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La lecture du Journal des Faux-Monnayeurs aide-t-elle à mieux comprendre le roman ?
Sur quelle période s'est échelonnée la rédaction du Journal des Faux-Monnayeurs ?
En quelle année a été publié le Journal des Faux-Monnayeurs ?
Quels éléments composent l'appendice du Journal des Faux-Monnayeurs ?
Sur quel élément du roman le Journal des Faux-Monnayeurs renseigne-t-il ?
En quoi le lecteur est-il important en ce qui concerne les liens entre le roman et le Journal des Faux-Monnayeurs ?
André Gide a toujours considéré l'écriture des Faux-Monnayeurs et celle du Journal des Faux-Monnayeurs comme intrinsèquement liées. Le premier ouvrage étant, selon lui, son seul et unique roman, alors que le Journal a pour fonction d'éclairer le lecteur sur sa genèse. Ce journal est composé de deux carnets qu'il qualifie de "cahiers d'exercices et d'étude", publiés peu de temps après le roman. Il insiste d'ailleurs sur le fait que pour saisir l'œuvre dans sa globalité, il faut absolument lire les deux. C'est pourquoi il semble intéressant de se demander si la lecture du Journal des Faux-Monnayeurs aide à la compréhension du roman. Tout d'abord, on se penchera sur la genèse du Journal, puis sur la réflexion esthétique qui y est proposée afin d'analyser ce que Gide attend de son lecteur, seul à même de faire des liens entre les deux parties de l'ouvrage.
Genèse du Journal des Faux-Monnayeurs
La rédaction du Journal des Faux-Monnayeurs s'étend de juin 1917 à juin 1925 et couvre toute la période d'écriture du roman Les Faux-Monnayeurs mais également la période qui a précédé sa rédaction. Ce journal n'est pas un journal intime, il n'est pas question pour Gide de raconter sa vie mais bien de fournir un document de travail. En témoignent l'appendice situé après le journal qui regroupe des documents, des extraits d'articles de presse, des lettres ainsi que des pages d'un premier projet qui a totalement été abandonné. Même si ces documents ne sont pas en lien direct avec le roman, ils permettent de s'immerger aux côtés de l'auteur, d'assister à la naissance du roman.
Ainsi, d'un point de vue générique et esthétique, ce journal permet de renseigner le lecteur sur les difficultés rencontrées par Gide lors de l'élaboration de son œuvre. En souhaitant absolument se démarquer des romans réalistes du XIXe siècle, il propose une vision éclatée et parcellaire du genre romanesque, en imaginant, grâce au processus de la mise en abyme, un personnage qui peut être assimilé, quelquefois, à un double littéraire. Gide doit faire face à de nombreuses contraintes techniques qu'il s'impose à lui-même. Ce sont ses doutes, ses hésitations, ses tentatives qui sont ainsi livrées dans le journal. Au lecteur ensuite de lire attentivement le roman afin d'en apprécier la version finale. Cette histoire du roman est à découvrir en parallèle de l'œuvre littéraire. Au départ cependant, Gide avait envisagé inscrire ce journal dans le roman en tant que journal d'Édouard. Il y renonce cependant et le publie deux ans après le roman.
Le Journal des Faux-Monnayeurs aurait pu rester dans l'oubli ou être redécouvert plusieurs années plus tard mais Gide a insisté, dés la parution du roman, pour que les deux éléments soient considérés comme ne constituant qu'une seule œuvre. Ce qui intéresse Gide, c'est le travail mené au cours de la création littéraire, toutes ces hésitations qui conduisent à faire tel lien au lieu d'un autre. En ne lisant que le roman, le lecteur n'accède qu'au produit fini, alors qu'en lisant de manière parallèle les deux éléments, il se glisse aux côtés de l'écrivain, découvrant le processus de création littéraire.
Une réflexion esthétique
Le Journal des Faux-Monnayeurs a donc pour principale fonction de rendre compte de la genèse du roman. Des éléments ayant totalement disparus comme le personnage de Lafcadio ou les deux sœurs. Par contre, peu à peu, certains personnages prennent vie à travers les esquisses qu'en brosse l'auteur. Parfois, celui-ci s'avoue même surpris par la tournure que prennent certains personnages, s'avérant être plus complexes qu'il n'aurait cru. C'est le cas du juge Profitendieu qui semble sincèrement attaché à Bernard, le seul de ses enfants dont il n'est pas le père biologique.
