Sommaire
ILa figure du héros dans l'AntiquitéALe héros épique : un personnage hors du communBLes caractéristiques du héros épiqueCLa place des femmes : les héroïnes tragiquesIILa figure du héros au Moyen ÂgeALe héros chevaleresque dans la littérature médiévaleBLes caractéristiques du héros chevaleresqueIIILa figure du héros et de l'héroïne du XVIIe à aujourd'huiAL'héritage du héros antique et médiéval dans la littératureBLa modernisation de la figure du héros et de l'héroïneCL'explosion des figures d'héroïnesLe mot « héros » désigne d'abord un demi-dieu, puis un « personnage qui se distingue par son courage et ses exploits extraordinaires », un « homme digne de l'estime publique » et enfin, un « personnage principal d'une œuvre littéraire ». Le terme « héros » concerne les personnages masculins, celui d'« héroïne » concerne les personnages féminins. L'héroïsme renvoie à toutes les qualités et valeurs des héros et héroïnes. Le héros ou l'héroïne traverse toutes les époques et plusieurs genres littéraires (épopée, chanson de geste, roman de chevalerie, roman, théâtre). La figure du héros et de l'héroïne révèle les valeurs et le fonctionnement de la société.
Quelles visions du héros et de l'héroïne la littérature donne-t-elle à lire ? En quoi ces héros et ces héroïnes renseignent-ils sur les valeurs de la société et d'une époque ?
La figure du héros dans l'Antiquité
Dans l'Antiquité, le héros de l'épopée est un personnage hors du commun. C'est un homme qui accomplit des exploits prodigieux et extraordinaires et qui se caractérise par ses qualités physiques, morales, humaines et par une conduite exemplaire. Si le terme « héros » est réservé à l'homme, des figures féminines héroïques sont pourtant particulièrement présentes dans la tragédie.
Le héros épique : un personnage hors du commun
Dans la littérature antique, le héros appartient au genre de l'épopée. C'est un personnage masculin hors du commun. Il est souvent d'origine mi-divine, mi-humaine.
Les premières œuvres littéraires mettent en scène des personnages hors du commun. Ce sont les grands récits de la mythologie greco-romaine :
- L'Iliade et l'Odyssée d'Homère (IX-VIIIe siècles av. J.-C.) ;
- L'Énéide de Virgile (Ier siècle av. J.-C.).
Ces textes sont appelés « épopées antiques ».
Épopée antique
L'épopée antique est un long poème ancré dans le monde de la mythologie. Il raconte les exploits d'un ou plusieurs héros luttant entre eux ou contre la nature ou contre les dieux.
Dans l'Odyssée, Ulysse doit affronter plusieurs épreuves dont le dieu des mers, Poséidon, pour rentrer chez lui à Ithaque.
Le héros épique est souvent un demi-dieu comme Achille, Hercule ou Énée. Il peut aussi être un simple mortel doué de facultés exceptionnelles, comme Ulysse. Le héros épique occupe une place centrale et accomplit des exploits surhumains. Il se distingue des autres hommes et leur sert d'exemple.
Dans l'Iliade, Hector, le Troyen, se bat pour libérer sa patrie et meurt pour elle.
Les caractéristiques du héros épique
Dans l'épopée antique, le héros a de nombreuses caractéristiques : c'est un guerrier fort et courageux. C'est aussi un homme qui ressent des émotions humaines et fait preuve de tendresse.
Le héros fait preuve de force et de vaillance durant les combats armés. L'auteur utilise plusieurs procédés pour souligner les exploits des héros :
- le champ lexical des armes ;
- des procédés d'exagération (hyperboles, accumulations) ;
- des comparaisons.
L'auteur suscite l'admiration du lecteur pour ces héros guerriers.
Achille, jeune Grec, revient à Troie pour affronter Hector, le prince troyen qui a tué son très fidèle compagnon et ami, Patrocle.
