Tensions et intégrations régionales en Amérique du Nord Etude de documents type bac

L'Amérique du Nord est incontestablement l'une des régions du monde les mieux intégrées d'un point de vue économique. En effet, la signature, en 1992, de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA ou NAFTA) a permis aux trois pays signataires que sont les États-Unis, le Canada et le Mexique de libéraliser leurs échanges économiques en supprimant les droits de douane et en facilitant les échanges commerciaux.

Il est à noter que cet accord (entré en vigueur en 1994) lie des pays dont les niveaux de richesse et de développement s'avèrent fort différents. En effet, les États-Unis et le Canada sont des pays riches et développés, les premiers étant, de loin, la première puissance économique de la région comme le document 1 le laisse entendre en plaçant le conteneur à la bannière étoilée en position de supériorité. On peut par ailleurs rappeler qu'ils sont même la première puissance économique mondiale. A contrario, le Mexique appartient à la catégorie des pays intermédiaires dont le niveau de revenu et de développement est encore très faible.

Dès lors, cette inégalité de développement n'a pu que favoriser le rapprochement de ces pays. En effet, le commerce international, si l'on suit la théorie libérale, se justifie par les avantages comparatifs théorisés par David Ricardo au XIXe siècle. Dans le cas de l'ALENA, le Mexique se présente comme le pays de la main-d'œuvre à bas coût, capable de satisfaire les besoins en biens manufacturés de ses partenaires. Les États-Unis et le Canada, eux, apparaissent comme des économies plus spécialisées dans les services haut de gamme et les nouvelles technologies. En d'autres termes, l'ALENA intègre parfaitement, à l'échelle régionale, les logiques de la NDIT (Nouvelle division internationale du travail) qui distingue les espaces de conception (économies de la connaissance) et les espaces de production.

Concrètement, pour l'Amérique du Nord, cela se manifeste par le fait que les sièges sociaux des grandes FTN (Firmes transnationales) étatsuniennes installés en Californie ou dans la mégalopolis font produire au Mexique une partie des biens qu'elles conçoivent. Elles ont investi massivement au-delà du Rio Grande. Le Mexique, et plus particulièrement la région frontalière des États-Unis, a reçu des IDE (Investissements directs à l'étranger) en quantités croissantes. Ford, Chrysler et autres y ont délocalisé des usines qu'on appelle les maquiladoras et qui produisent pour les marchés étatsunien et canadien. Ces délocalisations expliquent en partie le développement des conurbations transfrontalières que le document 2 présente : il s'agit de bénéficier de la main-d'œuvre mexicaine et de la proximité du marché étatsunien. La frontière est ici une interface.

Il y a un autre aspect qu'il convient de souligner et que le document 1 reflète. Contrairement à ce qu'affirme le nouveau président américain, il semblerait que les États-Unis soient les principaux bénéficiaires de l'ALENA. En effet, en ouvrant les frontières, les États-Unis ont pu écouler plus facilement encore leurs produits et renforcer encore leur puissance. Les Ford comme les iMac et autres sodas Coca-Cola ont pu se vendre encore plus facilement. En d'autres termes, l'ALENA a permis au plus fort de renforcer encore sa domination en exportant toujours plus facilement des produits dont certains sont fabriqués à des coûts toujours moindres au Mexique ou ailleurs mais dont les profits sont concentrés aux États-Unis. C'est ce que montre le document 1 : ces entrepreneurs américains, visiblement fervents défenseurs du libéralisme, se réjouissent des "succès indéniables" de l'ALENA qui a permis à l'économie étatsunienne d'exporter massivement au Canada et au Mexique. Cela se manifeste sur le photomontage par le fait que le conteneur américain domine les deux autres sur lesquels il est posé et qu'il soit estampillé "Export" quand on peut lire "Import" sur les deux autres.

Si l'Amérique du Nord a, sur le modèle européen, ouvert ses frontières aux biens manufacturés et aux capitaux, elle a en revanche refusé la libre circulation des hommes et tenté de maintenir le contrôle des flux migratoires, ce qui s'avère être une gageure eu égard aux écarts colossaux en termes de richesse et de développement.

