En quoi la représentation charnelle de l'amour dans le film de Bertrand Tavernier est-elle une transposition de l'amour précieux dans la nouvelle de Madame de Lafayette ?
Quel personnage ressent pour Marie un amour sincère, précieux ?
Quel personnage ressent pour Marie un amour passionnel, destructeur ?
Qu'accorde Tavernier à Marie que Madame de Lafayette lui avait refusé ?
Que cherche à découvrir Tavernier en étudiant la passion et les sentiments ?
Quelle image est donnée de l'amour dans ces œuvres ?
La nouvelle "La Princesse de Montpensier" est ancrée dans une époque historique trouble et développe certains aspects historiques mais le thème principal de cette nouvelle est l'amour, lié à la passion. L'intrigue est centrée sur le personnage de Marie, une jeune femme aspirant à davantage de liberté mais conditionnée par son milieu. La jeune héroïne, dotée d'une très grande beauté, est la cible de nombreux prétendants, tous sensibles à son charme. Madame de Lafayette développe dans sa nouvelle trois formes d'amour mais, selon les codes classiques, un seul vaut la peine d'être vécu : l'amour précieux. Toutefois, alors que l'auteur axe son œuvre sur cet amour, Tavernier, lui, apporte une touche de modernité aux relations qu'entretiennent les personnages en transformant cet amour précieux en amour passionnel. C'est cette transposition qui va être étudiée, tout d'abord par le biais de l'amour précieux développé dans la nouvelle de Madame de Lafayette, puis dans la représentation passionnelle de l'amour dans le film, et enfin en étudiant pourquoi 'amour semble toujours être une source de déception et de désillusions pour les personnages.
L'amour précieux de la nouvelle
Dans la nouvelle, Marie est la cible de nombreuses attentions et ses prétendants se pressent autour d'elle, ce qui va permettre de traiter du thème de l'amour, très important et souvent abordé dans le roman précieux. Il faut d'ailleurs distinguer trois sortes d'amour, toutes présentes dans l'œuvre étudiée : l'amour passionnel qui unit la jeune femme à Guise, l'amour platonique qui la lie à d'Anjou et l'amour raisonnable avec son époux pour lequel elle éprouve une tendresse sincère. Cependant, ces trois formes d'amour ne permettent pas aux prétendants d'être heureux car chaque relation est corrompue par la passion ou par une relation basée sur l'asservissement d'un des deux amants. Les précieux aspirent à une plus grande liberté de la femme et à une relation égalitaire. Surtout, ils condamnent la passion amoureuse, source d'un profond malheur. Ainsi, cette passion est vivement réprimée dans la nouvelle et va conduire Marie à sa perte.
A contrario, l'amour précieux est mis en avant. Dans cette forme d'amour, la femme est idéalisée et respectée. Cet amour sincère lie Chabannes à Marie, il tombe sous son charme physique mais surtout sous son charme intellectuel qu'il découvre grâce à leurs nombreuses discussions. La jeune femme ne se rendra compte que trop tard que ce qu'elle prenait pour une amitié fidèle était en réalité un amour sincère. Cet amour étant centré sur une relation intellectuelle et non physique, l'aspect charnel ne rentre pas en ligne de compte et n'en pervertit pas la beauté. Outre les sentiments éprouvés par les personnages, cet amour est magnifié par le langage soigné et ciselé des précieux. Enfin, les héros précieux sont idéalisés. Dans la nouvelle, tous les personnages sont parfaits, beaux et exemplaires. Pour preuve de sa droiture, Guise renonce à "l'honneur d'être beau-frère" du roi pour démontrer qu'il ne pouvait "désirer un autre cœur" que celui de Marie. Il prouve ses sentiments par ce sacrifice mais cela illustre aussi le fait que l'amour et le mariage sont incompatibles car le mariage ne se fait pas entre des êtres qui s'aiment.