« Hector tire le glaive suspendu à son flanc, le glaive grand et fort ; puis, se ramassant, il prend son élan, tel l'aigle de haut vol, qui s'en va vers la plaine, à travers les nues ténébreuses, pour ravir un tendre agneau ou un lièvre qui se terre ; tel s'élance Hector, agitant son glaive aigu. Achille aussi bondit ; son cœur se remplit d'une ardeur sauvage ; il couvre sa poitrine de son bel écu ouvragé ; sur son front oscille son casque étincelant à quatre bossettes, où voltige la crinière d'or splendide […]. Comme l'étoile qui s'avance […], ainsi luit la pique acérée qu'Achille brandit dans sa droite […] »
Homère
Iliade
VIIIe siècle av. J.-C.
Les deux héros n'ont pas peur du combat, ils sont courageux : « il prend l'élan », « tel s'élance Hector ». Des comparaisons soulignent leur force exceptionnelle : « tel l'aigle de haut vol », « Comme l'étoile qui s'avance ». L'auteur utilise le champ lexical des armes : « le glaive », « le glaive grand et fort », « son glaive aigu », « son bel écu ouvragé », « son casque étincelant à quatre bossettes, où voltige la crinière d'or splendide ».
Dans l'épopée, les héros ont souvent un destin tragique. Ce sont des guerriers qui meurent au combat. Les personnages acceptent la mort avec courage et bravoure. C'est ainsi qu'ils deviennent des héros. Ils doivent mourir avec honneur, perdre leur vie et devenir immortels dans la mémoire des hommes.
« Il n'est rien, pour moi, qui vaille la vie, […]. On enlève bœufs, gras moutons ; on achète trépieds et chevaux aux crins blonds : la vie d'un homme ne se retrouve pas ; […]. Ma mère souvent me l'a dit, la déesse aux pieds d'argent, Thétis : deux destins vont m'emportant vers la mort, qui tout achève. Si je reste à me battre ici autour de la ville de Troie, c'en est fait pour moi du retour ; en revanche, une gloire impérissable m'attend. Si je m'en reviens au contraire dans la terre de ma patrie, c'en est fait pour moi de la noble gloire ; une longue vie, en revanche, m'est réservée, […] »
Homère
Iliade
VIIIe siècle av. J.-C.
Achille comprend que son destin est la mort. Il accepte cette destinée et combat avec courage durant la guerre de Troie qui oppose les Grecs et les Troyens. Sa force morale est d'accepter son destin, de savoir qu'il va mourir mais de se battre malgré tout avec dignité et courage.
Même si le héros peut faire preuve d'un courage exceptionnel, braver des dangers extrêmes, affronter sans répit son ennemi au combat, il ne perd pas pour autant son côté humain. Il peut ainsi ressentir des sentiments, faire preuve d'humanité, de tendresse envers sa famille.
Andromaque est l'épouse d'Hector. Elle le supplie de ne pas aller au combat contre Achille et ses hommes car elle ne veut pas être veuve et refuse que son fils soit un orphelin.
« Aussitôt, de sa tête, l'illustre Hector ôte son casque : il le dépose, resplendissant, sur le sol. Après quoi, il prend son fils, et le baise, et le berce en ses bras, et dit, en priant Zeus et les autres dieux :
"Zeus ! et vous tous, dieux ! permettez que mon fils, comme moi, se distingue des Troyens, qu'il montre une force égale à la mienne, et qu'il règne, souverain, à Ilion ! (….)" »
Homère
Iliade
VIIIe siècle av. J.-C.
En quittant son casque et son armure, Hector apparaît comme un personnage humain. Il se dévoile en homme, en père auprès de son fils. Il lui donne des preuves de tendresse et d'amour en le prenant dans ses bras et en priant pour lui avant son départ au combat.
La place des femmes : les héroïnes tragiques
La littérature antique propose une vision très masculine de l'héroïsme. On trouve toutefois des femmes héroïques au théâtre, dans les tragédies. Comme le héros, la figure féminine connaît également une destinée tragique et difficile. Elle est souvent complexe.
L'épopée ne propose pas d'héroïne féminine. La femme est présente mais elle tient un second rôle. Elle n'intervient pas dans les combats guerriers.
Andromaque est l'épouse d'Hector. Elle s'occupe de leur fils, soutient son époux dans les combats, craint pour sa vie. Lorsque son époux meurt, elle pleure sa perte et jure de lui rester fidèle jusqu'à sa mort.
