Expliquer en quoi la structure du roman Les Faux-Monnayeurs est complexe.
Combien d'intrigues principales composent le roman ?
Parmi ces genres romanesques, lequel n'est pas présent dans Les Faux-Monnayeurs ?
Comment la narration est-elle prise en charge dans le roman ?
Parmi ces formes narratives, laquelle est présente dans le roman ?
Combien d'intrigues policières sont présentes dans le roman ?
Le roman Les Faux-Monnayeurs est très long et très complexe, ce qui lui a d'ailleurs valu de nombreuses critiques lors de sa parution. Gide souhaite renouveler le genre romanesque et en cela, il s'oppose à l'esthétique romanesque du XIXe siècle, notamment la présence d'un narrateur souvent unique racontant l'histoire d'un personnage. C'est donc un roman éclaté qui est proposé aux lecteurs, mis à contribution pour faire des liens et interpréter l'ouvrage. C'est pourquoi il semble intéressant de s'interroger sur la complexité de cette structure romanesque, tout d'abord en étudiant les intrigues qui la composent, puis les voix narratives qui la prennent en charge.
Des intrigues multiples
Traditionnellement, un roman est construit autour d'une intrigue principale. Or, ici se mêlent une double intrigue policière avec le trafic de fausse monnaie organisé par les adolescents et l'affaire de mœurs sur laquelle enquête le juge Profitendieu. Les deux enquêtes se résolvent sans bruit, dans une grande discrétion. Ce n'est donc pas un roman policier haletant ou présentant une enquête développant fausses-pistes et arrestations musclées.
À cet aspect policier se rajoutent des intrigues amoureuses autour de quatre personnages qui tombent amoureux et se séparent à de nombreuses reprises. Édouard et Olivier ressentent un véritable coup de foudre : "J'ai senti que ce regard s'emparait de moi et que je ne disposais plus de ma vie". Ce sera d'ailleurs le seul couple heureux du roman. Laura est tout d'abord attirée par Édouard, puis elle épouse Félix, résignée, avant de tomber amoureuse de Vincent qui l'abandonnera. Vincent aime passionnément Lilian qu'il finira par tuer. Bernard éprouve pour Laura un amour platonique puis il tombe amoureux de Sarah, avec qui il a une véritable relation.
Ensuite, de nombreux personnages sont adolescents, ils découvrent la vie, ce qui place les lecteurs face à un roman d'apprentissage. Enfin, la persécution de Boris donne une touche macabre au roman qui se termine, entre autres, sur son suicide organisé qui n'est rien d'autre qu'un meurtre.
Les intrigues secondaires s'entremêlent et se mêlent aux intrigues principales, créant une toile de fond devant laquelle les personnages évoluent. Les parents ne jouent pas leur rôle, ce ne sont pas des modèles d'honnêteté ni de fidélité, leurs relations amoureuses ne sont pas épanouies car elles sont basées sur l'hypocrisie et le mensonge. D'ailleurs, Madame Profitendieu quittera le domicile conjugal à la fin du roman, après des années de mésentente. La pension Vedel-Azaïs, réputée au début de l'œuvre, connaît une véritable déchéance. Malgré tout, cette pension reste au cœur du roman car de nombreuses intrigues s'organisent autour d'elle. C'est également le cas du personnage d'Édouard.
De nombreux personnages se croisent à travers ces intrigues multiples mais la complexité narrative tient également au fait que les voix narratives sont elles aussi nombreuses.
Les voix narratives multiples
Aux multiples intrigues viennent se superposer de nombreuses voix narratives, ce qui complexifie encore le roman. En effet, l'intrigue prise en charge par un narrateur omniscient, qui passe d'un personnage à l'autre, est également prise en charge par Édouard qui livre ses pensées et écrit dans son Journal.
Une multitude de personnages, dont sont donnés les points de vue, confèrent au roman une vision éclatée, constituée d'opinions se juxtaposant. Chacun à leur tour, les personnages deviennent, le temps de quelques lignes ou de quelques pages, les narrateurs d'une histoire. Cela est visible notamment grâce aux dialogues dans lesquels les personnages racontent, comme dans les monologues de Bernard ou dans les lettres. De plus, des formes narratives variées composent le roman telles que la lettre, le dialogue, le monologue intérieur ou le carnet, ce qui permet de multiplier les supports d'expressions pour les personnages.
Ce qui complexifie encore davantage le roman tout en lui proposant une nouvelle dimension est bien entendu la mise en abyme. Ici, la genèse d'un roman s'inscrit dans le roman. D'ailleurs l'œuvre de Gide, achevée et réelle, s'intitule Les Faux-Monnayeurs comme celle d'Édouard, inachevée et fictive. Ce personnage de romancier est opposé à un autre type d'auteur, incarné par Passavant. Gide peut ainsi à loisir discourir, à travers Édouard, sur les théories romanesques qu'il développe. À ce titre, une seconde mise en abyme intervient, il s'agit de celle du carnet d'Édouard qui renvoie au Journal des Faux-Monnayeurs de Gide qui sera publié en 1927, deux ans après la parution du roman en 1925.
Les voix narratives qui s'entremêlent permettent d'apporter au récit un éclairage tout à fait original et complet car plusieurs facettes peuvent être présentées selon la personne qui prend en charge le récit. Ainsi, ce roman est indéniablement complexe de par la multiplicité des intrigues et des points de vue adoptés mais tout cela correspond à la volonté de Gide de "styliser le réel" afin de créer, comme l'explique Édouard, un roman pur. André Gide lui-même le qualifie d'ailleurs de touffu et développe la métaphore de la croissance végétale dans le Journal des Faux-Monnayeurs : "Aussi bien est-ce une folie sans doute de grouper dans un seul roman tout ce que me présente et m'enseigne la vie. Si touffu que je souhaite ce livre, je ne puis songer à tout y faire entrer. Et c'est pourtant ce désir qui m'embarrasse encore."