Sommaire
ILa délimitation du domaine du vivantALes êtres vivantsBL'organisme vivantCLes échanges avec le milieuIILes enjeux de la connaissance du vivantALa difficulté de faire l'expérience de la vie en généralBL'approche biologique du vivantCReconnaître la spécificité du vivantIIIL'étude du vivant à l'époque contemporaineAUne alternative au mécanisme : le modèle finalisteBLes enjeux éthiques liés au vivantLa notion de vivant recouvre un champ large, puisqu'elle entend rendre compte de l'ensemble des êtres doués de vie. Mais la détermination précise de cette catégorie d'êtres pose problème, tout comme sa connaissance scientifique. Le vivant renvoie à la vie qui est une notion philosophique. On peut donc se demander dans quelle mesure une connaissance scientifique du vivant est permise.
La délimitation du domaine du vivant
Les êtres vivants
Parmi les nombreux sens que la notion de "vivant" peut recouvrir, un premier est que le vivant constitue l'ensemble des êtres doués de vie, non par opposition à ce qui est mort, mais à ce qui est inanimé.
Le vivant se distingue donc des objets, tels que les machines ou les objets techniques, mais aussi de la matière inerte. La notion de vivant comprend tous les vivants depuis les protozoaires et les bactéries jusqu'aux organismes les plus complexes, tels que les animaux, l'homme inclus. Les vivants constituent donc un ordre de réalité distinct à la fois de la matière inerte et de l'esprit, c'est-à-dire de l'ordre culturel humain.
On peut ainsi produire une définition simple de la vie : elle désigne l'ensemble des fonctions d'un corps et des phénomènes qui s'y déroulent depuis la naissance jusqu'à la mort, ceci incluant notamment la reproduction et la croissance.
Un être vivant est donc un être possédant un principe vital. Pour le médecin français Xavier Bichat, ce principe vital correspond tout simplement à l'ensemble des forces qui s'opposent à la mort.
La vie, c'est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort.
Xavier Bichat
Recherches physiologiques sur la vie et la mort, Paris, éd. Flammarion, GF (n° 808) (1994)
1799
Pour le médecin Bichat, la vie peut être définie comme étant l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort, c'est-à-dire à l'action de forces extérieures sur l'organisme vivant qui tendent à le diminuer.
L'organisme vivant
Il est possible de préciser cette définition du vivant en pointant le fait qu'un être vivant est un organisme.
Un organisme est un système dont les parties sont coordonnées entre elles, qui remplissent chacune des fonctions déterminées, et qui sont dépendantes les unes des autres. La notion d'organisme vivant se comprend mieux lorsqu'on la compare à celle de machine.
Contrairement à la machine, l'organisme vivant est auto-organisateur, c'est-à-dire qu'il assure seul les fonctions suivantes :
- L'auto-production : il produit lui-même sa propre énergie en transformant les aliments qu'il ingère.
- L'auto-réparation : il est capable de se réparer seul (cicatrisation).
- L'auto-régulation : il s'adapte pour maintenir sa norme vitale, par exemple il se refroidit par la transpiration ou bien se réchauffe.
- L'auto-reproduction : il peut produire un individu semblable à lui par la reproduction sexuée.
Organisme vivant
Un organisme vivant est un système dont les parties (les organes) sont coordonnées entre elles et remplissent des fonctions déterminées en vue de la conservation du tout.
Cette interdépendance des organes qui caractérise l'organisme vivant a notamment conduit le médecin Claude Bernard à parler d'une "harmonie réciproque".
Tous les phénomènes d'un corps vivant sont dans une harmonie réciproque telle, qu'il paraît impossible de séparer une partie de l'organisme, sans amener immédiatement un trouble dans tout l'ensemble.
Claude Bernard
Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Paris, éd. Flammarion, coll. "Champs Classiques" (2013)
1865
Il y a dans l'organisme vivant une organisation forte entre les parties et le tout. Ainsi, le moindre changement d'une partie affectera l'ensemble de l'organisme, en l'obligeant à réagencer son organisation.
Le vivant se caractérise par son organisation interne, marquée par une interdépendance des parties entre elles et des parties à l'égard du tout qu'est l'organisme.
Les échanges avec le milieu
Enfin, il est possible d'ajouter une caractéristique essentielle permettant de définir le vivant : l'interaction avec un milieu.
