Pourquoi peut-on dire que le comte de Chabannes tient une place à part dans la nouvelle et le film, et qu'il devient le pivot de l'histoire ?
Quelle caractéristique oppose Chabannes aux autres hommes de l'œuvre ?
Dans quel courant de pensée le comte de Chabannes s'inscrit-il ?
Quel personnage Chabannes protège-t-il jusqu'à sa mort ?
Quelle position Chabannes adopte-t-il face aux guerres de religion ?
Pourquoi Chabannes est-il un personnage pivot dans "La Princesse de Montpensier" ?
Parmi toutes les figures masculines souvent négatives de la nouvelle "La princesse de Montpensier", le comte de Chabannes occupe une place particulière. En effet, c'est le seul personnage positif : il est bon et ne trahira jamais Marie. Si son passé est plus obscur dans le film, ce personnage n'en reste pas moins bon. D'ailleurs, en composant la musique associée à Chabannes, Philippe Sarde lui confère un certain relief. Ce personnage atypique intrigue, et il semble intéressant de s'interroger sur la place qu'il occupe réellement, sur son rôle de pivot au sein de l'histoire.
Tout d'abord, la position complexe qu'il occupe au sein du réseau des personnages sera analysée, puis son caractère sincère et touchant sera traité. Enfin sa souffrance sera abordée, faisant de lui un personnage humain et sensible, proche des lecteurs.
Une position complexe
Chabannes est le seul personnage fictif de la nouvelle. Cette particularité lui confère, dès sa genèse, un statut à part. En effet, Madame de Lafayette dispose d'une plus grande liberté à son égard. De même, il est plus âgé que les autres hommes de la nouvelle. L'image qu'il renvoie est davantage celle d'un père attentif et aimant que celle d'un amant passionné et fougueux. Cependant, même dans cette image paternelle, il s'oppose aux autres personnages, notamment au père de Marie qui se montre violent envers sa fille lorsque cette dernière refuse d'épouser l'homme qu'il lui a choisi. Le premier rôle que Chabannes occupe est celui de précepteur. Instruit, il va se charger d'éduquer Marie pendant l'absence de son mari. Cette position rapprochera peu à peu les deux personnages. Tavernier accentue cette idée, mettant en exergue dans son film la manière dont Chabannes décide d'instruire Marie. Contrairement aux enseignements classiques de l'époque, il souhaite développer son esprit critique, lui permettant une plus grande liberté d'esprit en lui enseignant de nombreuses matières comme le prône l'éducation humaniste.
Ainsi, le comte de Chabannes va progressivement se rapprocher de Marie et son rôle va évoluer. Il occupera plus tard la nouvelle la place de confident, ce qui le fera particulièrement souffrir. En effet, il sera placé aux premières loges pour recueillir les confidences de Marie quant à l'amour qu'elle porte au duc de Guise alors que lui-même est amoureux de la jeune femme. Marie se montre cruelle lors de ses confidences parce qu'elle connaît les sentiments que Chabannes lui porte. Elle continuera cependant à s'épancher car elle y trouve du réconfort. Par amour pour cette dernière, Chabannes endure tout, acceptant même de l'écouter parler de l'amour qu'elle porte à un autre. Tout cela illustre son abnégation et sa grandeur d'âme. Sa position se complexifie encore car en plus d'être le confident amoureux de Marie, il devient également celui de son époux, le prince de Montpensier. Ce dernier lui demande des renseignements sur cette épouse qu'il connaît si peu et dont il aimerait conquérir le cœur. Chabannes doit donc conseiller l'époux de celle qu'il aime.
Chabannes est un personnage complexe de par son caractère, son histoire, mais également par sa position de confident. Il est au centre du couple Montpensier. En cela, il est bien un personnage pivot autour duquel l'intrigue s'articule. Ce qui frappe également le lecteur est sa grandeur d'âme et son sens du sacrifice.
Un personnage touchant et sensible
Dans le film, Chabannes n'apparaît pas sous un jour positif. Un plan le montre au milieu de l'horreur de la guerre en train de tuer une femme enceinte. Cet acte atroce, d'une violence extrême, fait de lui un personnage nuancé. Il n'est pas parfait, il a commis un crime impardonnable avec lequel il va devoir apprendre à vivre. Ce sont ces nuances qui font de lui un personnage attachant, paradoxalement, car plus humain que les autres hommes de l'œuvre.