Néanmoins, l'héroïne est bien présente dans la littérature antique, surtout au théâtre dans la tragédie. Ce sont des noms de femmes devenus très célèbres :
- Clytemnestre chez Eschyle ;
- Antigone chez Sophocle ;
- Iphigénie et Phèdre chez Euripide ;
- Médée chez Sénèque et Euripide.
Les auteurs dramatiques leur réservent souvent un rôle principal. Elles donnent souvent leur nom au titre de la pièce. Ce sont des héroïnes fortes, prêtes à sacrifier leur vie pour leurs idées. Elles se montrent nobles et courageuses même si elles ne prennent pas les armes.
Antigone, fille d'Œdipe, le roi de Thèbes, voit ses deux frères, Étéocle et Polynice, se battre à mort : Polynice voulait prendre le pouvoir qu'Étéocle refusait catégoriquement de partager. Le roi Créon, oncle d'Antigone, refuse d'enterrer Polynice qu'il considère comme un rebelle. Antigone combat violemment ce choix en défendant ses idées et ses idéaux familiaux afin d'obtenir le respect des rites funéraires pour Polynice. Elle défie les ordres de Créon et ne cesse d'aller recouvrir le corps de son frère chaque nuit. Elle est alors condamnée à mort mais accepte son destin avec courage.
Toutefois, ces héroïnes sont également complexes. Elles n'ont pas que des qualités.
Médée, fille d'Aïétès, est une princesse douée de pouvoirs magiques. Amoureuse de Jason, elle l'aide à affronter les taureaux de Vulcain, les soldats enragés du dragon, et à récupérer la Toison d'or. Elle va même jusqu'à tuer son propre frère, Apsyrtos, pour laisser rentrer Jason, sain et sauf. Quelques années plus tard, à Corinthe, Jason répudie Médée pour épouser la fille du roi Créon. Médée entre dans une terrible fureur : pour se venger, elle empoisonne Créon et sa fille, elle poignarde les deux enfants qu'elle a eus avec Jason. Médée fait donc preuve d'un très grand courage et d'un amour passionnel pour aider, soutenir et sauver Jason. En même temps, elle fait preuve d'une violence redoutable et d'une cruauté innommable au point de tuer ses propres enfants qu'elle aimait pourtant. Médée est donc une héroïne de l'extrême, déchirée entre amour et la soif de vengeance.
La figure du héros au Moyen Âge
Dans la littérature médiévale, le héros est un chevalier qui accomplit des exploits guerriers. Il est au service d'un roi, d'une dame, ou se lance dans une quête. La figure du chevalier se retrouve dans deux genres littéraires : la chanson de geste et le roman de chevalerie. Le héros médiéval se distingue par différentes caractéristiques. Il n'y a pas de véritables figures d'héroïnes, les femmes qui sont importantes dans ces récits sont les dames dont les chevaliers sont amoureux.
Le héros chevaleresque dans la littérature médiévale
Dans la littérature médiévale, le chevalier est présent dans la chanson de geste qui raconte ses prouesses extraordinaires. On le trouve également dans le roman de chevalerie.
La chanson de geste vient du latin res gestae qui signifie « les choses accomplies par quelqu'un, ses exploits ».
La chanson de geste est un récit en vers (décasyllabes, vers de 10 syllabes) ou en alexandrins (vers de 12 syllabes). Elle est destinée à être chantée et accompagnée de musique par les troubadours qui se déplacent de château en château. La chanson de geste raconte les exploits guerriers de héros et s'inspire d'événements historiques. Ces textes ont été écrits entre les XIe et XVe siècles. Les auteurs sont souvent anonymes.
La Chanson de Roland raconte la bataille qui oppose l'armée de Charlemagne, commandée par son neveu Roland, à l'armée des Sarrasins, des musulmans d'Espagne. Elle se situe à Roncevaux, le 15 août 778.
Au XIIe siècle, le roman de chevalerie apparaît. On note un passage progressif du vers à la prose. À l'origine, le mot « roman » signifie « écrit en langue romane » par opposition au latin qui était la langue des gens d'Église.
L'intrigue devient plus complexe. Le personnage, notamment le chevalier, est décrit avec plus de détails. Les dames interviennent dans l'histoire, le thème de l'amour occupe une place importante.
