Sommaire
IL'amour, entre représentation précieuse et représentation charnelleALa représentation précieuse de l'amour dans la nouvelleBLa représentation charnelle de l'amour dans le filmIIL'importance du regard en amourIIILes dangers de la passionALe trouble amoureux : un état irrationnel et incontrôlableBLa jalousie, un sentiment avilissantCL'amour entre déception et trahisonDL'amour, une constante souffranceLa princesse de Montpensier est au cœur d'intrigues amoureuses complexes qui la déboussolent. Madame de Lafayette présente une jeune femme envahie par la passion qu'elle voue au duc de Guise, tout en étant l'objet involontaire du désir de trois autres hommes. Si la nouvelle relate l'échec de l'amour précieux et idéal, le film, lui, s'attache à décrire la puissance de l'amour charnel. Dans les deux cas, l'amour est transmis par les regards et le pouvoir de la vue est exceptionnel car, le secret devant être protégé, l'intensité des regards échangés est encore renforcée. Mais surtout, l'amour est montré comme une source d'effroyable souffrance, animant en l'Homme des émotions et sentiments peu nobles. Si Tavernier choisit de croire malgré tout en la passion, Madame de Lafayette la condamne sévèrement comme étant une cause de profond malheur menant à l'anéantissement des êtres.
L'amour, entre représentation précieuse et représentation charnelle
Dans la nouvelle "La Princesse de Montpensier", plusieurs formes d'amour se dessinent :
- L'amour passionnel
- L'amour raisonnable
- L'amour platonique
Marie voue un amour passionnel à Henri de Guise.
Marie aime raisonnablement son époux le prince de Montpensier.
Les amours du duc d'Anjou et du comte de Chabannes pour Marie sont platoniques.
Le récit traite bien de la passion amoureuse et des liens sentimentaux complexes qui unissent les personnages :
- Quatre hommes aiment Marie : le duc de Guise, le duc d'Anjou, le prince de Montpensier et Chabannes.
- Marie aime passionnément le duc de Guise.
- Marie aime raisonnablement son époux.
- Marie affectionne Chabannes qu'elle considère comme un ami.
- Marie est intriguée par le duc d'Anjou
Le film reprend ce schéma. Toutefois, dans la nouvelle, la passion amoureuse est représentée de façon précieuse et classique alors que dans le film, c'est l'aspect charnel qui semble prendre le dessus.
La représentation précieuse de l'amour dans la nouvelle
L'amour est le sujet principal du mouvement précieux. Il existe de multiples amours, un seul toutefois est digne d'être vécu, louable et idéal, c'est l'amour précieux. Il est caractérisé par un affranchissement total de servitude (donc en général il n'est pas compatible avec le mariage) et par l'égalité entre l'homme et la femme. Il lie les cœurs de deux amants qui s'aiment véritablement, et il n'est pas entaché par l'aspect charnel. Cet amour est surtout intellectuel et se traduit par des échanges où la langue est magnifiée. La femme doit être idéalisée et respectée.
Les héros précieux sont idéalisés. On peut le constater dans la nouvelle "La Princesse de Montpensier" : tous les personnages semblent parfaits, beaux, bien faits, dignes d'admiration et exemplaires.
Le duc de Guise renonce à "l'honneur d'être beau-frère" du roi pour prouver qu'il ne pouvait "désirer un autre cœur" que celui de Marie. Ce sacrifice est une preuve de ses sentiments, mais également un parfait exemple du fait que l'amour et le mariage ne sont pas considérés comme compatibles, puisque le mariage ne se fait pas entre des êtres qui s'aiment.
Le prince de Montpensier est "couvert de la gloire qu'il avait acquise au siège de Paris et à la bataille de Saint-Denis."
Le duc d'Anjou est associé à "beaucoup de gloire" et de "belles actions".
Le duc de Guise "passait de beaucoup les grandes espérances qu'on avait conçues de lui". Lorsque la princesse apprend ses exploits à la guerre, elle en conçoit de la joie et parle de son mérite.
C'est avec des mots bien ciselés que Madame de Lafayette entend décrire les passions qui occupent les héros de sa nouvelle, et particulièrement celle troublant le cœur de Marie. La jeune femme nourrit une sincère tendresse pour son époux, étant triste à l'idée qu'il se mette en danger à la guerre : "[elle] demeura fort triste des périls où la guerre allait exposer son mari". Toutefois, cet amour n'est pas en accord avec les sentiments du prince de Montpensier. En effet, il éprouve une "douleur extrême" à l'idée de la quitter. Il existe donc un décalage entre les sentiments des deux époux. Il n'y a pas d'équilibre, pas de parfaite réciprocité. Par ailleurs, très jaloux, le prince est souvent fou de colère, ce qui attriste profondément Marie.