Madame de Lafayette développe dans sa nouvelle plusieurs formes d'amour mais insiste sur le seul qui vaille d'être vécu, l'amour précieux. Seul cet amour peut permettre aux amants d'être heureux car il les libère des liens du mariage, aliénant, et de la passion amoureuse.
L'amour passionnel dans le film
Alors que dans la nouvelle l'amour passionnel que ressentent Marie et Guise n'est jamais consommé, Tavernier permet à Marie de passer une nuit avec celui qu'elle aime et de faire aboutir l'amour qui brûle en elle. Grâce à Chabannes qui se sacrifie pour elle, Marie peut faire entrer dans sa chambre Guise, qui était caché, afin de passer la nuit avec lui. Le réalisateur accorde donc davantage de liberté à Marie et fait d'elle un personnage plus complexe et moins naïf qu'au XVIIe siècle. Alors que chez Madame de Lafayette Marie connaît un destin effroyable avec une fin moraliste très sévère, l'adultère n'ayant jamais été consommé, un espoir est permis dans le dernier plan du film de Tavernier : Marie décide de partir, seule mais libre.
Alors que Madame de Lafayette, dans un langage contenu et esthétique, ne fait qu'effleurer ces passions, Bertrand Tavernier souhaite les respecter et les approfondir, "suivre leur progression, mais aussi mettre à nu ces émotions, en trouver le sens, les racines, la vérité profonde, charnelle." Aussi, la tension érotique entre Marie et Henri est très forte, et ce dès la première scène où ils apparaissent ensemble. Ils forment un couple d'amoureux, riant et badinant. D'ailleurs, personne dans leur entourage n'est dupe de leur amour éclatant.
Plus tard, la notion de désir sera abordée par la jeune femme qui, après une nuit de noces traumatisante, s'éveille à la sensualité et au désir lorsqu'elle surprend Joséphine, une de ses suivantes, en pleins ébats sexuels. C'est Chabannes qui répondra aux questions sur le désir que lui pose la jeune femme. Cette dernière se demande si "l'idée du péché est-ce déjà pécher ?". Il lui répond que l'idée sans l'envie n'implique aucune trahison, mais elle continue : "et l'idée avec l'envie ?". Marie semble donc perturbée par le désir qu'elle ressentait non à l'égard de son mari ni de son confident, mais envers Guise.
Dans le film, Bernard Tavernier transpose donc l'amour précieux de Marie et Guise en amour passionnel. Pourtant, les deux œuvres montrent la même chose : l'amour ne rendra pas les personnages heureux.
L'amour, source de désillusions et de déception
L'amour semble donc être dans les deux œuvres une source de déception car il ne permet pas de combler les attentes des personnages ni leurs envies. D'ailleurs, ces envies varient selon les personnages. Alors que Marie ressent un amour sincère et véritable envers un homme, finalement celui-ci ne semble pas véritablement attaché à elle. La jeune femme est davantage un trophée que les jeunes hommes souhaitent remporter dans une rivalité amoureuse. Seul Chabannes ressent un amour véritable pour Marie, mais ce ressenti n'est pas réciproque. La jeune femme ne comprendra que trop tard qu'elle aurait pu être heureuse avec lui. Elle a été aveuglée par la force de la passion amoureuse. Contrairement à celles de Guise, les actions de Chabannes ne dépassent pas ses sentiments : "s'il ne fut pas maître de son cœur, il le fut de ses actions", dit le narrateur. Cependant Marie profite de sa gentillesse et de l'amour qu'il ressent à son égard pour faire de lui son messager, au service de son bonheur personnel.
L'amour est donc toujours décevant car l'amour véritable et pur ne parvient pas à s'élever contre la passion amoureuse, destructrice.
Que ce soit par le biais d'une représentation précieuse comme dans la nouvelle ou passionnelle comme dans le film, l'amour reste toujours décevant car il ne permet pas aux personnages de se libérer totalement du carcan de la société. La seule solution semble être celle que choisit Marie à la fin du film de Tavernier : comme Chabannes, qui s'était retiré de la guerre, elle prend la décision de se retirer de l'amour.