Sommaire
IMarie, une héroïne aux multiples facettesALe portrait complexe de MarieBUne héroïne aspirant à la liberté et l'absoluIIDes jeunes hommes tempétueux vivant dans l'urgenceAL'extrême jeunesse des personnagesBLe duc de Guise, un jeune homme impulsifCLe prince de Montpensier, un mari jalouxDLe duc d'Anjou, un esprit charmeur et vifELes rapports de rivalité entre les hommesIIILes figures paternelles dans le récitADes pères décevantsBLe comte de Chabannes, un homme exemplaireMadame de Lafayette a écrit, avec La Princesse de Clèves, le premier roman dit psychologique de la littérature française. On retrouve dans "La Princesse de Montpensier" ce goût pour la psychologie des personnages. En effet, elle s'attarde longuement sur les motivations et les sentiments de chacun. Le portrait de Marie est celui qui est le plus abouti, puisqu'elle est l'héroïne. Bertrand Tavernier développe particulièrement son aspect rebelle et absolu dans le film. Toutefois, les autres personnages sont également bien peints, les jeunes hommes se montrent passionnés et guidés par leur passion, leurs relations complexes et tendues précipitant l'intrigue romanesque. Tous ces jeunes gens sont jetés dans le monde sans le soutien de leurs pères. La seule figure paternelle positive est Chabannes, l'humaniste représentant les plus grandes qualités humaines.
Marie, une héroïne aux multiples facettes
Le portrait complexe de Marie
Elle attira les yeux de tout le monde par les charmes de son esprit et de sa personne.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Marie est une héroïne éponyme, l'ouvrage est centré sur ce personnage. Madame de Lafayette a fait d'elle un personnage précieux au sens où son portrait est surtout mélioratif, tant moralement que physiquement. Toutefois, elle est présentée comme étant complexe, particulièrement dans le film où Bertrand Tavernier choisit d'en faire une femme beaucoup plus résolue et forte qu'elle ne l'est dans le récit.
Dans la nouvelle, Marie semble manipulatrice. En effet, lorsque Chabannes, fatigué de la façon dont elle le traite, la quitte, elle le fait revenir avec en tête l'idée que sans lui elle ne peut pas contacter le duc de Guise. Madame de Lafayette insiste toutefois surtout sur la beauté exceptionnelle de Marie et la finesse de son esprit : "la beauté de la princesse de Montpensier effaça toutes celles qu'on avait admirées jusques alors ; elle attira les yeux de tout le monde par les charmes de son esprit et de sa personne.
Au début du film, elle semble enfantine, mais également aguicheuse avec le duc de Guise. Bertrand Tavernier utilise de nombreux adjectifs pour parler d'elle et l'actrice qui l'incarne, Mélanie Thierry :
- Beauté
- Charme
- Allure
- Innocence
- Espièglerie
- Vulnérabilité
Si Marie apparaît comme une jeune femme charmante, elle peut toutefois se montrer exaspérante. Ainsi, particulièrement avec le comte de Chabannes, elle est têtue et fière. D'un point de vue plus négatif, elle peut se montrer méprisante et humiliante, notamment lorsqu'elle rejette froidement les sentiments de Chabannes à son égard. Elle a beaucoup de mal à accepter qu'elle peut se tromper. Toutefois, son très jeune âge et la facilité avec laquelle elle peut retomber dans une forme d'enfance et d'innocence en font un personnage attachant.
Encore enfant au début, elle se transforme en femme au cours de l'intrigue. Dans le film particulièrement, on la voit devenir très fière, comme lors de la scène où elle répond à son époux lui demandant de lui écrire une lettre chaque semaine : "ce sera la même, chaque semaine". D'abord ingénue et naïve, Marie finit par apprendre beaucoup. Si dans la nouvelle elle ne succombe pas à la tentation de la chair et meurt d'avoir perdu son honneur, dans le film elle devient plus silencieuse, plus résolue, elle n'a pas peur de regarder la vérité en face, ni la lâcheté de son amant. Elle reconnaît enfin s'être privée du seul homme qui méritait son affection véritable, le comte de Chabannes.