Perceval accepte de combattre Clamadeu des Îles qui a assiégé le château de Blanchefleur pour délivrer la belle demoiselle et pour recevoir sa récompense d'amour.
« Au matin, le jeune homme se leva, bien résolu à porter secours à la jeune fille désemparée qui avait demandé son aide :
— Belle amie, lui dit-il, je ne quitterai pas ces lieux sans y avoir ramené la paix. Je vais aller trouver là-dehors votre ennemi et le défier en ce combat singulier. Mais si je l'emporte sur lui, je vous demande de m'accorder votre amour en récompense : je ne souhaite pas d'autre salaire.
— Seigneur, il serait bien mesquin de ma part de vous le refuser. Mais je ne veux pas que, pour gagner mon amour, vous alliez mourir pour moi : ce serait un bien grand dommage, car vous êtes trop jeune pour livrer bataille à un tel chevalier Clamadeu des Îles. Il est grand, fort et solide comme un roc, et vous ne pourrez tenir contre lui.
— C'est ce que vous verrez aujourd'hui même. Je ne renoncerai à ce combat pour rien au monde. […] »
Chrétien de Troyes
Perceval ou le Conte du Graal
XIIe siècle
Chrétien de Troyes renseigne sur :
- les qualités physiques du chevalier ennemi : « grand, fort et solide comme un roc » ;
- la force de caractère de Perceval fait de détermination et de courage : « je ne quitterai pas ces lieux sans y avoir ramené la paix. Je vais aller trouver là-dehors votre ennemi et le défier en ce combat singulier. » ; « C'est ce que vous verrez aujourd'hui même. Je ne renoncerai à ce combat pour rien au monde. » ;
- l'inquiétude et la bienveillance de Blanchefleur : « Mais je ne veux pas que, pour gagner mon amour, vous alliez mourir pour moi : ce serait un bien grand dommage, car vous êtes trop jeune pour livrer ».
Le romancier ajoute le thème de l'amour à l'intrigue : par amour, Perceval est prêt à se surpasser et à accomplir des exploits pour Blanchefleur.
Les caractéristiques du héros chevaleresque
Le héros chevaleresque suit le code chevaleresque. C'est un guerrier courageux qui est fidèle à son seigneur et à sa dame.
Le code chevaleresque fixe la manière dont un chevalier doit se comporter envers son prochain : il est bon et punit ceux qui font du mal.
Lancelot du Lac, fils de la reine Éliane et du roi Ban de Bénoïc, est enlevé par la Dame du Lac qui souhaite faire de lui un parfait chevalier.
« Pour apporter cette garantie, furent établis ceux qui avaient le plus de valeur à l'égard du commun des gens, ce furent les grands, les forts, les beaux, les agiles, les loyaux, les preux, les hardis, ceux qui étaient remplis des bontés du cœur et du corps. […] Le chevalier doit avoir deux cœurs, l'un dur et serré comme le diamant, l'autre tendre et malléable comme la cire chaude ? Celui qui est dur comme le diamant doit être opposé aux déloyaux et aux violents. […] Et même que la cire molle et chaude peut être façonnée et maniée comme on le veut, de même les bonnes gens, qui ont la pitié dans le cœur, doivent gouverner le chevalier, pour tout ce qui révèle de la bonté et de la douceur. »
Anonyme
Lancelot du Lac
XIIIe siècle
L'auteur énumère les qualités requises pour ceux qui sont « remplis des bontés du cœur et du corps ». Pour être exemplaire, le chevalier est bon avec les bons et montre sa force et son désaccord envers les « déloyaux » et les « violents » quand la justice est bafouée.
Le chevalier est un héros est confronté à des ennemis malveillants et redoutables, à des créatures merveilleuses (sorcières, magiciens, etc.) et à des épreuves difficiles. Il fait preuve de force, de courage, de bravoure, de vaillance, de loyauté pour combattre l'ennemi et pour défendre celui ou celle qui en a besoin.
Perceval combat Aguingueron qui assiège avec ses hommes le château de Blanchefleur. Le brave chevalier défend la dame Blanchefleur pour la délivrer elle et ses sujets.
