Pondichéry, 2016, voie S
La gouvernance économique mondiale depuis 1975
Quel plan aurait pu être adopté pour traiter le sujet ?
En quelle année le système monétaire international issu de Bretton Woods sombre-t-il ?
En quelle année le système de Bretton Woods a-t-il été mis en place ?
Quelle institution informelle est mise en place en 1975 afin de coordonner la politique économique et monétaire mondiale ?
À partir de quand l'ultra-libéralisme se développe-t-il dans le monde occidental ?
Dans quelle structure les pays du tiers-monde se regroupent-ils pour tenter de promouvoir un nouvel ordre économique mondial ?
Le 15 août 1971, le président Nixon annonce officiellement qu'il renonce à la convertibilité en or du dollar. Cette convertibilité était pourtant au cœur du système monétaire et financier mis en place à l'issue de la conférence de Bretton Woods de 1944. La décision de Richard Nixon, inéluctable eu égard aux déséquilibres monétaires qui handicapent de plus en plus l'économie américaine, n'en apparaît donc pas moins comme un coup de tonnerre, et ce d'autant que le président des États-Unis a agi unilatéralement sans prévenir ni le Fonds monétaire international (FMI) ni ses partenaires. Ceci ne manque donc pas de souligner l'échec de la gouvernance économique mondiale au crépuscule des Trente Glorieuses.
Cet échec s'avère d'autant plus cruel que le monde occidental s'apprête à entrer en zone de turbulences. Le "choc pétrolier" de l'automne 1973 déstabilise le modèle de croissance des pays industrialisés qu'il précipite dans la "crise". Une crise de laquelle il leur sera difficile de sortir en ordre dispersé. Dès lors, il s'agit donc d'inventer une gouvernance capable de surmonter les défis auxquels l'économie mondiale en voie d'intégration est confrontée. Le mot "gouvernance", qui se distingue de "gouvernement", a une acception très large puisqu'il s'agit de tous les mécanismes permettant d'assurer le fonctionnement harmonieux et efficace d'un secteur, en l'occurrence de l'économie mondiale. Cette gouvernance passe par l'établissement de règles reconnues par le maximum de parties et par la création d'institutions pour les faire appliquer. On peut souligner d'emblée qu'on n'a pas attendu le "choc pétrolier" pour y réfléchir : c'est une sorte de serpent de mer depuis les lendemains de la Première Guerre mondiale. Les échecs essuyés dans les années 1930, et auxquels on a attribué une partie de la responsabilité du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, ont incité les vainqueurs à organiser l'économie et la finance mondiale dès 1944. Mais les imperfections du système de Bretton Woods ont conduit, in fine, à son échec, comme l'a souligné la décision de Nixon.
Dès lors, on peut s'interroger sur la manière dont le monde après les "Trente Glorieuses" a tenté de mettre en place une gouvernance économique globalisée. Après être revenus sur la crise de la gouvernance au seuil des années 1970, nous aborderons les moyens envisagés pour organiser une gouvernance plus efficiente à l'heure où les défis à relever sont colossaux.
Une gouvernance économique mondiale en crise au seuil des années 1970
La faillite de Bretton Woods
La question de la gouvernance se pose avec d'autant plus d'acuité au seuil des années 1970 que le monde traverse une crise protéiforme qui balaie le système mis en place à Bretton Woods en 1944. La gestion et la coordination du système monétaire international reposait sur le Fonds monétaire international (FMI) et sur la Banque internationale de reconstruction (BIRD). Le multilatéralisme apparaissait comme la pierre angulaire de ce système. À bien des égards, un embryon de gouvernance internationale avait donc été créé en vue de pacifier le monde et d'accompagner la reconstruction et la prospérité, objectif qui, au seuil des années 1970, est atteint : le monde occidental a retrouvé sa prospérité et vit en paix bien que la menace de la guerre froide se fasse évidemment sentir.
Cependant, l'architecture du système monétaire élaboré à Bretton Woods, en reposant essentiellement sur la puissance économique et financière des États-Unis, s'avère fragile. En effet, l'économie américaine de la fin des années 1960 traverse une crise marquée par le déséquilibre chronique de la balance des paiements. Ce déficit s'explique par le coût de la guerre froide et par les investissements à l'étranger que réalisent les firmes américaines. La confiance dans le dollar s'effrite et les partenaires des États-Unis ne tardent pas à convertir massivement leur dollar en or, provoquant la fonte inquiétante des stocks d'or américain détenus à Fort Knox. C'est cette situation qui conduit le président Nixon à décréter unilatéralement la fin de la convertibilité du dollar en or en 1971 et, en conséquence, la fin du système de Bretton Woods.