Le comte de Chabannes voue un amour très fort à la princesse de Montpensier. Celle-ci l'apprécie beaucoup et lui fait confiance. Cela sera d'ailleurs douloureux pour lui une fois qu'il lui aura avoué ses sentiments et qu'elle l'aura sévèrement repoussé : "Toutes ces marques de confiance, qui avaient été si chères au comte, lui devinrent insupportables."
La passion du comte le portait si naturellement à ne songer qu'à ce qui pouvait augmenter le bonheur et la gloire de cette princesse.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
L'amour de Chabannes pour Marie est idéal dans le sens où il est prêt à tout pour elle et ne la blesse jamais. Tout au long de la nouvelle, il s'inquiète pour elle. Même lorsqu'elle lui cause de la peine, il reste. Il la défend, la protège. Jamais son amour n'est une source de souffrance pour Marie, contrairement à l'amour de Philippe ou celui de Guise.
Le seul amour réellement réciproque de la nouvelle est celui qui lie Marie au duc de Guise. C'est un amour qui trouve ses racines dans l'adolescence. En revoyant la princesse, le duc de Guise est troublé, "sentant réveiller vivement dans son cœur tout ce que cette princesse y avait autrefois fait naître". Leur amour est teinté de l'évidence des premières passions, de la tendresse pure et enfantine qu'ils se vouaient plus jeunes.
Quoiqu'ils ne se fussent point parlé depuis longtemps, ils se trouvèrent accoutumés l'un à l'autre, et leurs cœurs se remirent aisément dans un chemin qui ne leur était pas inconnu.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
La princesse reçoit "mille marques cachées de la passion de ce duc" tous les jours. Il lui fait d'ailleurs de grandes déclarations.
Il aurait été plus respectueux de vous la faire connaître par mes actions que par mes paroles, mais, madame, mes actions l'auraient apprise à d'autres aussi bien qu'à vous et je souhaite que vous sachiez seule que je suis assez hardi pour vous adorer.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Le duc s'adresse ici à la princesse au discours direct.
Toutefois, cet amour n'est pas idéal. En effet, la passion de Guise n'est pas constante, et il ne se conduit pas toujours idéalement. Il cesse de prendre des nouvelles de Marie à la fin de la nouvelle, alors qu'elle est gravement malade depuis leur dernière entrevue, et il tombe amoureux d'une autre.
Le duc d'Anjou est très épris de la princesse, mais cette passion lui apporte surtout de la tristesse et de la rage lorsqu'il comprend que le duc de Guise lui a menti.
Ainsi, aucun amour dans la nouvelle n'est à la hauteur de l'amour précieux, de l'amour idéal. Marie espère et croit qu'elle vit avec Henri de Guise une passion sincère et profonde, mais elle est trahie par son amant à la fin. Délaissée et abandonnée par le duc d'Anjou dépité, par son mari profondément meurtri et par son amant, Marie réalise que le seul homme qui lui a été réellement fidèle et lui a voué un amour véritable et pur est le comte de Chabannes.
La représentation charnelle de l'amour dans le film
Dans son film, Bertrand Tavernier s'attache "à respecter [les] passions que décrivait Madame de Lafayette, à suivre leur progression, mais aussi à mettre à nu ces émotions, en trouver le sens, les racines, la vérité profonde, charnelle." Il est en quête de la vérité charnelle de la passion, de la vérité émotionnelle. Dès le début du film, il crée ainsi une tension érotique très forte entre Marie et Henri. Les rapports qu'ils entretiennent sont des rapports d'amour. La première fois qu'ils apparaissent ensemble à l'écran, ils rient ensemble, se courent après, et s'isolent sous un arbre. Henri se montre entreprenant, tenant Marie très près de lui, cherchant à l'embrasser, caressant sa poitrine. La jeune femme le repousse pour préserver les convenances, mais on sent que sans témoins et sans la société autour, ils seraient prêts à faire l'amour. Le désir est donc, dès le début, très prégnant. La sensualité est centrale dans les rapports qu'entretiennent Marie et Henri.
Cette question de la sensualité et de l'aspect charnel de l'amour se retrouve dans une scène à laquelle Marie assiste après son mariage. Elle aperçoit une femme de sa suite, Joséphine, faisant l'amour avec un homme. Elle semble curieuse, on comprend qu'elle ne connaît pas ce genre de passion, ce genre d'assouvissement. Plus tard, elle demande à Chabannes si "l'idée du péché est-ce déjà pécher ?". Il lui répond que l'idée sans l'envie, non, et elle continue : "et l'idée avec l'envie ?". Marie est perturbée par son désir. Le spectateur sait qu'elle a des rapports physiques avec son mari, mais il comprend aussi qu'elle n'est pas épanouie avec lui, elle ne connaît pas la passion charnelle véritable. Ce qui la pousse vers le duc de Guise plus que vers les autres hommes, c'est l'attirance qu'elle a pour lui, qu'elle ne peut pas raisonner, qu'elle ne peut pas contrôler.