À de nombreuses reprises, le personnage de Chabannes se montre sensible, il touche ainsi le lecteur. Les aveux qu'il fait à Marie concernant les raisons l'ayant poussé à abandonner la guerre constituent un épisode marquant. Contrairement aux autres personnages, il se remet en question et évolue tout au long de l'intrigue. Il a foi en l'Homme, ce qui fait de lui un humaniste sincère ; il cherche en tout homme ce qu'il y a de meilleur. Il s'oppose donc à la haine aveugle que le duc de Guise ressent envers les protestants. Outre sa foi en l'Homme, ce qui anime Chabannes est la paix, raison pour laquelle il refuse d'entrer dans le système de son époque : il ne se positionne ni pour les catholiques ni pour les protestants, il adopte un regard critique sur la situation, s'engageant ainsi pour davantage de tolérance. Dans le film, son pacifisme est lui aussi mis en exergue, renforcé par le crime dont Chabannes essaye de se racheter. Il rejettera toute forme de violence, refusant de se battre ou de prendre les armes même lorsqu'il affronte le prince dans la chambre de Marie. La seule exception à cette ligne de conduite a lieu à la fin, lorsqu'il sauve une femme pendant la nuit sanglante de la Saint-Barthélemy. Il pense alors pouvoir, par cet acte, accéder à la rédemption.
L'évolution de ce personnage et la lutte qu'il engage contre le fanatisme et la violence deviennent un des fils rouges tissés par l'intrigue. Contrairement aux autres hommes, il va évoluer et se battre contre l'ignorance en faisant preuve d'une grande valeur morale jusqu'à sa mort. Il ne trahira ni ses idéaux ni la femme qu'il aime, lui vouant jusqu'au bout un amour sincère.
Le personnage du comte de Chabannes est touchant par sa sensibilité mais également par la force dont il fait preuve pour respecter ses engagement moraux. Le film de Tavernier, en proposant une vision plus moderne de ce personnage, le rend plus proche encore des spectateurs.
La souffrance de Chabannes
Contrairement aux autres hommes, Chabannes est d'un tempérament calme, posé, il s'exprime avec douceur et ses répliques sont souvent empreintes de lyrisme. Il tombe amoureux de Marie mais, conscient que cet amour n'est pas moral, il le gardera pour lui pendant un an. Se rapprochant davantage de la jeune femme, il croit sincèrement pouvoir lui avouer ses sentiments sans la blesser et peut-être espère-t-il pouvoir être aimé en retour. Ainsi la réaction cruelle et méprisante de Marie lui inflige-t-elle une très vive blessure. Pour autant, il ne la trahira jamais et acceptera malgré la souffrance que cela lui cause d'être son confident et son messager. La preuve ultime de l'amour qu'il lui porte est manifestée lorsqu'il accepte de se faire passer pour son amant afin de protéger Marie et celui qu'elle aime. Il devra affronter seul la colère du mari jaloux et humilié. Ce sens du sacrifice caractérise parfaitement le personnage de Chabannes, qui donne tout pour celle qu'il aime tout en sachant qu'il n'obtiendra jamais rien en retour. Marie ne comprendra que trop tard la force de l'amour dont elle faisait l'objet.
Tavernier s'inscrit parfaitement dans la ligne tracée par Madame de Lafayette et accentue encore ces caractéristiques ambiguës en faisant émerger à de nombreuses reprises, lors de ses discussions avec Marie, la puissance de l'amour qu'il lui porte et la jalousie qui le ronge. Ces sentiments violents contre lesquels il lutte participent à faire de lui un homme plus réaliste et encore plus proche des spectateurs, s'éloignant de l'être idéalisé créé au XVIIe siècle.
Ainsi le personnage de Chabannes est essentiel dans l'œuvre car il est le contrepoids des autres personnages masculins. Plus âgé et plus sage, il a su tirer des leçons des erreurs de son passé. Doux et attentif aux autres, il est l'incarnation du parfait humaniste à la fois de par ses pensées, ses paroles mais aussi ses actions. À la croisée des intrigues, c'est un homme qui souffre en silence afin de protéger celle qu'il aime par-dessus tout, sans rien attendre en retour.