Enfin, le système de Bretton Woods, c'est aussi le GATT (General agreement on tariffs and trade) créé en 1947 et dont l'objectif initial est très clairement de favoriser l'essor du commerce international. Pour ce faire, il s'agit de négocier, dans le cadre de rounds, une sorte de désarmement douanier : les barrières douanières, qu'elles soient tarifaires ou non tarifaires, doivent céder. On peut souligner que cette volonté d'encadrer et de coordonner la libéralisation des échanges n'a pas empêché le maintien, par certains États, de quotas d'importations afin de protéger leurs économies de la concurrence des pays en voie de développement. Par ailleurs, certains secteurs sont déclarés "chasse gardée". D'une certaine manière, l'action du GATT s'avère donc limitée en raison de la persistance d'une sorte de nationalisme économique. À ces échecs, il faut ajouter que la légitimité et l'efficacité de ce système étaient par ailleurs contestées par un certain nombre d'acteurs économiques.
Une gouvernance économique contestée
Outre les défaillances internes liées aux déséquilibres macroéconomiques, le système de Bretton Woods fait en effet l'objet de vives critiques dans le contexte bien particulier qu'est celui de la guerre froide. Le bloc soviétique a toujours refusé d'intégrer le système de régulation et de gouvernance institué en 1944 car il était jugé inféodé aux impérialistes capitalistes américains. L'URSS et ses satellites n'ont donc pas adhéré au FMI et n'ont pas participé au financement de la BIRD. Ils ont développé un système de gouvernance propre, marqué du sceau du communisme. De fait, on peut donc considérer que le système de Bretton Woods est un mode de gouvernance uniquement occidental. En tous les cas, il est organisé autour du pivot américain et son périmètre d'action s'avère limité à l'Occident et à ses alliés.
Parallèlement, dans le contexte de la décolonisation et de l'émergence du tiers-monde cher à Alfred Sauvy, il est remis en question par les nouveaux pays indépendants qui considèrent que Bretton Woods est à la botte de Washington. Ceci se marquerait évidemment par la répartition des droits de vote au sein du FMI notamment. Ils revendiquent donc la mise en place d'un nouvel ordre économique mondiale qui s'affranchissent des logiques de guerre froide. C'est dans cette optique qu'est créé, en 1964, le G77 au sein de l'Organisation des Nations unies (ONU). L'ONU qui, par le biais de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), entend réorienter les logiques économiques afin de favoriser un développement harmonieux et d'atténuer les disparités de richesse. Par ailleurs, à l'heure où la mondialisation libérale se développe à marche forcée, la question de la légitimité de la gouvernance mondiale se pose.
Une non-gouvernance mondiale à l'heure de l'affirmation du libéralisme ?
En créant le GATT en 1947, les Occidentaux entendaient, on l'a dit, accroître le commerce international et construire une économie mondiale intégrée, seule à même, selon eux, d'assurer la paix et la prospérité. De fait, cet essor du commerce international est passé par l'adoption des règles du libre-échange telles que la théorie libérale, incarnée par Smith et Ricardo à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, les avait formulées. Pour la pensée libérale, le marché est en mesure de se réguler seul ; il ne doit subir aucune entrave. De ce fait, la concurrence doit être libre et non faussée et les instances de régulation n'ont qu'une seule mission : s'assurer qu'aucun acteur ne trahisse ces règles ; c'est l'"État-gendarme" à l'échelle nationale. D'une certaine manière, le GATT se propose de jouer ce rôle à l'échelle mondiale en favorisant l'intégration et la libéralisation de l'économie mondiale.
Cette libéralisation de l'économie ne tarde pas à avoir des conséquences visibles sur les équilibres géo-économiques comme en témoigne l'effritement du dynamisme économique des pays du Nord dès le milieu des années 1960. En effet, la concurrence croissante des Nouveaux pays industrialisés d'Asie (NPIA) que sont Taïwan, Singapour, Hong Kong ou la Corée du Sud se fait cruellement sentir. Dans le cadre de la Nouvelle division internationale du travail (NDIT), les firmes occidentales délocalisent en effet leur production dans ces pays à bas coût ; surtout, ces pays développent leur propre outil industriel et viennent tailler des croupières aux Occidentaux. Enfin, en 1973, le "choc pétrolier" vient assener le coup de grâce : en s'envolant, les cours du pétrole pénalisent davantage encore la compétitivité des entreprises occidentales dont les coûts de production augmentent sensiblement. La conséquence en est l'inflation, le recul de la demande, la fermeture d'usines ou la mise en place de plans sociaux avec leurs corollaires : le chômage. Les Trente Glorieuses sont bel et bien terminées.