Une autre scène souligne l'importance de l'aspect charnel d'une relation amoureuse. Lors de son retour de la guerre, le prince de Montpensier entre dans la chambre de sa femme qui semble avoir peur de lui. Il comprend qu'ils ne se sont pas vus depuis trop longtemps et qu'il doit lui laisser le temps de s'habituer à lui. Il ressort. Le spectateur a assisté à la scène de nuit de noces entre Philippe et Marie, une scène sans doute traumatisante pour la jeune femme qui ignorait ce qui allait se passer. Cette scène a creusé un fossé entre les deux époux. Toutefois, touchée par la délicatesse de son mari, elle décide de l'attendre dans sa chambre. Cela n'est pas anodin : à l'époque, c'est l'homme qui va dans la chambre de sa femme. Marie choisit donc de passer la nuit avec son époux. C'est une femme pour qui les rapports physiques sont importants. Elle a soif de sensualité, soif de désir.
Bertrand Tavernier met en scène la nudité à plusieurs reprises dans son film. Cela est un peu lié à l'aspect charnel des rapports entre les personnages, mais surtout à l'époque. En effet, il était courant que la noblesse soit nue devant ses domestiques, par exemple. La nudité n'avait pas la même connotation qu'aujourd'hui.
Marie est un personnage de chair, éveillant les désirs des hommes :
- Le duc d'Anjou la dévore des yeux, ce qui la perturbe.
- Le duc de Guise ne peut s'empêcher de la caresser et de la cajoler lorsqu'il est seul avec elle.
- Son mari la désire ardemment.
Seul le comte de Chabannes ne lui impose pas son désir. Il aime la princesse d'une façon différente, il ne semble pas perdu par son désir physique mais touché par l'être qu'est Marie. Il est d'ailleurs le seul à passer réellement du temps avec elle, à la connaître, à la voir se comporter naturellement.
Bertrand Tavernier considère que la tension érotique du film, tension qui se retrouve dans les rapports entre la plupart des personnages, doit être résolue afin de satisfaire le spectateur. La princesse est montrée, dès le début, comme une jeune femme qui aspire à la passion amoureuse. Ainsi, il lui octroie une nuit d'amour, Marie pourra satisfaire son désir charnel avec Henri.
Je vous en ai payé d'une nuit dont je n'ai pas regret.
Bertrand Tavernier et Jean Cosmos
Réplique de Marie dans le film La Princesse de Montpensier
L'importance du regard en amour
Dans la nouvelle, la représentation de la passion amoureuse passe d'abord par la vue. D'ailleurs, en général, les personnages romanesques de Madame de Lafayette voient plutôt qu'ils ne regardent. Ainsi, on relève un champ lexical du regard et de la vue très important en lien direct avec l'intrigue amoureuse.
Le duc de Guise, qui la voyait souvent, et qui voyait en elle les commencements d'une grande beauté, en devint amoureux et en fut aimé.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
La naissance de la passion est résumée dans cette phrase avec la répétition du verbe "voir".
Le regard joue plusieurs rôles dans la passion amoureuse :
- Il crée l'amour : on voit puis on aime.
- Il permet à la princesse de Montpensier de découvrir "mille marques cachées de la passion" du duc de Guise, qu'elle seule peut déceler connaissant ses sentiments.
- Il permet la dissimulation, la stratégie, on peut voir sans être vu, ainsi Guise avoue ses sentiments à Marie car "il ne pouvait être vu de personne."
- Il trahit, ce sont les regards échangés entre les amants qui dévoilent l'amour. Les regards expressifs sont comme des sous-entendus. Les amants se construisent une solitude à eux.
- Il réanime l'amour et empêche de se libérer de la passion : "Ces pensées lui firent faire de nouvelles résolutions, mais qui se dissipèrent dès le lendemain par la vue du duc de Guise."
Liée au regard, la vue est très importante également. Elle provoque le trouble et fait rougir, et c'est d'ailleurs ce qui se passe lorsque Marie revoit Guise pour la première fois après son mariage : "mais elle distingua encore plus tôt le duc de Guise".
Le duc d'Anjou et le duc de Guise tombent sous le charme de la princesse lorsqu'ils la voient sur la barque car elle est d'une grande beauté : "dans une beauté qu'ils crurent surnaturelle". Ici, de nouveau, la vue est à l'origine des sentiments.
Les personnages s'observent, se regardent, les échanges de regards troublent. La passion naît, se développe et s'anéantit par le regard. Toutefois, le regard reste superficiel. La plupart du temps, il est cantonné à l'apparence et ne permet pas de connaître véritablement la personne aimée. De là naissent les projections et les fantasmes pouvant provoquer de cruelles déceptions.