[La princesse] ne pouvant se résoudre à le perdre, non seulement à cause de l'amitié qu'elle avait pour lui, mais aussi par l'intérêt de son amour, pour lequel il lui était tout à fait nécessaire, elle lui manda qu'elle voulait absolument lui parler.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Dans le film, elle paraît plus inconséquente que manipulatrice dans ses rapports avec le comte. En effet, Bertrand Tavernier a assuré à Mélanie Thierry que son personnage était limpide, pur comme du cristal.
Dans la nouvelle comme dans le film, tous les personnages sont frappés par la grande beauté de la princesse.
Une héroïne aspirant à la liberté et l'absolu
Dès que l'on refuse de porter sur elle un jugement moralisateur, que l'on se débarrasse de cette volonté de la condamner, Marie de Montpensier s'impose comme un personnage d'une extrême modernité que j'ai adoré, et qui trouve en Mélanie Thierry une actrice exceptionnelle. Forte et vulnérable, rebelle et victime, assumant ses choix jusqu'à se mettre en péril. Il devient dès lors possible de donner à son histoire un sens tout à fait féministe : ce sont les hommes et l'organisation sociale de son temps qui la placent dans la situation intenable qui est la sienne. En cela, la nouvelle me semble plus audacieuse que La Princesse de Clèves, où le personnage n'est pris qu'entre son amour et le devoir de fidélité envers son mari. Marie vit dans une époque plus violente, les hommes qui l'entourent sont très différents et l'exposent davantage, la poussent sans cesse vers le danger.
Bertrand Tavernier
La princesse de Montpensier est souvent décrite comme une jeune femme aspirant à la liberté. Elle a soif d'absolu. À cause de son rang noble, de l'époque dans laquelle elle évolue, elle est "prisonnière de sa caste, de traditions, du coutumes".
Bertrand Tavernier la compare d'ailleurs aux jeunes filles nées chez les mormons ou protestants traditionalistes américains, ou dans des familles religieuses fondamentalistes turques, yéménites ou hindoues.
Les hommes et l'organisation sociale patriarcale de son temps placent Marie dans une situation intenable. Elle n'est pas libre d'aimer librement, de vivre librement. Dans le film, son désir d'apprendre à mieux lire et à écrire souligne son besoin d'émancipation. C'est d'ailleurs le savoir qui va cimenter sa relation avec Chabannes, créant des moments de grande complicité avec des regards attendris. Elle est attirée par la culture et la connaissance qui vont lui permettre de survivre, elle cherche à s'épanouir personnellement et refuse de se limiter à son rôle d'épouse. Au XVIe siècle, une jeune femme doit arriver vierge au mariage, et ensuite son rôle est de faire des enfants. Dans la noblesse, on attend d'elle surtout un fils, afin de pouvoir faire perdurer le nom. Cette position d'asservissement ne convient pas à Marie.
Dans le film, Catherine, la sœur de Guise, pleure devant Marie en lui apprenant qu'elle doit épouser le duc de Montpensier, un homme beaucoup plus vieux qu'elle pour qui elle n'a pas d'affection. Elle insiste alors sur le fait qu'une femme n'a aucune emprise sur sa destinée, elle ne peut rien décider.
L'aspiration à la liberté de Marie est légitime. Face à toutes les formes de coercition sociale, morale ou idéologique, elle désire s'émanciper. Très vite, c'est la passion amoureuse qui prend toute la place. Marie aspire à un amour idéal. Elle se méprend toutefois, l'amour idéal, l'amour précieux étant un amour de tête qui doit rester insatisfait. C'est le désir qui finit par prendre le contrôle chez elle. Lorsqu'elle réalise qu'elle a été trompée par Guise, qui l'abandonne, Marie ne peut y croire. Elle pense avoir joué sa vie pour un grand amour, une passion idéale, mais elle découvre qu'il n'en est rien.
Elle s'enquit de ses femmes si elles n'avaient vu personne, si elles n'avaient point de lettres.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Si Marie est une âme fière aspirant à la grandeur et refusant la médiocrité, elle peut toutefois faire preuve d'inélégance. C'est le cas lorsqu'elle confie les lettres du duc de Guise à son rival Chabannes. Marie, entière, se montre cruelle car elle a choisi de tout miser sur l'amour : "tout pour l'amour, rien pour le reste". En cela, elle est une grande précieuse, au sens le moins péjoratif qui soit. Malgré ses défauts, elle a des exigences envers elle-même et autrui qui révèlent une âme de qualité. Ses sentiments sont ardents, intenses, achevés. Elle ne fait pas preuve de médiocrité dans son amour, elle cherche le sublime. Le malheur est que l'idéal n'est jamais conforme à la réalité.
