Sommaire
ILes raisons pour écrire l'histoireAL'histoire pour connaître le passéBLa fonction plaisante de l'histoireCLe rôle de l'histoire dans l'unicité de la société et la transmission d'une moraleDLa fonction mémorielle de l'histoireIILe débat autour de l'objectivité de l'histoireAL'histoire n'est pas une scienceBLe rôle de l'histoire dans la recherche d'objectivitéCL'histoire reste une interprétationIIILa question du sens de l'histoireAL'histoire a un sensBLa remise en question du sens de l'histoireLa notion d'histoire recouvre deux champs différents. D'une part, la connaissance historique, avec la question du statut scientifique de cette discipline. D'autre part, la réalité humaine historique, avec la question du sens et du moteur du devenir humain historique.
Les raisons pour écrire l'histoire
L'histoire pour connaître le passé
Avant de désigner une science humaine, l'histoire est en effet d'abord un récit fait par des hommes.
En effet, le mot "histoire" vient du latin historia, qui désigne l'activité du témoin, celui qui a assisté à un événement. L'histoire constitue donc un récit sur des événements passés, récit construit à l'aide de témoins de ces événements.
Plus précisément, la notion d'histoire peut désigner deux choses :
- La connaissance historique : il s'agit alors du récit que les hommes font des sociétés humaines dans le temps.
- La réalité humaine historique : il s'agit alors de l'ensemble des événements qui ont eu lieu.
La fonction plaisante de l'histoire
En tant que récit fidèle du passé, l'histoire apparaît au cours de l'Antiquité grecque et latine, avec des historiens comme Hérodote ou Thucydide : il s'agit alors de relater les grands événements qui ont façonné la cité ou l'empire et de rapporter la vie de personnes illustres.
L'historien n'a pas alors le souci d'exactitude qui caractérise l'histoire aujourd'hui (il faut toutefois relever la volonté particulière, chez Thucydide, d'être "fidèle à la vérité", alors qu'Hérodote ne craint pas de faire parfois la part au "merveilleux"). L'une des qualités de l'historien antique est de savoir raconter l'histoire. Il faut donc que le récit, tout en étant fidèle aux événements rapportés, soit agréable à lire. Cela suppose qu'il soit bien écrit et qu'il implique aussi une part d'interprétation.
Le souci d'une connaissance approfondie et objective, méthodique, de l'histoire n'apparaît qu'au XIXe siècle, certainement parce que le progrès industriel donne l'impression aux hommes que le temps s'accélère et qu'ils ont besoin d'histoire.
Le rôle de l'histoire dans l'unicité de la société et la transmission d'une morale
L'histoire joue un rôle déterminant dans la constitution des sociétés humaines : la remémoration d'un passé commun participe pleinement à la création d'une identité commune.
L'unité sociale se fonde ainsi sur un hommage rendu aux ancêtres ou aux grands hommes ayant marqué l'histoire d'une communauté.
La création d'une identité commune est la raison pour laquelle le citoyen est formé à l'école en apprenant l'histoire de son pays.
Cette histoire commune a une fonction morale majeure. En effet, l'histoire doit relater à la fois les vices et les vertus de l'époque. Cette vertu édifiante de l'histoire est soulignée par Tacite. Pour lui, la tâche principale de l'histoire est de peindre fidèlement les qualités morales des hommes pour qu'elles soient imitées, et de faire de même pour leurs vices, afin que ceux-ci en revanche ne le soient pas.
C'est la tâche principale de l'annaliste [celui qui relate l'histoire année par année] de ne pas passer sous silence les vertus, et d'inspirer aux paroles et aux actions perverses la crainte de l'infamie réservée pour la postérité.
Tacite
Annales, trad. Pierre Grimal, Paris, éd. Folio (1993)
Ier siècle ap. J.-C.
La fonction mémorielle de l'histoire
Enfin, l'importance de l'histoire tient probablement à sa fonction de mémoire.
Faire l'histoire, c'est empêcher que les événements marquants ne sombrent dans l'oubli. En ce sens, la valeur accordée à l'histoire tient également à l'expérience que l'on peut en tirer. En effet, connaître l'histoire permet d'élargir son point de vue sur une situation et d'envisager des évolutions possibles.
David Hume souligne que l'histoire, certes divertissante, se révèle surtout extrêmement instructive. Il montre qu'elle permet d'étendre l'expérience de l'homme à la fois dans le temps et dans l'espace. En multipliant les points de vue, elle permet une appréciation plus fine de sa propre situation. C'est la raison pour laquelle il affirme que l'histoire est une "admirable invention qui étend notre expérience à tous les siècles passés, et fait servir les nations les plus éloignées à perfectionner notre jugement".
Ainsi, l'histoire est une source de connaissances précieuse : elle permet d'étendre son expérience et d'affiner son jugement.