En effet, contrairement aux choses inertes, un vivant ne se contente pas de subir l'action des éléments extérieurs sur lui - par exemple le froid ou le chaud. Un vivant ne peut se définir que comme un organisme réagissant à des forces qui s'exercent sur lui : il interagit avec son milieu, c'est-à-dire qu'il façonne le milieu dans lequel il vit.
Pour comprendre l'animal, il ne suffit pas d'étudier ses réactions à un certain nombre de stimuli (le plus souvent en laboratoire), mais il importe de comprendre les liens qu'il entretient avec son milieu de vie. C'est la tâche que se donne l'éthologie, c'est-à-dire l'étude du comportement des animaux, en laboratoire et dans leur milieu naturel. C'est ce que met en évidence le philosophe Georges Canguilhem, dans son article "Le vivant et son milieu".
Le milieu dont l'organisme dépend est structuré, organisé par l'organisme lui-même.
Georges Canguilhem
La Connaissance de la vie, éd. Vrin, coll. "Bibliothèque des textes philosophiques" (1992)
L'être vivant ne se contente pas de réagir mécaniquement à des stimuli : loin de subir le milieu extérieur, il le façonne.
Ainsi, le vivant doit aussi être défini comme cet être qui fait qu'on peut parler de milieu : il n'y a en ce sens de milieu que pour un être vivant qui le façonne en agissant sur lui.
Les enjeux de la connaissance du vivant
La difficulté de faire l'expérience de la vie en général
S'il apparaît possible de définir le vivant par ses caractéristiques apparentes, la démarche qui consiste à en faire un objet de connaissance scientifique rencontre de nombreux obstacles.
Premièrement, il est impossible de connaître de l'intérieur la vie des autres vivants : leur expérience de la vie nous est inaccessible. En ce sens, comprendre ce qu'est l'expérience d'être en vie pour un autre être semble impossible. C'est ce que souligne Thomas Nagel dans son article "Quel effet cela fait-il d'être une chauve-souris".
Je veux savoir quel effet cela fait à une chauve-souris d'être une chauve-souris. Si j'essaie d'imaginer cela, je suis borné aux ressources de mon propre esprit, et ces ressources sont inadéquates pour cette tâche.
Thomas Nagel
Quel effet cela fait-il d'être une chauve-souris ?, (What is it like to be a bat?), The Philosophical Review (n° 83, 4)
octobre 1974
Thomas Nagel souligne ici que l'on ne peut pas rendre compte de la condition d'un vivant qui nous est étranger. En effet, les ressources dont dispose un individu pour en rendre compte sont fondées sur sa propre expérience de la vie, qui est trop différente de celle d'un autre être vivant. Un individu ne peut pas imaginer le sentiment, plus précisément la conscience qui caractérise le fait d'être en vie pour un autre vivant.
Si Thomas Nagel choisit précisément la chauve-souris, c'est parce que l'on sait qu'elle perçoit le monde extérieur principalement par sonar, ou écholocalisation. Or, l'homme ne possède pas un tel sens : il ne peut donc pas se représenter, imaginer l'expérience du monde que possède une chauve-souris. En tant qu'expérience subjective, la connaissance de la vie nous est donc interdite.
L'approche biologique du vivant
Si l'on veut produire une connaissance scientifique du vivant, il est nécessaire d'adopter une approche objective.
Il s'agirait dès lors de cerner les caractéristiques observables qui déterminent les vivants. Ainsi, si la biologie veut être une science, il lui faut prendre pour modèle les explications de la physique et réduire la spécificité du vivant à des lois de la matière.
C'est l'attitude qu'invite à adopter René Descartes pour l'étude du vivant. Ce qu'il souligne, c'est que si l'homme souhaite produire un savoir objectif sur les êtres vivants, il lui faut oublier la "métaphysique" du vivant pour passer à son étude "physique". Autrement dit, il est nécessaire de présupposer que les fonctions vitales procèdent par des mécanismes analogues à ceux des machines (le cœur est une pompe, les muscles des pistons, etc.). Adopter cette position suppose que l'on laisse en suspens la question de savoir si les animaux possèdent une conscience : si l'on veut rendre compte du vivant d'un point de vue scientifique, il est nécessaire de présupposer que les comportements des animaux sont purement mécaniques. C'est la raison pour laquelle la position de Descartes est dite mécaniste.