À la fin du film, lors de sa confrontation avec le duc de Guise, Marie se montre plus digne et fière que lui. Alors qu'il tente de la raisonner, commençant à expliquer que "le temps passe et avec son passage abolit..." elle le coupe et déclare aussi fièrement que passionnément : "le temps n'a rien aboli chez moi !". Marie est une grande amoureuse qui est trompée par la vie.
Le tragique de la situation de Marie est qu'elle s'est trompé en choisissant Guise. Il n'était pas celui capable de l'aimer de la sincère passion qu'elle recherchait.
Un jour, j'ai déclaré à Bertrand : "Oublie un instant l'époque, la violence, les guerres de religions. Le cœur de La Princesse de Montpensier, c'est un grand sujet lyrique, une parabole sur la passion. Tu as tourné un film d'amour à cinq personnages mais avant tout, tu m'entends, un film d'amour !" Tavernier était d'accord, d'autant que ma lecture du film est simple : à mon sens, le grand amour de la princesse, c'est Chabannes. Guise l'attire peut-être physiquement, il a pour lui l'avantage de la jeunesse. Mais son attrait pour Chabannes est plus profond, plus troublant, plus puissant. Après sa disparition, elle court vers Guise qui la rejette. Alors elle renonce aux sentiments…
Philippe Sarde
Le compositeur Philippe Sarde raconte ici que Bertrand Tavernier et lui sont persuadés que le grand amour de Marie est Chabannes, qui correspond aux critères de l'amour précieux. En effet, le lien unissant les deux personnages est avant tout intellectuel. Par ailleurs, même dans la nouvelle, le comte de Chabannes est celui prêt à tout pour Marie, qui ne la déçoit jamais et lui reste invariablement fidèle.
Des jeunes hommes tempétueux vivant dans l'urgence
L'extrême jeunesse des personnages
Si ce n'est Chabannes, les personnages dans "La Princesse de Montpensier" sont particulièrement jeunes. Ces personnages confèrent à l'ouvrage des aspects initiatiques. Ils vont être confrontés à la dureté de la vie avec l'horreur de la guerre et aux souffrances amoureuses.
La jeunesse des personnages crée un sentiment d'urgence et d'énergie, une soif de vivre d'autant plus grande que la guerre fait rage et que l'espérance de vie n'est pas très élevée au XVIe siècle. En effet, la mort n'est pas si grave, on le voit à l'absence de chagrin profond de la mère de la duchesse de Montpensier, mère de Philippe. L'espérance de vie est alors de 30 - 35 ans. La vie est fragile, il faut donc la vivre pleinement car tout est éphémère.
Au XVIe siècle, la majorité des garçons est obtenue à 14 ans et celle des femmes à 12 ans.
Madame de Lafayette insiste sur la jeunesse des personnages dans la nouvelle, elle utilise l'hyperbole "extrême jeunesse". Il faut garder à l'esprit que Renée d'Anjou et Henri de Lorraine, duc de Guise, les personnages historiques ayant inspiré Madame de Lafayette pour Marie et Henri, ont seulement 13 - 14 ans au moment où débute l'histoire. Charles de Lorraine, le duc du Maine et le frère d'Henri, n'a même pas 10 ans. Lors de son mariage, Marie a 17 ans.
Bertrand Tavernier a cherché à mettre de l'animation dans tous les plans du film pour rappeler la jeunesse des personnages.
Cette jeunesse anime le cœur des jeunes gens.
Bertrand Tavernier traduit visuellement l'animation en associant des couleurs précises à chacun des personnages masculins, ce qui symbolise également leur trait de caractère :
- Anjou est l'esprit, il porte du rouge.
- Montpensier est la vertu, il porte du vert.
- Guise représente la chair, il porte du noir.