Le débat autour de l'objectivité de l'histoire
L'histoire n'est pas une science
Si elle s'affirme comme science humaine, il semble en effet difficile de lui accorder le même degré d'exactitude et d'objectivité que celui accordé à la biologie ou à la physique Déjà parce que l'historien a un rôle décisif dans la sélection des faits retenus pour écrire l'histoire, mais aussi par le caractère singulier des faits qu'il analyse.
La déontologie de l'historien donne à l'histoire sa valeur scientifique. Pour cela, il doit respecter quelques principes pour assurer un maximum d'objectivité :
- Il peut recouper des témoignages différents sur un même événement ;
- Il peut également vérifier l'authenticité et les sources d'un document ;
- Enfin, il ne doit jamais interpréter le passé selon ses préférences politiques.
C'est donc à l'historien qu'il incombe de produire et de justifier ses critères de sélection, et donc son objectivité.
Le bon historien n'est d'aucun pays ni d'aucun temps. Quoi qu'il aime sa patrie, il ne la flatte en rien.
François Fénelon
Lettre à M. Docier sur les occupations de l'Académie française, VIII, Projet d'un Traité sur l'histoire, Paris, éd. F. Didot
1714
Le rôle de l'histoire dans la recherche d'objectivité
Néanmoins, l'historien, même lorsqu'il se plie aux exigences déontologiques de sa discipline, ne peut échapper entièrement à sa subjectivité.
Toute trace du passé porte la marque de la subjectivité de l'historien, lequel écrit toujours l'histoire à une époque déterminée, ce qui influe nécessairement sur sa vision du passé.
Ainsi, la subjectivité de l'histoire tient en partie aux préoccupations du présent : c'est toujours à la lumière des préoccupations du présent que l'on étudie le passé. C'est probablement pour cette raison que chaque génération réécrit l'histoire.
Jean-Jacques Rousseau pointe déjà cette tentation de lire le passé à l'aune du présent : c'est ce qu'il appelle l'illusion rétrospective. Il souligne que le fait historique n'est pas donné mais construit par l'historien, qui fait le choix de retenir un événement comme fait historique. Or, ce choix porte la marque de ses intérêts et de ceux de son époque. Il met en garde contre la tentation de lire le passé à la lumière du présent : cela risque d'empêcher une pleine compréhension du passé.
Il s'en faut bien que les faits décrits dans l'histoire soient la peinture exacte des mêmes faits tels qu'ils sont arrivés : ils changent de forme dans la tête de l'historien, ils se moulent sur ses intérêts, ils prennent la teinte de ses préjugés.
Jean-Jacques Rousseau
Émile ou De l'éducation, Paris, éd. Garnier (1961)
1762
Rousseau souligne que le fait historique n'est pas donné mais construit par l'historien, qui fait le choix de retenir un événement comme fait historique. Or, ce choix porte la marque de ses intérêts et de ceux de son époque.
L'histoire reste une interprétation
Peut-être faudrait-il dire que la vertu de l'histoire comme science humaine ne tient pas tant à l'établissement de lois ou de faits mais davantage à sa capacité à apporter une dimension de compréhension, de sens dans les actions humaines.
Ainsi, l'histoire ne serait pas tant un récit précis du passé qu'une interprétation : l'enjeu ne serait dès lors plus d'expliquer les phénomènes en les insérant dans des relations causales, mais de les comprendre, c'est-à-dire d'en déchiffrer le sens.
Dans La Crise de la culture en 1961, Hannah Arendt énonce ainsi que la causalité n'a pas sa place dans l'histoire. Dans la mesure où elle s'articule aux actions humaines, lesquelles sont contingentes et libres, l'histoire ne peut pas épouser un raisonnement causal. L'historien est alors celui qui comprend, mieux que les acteurs eux-mêmes, le sens de l'histoire. Dans l'action en train de se faire, il est extrêmement difficile de lire ce qui se joue. C'est pourquoi l'historien est plus que celui qui rapporte l'histoire : il est le seul capable d'éclairer la portée et les implications des actions humaines.
L'histoire ne serait pas tant un récit précis du passé (une "restitution intégrale du passé" comme la définissait Michelet) qu'une interprétation. L'enjeu ne serait dès lors plus d'expliquer les phénomènes en les insérant dans des relations causales, selon les règles de la méthode scientifique, mais de les comprendre, c'est-à-dire d'en déchiffrer le sens.
Hannah Arendt affirme que la relation stricte des causes et des effets, n'a pas sa place dans l'histoire. Dans la mesure où elle s'articule aux actions humaines, lesquelles sont contingentes et libres, l'histoire ne peut pas adopter un raisonnement causal. L'historien est celui qui comprend, mieux que les acteurs eux-mêmes, le sens de l'histoire.