Le duc d'Anjou les observait soigneusement l'un et l'autre, les yeux de cette princesse laissaient voir malgré elle quelque chagrin lorsque le duc de Guise parlait à Madame.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Le regard de la princesse trahit ses sentiments.
Finalement, c'est la vue, le regard qui semble emprisonner les êtres dans la passion. Toutefois, la fuite n'est pas une guérison, le regard est à la fois dans le passé et l'avenir. En effet, la princesse de Montpensier vit beaucoup plus avec Guise que si elle était auprès de lui lorsqu'ils ne sont pas ensemble. Elle pense à lui, lorsqu'ils se sont avoué leur amour. La correspondance qu'ils entretiennent attise son désir de le voir.
Le regard n'est pas simplement nécessaire à l'éveil de l'amour et à son ravivement, mais également indispensable à la survie du sentiment et vie de la personne. En effet, dans la nouvelle, la princesse ne survit pas sans voir Guise.
Bertrand Tavernier a bien compris l'importance qu'il avait dans la nouvelle et se focalise dessus également dans le film.
Pour La Princesse de Montpensier, cette histoire de passion et d'émotion, il fallait adopter une approche moderne en phase avec les sentiments des personnages. Mettre en avant les acteurs, les détacher du décor, les placer sur des fonds plus abstraits (sombres, surexposés). Éviter les plans descriptifs gratuits au profit d'une caméra toujours au centre, au cœur de l'action. [...] L'émotion passe par le regard des acteurs. Il est primordial qu'on puisse toujours capter cette lueur dans leurs yeux, même quand les scènes se déroulent en pleine pénombre.
Bruno de Keyzer
Dossier de presse de Studio Canal
Ici, le directeur de la photographie du film souligne bien qu'une importance particulière a été apportée à la mise en avant des regards des acteurs, qui permettent de traduire les émotions des personnages.
Les dangers de la passion
Le trouble amoureux : un état irrationnel et incontrôlable
L'amour est un trouble considérable qui ébranle les âmes les plus pures et les plus vertueuses. Le vocabulaire du trouble est prégnant dans la nouvelle, le terme est souvent répété. Le trouble de l'amour est si fort que l'on peut oublier un instant qui l'on est ou où l'on est.
La princesse de Montpensier demeura si troublée qu'elle fut quelque temps sans revenir à elle.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Les déclarations amoureuses jettent l'âme dans le trouble.
La princesse fut d'abord si surprise et si troublée de ce discours qu'elle ne songea pas à l'interrompre.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Le trouble causé par l'état amoureux ne peut être caché.
Le trouble et l'agitation étaient peints sur le visage de cette princesse.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Dans la nouvelle, on relève de nombreuses hyperboles soulignant l'état contradictoire et complexe dans lequel l'amour jette Marie :
- "si surprise et troublée"
- "trouble et agitation"
- "embarrasser"
- "si troublée"
Vertueuse au départ, Marie est soucieuse de rester sage mais elle est entraînée dans une passion qui jette son âme dans le chaos : c'est une aliénation. Son caractère même est modifié par le trouble de l'amour. Ainsi, lors d'une scène de dispute avec Henri de Guise, elle se montre cassante car elle est blessée, croyant qu'il en aime une autre. Alors qu'elle veut partir, Guise la rattrape. Tout à coup, il la tient de la même façon que lorsqu'ils étaient plus jeunes, il pose sa main sur sein, et cette complicité naturelle fait surgir la passion, la tension sexuelle est grande, Marie le laisse l'embrasser avant de s'échapper. Le trouble amoureux empêche la jeune femme de le repousser. Elle est déchirée par la passion qu'elle éprouve.
De même, dans le film, lorsqu'elle doit décider de poser la bougie sur la fenêtre, signe qu'elle ne veut pas que Guise monte dans sa chambre, elle hésite, sachant que cette conduite est amorale. Toutefois, entendant les cris d'un chien, elle a si peur pour Henri qu'elle en oublie les convenances.
On retrouve un schéma similaire dans la nouvelle, la princesse ne refuse pas purement et simplement de voir Guise, elle demande au contraire à Chabannes : "Mais par où et comment ?". Se rendant compte ensuite de ce qu'elle a fait, elle veut le rappeler pour empêcher qu'il ne fasse monter Henri, mais elle n'en a "pas la force", elle "ne put résister". On retrouve cette idée que l'amour est une force contre laquelle on ne peut résister lorsque Marie accepte de voir Guise seule, encore une fois lorsqu'elle accepte d'agir à l'encontre des convenances et de la morale : "ne put refuser son cœur à un homme qui l'avait possédé autrefois et qui venait de tout abandonner pour elle".