Le duc de Guise, un jeune homme impulsif
C'est le vrai guerrier. Le chasseur. Il représente la force brute, le courage et l'intransigeance fondamentaliste catholique. Avec des moments de doute et de sincérité touchants. Il croit passionnément à ce qu'il dit au moment où il le dit. Et je me sens alors proche de lui. Je ne souhaitais en aucun cas le montrer comme le salaud de l'histoire. Gaspard Ulliel exprime à la fois la force, la violence, la sensualité et l'amour parfois sincère de Guise.
Bertrand Tavernier
Le duc de Guise est un jeune homme très impulsif. S'il abandonne Marie à la fin, il paraît néanmoins sincère dans son amour, même si c'est par intermittence. Bertrand Tavernier cite Shakespeare pour défendre le personnage : "Shakespeare donne toujours raison aux personnages les plus odieux au moins le temps qui leur est nécessaire pour se justifier." Pour lui, Henri n'est pas un prédateur, mais plutôt un être instinctif qui ne réfléchit pas beaucoup avant d'agir. Il peut se montrer particulièrement et étonnement touchant. Ainsi, à la guerre, il entre dans la tente du duc d'Anjou en pleurant car un valeureux capitaine de son armée est mort. Le duc d'Anjou est troublé de le voir si vulnérable.
Je n'imaginais pas qu'il fut capable de telles émotions.
Bertrand Tavernier et Jean Cosmos
Réplique du duc d'Anjou concernant le duc de Guise dans La Princesse de Montpensier
Le duc de Guise est un très bel homme qui attire particulièrement Marie. Il représente la chair, le désir, la passion amoureuse. Toutefois, il est également pour elle un compagnon d'enfance. Il se montre volontiers taquin et espiègle.
À la cour, l'irruption soudaine du duc de Guise devant le prince de Montpensier a des éléments comiques. Il fait preuve d'une attitude royale, son ton est très léger, il se moque de Montpensier en lui apprenant le mariage de sa sœur avec son père. Il a beaucoup de charisme et de charme, c'est un choc pour Marie.
Dans la nouvelle, Madame de Lafayette rappelle que le duc de Guise a été un enfant plus innocent et moins ambitieux qu'il ne le devient ensuite.
Le duc de Guise, qui n'avait pas encore autant d'ambition qu'il en a eu depuis, souhaitait ardemment de l'épouser, mais la crainte du cardinal de Lorraine, qui lui tenait lieu de père, l'empêchait de se déclarer.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Moins absolu que Marie, le duc de Guise cherche tout de même la liberté et l'indépendance. Personne ne semble avoir d'autorité sur lui dans la nouvelle, seule son ambition le guide. Il n'a pas peur de défier le duc d'Anjou, appartenant à la royauté, ou le prince de Montpensier. Il ne maîtrise pas ses emportements ni ses déclarations d'amour.
Le prince de Montpensier, un mari jaloux
Dans la nouvelle, la description du prince est d'abord très positive, il est doté de grandes qualités. Toutefois, par amour, son caractère peut devenir négatif. De nombreux termes péjoratifs sont utilisés : "haine", "jalousie naturelle", "désagréable". Tout cela néanmoins est motivé par son "chagrin", celui de mal connaître la femme qu'il aime et de ne pas avoir son cœur. Par ailleurs, Philippe est un homme qui ne sait pas dissimuler ou cacher, ni mentir. Il est très honnête et très vertueux.
Dans le film, Bertrand Tavernier transforme ce mari jaloux en jeune homme démuni affectivement. Fou amoureux de sa femme, il se révèle incapable de trouver les mots et gestes qui conviennent. En décrivant le personnage qu'il incarne, Grégoire Leprince-Ringuet insiste également sur le côté démuni du personnage et son incapacité à savoir trouver les mots. De plus en plus amoureux, il ne sait jamais comment le dire.
Lors d'une scène avec Marie, Philippe est montré mal à l'aise, il joue avec son gant, le retourne dans sa main. Il est profondément maladroit.
Sur le champ de bataille, le prince de Montpensier se montre valeureux. C'est un grand guerrier qui ne semble pas connaître la peur. Dans le film, on peut noter une grande différence entre le personnage qu'il est au combat et celui qu'il est chez lui, timide et effacé.