Le document 2 témoigne à lui seul de l'imparfaite intégration de la région et des tensions que les écarts de développement peuvent susciter. En effet, il montre que la frontière mexicano-américaine est un espace de contact sous haute pression. Il est ainsi rappelé qu'entre 2001 et 2010, on a dénombré 3759 morts à la frontière, soit une moyenne de 417 morts par an. Ce tragique bilan montre à quel point les inégalités socio-économiques sont mortifères. Les Mexicains et, plus largement, les Latino-américains qui voient dans le Mexique le sas d'entrée vers le paradis étatsunien, sont des milliers à tenter de traverser la frontière tous les ans au risque de leur vie. Ils espèrent trouver chez l'Oncle Sam de meilleures conditions de vie et la promesse d'un avenir radieux. Or, les États-Unis entendent contrôler l'accès à leur territoire et filtrer les entrées autant que faire se peut. Ceci explique que les autorités américaines n'aient pas attendu l'arrivée au pouvoir de Donald Trump pour envisager d'ériger un mur frontalier : des tronçons ont déjà été aménagés là où l'infiltration d'immigrés était la plus pressante et la moins facile à contrôler (on dénombre plus de 1600 morts entre 2001 et 2010 à la frontière entre le Mexique et l'Arizona). En 2012, sous la présidence Obama, des projets d'extension ont par ailleurs été validés pour compléter ce dispositif et mieux maîtriser les flux. Outre les interventions de l'administration américaine concernant la frontière, cette dernière semble également devenir un enjeu pour les membres de milices qui pourchassent les migrants dans cette zone frontière, avec des procédés souvent violents. La frontière cristallise ainsi les peurs et les actions annoncées comme citoyennes par des milices paramilitaires xénophobes.

Néanmoins, il ne faudrait pas considérer la frontière comme une barrière infranchissable : les clandestins réussissent à la passer par milliers tous les ans et, légalement, les Mexicains et autres Latino-américains sont nombreux à s'être légalement installés aux États-Unis : ils représentent près de 17% de la population (contre 3% il y a 50 ans) et ils représentent la première minorité ethnique du pays. Dans certaines villes du Sud, l'espagnol est plus parlé que l'anglais et l'on parle de "Mexamérique" pour qualifier cette région fortement hispanisée. Plus généralement, on peut noter que les États-Unis sont considérés comme le deuxième pays hispanophone avec ses 41 millions d'hispaniques. Donc, si la frontière est un espace de tensions comme le laisse à juste titre penser le document 2, il faut néanmoins relativiser et souligner sa porosité.

Outre la question migratoire à proprement parler, la question des trafics illégaux se pose à propos de cette frontière. Parmi ceux-ci, le trafic de drogue s'avère particulièrement attractif car très lucratif dans la mesure où les Américains s'avèrent être de gros consommateurs de ces substances illicites et qu'ils sont prêts à débourser de fortes sommes pour satisfaire leurs besoins. D'une certaine manière, le marché de la drogue s'est très bien adapté aux logiques et aux principes de la mondialisation : la drogue est produite au Sud, en l'occurrence en Amérique du Sud, avant d'être consommée au Nord, en l'occurrence aux États-Unis et au Canada. On comprend donc que la frontière mexicano-américaine soit un enjeu de tout premier ordre en mettant en contact deux zones complémentaires. Les cartels de la drogue qui sont très puissants au Mexique réussissent à opposer une vive résistance aux tentatives de contrôle du gouvernement américain et aux opérations policières du gouvernement.

La tension est d'une certaine manière montée d'un cran avec les rodomontades de Donald Trump qui, au cours de sa campagne électorale, a décrit les Mexicains comme des "criminels", des "violeurs" et des "mauvais hommes" qui envahissent le pays et le concurrencent. Son élection a suscité un tollé au Mexique et une véritable crise diplomatique après qu'il a confirmé qu'il allait faire payer aux Mexicains le mur qu'il compte faire construire à la frontière en fixant des tarifs douaniers à 20% s'il le faut. Sans compter qu'il compte expulser un certain nombre d'immigrés. Par ailleurs, il a fortement incité les industriels à réviser leurs stratégies et à relocaliser aux États-Unis tout ou partie de leur production afin de lutter contre la désindustrialisation et le chômage des "cols bleus" de la rust belt. Ces déclarations et ces décisions ont provoqué l'ire des Mexicains qui se sont sentis humiliés : le président mexicain a annulé sa visite à Washington et la population a défilé massivement dans les rues de Mexico. La question de la frontière est donc plus que jamais au cœur des tensions régionales du moment.