Ainsi, l'amour trouble la raison autant qu'il trouble les sens. Il empêche Marie de réagir conformément à son devoir.
La jalousie, un sentiment avilissant
Si l'amour trouble, il peut également plonger les êtres dans des sentiments peu nobles. Ainsi, Madame de Lafayette évoque à plusieurs reprises les confrontations entre Marie et Philippe dans la nouvelle, car le jeune homme est très jaloux. Dans le film, on observe bien l'évolution du prince de Montpensier. D'abord intérieur, timide, souvent tendu, il parle bas. Après la scène de dîner où tous les hommes semblent séduire Marie, il explose et fait preuve de violence en frappant violemment un meuble à côté de lui, ce qui fait tressauter Marie.
L'acteur jouant le prince de Montpensier a même démoli le meuble du XVIe siècle sur lequel il frappe violemment lorsqu'il s'emporte contre Marie.
Dans la nouvelle, on trouve des preuves de la violence du prince de Montpensier à l'égard de sa femme : "s'emporta contre elle avec des violences épouvantables, et lui défendit de parler jamais au duc de Guise."
Dans la nouvelle, on trouve de nombreux exemples de la "jalousie furieuse" de Philippe qui font passer de "mauvaises heures à la princesse de Montpensier".
Ensuite, éprouvant du remord, il veut s'excuser mais Anjou apparaît et il doit partir. Philippe regrette souvent sa conduite, l'amour le rend jaloux. Dans la nouvelle, Madame de Lafayette note que ce sentiment est naturel chez lui : "par le sentiment d'une jalousie qui lui était naturelle". Madame de Lafayette n'accuse toutefois pas entièrement la nature du prince, écrivant qu'"une nouvelle aventure eût donné de l'emportement à un esprit, et plus tranquille, et moins jaloux". En effet, le prince n'est pas un méchant homme, au contraire. Ce qui lui cause le plus de chagrin, c'est que sa femme soit "quasi une personne inconnue" alors qu'il éprouve pour elle une vive passion, et qu'elle en aime un autre.
Surtout, le prince est jaloux de son rival, le duc de Guise. Leur rivalité est sans pareil depuis l'affront que les Guise ont essuyé à cause des Montpensier. Henri surtout se montre souvent insolent avec Philippe. Sur le champ de bataille, il demande des nouvelles de Marie sur le ton de l'insulte. Lorsque Philippe le surprend avec sa femme, le découvrant très proche d'elle, la montée de la colère est sans pareille. Leur haine se conclut par un duel, un véritable affrontement physique, très violent, que Bertrand Tavernier filme en plans longs. Il ne semble y avoir aucune règle, et l'on sent que si le duc d'Anjou n'avait pas interrompu la bataille, ils se seraient entretués.
Dans la nouvelle, le prince de Montpensier n'apprend jamais que le véritable amant de la princesse est Guise, il reste persuadé qu'il s'agit en réalité de Chabannes. Alors que cet homme était son proche ami, à sa mort il est "bien aise de se voir vengé par les mains de la fortune". Ainsi, l'amour fait naître la jalousie, le sentiment de vengeance, des sentiments avilissants.
Si Philippe est le personnage le plus associé à la jalousie, il est loin d'être le seul animé par cette émotion :
- Lorsque la princesse apprend que Guise en courtise une autre, elle est dans un état de grande agitation : "ne pouvait plus souffrir qu'un homme que toute la France croyait amoureux de Madame osât lui dire qu'il l'était d'elle."
- Lorsque le duc d'Anjou comprend que Marie aime Guise, le vocabulaire utilisé est très violent : "dépit", "rage", "haine", "violent", "marque sanglante", "désespoir".
- De même, Chabannes éprouve la même "rage" et "fureur", termes plusieurs fois répétés, à l'idée que Marie aime Henri.
Pour Bertrand Tavernier, le prince de Montpensier est moins un mari jaloux qu'un jeune homme très épris et maladroit. Il estime que le jeune âge de Philippe permet d'excuser son comportement et il le présente avant tout comme un amoureux transi. Malheureusement, c'est par sa maladresse qu'il perd Marie. À la fin du film, elle est enfermée dans sa chambre et il lui parle à travers la porte. Elle est touchée par ce qu'il dit et va lui ouvrir, mais tout à coup il lui dit : "rien ne vous assure de la continuité de sa passion" en parlant de Guise. Plutôt que de rester doux, il laisse la colère et la jalousie dicter ses paroles. Il perd alors complètement sa femme, qui se drape dans son orgueil.
Chez Madame de Lafayette, la jalousie est l'essence même de la passion. L'amour n'existerait pas, seul l'amour de soi existe. Ce pessimisme janséniste, que l'on retrouve dans les Maximes de La Rochefoucauld, est caractéristique du XVIIe siècle.