« Perceval mit la lance en arrêt, et ils s'élancèrent l'un contre l'autre sans se défier ni s'adresser la parole. […] Les chevaux étaient rapides et les chevaliers puissants. Ils se haïssaient à mort. Ils se frappèrent si fort que craquaient les bois de leurs boucliers qui se brisèrent en même temps que les lances, et qu'ils se jetèrent l'un l'autre à terre. Mais ils eurent tôt fait de se remettre en selle et de se précipiter l'un contre l'autre, sans paroles inutiles, plus férocement que deux sangliers. Ils se frappèrent sur leurs boucliers et sur leurs hauberts aux fines mailles de toute la force de leurs chevaux. […] Aguingueron fut le seul à tomber, le corps couvert de blessures au point qu'il avait mal au bras et au côté. Le jeune homme mit pied à terre, car il ne savait l'attaquer en restant à cheval. Une fois descendu, il tira l'épée et l'assaillit. »
Chrétien de Troyes
Perceval ou le Conte du Graal
XIIe siècle
On note l'accumulation d'actions rapides : « mit la lance », « s'élancèrent », « se frappèrent », « se jetèrent l'un l'autre à terre », « se remettre en selle », « se précipiter l'un contre l'autre ». On relève l'utilisation d'une l'hyperbole : « si fort ». On note également l'utilisation du champ lexical des armes : « la lance en arrêt », « leurs boucliers », « les lances », « leurs hauberts aux fines mailles », « l'épée ». La mention des coups donnés et reçus souligne à la fois la violence du combat et la force dont les chevaliers font preuve. Perceval gagne le combat : « il tira l'épée et l'assaillit. ». Il respecte les règles d'honneur : il ne tue pas son ennemi en étant dans une position supérieure à lui.
Le héros se comporte de manière exemplaire envers son seigneur, il lui est fidèle et loyal.
Arthur et ses terres sont attaqués par le seigneur Madaglan. Le roi Arthur demande à son fidèle Arthur de le défendre.
« C'est dans cette période de désarroi pour le roi Arthur que Lancelot revint à la cour, ce dont le roi fut très heureux. […]
— Lancelot, lui dit-il, je vous en prie et vous le demande au nom de l'affection que je vous porte, attachez-vous à défendre mon royaume, car j'ai une grande confiance en vous.
— Seigneur, répondit Lancelot, mon aide ni mes forces ne vous feront défaut ; veillez à ce que les vôtres ne me manquent pas. »
Anonyme
Perlesvaus
Début du XIIIe siècle
Lancelot, chevalier héroïque fidèle, revient immédiatement porter secours à son roi. Le roi lui renouvelle sa confiance et lui donne des ordres « attachez-vous à défendre mon royaume ». Lancelot accepte sans aucune hésitation et avec fidélité.
Le chevalier est un personnage exemplaire qui n'hésite pas à sacrifier sa vie dans les combats pour défendre son seigneur et sa terre.
Roland est épuisé par le combat qu'il mène pour défendre les terres de Charlemagne. Il sent que sa mort est proche.
« Roland sent qu'il a perdu la vue,
il se redresse et fait tous ses efforts.
Son visage a perdu sa couleur.
Devant lui il y a une roche grise. […]
"Ah ! Durendal, ma bonne épée, quel malheur pour vous !
Puisque je suis perdu, de vous je perds la charge.
Combien de batailles par vous j'ai remportées,
combien j'ai conquis de terres immenses,
que tient Charles, dont la barbe est chenue !
Ne soyez pas à quelqu'un qui fuit devant un autre !
Un valeureux vassal vous a longtemps tenue ;
jamais il n'en sera de pareille à vous dans la sainte France."
Roland sent que son temps est fini.
Il est tourné vers l'Espagne sur un mont escarpé.
D'une main il s'est frappé la poitrine :
"Dieu, pardon, par toute ta puissance
pour mes péchés, les grands et les menus,
que j'ai commis depuis l'heure que je suis né
jusqu'à ce jour où je suis terrassé !"
Il a tendu vers Dieu son gant droit.