Il en va de même pour la construction du roman et la réflexion menée par Gide sur la théorie littéraire et la notion de "roman pur" qu'il va défendre tout comme Edouard dans le roman. Il souhaite : "Purger le roman de tous les éléments qui n'appartiennent pas spécifiquement au roman." A travers le Journal, l'auteur est montré à sa table de travail, progressant de manière laborieuse même si Gide fait parfois part de périodes d'écriture intenses. Il insiste sur son envie de ne pas développer d'intrigue linéaire qui suivrait un déroulement chronologique. La théorie littéraire est expliquée dans le Journal des Faux-Monnayeurs, elle est parfois reprise au mot près dans "Le journal" d'Édouard, puis elle est mise en pratique dans le roman. Toutefois, les deux journaux ne sont pas seulement liés par le récit sur la création littéraire. Ainsi, en date du 3 mai 1921, Gide écrit qu'il a vu "hier, un gosse en train de subtiliser un livre" et cette anecdote se retrouve parfaitement recopiée dans le journal fictif. Ainsi Gide mêle adroitement réel et fiction au point de brouiller les frontières entre ces deux mondes. De l'anecdote réelle va naître une rencontre entre deux personnages car Edouard, en refusant de dénoncer le jeune homme protège un des protagonistes du roman qui n'est autre que Georges, son neveu. Cependant, contrairement à Edouard qui n'achève pas son roman, Gide ira au bout du processus.
Le Journal des Faux-Monnayeurs propose donc une réflexion d'ordre esthétique sur le roman, mais pour que celle-ci puisse aboutir et que l'expérience gidienne fonctionne, il a besoin d'un élément majeur, sur lequel il compte : le lecteur.
Rendre le lecteur actif
Afin que le lecteur puisse établir des liens entre le Journal de Faux-Monnayeurs et le roman, il doit abandonner son statut de lecteur passif et devenir actif. Il peut ainsi s'inscrire dans le processus de création, aux côtés de l'auteur. C'est pourquoi Gide a pris soin d'insérer des éléments destinés au lecteur afin que celui-ci puisse remplir son rôle. Gide insiste sur le fait que le roman seul ne se suffit pas et explique que si le lecteur veut en découvrir toute la profondeur, il doit également lire le Journal. Il s'agit donc de lire et de relire le roman, de faire un aller-retour entre les deux. Le lecteur est explicitement invité à procéder ainsi : "Je n'écris que pour être relu", inscrit-il à la fin du premier cahier de son Journal.
D'ailleurs, concernant le réception des Faux-Monnayeurs, Gide n'est pas dupe, il sait que dans le contexte où son roman s'inscrit, il ne sera pas apprécié ni même compris. Il s'oppose aux romans faciles d'accès, à la lecture linéaire, centrée autour d'une seule intrigue et ne développant qu'une poignée de personnages précisément campés. Cependant, Gide a foi en l'avenir et il reste assuré de la postérité de son roman, expliquant que celui-ci nécessite une lecture attentive, un lecteur impliqué et une ou plusieurs relectures.
De même, si Gide compte faire du lecteur son collaborateur, le rendre actif, il n'entend pas faire de lui le créateur de l'œuvre, il affirme qu'il le dirige dans le Journal des Faux-Monnayeurs où il écrit vouloir "s'y prendre de manière à lui permettre de croire qu'il est plus intelligent que l'auteur [...] qu'il découvre dans les personnages maintes choses [...] malgré l'auteur et pour ainsi dire à son insu". Cela illustre bien qu'une partie de la liberté qu'accorde Gide à son lecteur n'est qu'illusoire, totalement orchestrée par lui-même afin de le manipuler. Gide reste le maître de son ouvrage.
Le Journal des Faux-Monnayeurs a donc plusieurs fonctions. Il permet de rendre compte du processus de création romanesque en racontant la genèse du roman. Il permet ensuite au lecteur de s'initier à des théories littéraires parfois complexes et éloignées de l'univers purement fictif du roman, comme la notion de "roman pur". Enfin, il permet au lecteur une plus grande liberté en lui donnant la possibilité de se livrer à une lecture comparative des éléments constitutifs de l'œuvre. Ainsi, le roman et le journal s'enrichissent l'un l'autre des éléments qu'ils contiennent.