L'effondrement du système de Bretton Woods, définitivement entériné lors des accords de Kingstone en Jamaïque (instaurant un régime de changes flottants), laisse le monde dubitatif et perplexe alors même que la "crise" s'intensifie en Occident.
Vers une nouvelle gouvernance économique mondiale ?
La coopération internationale par gros temps
La "crise" révèle les failles du modèle de développement de l'Occident et de la gouvernance mondiale. Pour faire face à cette faillite, les gouvernements des principales puissances ont coordonné leurs actions. Ainsi, dès 1975, une série de réunions sont organisées à Washington, regroupant les représentants des États-Unis, du Japon, de la France, de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume-Uni. Ce G5 informel est bientôt élargi à l'Italie et devient, le G6 lors du sommet de Rambouillet en 1975 avant de s'ouvrir au Canada dès 1976 (ce sera donc le G7). Les objectifs de ce G6/G7 sont affichés d'emblée : les représentants des principaux pays industrialisés de la planète déclarent alors être "décidés à assumer pleinement [leurs] responsabilités et à développer [leurs] efforts en vue d'une coopération internationale accrue et d'un dialogue constructif entre tous les pays […]".
Les États reprennent donc la main sur les institutions internationales dont ils veulent améliorer le fonctionnement. Ils veulent donner un cap à la mondialisation et éviter à tout prix le repli national et le protectionnisme qui accompagne toujours les crises économiques de grande ampleur. Le souvenir des années 1930 est dans toutes les têtes. Le "choc pétrolier", précisément parce qu'il est un "choc", doit être traité avec doigté si le monde veut éviter la guerre économique généralisée et, à terme, la guerre tout court.
Mais ce G7 s'apparente de fait à un club de riches privilégiés qui fait peu de cas des autres pays et dont l'efficacité n'est guère probante. La crise perdure et les institutions internationales ne fonctionnent guère mieux comme en témoigne le maintien des quotas d'importations et l'allongement inconsidéré des rounds de négociations qui traduisent les difficultés à se mettre d'accord. Surtout, les pays riches semblent délaisser les pays en développement (PVD) au motif que la crise qui les touche les affaiblit et nécessite de lui consacrer une grande attention. L'Aide publique au développement (APD) diminue, contraignant les PVD à emprunter toujours plus et à s'endetter. La crise des dettes, notamment en Amérique latine, en sera la conséquence.
De nouveaux défis
Dans les années 1980, les logiques libérales sont accentuées avec l'arrivée au pouvoir de Ronald Reagan aux États-Unis et de Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Ces deux dirigeants mènent des politiques de libéralisation et de dérégulation qui tendent à réduire le rôle des États à peau de chagrin et à laisser le marché s'autoréguler. La concurrence mondiale s'exacerbe et les garde-fous sont démantelés. Les délocalisations s'accélèrent et la désindustrialisation de l'Occident progresse à leur rythme. Certes, les pays riches font le nécessaire pour conserver une avance technologique et scientifique qui leur permette de trouver leur place dans la NDIT mais les recompositions économiques se font au détriment des catégories socio-économiques les plus modestes. Le chômage de masse s'installe et la rancœur à l'endroit de la mondialisation libérale se développe.
Par ailleurs, des crises se font jour à intervalle régulier : le krach boursier de 1987, ou l'éclatement de la bulle asiatique dans les années 1990 en témoignent, sans compter, bien sûr, la crise des subprimes de 2007 - 2008 qui manque plonger le monde dans l'abîme. La mondialisation libérale apparaît dès lors comme incontrôlée et incontrôlable. Le marché que l'on croyait à même de s'autoréguler s'avère incapable de faire face. Les États doivent intervenir pour sauver le système de la faillite généralisée et de l'implosion. Ainsi, certaines des banques fragilisées par la crise de 2008 sont temporairement nationalisées. Au Royaume-Uni, des établissements emblématiques de comme Royal Bank of Scotland ou la Barclays sont recapitalisés grâce à l'État. Aux États-Unis, des économistes comme Paul Krugman n'ont de cesse d'inciter le président Obama à faire de même. D'une certaine manière, on assiste à une socialisation des pertes après avoir assisté à une privatisation des profits au nom du principe "Too big to fail" ("trop gros pour faire faillite").