Des anges du ciel descendent jusqu'à lui. »
Chanson de Roland
XIe siècle
Proche de la mort, Roland, chevalier héroïque et exemplaire, rappelle dans deux hyperboles ses exploits guerriers : « Combien de batailles par vous j'ai remportées, », « combien j'ai conquis de terres immenses, ». Il a fait preuve d'une fidélité unique à Charlemagne : « Un valeureux vassal vous a longtemps tenue ; / jamais il n'en sera de pareille à vous dans la sainte France. ». Il meurt en héros victorieux, la tête tournée vers la terre ennemie, l'Espagne, et rappelle sa fidélité à Dieu en lui tendant « son gant droit ».
Le chevalier doit se montrer exemplaire dans sa conduite envers sa dame pour gagner son estime, son respect et son cœur. On parle alors d'amour courtois ou de fin'amor : le chevalier respecte les codes de l'amour en faisant preuve de délicatesse et de prévenance envers sa dame. Le chevalier passe différentes épreuves pour prouver son courage, sa force, sa détermination et la profondeur de ses sentiments.
La figure féminine joue ici un rôle important, c'est pour elle que le chevalier subit des épreuves difficiles et douloureuses. C'est elle qui dicte les règles de conduite à suivre et qui décide d'offrir son cœur et son amour.
La reine Guenièvre est faite prisonnière par Méléagant. Lancelot, amoureux d'elle, n'hésite pas de multiplier les épreuves pour la retrouver. Après celle du terrible pont de l'Épée, il doit détruire les barreaux de fer qui les séparent.
« Il saisit les barreaux, les secoue, les tire si bien qu'il les fait plier et les arrache de leur scellement. Mais le fer était si coupant qu'il se fit une entaille à la première phalange du petit doigt jusqu'aux nerfs, et qu'il se trancha complètement la première articulation du doigt voisin. Mais ni des gouttes de sang qui en tombent, ni d'aucune blessure il n'a conscience, car il a une toute autre préoccupation. [...] Ainsi elle l'a attiré dans son lit, lui réservant le meilleur accueil qu'elle puisse jamais lui faire, car c'est Amour et son cœur qui lui dictent sa conduite, c'est inspirée par Amour qu'elle lui fait faite. »
Chrétien de Troyes
Lancelot ou le Chevalier de la Charrette
XIIe siècle
Lancelot doit mériter l'amour que Guenièvre lui accorde et souhaite lui donner. Il passe ainsi l'épreuve des barreaux de la fenêtre. L'amour de Lancelot est si grand qu'il se surpasse et ne ressent aucune douleur. Il est pleinement dévoué à Guenièvre. Il veut lui montrer toute sa force et son courage. C'est Guenièvre qui l'autorise à venir le rejoindre.
La figure du héros et de l'héroïne du XVIIe à aujourd'hui
Au fil des siècles, la figure du héros et de l'héroïne évolue, mais l'héritage antique et médiéval demeure. La figure du héros et de l'héroïne se modernise, les personnages deviennent plus complexes.
L'héritage du héros antique et médiéval dans la littérature
La fascination et l'admiration pour le héros antique et pour le héros médiéval perdurent. On retrouve les caractéristiques des héros antiques et médiévaux au théâtre et dans le roman, mais également dans la bande dessinée avec les comics américains.
Le théâtre réinvestit des personnages féminins de la littérature antique. Ces personnages deviennent de véritables héroïnes dotées des qualités des héros antiques : le courage, la force, la détermination. Elles ne se battent pas avec des armes mais contre les lois injustes.
Anouilh s'inspire de la pièce de Sophocle, Antigone, et en propose une réécriture en 1946. L'héroïne d'Anouilh, Antigone, suit la même trajectoire tragique et fatale que celle de Sophocle. Cependant, Anouilh propose une réécriture de la pièce antique en installant la sienne dans un contexte historique différent, celui de l'occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Antigone incarne ainsi la figure de la révolte se soulevant contre les nazis.
En littérature, on retrouve également des héros exemplaires et courageux. Dans le roman d'aventures, le héros risque sa vie pour sauver celle des autres. Il fait preuve d'un très grand courage et accomplit de grandes actions.