L'amour fait perdre ses moyens au prince. Les aspects positifs du prince sont toutefois multiples, il se montre honorable et civilisé. Lors de la nuit de noces, il demande à sa femme si elle sait ce qui va se passer et tente de la rassurer en lui disant de fermer les yeux. Lorsqu'il rentre de la guerre pour la première fois, il ne la force pas à passer la nuit avec lui et dit que le temps doit les aider à se rapprocher, ce qui va toucher Marie.
Le prince de Montpensier se comporte parfois comme un enfant encore. Souvent, il va voir Chabannes, lui dit qu'il ne sait quoi faire, il cherche autant le réconfort que les conseils.
Dès qu'il se montre injuste ou emporté, le prince éprouve du remord et cherche à se rattraper. C'est le cas lorsqu'il s'emporte contre Chabannes et se montre cassant, ou lorsqu'il crie contre Marie.
Je trouve que Grégoire a un jeu extrêmement moderne, très intériorisé, qui convient très bien à ce personnage qui est fragile, un peu autiste émotionnellement. Je trouve qu'il me l'a sorti de tous les clichés du mari jaloux. Il me l'a rendu pathétique, tragique. La scène de la lettre qu'il donne à Mélanie me donnait les larmes aux yeux quand je la tournais et elle me donnait des frissons quand je la montais. Dans les moments où il explose, il m'a également complètement eu. À part qu'il a démoli un meuble du XVIe siècle tellement il a frappé fort ! [rires] On entend d'ailleurs l'éclat de bois qui vole. Le meuble d'époque coûtait presque plus cher que le décor entier de la pièce ! Après, les gens avaient peur de lui. Au château de Blois, il avait pour consigne de ne rien toucher !
Bertrand Tavernier
Le langage peut être une arme mais le langage, d'autant plus le langage précieux, n'est pas maîtrisé, cela peut devenir un obstacle et empêcher de conquérir le cœur de l'être aimé. Soldat, le prince est courageux mais il perd tous ses moyens face à sa femme. Malheureusement, la sincérité de ses sentiments ne suffit pas.
Le duc d'Anjou, un esprit charmeur et vif
En général, le duc d'Anjou est représenté comme un personnage homosexuel et maniéré. En effet, au XVIe siècle une propagande protestante cherchant à le décrédibiliser a eu un impact très fort sur les représentations qui ont suivi. L'acteur Raphaël Personnaz qui joue Anjou explique qu'il a cherché à retrouver un sens historique à un personnage très caricaturé. Il le décrit comme un homme qui utilise la sophistication, l'art de la conversation, la préciosité pour mieux se cacher. Très ironique et prompt à la moquerie, il est pourtant profondément sincère, d'une étonnante franchise qui désarme et déboussole.
Lors de la scène de la barque où il rencontre Marie, le duc d'Anjou est montré pour la première fois déboussolé et touché. Il manque de tomber. Décontenancé, il parvient néanmoins rapidement à se montrer charmeur et agréable, sachant parfaitement se contrôler.
Lors d'une scène où il plaisante avec des camarades, l'un d'eux se moque de Marie. Anjou se montre alors très sec et coupant, interdisant à quiconque de salir Marie.
Dans le film, le duc d'Anjou fait une déclaration d'amour à Marie qui surprend par sa brusque sincérité : "Je suis sincèrement jaloux de votre époux." Cette déclaration trouble Marie, mais le duc d'Anjou retrouve tout à coup sa légèreté pour ne pas la perturber.
Le duc d'Anjou n'est pas simplement un plaisantin, c'est aussi un homme qui sait observer. Lors de la scène de la barque, il est le pivot de la scène. Il parvient à comprendre rapidement ce qui se joue entre les personnages, étant notamment témoin lorsque Marie refuse la main de Guise.
Dans la nouvelle, lorsque le duc d'Anjou comprend que Marie en aime un autre, il en est profondément meurtri. Toujours touché par Marie, il lui fait comprendre qu'il la méritait plus que les autres et voue une haine farouche à Henri, mais il ne fait rien contre Marie.
Je ne m'opposerai point à une fortune que je méritais, sans doute, mieux que lui.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Dans le film par contre, le duc d'Anjou va faire chercher Marie et la rend à son époux en lui disant qu'elle a failli se perdre. Il place alors dans une situation particulièrement délicate.
Anjou- C'est moi qui vous méritais, Marie. Moi, j'étais sincère.