L'amour entre déception et trahison
L'amour est source de déception et de trahison. L'amour ne comble jamais, tel semble être le message de Madame de Lafayette dans plusieurs de ses œuvres, dont "La Princesse de Montpensier" et La Princesse de Clèves. La passion de Guise, comme celle de Nemours, s'éteint. L'amour semble avoir été davantage un jeu. C'est ce que le personnage dit clairement à la princesse dans le film.
Vous étiez au milieu de nous comme une biche au temps du brame...
Bertrand Tavernier et Jean Cosmos
Guise compare ici la princesse à une proie entourée de prédateurs. Il la voulait d'autant plus que d'autres que lui la voulaient.
Ce jeu s'illustre notamment dans la nouvelle avec la réaction d'Henri face à la froideur de Marie qui croit qu'il en aime une autre. Il décide alors de ne pas épouser Madame malgré ce que cela lui apporterait, et il conclut un mariage avec la princesse de Portien (dans la réalité avec Catherine de Clèves, contrat de mariage qu'il signe le 1er octobre 1570). La princesse de Montpensier est "touchée de joie et de douleur" par ce sacrifice qui prouve le "pouvoir" qu'elle a sur le duc. Elle est "fâchée" pour lui qu'il perde un beau parti, mais cela la flatte. Il y a quelque chose de fort étrange ici, le mariage ne veut rien dire, mais l'amour semble tout aussi étonnant. En effet, Guise ne renonce pas à toutes les femmes pour Marie, il choisit simplement d'en épouser une autre.
Par ailleurs, cet acte n'est pas désintéressé. En effet, Henri attend quelque chose en retour : "qui voulait du moins que l'amour le récompensât de ce qu'il perdait du côté de la fortune." De plus, Henri agit sans réfléchir, "sans considérer ce qu'il hasardait pour elle et pour lui". Pire, Madame de Lafayette écrit même qu'il a tendance à "exagérer sa passion". Henri aime sans doute Marie, mais pas aussi profondément qu'il le laisse croire, qu'il le croit lui-même. Ainsi, la princesse est trompée par les mots de Guise, par ses actions, alors qu'il agit avec une grande légèreté. Celle-ci s'illustre notamment dans la facilité avec laquelle il se détache d'elle : "laissa peu à peu éloigner de son âme le soin d'apprendre des nouvelles de la princesse de Montpensier". Il tombe ensuite amoureux de la marquise de Noirmoutier, "il s'y attacha entièrement et l'aima avec une passion démesurée et qui lui dura jusques à la mort." Il oublie donc Marie, qui a tout sacrifié pour lui, croyant que le sacrifice qu'il faisait avait de l'importance. En réalité, le sacrifice d'Henri était facile, le mariage n'a pas de valeur. Par contre, le sacrifice de Marie est irréversible. Sa réputation perdue, elle ne peut pas la retrouver.
L'homme réellement amoureux et souhaitant uniquement le bien de Marie est Chabannes. Contrairement à Anjou, Guise ou Montpensier, il ne fait jamais de mal à Marie et la traite avec respect. Il n'exagère pas sa passion et fait tout pour la protéger. Contrairement à Guise, ses actions ne dépassent pas ses sentiments, il sait se contenir pour préserver Marie : "s'il ne fut pas maître de son cœur, il le fut de ses actions". Il n'est pas récompensé de son amour. Marie le traite avec une grande cruauté dans la nouvelle, faisant de lui le messager de son courrier avec Guise. Elle ne s'en rend pas forcément compte, mais elle l'utilise. Dans le film, elle paraît moins terrible avec lui, mais elle se soucie peu de le blesser en se montrant fière ou en lui parlant du duc de Guise. L'amour est toujours décevant, puisque le plus fidèle amour n'est pas récompensé. D'une certaine façon, Chabannes est trahi par Marie qui l'utilise, comme Marie est trahie par Henri qui la délaisse.
Dans le film, Chabannes semble vouloir se venger de la froideur avec laquelle Marie a accueilli sa déclaration d'amour. Lors de la scène de découpe du sanglier qui suit, elle est mal à l'aise. Toutefois, Chabannes ne peut la mettre dans cette position, il est trop bienveillant, il finit par faire lui-même le travail.
L'amour, une constante souffrance
L'amour, surtout, apporte une souffrance constante. Tous les personnages souffrent, à l'image du duc d'Anjou, "accablé de douleur" lorsqu'il apprend que Marie aime Henri. La souffrance causée par l'amour est retranscrite par des hyperboles, c'est un "affront insupportable" qui peut être responsable de "ressentiment" et d'une "haine qui ne finit qu'avec leur vie".