Ce retour des États, déjà amorcé avec la création du G6/G7 en 1975, s'accentue à l'occasion de cette crise. Le G7 s'ouvre aux pays émergents et intermédiaires : c'est le G20 qui se réunit à de multiples reprises afin de coordonner le sauvetage de l'économie et de la finance mondiale. Les États entendent fixer des règles : ainsi la lutte contre les paradis fiscaux est déclarée, des stress test sont imposés aux banques afin de s'assurer de leur solidité et de nouvelles règles leur sont imposées. Par ailleurs, des négociations intenses sont menées concernant l'évaluation des monnaies : les Occidentaux poussent les autorités chinoises à réévaluer leur yuan afin de mettre fin à une situation jugée source de déséquilibres. Enfin, à l'échelle européenne, des pare-feux sont créés dans l'urgence et la douleur comme le Fonds européen de solidarité financière (FESF).
De nouveaux acteurs pour de nouvelles revendications
Les errements de la mondialisation libérale ne sont pas sans provoquer des réactions politiques et sociales de grande ampleur. Ainsi, dès 1999, à Seattle, des centaines de manifestants protestent publiquement contre l'OMC (Organisation mondiale du commerce), qui a succédé au GATT en 1994. Ces manifestations apparaissent comme l'acte de naissance de l'altermondialisme pour qui les principes et les valeurs qui sous-tendent la mondialisation et son mode de gouvernance ont des effets délétères, tant en matière sociale qu'environnementale et culturelle. Pour eux, "un autre monde est possible", un monde plus juste et plus responsable. C'est dans ce cadre qu'est créé le Forum social mondial (FSM) de Porto Alegre au Brésil qui se réunit pour la première fois en 2001 et qui se propose de rassembler, hors de tout cadre partisan, les individus et les ONG soucieux de réfléchir aux formes alternatives que pourrait prendre la mondialisation et, en conséquence, à la manière dont la gouvernance mondiale pourrait être assurée. Ce mouvement altermondialiste suscite des émules un peu partout dans le monde que la crise économique et financière de 2008 a catalysé. Des mouvements comme "Occupy Wall Street" ou "les Indignés" européens s'inscrivent ainsi de près ou de loin dans cette mouvance.
Les critiques adressées à la mondialisation ont, d'une certaine manière, été prises en compte. L'ONU a ainsi lancé un vaste programme visant à améliorer les conditions de vie des plus pauvres : ce sont les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Les États se sont par ailleurs attelés à la question du changement climatique : la Conférence des parties (COP) de Paris et l'accord historique qu'elle a permis témoigne de cette prise de conscience. Les partis politiques se sont saisis de ces questions comme en témoignent les débats qui ont agité les dernières campagnes électorales que ce soit aux États-Unis en 2016 ou en France en 2017. Les réponses à ces questions divergent évidemment : quand certains prônent un repli national, d'autres considèrent qu'il faut accentuer l'intégration mondiale tout en construisant des instruments efficaces de régulation et de contrôle afin que les sociétés se réapproprient ce phénomène qui a semblé leur échapper.
La question de la gouvernance économique est donc loin d'être réglée au seuil du XXIe siècle. Après l'échec du système de Bretton Woods dont on a vu qu'il a implosé au début des années 1970, le monde est entré dans des zones de turbulences. Depuis lors, la coopération internationale s'est souvent avérée insuffisante et défaillante.
Les déséquilibres géoéconomiques et les dérives socio-économiques et environnementales que la mondialisation libérale a suscités ont provoqué des réactions vigoureuses d'une partie de la classe politique et de la société civile. L'altermondialisme revendique ainsi une gouvernance mondiale plus équitable et plus soucieuse d'environnement et de diversité culturelle. D'autres sont tentés par la démondialisation, aussi chimérique qu'elle puisse à ce jour apparaître. Quoi qu'il en soit, les chemins de la gouvernance économique mondiale sont encore à frayer, même si la crise de 2008 a permis d'amorcer une dynamique qui pourrait s'avérer constructive.