Dans l'action en train de se faire, il est extrêmement difficile de lire ce qui se joue, l'historien ne pourrait en ce cas que rapporter les faits immédiats, à la façon d'un journaliste. C'est pourquoi l'historien est plus que celui qui rapporte l'histoire : il est le seul capable d'éclairer la portée et les implications des actions humaines, mais cela d'une manière non causale, qu'on appelle interprétative.
Dans certaines lectures de l'histoire qui insiste sur la finalité (le but dernier de nos actions) et la notion de sens, l'interprétation s'appelle l'herméneutique.
Herméneutique
L'herméneutique est l'art de l'interprétation. Elle vise à produire, à partir de l'interprétation, une connaissance.
La théologie est par exemple une herméneutique : elle repose sur une interprétation des textes sacrés.
La question du sens de l'histoire
Répondre à la question d'un sens de l'histoire suppose de mettre en évidence les deux acceptions du terme "sens". En effet, le mot "sens" désigne d'une part la direction, d'autre part la compréhension. Se demander si l'histoire a un sens, c'est se demander d'une part si elle suit une direction, et d'autre part si elle possède une signification.
L'histoire a un sens
La théorie selon laquelle l'histoire a un sens, celui d'un progrès de l'humanité, se développe notamment à partir des Lumières. À cette époque, on pense que l'histoire va vers le progrès des savoirs et des techniques et tend à une humanité meilleure et plus accomplie. C'est l'idée de Kant qui développe sa vision dans Idée d'une histoire au point de vue cosmopolitique en 1784. Pour lui, l'histoire est le progrès de l'humanité, le développement de sa rationalité, de sa liberté et de sa moralité. Il faut rechercher le sens de l'histoire au-delà des actions humaines individuelles, dans un dessein de la nature qui tend vers le meilleur.
Hegel présente sa propre vision de l'histoire et de son sens dans Leçons sur la philosophie de l'histoire en 1822. Il propose l'idée que l'histoire des hommes, en apparence chaotique, suit en réalité une finalité cachée. Il estime que le progrès est porté par les passions, qui sont le moteur de l'histoire. "Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion" : c'est par leur ambition égoïste que les grands personnages historiques comme César ou Napoléon ont servi le progrès de la liberté. Pour Hegel, les personnages historiques, suivant leurs passions, sont en réalité guidés par la raison. C'est pourquoi Hegel parle d'une "ruse de la raison" : en apparence chaotique, l'histoire tend vers le progrès humain en utilisant les passions humaines des personnages historiques.
Pour Auguste Comte, fondateur du positivisme, l'histoire permet également d'aller vers le meilleur de l'homme. Son système repose sur l'affirmation de la "loi des trois états". Il pense en effet que l'esprit humain passe par trois états successifs qui le mènent au stade positif :
- l'état théologique (l'homme explique les phénomènes naturels par le surnaturel) ;
- l'état métaphysique (l'homme explique les phénomènes par des idées abstraites) ;
- l'état scientifique ou positif (l'homme n'utilise plus que son raisonnement pour comprendre la nature).
Enfin, Karl Marx développe sa vision du sens de l'histoire dans le Manifeste du Parti communiste en 1848. Pour lui, l'histoire s'incarne d'abord dans une réalité matérielle, et ce n'est qu'à partir d'elle que l'on peut réfléchir sur le sens de l'histoire. Ce sont les conditions matérielles de production qui déterminent chaque époque historique. Chaque époque est en effet marquée par un rapport de forces entre une classe dominante, possédant les moyens de production, et une classe dominée, ne possédant que sa force de travail. De ce rapport de forces naît la lutte des classes, qui constitue pour Marx le moteur de l'histoire. Ici, l'histoire a donc bien un sens, toutefois ce sens n'est lié qu'au progrès technologique (les moyens de production) et aux changements politiques (démocratisation) non à la lutte des classes qui constitue, par elle-même, un affrontement toujours identique entre groupes ou intérêts humains
La remise en question du sens de l'histoire
À l'inverse, plusieurs penseurs et historiens remettent en cause le sens déterministe de l'histoire et se demandent même si l'histoire a un sens.
Ils proposent de nouvelles théories sur l'histoire. C'est le cas de Friedrich Nietzsche et de Claude Lévi-Strauss.
- Nietzsche remet particulièrement en cause l'idée que l'histoire va vers le progrès, car cette conception se focalise sur les grands hommes, les grands événements. Pour lui, ce qui est essentiel, c'est la notion de vie (comprise tantôt comme "volonté de puissance", tantôt comme création).
- Pour Lévi-Strauss, l'idée que l'histoire va vers un progrès de l'humanité est simpliste. Même si des progrès ont été faits, il est difficile d'y trouver un sens ordonné. Par ailleurs, il estime que cette vision de l'histoire est occidentale. On juge toujours le progrès de son propre point de vue, avec des critères ethnocentriques.