Mécanisme
Le mécanisme est une théorie philosophique selon laquelle les phénomènes de la nature peuvent être expliqués uniquement de manière matérielle, avec soit des liens de cause à effet, soit des liens purement statistiques.
Puisque le vivant est une réalité corporelle, il doit être expliqué de la même manière que les autres réalités matérielles. Le modèle d'explication du vivant est alors la machine. Ainsi, le vivant perdrait sa spécificité : il obéirait aux mêmes lois physiques que les objets naturels inertes et que les objets artificiels.
C'est d'ailleurs la voie qu'a suivie une branche de la biologie moderne, réduisant son étude du vivant à sa réalité physico-chimique. Ainsi la génétique cellulaire travaille-t-elle avec les lois de la chimie organique (biologie moléculaire), tout comme les neurosciences tendent à prouver que les phénomènes caractéristiques de la conscience se ramènent à des processus physico-chimiques, localisables dans le cerveau.
Reconnaître la spécificité du vivant
Connaître le vivant supposerait donc que l'on se contente d'étudier les mécanismes des corps vivants, c'est-à-dire que l'on produise des lois générales permettant de rendre compte du fonctionnement du corps.
La connaissance du vivant ne manque-t-elle pas alors son but ? En effet, laisser de côté ce qui fait la spécificité de cet objet revient peut-être à en produire une connaissance tronquée.
C'est en tout cas pour réintégrer cet élément particulier du vivant par rapport aux autres objets de la science que se construit le vitalisme. S'inspirant de la notion de force développée par la physique newtonienne, le vitalisme propose d'expliquer le vivant grâce au principe de force vitale. Ainsi, le vitalisme soutient la thèse selon laquelle le propre du vivant est d'être animé par un principe vital irréductible aux éléments matériels dont il est composé.
Vitalisme
Le vitalisme est une théorie selon laquelle le vivant est animé d'une énergie propre dont dépendent toutes les actions organiques.
L'un des aspects qui semble interdire une simple réduction du vivant à la machine est sa capacité à se reproduire. En effet, il semble difficile d'imaginer un vivant strictement régi par les lois physiques ordinaires alors qu'il possède la capacité de créer des formes nouvelles et de se régénérer. Pour Emmanuel Kant, c'est la raison pour laquelle le vivant ne peut être réduit ni à un objet ni à une machine.
Un être organisé n'est pas simplement machine, car la machine possède uniquement une force motrice ; mais l'être organisé possède en soi une force formatrice.
Emmanuel Kant
Critique de la faculté de juger, (Kritik der Urteilskraft), trad. Alain Renault, Paris, Flammarion, Garnier Flammarion / Philosophie (2000)
1790
Dans cette citation, Kant met en évidence la capacité du vivant à se régénérer et à créer des formes nouvelles. D'une part, contrairement à une machine, le vivant est capable de se développer, de croître et, dans une certaine limite, de se réparer. Il est, d'autre part, capable de se reproduire.
Kant illustre d'ailleurs la spécificité du vivant à l'aide d'un exemple célèbre : alors que deux montres côte à côte n'en engendreront jamais une troisième, l'être vivant possède cette faculté extraordinaire de se reproduire, de créer un nouvel être vivant. C'est ce qu'il nomme la cause formatrice du vivant.
Ainsi, si l'explication mécaniste du vivant reste valable pour Kant, puisque l'objectivation est nécessaire pour le connaître, il souligne néanmoins qu'elle n'est pas suffisante pour rendre compte du vivant. Si l'on veut comprendre le vivant, il faut en effet lui ajouter ce qu'il nomme une force formatrice (pouvoir de se créer) qui, bien que n'étant pas connue scientifiquement, demeure indispensable pour appréhender le vivant dans sa spécificité.
L'étude du vivant à l'époque contemporaine
Une alternative au mécanisme : le modèle finaliste
Finalisme
Le finalisme est la doctrine selon laquelle ce qui existe dans la nature existe en raison de fins qui donneraient leur sens à chaque réalité. Par exemple, la main existerait pour que l'homme puisse se saisir d'objets. L'attitude qui rejette le finalisme dira plutôt que la préhension a été rendue possible grâce à la possession de la main.
