones), trad. Joseph Trabucco, Paris, éd. Flammarion (1993)
397 - 401 ap. J.-C.
La notion de durée
Seul le temps subjectif existe comme temporalité, puisque le temps objectif ne correspond qu'à une mesure précise de l'espace.
Henri Bergson, dans Essai sur les données immédiates de la conscience, met en évidence cette distinction entre le temps objectif, mesuré par les horloges, et le temps subjectif, vécu par une conscience, qu'il nomme durée. Il souligne que le temps objectif de la science, quantifiable et mesurable, n'existe pour personne : en tant que sujet conscient, le temps est toujours vécu par l'homme sur le mode de la durée. C'est pourquoi l'attente ou l'ennui rendent le temps long, tandis que les moments de joie et de bonheur semblent toujours très courts.
Dans Physique, Aristote décrit le monde comme étant en devenir : puisque la nature est constamment en mouvement, tout change perpétuellement. Le temps est donc le moteur de la vie. Aristote écrit que le temps est "le nombre du mouvement selon l'avant et l'après". Cela signifie que le temps est ce qui est mesurable entre deux moments dans les changements observables dans la nature.
La durée existe aussi pour René Descartes, mais elle appartient au monde matériel. L'esprit, lui, est éternel. Bergson est donc très original lorsqu'il parle d'un esprit, d'un sujet, qui dure. Il a fortement influencé Marcel Proust dans son roman À la recherche du temps perdu.
Le temps comme rapport de l'homme à son existence
L'irréversibilité de l'existence
La conscience de la mort
Le fait que l'homme a conscience du temps qui passe inscrit d'emblée son existence dans une temporalité marquée par la naissance et par la mort à venir.
En effet, savoir que le temps passe et qu'il est irréversible (on ne peut pas remonter le temps), fait de la mort la destination de tout homme. Cette idée de la mort qui approche est à l'origine de l'angoisse existentielle de l'homme. Prendre conscience de son existence, c'est prendre conscience du caractère irréversible du temps et, par conséquent, du terme nécessaire de la vie qu'est la mort.
L'irréversibilité constitue pourtant le caractère le plus essentiel du temps, le plus émouvant, et celui qui donne à notre vie tant de gravité et ce fond tragique dont la découverte fait naître en nous une angoisse que l'on considère comme révélatrice de l'existence elle-même.
Louis Lavelle
Du temps et de l'éternité, Paris, éd. Montaigne, coll. "Philosophie de l'esprit"
1945
Prendre conscience de son existence, c'est prendre conscience du caractère irréversible du temps et, par conséquent, du terme nécessaire de la vie qu'est la mort.
En art, on retrouve le thème de la mort qui rend vains tous les efforts de l'homme dans un genre particulier : des natures mortes autrement appelées vanités. Le terme "vanité" est tiré d'un vers de l'Ecclésiaste ("Vanité des vanités, tout est vanité et poursuite du vent"). Ces œuvres d'art suivent l'adage Memento mori, locution latine signifiant "Souviens-toi que tu mourras". Les créations de ce genre artistique partagent toutes le même but : rappeler aux êtres humains leur inévitable mort et la vanité de leurs activités terrestres.
La Vanité ou Allégorie de la vie humaine de Philippe de Champaigne
© Wikimedia Commons
De nombreux peintres représentent des crânes dans leurs œuvres, comme Philippe de Champaigne dans La Vanité ou Allégorie de la vie humaine. Il représente un crâne humain, entouré d'un sablier et d'une fleur qui se fane. Cette œuvre, comme beaucoup d'autres, rappelle ainsi l'écoulement incessant du temps et la présence constante de la mort au cœur de l'existence humaine.
La crainte de la mort
La conscience de la mort à venir est probablement la crainte la plus forte et la plus universellement partagée.
Mais l'homme doit-il craindre sa propre mort ? Le philosophe Épicure, dans Lettre à Ménécée, répond à cette question négativement : selon lui, la mort n'est rien pour l'homme. En effet, la mort n'est pas à craindre car elle ne peut pas faire de mal à celui qui en fait l'expérience :
- Soit l'homme est vivant, et il ne connaît pas la mort.
- Soit l'homme est mort, alors il n'est plus, et il ne connaît donc pas la mort.
Pour Épicure, qui est un philosophe matérialiste et atomiste, la mort n'est rien de plus qu'une dispersion des atomes qui composent un être : il n'y a pas de vie après la mort. Ainsi, puisqu'un homme n'existe plus quand il est mort, la mort ne peut pas lui causer de mal.
La mort, n'est rien pour nous : tant que nous existons nous-mêmes, la mort n'est pas ; quand la mort existe, nous ne sommes plus.
Épicure
Lettre à Ménécée, trad. Pierre-Marie Morel, Paris, GF Flammarion (2009)
IVe siècle av. J.-C.
Pour Épicure, la mort relève donc de l'altérité absolue : une chose dont on ne fait jamais l'expérience. Il n'y a aucun sens à craindre quelque chose qui ne sera jamais connu.
Se libérer de la crainte de la mort possède une vertu éthique : cela permet d'apprécier pleinement la vie. En effet, craindre la mort au cours de son existence, c'est aussi craindre constamment son arrivée. Se libérer de cette crainte permet à l'homme d'apprécier pleinement la seule chose qu'il possède vraiment : la vie.
Pour le philosophe du XXe siècle Martin Heidegger, l'homme est jeté dans le monde, il est livré à sa mort prochaine. Il se sent abandonné, il vit une certaine solitude morale qui se traduit par l'angoisse. Cette angoisse est une expérience du rien et du nulle part, l'homme angoissé pense que l'existence est absurde. Heidegger pousse l'homme à surmonter cette angoisse, en rappelant que la mort est ordinaire, qu'on ne peut rien contre elle. Il faut y penser car elle est le noyau de la vie, mais il ne faut pas laisser l'idée de la mort empêcher l'homme de vivre.
La projection dans le futur pour supporter l'existence
La capacité de l'homme à se projeter vers l'avenir lui permet en revanche de donner sens à son existence.
En effet, si l'existence de l'homme est contingente, c'est-à-dire si elle n'est pas entièrement déterminée par un destin ou par une providence, mais n'est que le résultat des choix de chaque individu, alors la charge de lui donner du sens revient à l'homme. Aussi peut-on dire avec Jean-Paul Sartre, que l'homme est projet.
Pour comprendre cette idée, il importe de rappeler que pour Sartre "l'existence précède l'essence" : l'homme existe d'abord, et on ne peut le définir qu'ensuite, à travers ce qu'il fait. Cela signifie que l'homme, contrairement aux objets du monde, ne possède pas d'essence, il n'y a pas une nature de l'homme qui le définit. L'homme doit s'inventer.
L'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait.
Jean-Paul Sartre
L'existentialisme est un humanisme, Paris, Éditions Nagel, coll. "Pensées"
1946
Il s'agit pour Sartre d'affirmer que l'homme se définit par ses actes et ce qu'il fait de sa vie.
L'homme est libre, et il lui est impossible d'échapper à cette liberté. Il est donc responsable de son existence, il peut se projeter dans l'avenir et décider de ce qu'il va faire de sa vie, choisir son chemin. Chaque chose que l'homme fait participe de ce qu'il est. Chaque choix donne un sens à son existence. Le futur est donc une dimension temporelle essentielle : c'est en se projetant vers des futurs possibles que l'homme construit son existence.