« C'était Passepartout lui-même qui s'était glissé vers le bûcher au milieu de la fumée épaisse ! C'était Passepartout qui, profitant de l'obscurité profonde encore, avait arraché la jeune femme à la mort ! C'était Passepartout qui, jouant son rôle avec un audacieux bonheur, passait au milieu de l'épouvante générale ! »
Jules Verne
Le Tour du monde en quatre-vingts jours
1872
La répétition de « c'était » et du nom « Passepartout », l'utilisation des phrases exclamatives, les hyperboles (« l'obscurité profonde », « l'épouvante générale ») montrent l'aspect exceptionnel du héros aventurier qui sauve cette femme.
Le genre littéraire de l'heroic fantasy réinvestit la figure du chevalier médiéval. L'heroic fantasy peut se traduire en français par « merveilleux héroïque » ou « médiéval fantastique ». L'heroic fantasy présente un récit héroïque dont le cadre est un monde merveilleux qui s'inspire beaucoup de l'imaginaire médiéval. Le chevalier peut être une femme qui devient ainsi pleinement une héroïne.
« Mais toujours Éowyn restait impassible : fille des Rohirrim, enfant des rois, mince comme un fil d'épée, belle mais terrible. Elle porta un rapide coup, sûr et mortel. Sa lame trancha le cou tendu, et la tête tomba comme une pierre. D'un bond elle recula, tandis que l'immense forme périclitait ; ses vastes ailées déployées, s'écrasant sur la terre ; et lors de sa chute, l'ombre passa. Une lumière descendit sur Éowyn, et ses cheveux brillèrent dans le soleil levant. »
J. R. R. Tolkien
Le Seigneur des anneaux (The Lord of the Rings)
trad. Francis Ledoux et Daniel Lauzon, Paris, © Christian Bourgeois (1972-1973), 1954
Éowyn est une véritable femme-chevalier douée de vaillance et de courage. Elle affronte et combat ici une créature ailée. Elle fait preuve de force et de précision : « Elle porta un rapide coup, sûr et mortel ».
Les super-héros qui font leur apparition dans les comics américains sont des héritiers du héros grec. Ils possèdent des pouvoirs extraordinaires et des équipements impressionnants. Leurs pouvoirs ne leur ont pas été transmis par les dieux.
- Superman est un super-héros extraterrestre.
- Captain America devient un super-héros à la suite de manipulations scientifiques.
La modernisation de la figure du héros et de l'héroïne
La figure héroïque se modernise. Le héros et l'héroïne perdent progressivement leur dimension exceptionnelle pour devenir plus humains. La figure de l'antihéros naît au XIXe siècle : c'est un personnage principal qui a des qualités et auquel le lecteur peut s'identifier, mais qui peut commettre de mauvaises actions.
Le héros ne descend plus d'une lignée familiale d'origine divine ou illustre. Au contraire, il peut venir du bas peuple et avoir lui-même commis des mauvaises actions.
Jean Valjean à sa sortie du bagne change de vie et nom. Il devient Monsieur Madeleine. Il aide un conducteur coincé sous une énorme charrette.
« On vit Madeleine presque à plat ventre sous ce poids effrayant deux fois en vain de rapprocher ses coudes de ses genoux. […] Les assistants haletaient. Les roues avaient continué de s'enfoncer, et il était déjà devenu presque impossible que Madeleine sortît de dessous la voiture. Tout à coup on vit l'énorme masse s'ébranler, la charrette se soulevait lentement, les roues sortaient à demi de l'ornière. On entendit une voie étouffée qui criait : - Dépêchez-vous ! aidez ! C'était Madeleine qui venait de faire un dernier effort. »
Victor Hugo
Les Misérables
1862
Madeleine est Jean Valjean, un homme envoyé au bagne pour avoir volé de la nourriture. Bien que d'origine modeste et avec un lourd passé, il décide de changer de vie. Dans cette scène, il est observé par Javert, un policier décidé à l'arrêter à tout prix. Il sait que s'il soulève la charrette, Javert comprendra qui il est, car il est doté d'une force impressionnante qui fait sa renommée. Toutefois, pour sauver l'homme bloqué sous la charrette, il n'hésite pas à accomplir cet acte héroïque : sauver autrui est plus important.