Ce n'est pas pour rien que l'arrière-plan historique de la nouvelle est la guerre : l'amour est comme un combat. On ne peut pas lutter contre lui.
[Chabannes] ne put se défendre de tant de charmes qu'il voyait tous les jours de si près.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Chabannes a "honte", mais il finit par laisser l'amour l'envahir. Plusieurs images violentes lient sa passion au combat : "il fallut céder", "se laisser surmonter", "l'aimer de la plus violente et de la plus sincère passion qui fut jamais", "combats".
On retrouve cette idée d'un mal violent à plusieurs reprises dans la nouvelle :
- Le duc d'Anjou "fut touché du même mal que M. de Guise". Lorsqu'il apprend qu'elle aime Henri, il est "touché d'amour et de douleur". L'utilisation de la conjonction de coordination "et" montre bien qu'amour et souffrance sont associés.
- Le duc de Guise "acheva d'en devenir violemment amoureux".
- Le comte de Chabannes "avait toujours été malade à Paris pendant le séjour de la princesse de Montpensier à Blois".
- La lecture des lettres de Guise par la princesse, devant Chabannes, "maltraita bien plus le comte en cette occasion qu'elle n'avait fait la première fois qu'il lui avait parlé de son amour."
L'amour rend trop faible pour que l'on puisse lutter contre lui, les personnages n'ont pas d'autre choix que de le ressentir et d'en souffrir.
L'on est bien faible quand on est amoureux.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
L'amour est une souffrance qui peut être liée à la mort :
- L'absence de Guise est pour la princesse un "chagrin mortel".
- L'égoïsme de la princesse qui demande à Chabannes de transmettre ses lettres à Guise est pour lui un "dernier coup".
- En découvrant sa femme avec Chabannes, le prince de Montpensier est jeté dans une "douleur mortelle".
- Enfin, la princesse finit par mourir, elle tombe "extraordinairement malade", elle a la "fièvre", est plongée dans des "rêveries si horribles" et "mourut peu de jours après".
Dans le film de Bertand Tavernier, la vision de l'amour est plus optimiste. En effet, s'il est évident que tous les personnages souffrent et sont trompés, la lettre que Chabannes écrit à Marie est pleine d'espoir malgré tout, et la fin ouverte permet d'espérer, bien que l'héroïne affirme se retirer de l'amour.
Princesse, très chère Marie, enfant,
Si je prends aujourd'hui cette liberté de vous écrire comme j'ai pris celle de vous aimer, c'est que, décidé à gagner Maucombe où je m'ensevelirai dans le silence, je me fais un devoir de vous servir une dernière fois. Je crains pour vous, madame. Ayant eu le bonheur de vous examiner tant d'heures, qui vous connaîtrait mieux que moi ? Qui connaîtrait mieux que moi votre dure innocence, jamais offerte, toujours dans le secret, attendant des autres qu'ils vous tirent un cri et rageant s'ils vous y contraignent ? Vous poursuivez seule le voyage de la vie, comme un pèlerin dans les ténèbres. Ne vous trompez pas d'étoile, Marie. Moi je connais la vôtre, à la distance d'une main au-dessus de la constellation du Dauphin que nous avons observée ensemble. Je lui ai donné votre nom, et je suis assuré qu'elle est bien vôtre car, dès que je lui parle de ce qui me broie le cœur, elle s'éteint. [...] Pour moi, vous m'avez apporté l'émerveillement de la jeunesse : la vôtre, et la mienne tardivement resurgit. Où que je sois, vous m'accompagnerez. Adieu Marie, chère enfant. Le bonheur est une éventualité peu probable dans cette dure aventure qu'est la vie pour une âme aussi fière que la vôtre. Permettez moi de reparaître de temps à autre dans votre souvenir, comme une ces vieilles chansons que l'oubli n'efface jamais vraiment de notre mémoire. Ayant perdu l'estime de votre mari et le cœur de votre amant, au moins vous restera la parfaite amitié de François, comte de Chabannes.
Bertrand Tavernier et Jean Cosmos
Lettre entendue à la fin du film La Princesse de Montpensier
La vision de l'amour de Madame de Lafayette est bien plus fataliste. Albert Camus l'a d'ailleurs bien résumée dans un article où il présente sa vision de la passion amoureuse.