Bertrand Tavernier et Jean Cosmos
La Princesse de Montpensier
2009
Les rapports de rivalité entre les hommes
Les quatre hommes principaux du récit, Philippe de Montpensier, Henri de Guise, le duc d'Anjou et le comte de Chabannes, nourrissent une passion pour Marie. Les rapports entre eux sont alors complexes et souvent la haine les anime. On retrouve le champ lexical de cette haine dans la nouvelle : "haïssait" ," ennemi particulier", "rage", "haine", "violence".
Dans le film, Bertrand Tavernier traduit cette violence avec des affrontements. Le duc de Guise se jette sur Philippe lorsqu'il apprend que c'est lui qui va épouser Marie. Il n'hésite pas à le provoquer à la guerre et à la cour de France, en demandant des nouvelles de Marie ou en lui apprenant le mariage de Catherine avec le duc de Montpensier. Il se bat enfin en duel avec lui au Louvre.
Le duc d'Anjou nourrit une grande haine au duc de Guise lorsqu'il apprend que Marie l'aime. Il l'avait déjà menacé de se venger si jamais il devait apprendre qu'Henri mentait sur ses sentiments pour la jeune femme.
Si tu m'as trompé sur ton cœur et le sien... si tu m'as trompé, face à face. Et sans merci.
Bertrand Tavernier et Jean Cosmos
Réplique du duc d'Anjou au duc de Guise dans La Princesse de Montpensier
Lors de la scène du dîner à Champigny, tous les hommes aimant Marie se trouvent autour de la table. Le duc d'Anjou se montre clairement supérieur aux autres, dans son bon droit, il est impossible de le contrer. Le duc de Guise est impétueux et passionné, il est celui qui a l'amour de Marie. Le prince de Montpensier, effacé, souffre. Chabannes est un peu isolé, humaniste au milieu des guerriers, plus âgé au milieu des jeunes gens. Dans la nouvelle, Madame de Lafayette exprime la haine qu'il porte à Henri. Dans le film, il semble plus détaché des autres rivaux, il veut surtout éviter de blesser Philippe pour qui il a une profonde affection et est blessé de l'attention que Marie porte à Henri.
Les jeunes hommes sont donc en concurrence permanente, à la fois pour s'illustrer au champ d'honneur mais également pour conquérir une des plus belles femmes, semblable à un trophée.
Les figures paternelles dans le récit
Des pères décevants
Tant dans la nouvelle que dans le film, les jeunes gens semblent délaissés par leurs parents, démunis face à leurs réactions. Ce sont eux qui contrôlent leurs existences en décidant de leurs mariages, mais ils ne les conseillent jamais. Seule la mère de Marie et la reine Catherine prodiguent des conseils à la jeune femme.
La première scène où le père de Marie et le père de Philippe apparaissent ensemble, ils sont montrés de façon négative. Le père de Marie est convaincu par celui de Philippe de revenir sur une parole qu'il a donnée, ce qui est un acte considérable à l'époque. On peut parler de fourberie des pères.
L'égoïsme est particulièrement mis en avant dans le film de Bertrand Tavernier. Le père de Philippe parle à sa femme des paons qu'ils vont avoir grâce à l'union conclue sans faire attention à sa femme souffrante. On voit sa fausse gentillesse, il n'écoute pas vraiment son épouse et la force à voyager alors qu'elle est au plus mal. D'ailleurs, lorsque l'on apprend qu'elle est morte, il ne semble pas à souffrir et pense déjà à son nouveau mariage avec une plus jeune femme. Tout le ramène à lui.
Le père de Marie semble avoir été manipulé par le duc de Montpensier. Il n'est tout de même pas plus agréable, se montrant particulièrement violent à l'égard de sa fille lorsqu'elle refuse d'épouser Philippe. Si sa femme n'intervenait pas, il serait prêt à la frapper.
Les pères laissent ainsi leurs enfants, leurs proches, se sortir des situations complexes dans lesquelles ils les ont mis par ambition et intérêt.
Le comte de Chabannes, un homme exemplaire
Toutefois, un personnage faisant office de figure paternelle permet d'apporter de la lumière à ce sombre tableau. Le comte de Chabannes, plus âgé que les autres protagonistes principaux, est le personnage le plus noble et le meilleur du film. Lorsqu'il décrit à Marie la honte qui l'a poussé à abandonner la guerre, il se montre particulièrement touchant. C'est un homme prêt à se remettre en question. Contrairement à Guise qui voue une haine sans borne aux protestants, il est capable de voir l'humain en chaque être et refuse de se laisser guider par autre chose que la raison.