L'antihéros apparaît surtout au XIXe siècle. Ce n'est pas un héros vertueux ni exceptionnel. L'antihéros refuse de suivre les codes de la société dans laquelle il vit. Il se rebelle, se révolte contre elle.
Dans ses romans Le Père Goriot (1835) et Illusions perdues (1837-1843), Balzac écrit sur son héros Eugène de Rastignac, un personnage dévoré par l'ambition.
L'explosion des figures d'héroïnes
Au fil des siècles, la femme prend de plus en plus de place dans les œuvres littéraires, notamment dans le roman. De nombreuses héroïnes sont inventées : morales et vertueuses, antihéroïnes, ou courageuses aventurières.
L'héroïne dans le roman s'affirme comme parfaite et vertueuse dans ses comportements, ses pensées, ses sentiments. Elle répond ainsi aux codes de la société de son temps. Elle est une héroïne irréprochable.
Dans son roman, La Princesse de Clèves (1678), Madame de La Fayette propose la figure d'une héroïne parfaite. Mademoiselle de Chartes, jeune fille de 15 ans, doit épouser le vieux prince de Clèves qui est tombé amoureux d'elle. L'amour n'est pas partagé et la jeune fille, devenue la princesse de Clèves, tombe amoureuse du duc de Nemours. Elle ne peut vivre sa passion amoureuse, leur amour est illégitime. Dotée d'une grande honnêteté, la princesse de Clèves avoue toute la vérité à son époux qui meurt de chagrin. La princesse se retire alors dans un couvent et reste fidèle à son époux.
Par opposition, la figure féminine peut incarner le rôle inverse et devenir une antihéroïne. Ses mœurs, ses attitudes, ses choix de vie sont sources de critiques. Elle dépasse les codes fixés par la société de son temps et mène une vie légère.
François Mauriac, dans Thérèse Desqueyroux (1927), propose une antihéroïne comme personnage principal. Elle refuse en effet d'aimer le mari qu'on lui a imposé et elle tente même de le tuer.
L'héroïne peut également être une femme aventurière. Des récits autobiographiques (l'auteur, le narrateur et le personnage forment une seule et même personne) soulignent le caractère héroïque du personnage féminin qui accomplit des exploits.
Ella Maillart est une grande sportive, une journaliste et une photographe. Elle raconte sa traversée de la Chine, décrit les paysages et les modes de vie de peuples qui demeurent inconnus et confie la solitude ressentie et les dangers qu'elle affronte.
« Je sens la fatigue dans mes genoux et soudain le retour me fait peur : le pied monte bien avec ses orteils qui s'accrochent, mais à la descente – c'est d'ailleurs un accident dont je suis coutumière – mon talon va déraper sur ces schistes obliques et glissants. D'ici une demi-heure rien d'impossible à ce que je file dans l'à-pic qui est au bas de ces éboulis… […] Involontairement, je fais un retour sur moi-même. J'ai souvent eu l'impression de me trouver sur une planète différente, et je suis, à vrai dire, comme rayée du reste du monde : ma famille, mes amis ont appris à se passer de moi : mon éloignement, mon isolement m'ont enseigné enfin que je suis inutile à « l'ordre des choses » ! […] mais ce n'est là qu'un effet : quelle est la cause de cette curiosité qui m'éperonne, de ce besoin de voir, de comprendre ? Est-ce que je ne fais que dresser des difficultés devant moi pour avoir le plaisir de les surmonter ? »
Ella Maillart
Oasis interdites - De Pékin au Cachemire
© Payot, 1937
Ella Maillart vit l'épreuve physique de la fatigue durant sa marche. Elle souffre et elle a peur d'une mauvaise chute qui pourrait la conduire à la mort. Elle se laisse aller à une forme de découragement, de désespoir qui lui font ressentir sa solitude. Néanmoins elle fait preuve d'une force mentale incroyable et de courage pour se ressaisir comme le suggèrent les deux questions rhétoriques : « mais ce n'est là qu'un effet : quelle est la cause de cette curiosité qui m'éperonne, de ce besoin de voir, de comprendre ? Est-ce que je ne fais que dresser des difficultés devant moi pour avoir le plaisir de les surmonter ? » Avec beaucoup de volonté, elle poursuit sa route.