Pour prendre un exemple précis, il me semble que Mme de Lafayette ne vise, rien d'autre ne l'intéressant au monde, qu'à nous enseigner une très particulière conception de l'amour. Son postulat singulier est que cette passion met l'être en péril. Et c'est en effet ce qu'on peut dire dans la conversation, mais personne n'a eu l'idée d'en pousser la logique aussi loin que Mme de Lafayette l'a fait. Ce qu'on sent à l'œuvre dans La Princesse de Clèves comme dans "La Princesse de Montpensier", ou "La Comtesse de Tende", c'est une constante méfiance envers l'amour. On peut la reconnaître déjà dans son langage où il semble vraiment que certains mots lui brûlent la bouche : "Ce qu'avait dit Mme de Clèves de son portrait lui avait redonné la vie en lui faisant connaître que c'était lui qu'elle ne haïssait pas." Mais les personnages à leur manière nous persuadent aussi de cette méfiance salutaire. Ce sont de curieux héros qui périssent tous de sentiments et vont chercher des maladies mortelles dans des passions contrariées. Il n'est jusqu'à ses figures secondaires qui ne meurent par un mouvement de l'âme : "On lui porta sa grâce comme il n'attendait que le coup de la mort, mais la peur l'avait tellement saisi qu'il n'avait plus de connaissance et mourut quelques jours après." Les plus audacieux de nos romantiques n'ont pas osé donner tant de pouvoirs à la passion. Et l'on comprend sans peine que devant ces ravages du sentiment, Mme de Lafayette prenne comme ressort de son intrigue une extraordinaire théorie du mariage considéré comme un moindre mal : il vaut mieux être fâcheusement mariée que souffrir de la passion. On reconnaît ici l'idée profonde dont la répétition obstinée donne son sens à l'ouvrage. C'est une idée de l'ordre.
Bien avant Goethe, en effet, Mme de Lafayette a mis en balance l'injustice d'une condition malheureuse et le désordre des passions ; et bien avant lui, par un mouvement étonnant de pessimisme, elle a choisi l'injustice qui ne dérange rien. Simplement, l'ordre dont il s'agit pour elle est moins celui d'une société que celui d'une pensée et d'une âme. Et loin qu'elle veuille asservir les passions du cœur aux préjugés sociaux, elle se sert de ceux-ci pour remédier aux mouvements désordonnés qui l'effraient. Elle n'a cure de défendre des institutions qui ne sont pas son fait, mais elle veut préserver son être profond dont elle connaît le seul ennemi. L'amour n'est que démence et confusion. On n'a pas de peine à deviner les souvenirs brûlants qui se pressent sous ces phrases désintéressées, et c'est là, bien mieux qu'à propos d'une illusoire composition, que nous prenons une grande leçon d'art. Car il n'y a pas d'art là où il n'y a rien à vaincre, et cette mélodie cérémonieuse, nous comprenons alors que sa monotonie est faite autant d'un calcul clairvoyant que d'une passion déchirée. S'il ne s'y trouve qu'un seul sentiment, c'est qu'il a tout dévoré et s'il parle toujours sur le même ton un peu compassé, c'est qu'on ne lui permet pas les cris. Cette objectivité est une victoire. D'autres, qui peuvent être instructifs mais qui n'emportent rien, se sont exercés à l'objectivité. Mais c'est qu'ils n'étaient pas capables d'autre chose. C'est pourquoi les romanciers appelés naturalistes ou réalistes, qui ont écrit tant de romans et beaucoup de bons, n'en ont pas fait un seul grand. Ils ne pouvaient aller plus loin que la description. Chez Mme de Lafayette, au contraire, la grandeur de cet art hautain et de faire sentir que ses limites ont été posées avec intention. Du même coup, elles disparaissent et toute l'œuvre retentit. Cela est d'un art concerté qui doit tout à l'intelligence et à son effort de domination. Mais il est bien évident que cet art naît en même temps d'une infinie possibilité de souffrance et d'une décision arrêtée de s'en rendre maître par le discours. Rien ne dit mieux cette détresse disciplinée, cette lumière puissante dont l'intelligence transfigure la douleur, qu'une admirable phrase de la princesse de Clèves : "Je lui dis que tant que son affliction avait eu des bornes, je l'avais approuvée et que j'y étais entré ; mais que je ne le plaindrai plus s'il s'abandonnait au désespoir et s'il perdait la raison." Ce ton est magnifique. Il postule qu'une certaine force de l'âme peut poser des bornes au malheur en censurant son expression. Il fait entrer l'art dans la vie en donnant à l'homme en lutte contre son destin les forces du langage. Et l'on voit ainsi que si cette littérature est une école de vie, c'est justement parce qu'elle est une école d'art. Exactement, la leçon de ces existences et de ces œuvres n'est plus seulement d'art, elle est de style. On y apprend à donner une forme à sa conduite. Et cette vérité constante que Mme de Lafayette ne cesse de répéter, et qu'elle figure dans cette phrase sous une forme inoubliable, prend tout son sens et éclaire ce que je veux dire quand on voit que c'est le même homme (le prince de Clèves) qui dit cela et qui mourra pourtant de désespoir.
Albert Camus
"L'intelligence et l'échafaud", Confluences
1943