Le personnage de Chabannes n'est pourtant pas présenté aux spectateurs de façon positive au début du film, puisqu'on le voit tuer une femme enceinte. Toutefois, il semble aussi horrifié que le public par son geste. Il se retire de la guerre, traumatisé et accablé par sa propre noirceur.
Les répliques de Chabannes dans le film sont souvent lyriques. Il s'exprime toujours de façon posée. Son itinéraire moral devient le fil conducteur du film. Il incarne la lutte contre l'ignorance et le fanatisme religieux.
Chabannes est également un être sacrificiel. Dans la nouvelle il est prêt à souffrir pour servir Marie, devenant le messager de Guise. Il se sacrifie à la place d'Henri lorsque le prince de Montpensier entre dans la chambre de sa femme, feignant d'être son amant. Lorsque Philippe l'enjoint à se battre, il ne dit rien puis refuse, non par lâcheté mais car il sait qu'il gagnerait s'il se battait contre lui. Dans la nouvelle, Madame de Lafayette utilise une hyperbole pour décrire sa "générosité sans exemple". Ses actions sont d'autant plus impressionnantes qu'il n'a jamais rien en retour, il est prêt à "sauver une maîtresse ingrate et un rival aimé".
Quant à Chabannes, au centre de toutes ces passions, il est lui-même amoureux d'une femme qui le repousse, soit qu'elle ne soit pas amoureuse de lui, soit parce qu'il est d'un rang inférieur au sien, soit parce que trop âgé. Qu'il soit devenu le confident de pratiquement tous les autres personnages avive encore ses blessures. Chabannes est un personnage extraordinaire, porté par des motivations secrètes et compliquées, qui relie les gens entre eux et permet au lecteur, au spectateur, de les comprendre, de les aimer : il entend protéger Marie, mais à certains moments, il semble traversé d'un désir de revanche. On a alors l'impression qu'il veut la perdre, qu'il joue la politique du pire. Un instant plus tard, on peut croire qu'en servant la jeune femme il obtiendra d'elle ce qu'il en attend. De la part de Madame de Lafayette, c'est une invention géniale, qui sonne comme un écho à l'œuvre des grands hommes du XVIe siècle qui ont forgé la tradition humaniste, les Montaigne, Érasme, La Boétie.
Bertrand Tavernier
Le comte de Chabannes symbolise l'humanisme, la lutte contre le fanatisme, la raison. Profondément attaché à la paix, il est le seul à toujours agir pour le bien d'autrui. Le comte de Chabannes est suffisamment courageux pour avoir rejeté le modèle de son époque : il refuse de choisir entre la barbarie des catholiques et celle de protestants. Il se place au-dessus de ses guerres, de ses violences : il les refuse au nom de l'humanité. S'il s'attire l'admiration du duc d'Anjou qui lui pardonne d'avoir été du côté des huguenots, c'est parce qu'il se montre fidèle à ses convictions et capable de remettre en cause un système injuste.
J'ai trouvé autant de grandeur et de barbarie dans les deux camps.
Bertrand Tavernier et Jean Cosmos
Réplique du comte de Chabannes dans La Princesse de Montpensier
Chabannes se bat contre l'intolérance et prône l'ouverture à autrui en refusant de reconnaître le côté catholique ou le côté protestant comme celui qui a raison, celui qui est juste. À sa façon, il est un représentant de la laïcité française dont les racines se trouvent dans l'édit de Nantes qui conclut les guerres de religion du XVIe siècle. Chabannes est la figure paternelle positive car il est celui qui enseigne les valeurs les plus positives de la société, celui qui fait preuve des plus grandes qualités humaines.
Le comte de Chabannes entretient une relation particulière avec Philippe et Marie. Autrefois précepteur de Philippe, il enseigne ensuite à Marie les lettres et les sciences. Il a la position du professeur humaniste, celui qui enseigne avec passion et raison tout en laissant à l'élève la liberté de devenir lui-même, sans jamais faire acte de violence ou d'impatience.