Autrement dit, c'est l'organe qui explique la fonction, non la fonction qui explique l'organe. La girafe, par exemple, n'aurait pas un long cou pour atteindre le feuillage (hypothèse de Lamarck) mais elle aurait bénéficié au départ du "hasard" de posséder ce long cou.
On observe ici le développement d'un nouveau modèle explicatif fondé sur la notion de programme, notion qui permet de penser le vivant non plus sur le modèle d'une machine simple, mais sur le modèle de la machine informatique, laquelle, à partir d'un programme, peut développer une multitude de fonctions.
Néanmoins, cette notion de programme pose un problème : elle reste encore marquée par la finalité intentionnelle, comme si le « programme » génétique avait été écrit d'avance, avec une tâche à accomplir.
Ce qui est transmis de génération en génération ce sont les "instructions" spécifiant les structures moléculaires. Ce sont les plans d'architecture du futur organisme. Ce sont aussi les moyens de mettre ces plans à exécution et de coordonner les activités du système. Chaque œuf contient donc, dans les chromosomes reçus de ses parents, tout son propre avenir, les étapes de son développement, la forme et les propriétés de l'être qui en émergera. L'organisme devient ainsi la réalisation d'un programme prescrit par l'hérédité.
François Jacob
La Logique du vivant. Une histoire de l'hérédité, Paris, éd. Gallimard, coll. "Tel" (n° 2) (1976)
1970
Même si l'origine de ce plan est l'hérédité et non la volonté de Dieu ou de la nature, il n'en reste pas moins que la notion de finalité n'a pas disparu. C'est pourquoi François Jacob remet en question cette notion de programme génétique. Ce qui pose problème avec la notion de programme génétique est son caractère déterministe : présupposer qu'un vivant est déterminé par un programme génétique, c'est présupposer que l'ensemble de ce qu'il deviendra est déjà inscrit en puissance dans son programme génétique. Le modèle finaliste connaît donc des limites. Il rencontre en effet, non seulement l'objection du mécanisme (point de vue physico-chimique) mais également celle de la causalité déterministe, qui le contraint à se réaliser.
C'est pourquoi la notion de code est préférée à celle de programme. Cette notion a l'avantage d'être impersonnelle et de n'impliquer aucune forme de finalité. Le code génétique n'est alors qu'un phénomène purement chimique, par lequel l'ADN produit des protéines et donc des cellules vivantes. En outre, la théorie du code génétique propose une explication de la vie reposant entièrement sur l'émergence du vivant à partir des structures moléculaires et atomiques (carbone) que décrit la chimie organique
Pour expliquer l'origine de la vie, on a recours à la théorie dite de la "soupe primordiale" : il s'agit d'un scénario chimique selon lequel les plus anciens systèmes génétiques se sont complexifiés, ont interagi entre eux, et ont finalement abouti à la création de la vie. Un code génétique a donc émergé, mais il aurait pu être très différent de celui que les scientifiques observent aujourd'hui. L'enjeu de cette explication est de montrer que l'existence du vivant tel que l'homme le connaît est le résultat d'un mélange de hasard et de nécessité. On montre ainsi que la vie ne suit aucune forme de finalité.
Les enjeux éthiques liés au vivant
Les problèmes que pose la biologie génétique ne relèvent pas seulement de l'expérimentation sur le vivant, mais aussi des manipulations permises par ces progrès. En effet, avec la découverte de la cellule et de l'hérédité des caractères, les scientifiques sont aujourd'hui capables de procéder à des manipulations génétiques âprement débattues : c'est notamment le cas du clonage, de la modification des espèces (OGM) ou bien encore des interventions prénatales sur les fœtus.
C'est afin de prévenir les dérives possibles de la biologie génétique que s'est constituée la bioéthique, c'est-à-dire une réflexion qui vise à définir les limites de l'emploi des techniques issues de la connaissance scientifique du vivant.
Bioéthique
La bioéthique est l'étude des problèmes moraux soulevés par la recherche biologique, médicale ou génétique et par certaines de ses applications.
Se forment alors des comités regroupant biologistes, philosophes, juristes et théologiens. À partir de l'éthique médicale et de la Déclaration universelle des Droits de l'homme de 1948, ils tentent d'énoncer quelques principes fondamentaux afin de limiter les excès de la science. Trois principes en ressortent :
- Toute recherche doit respecter la dignité de la personne humaine.
- Avant toute recherche, il faut comparer les risques encourus aux bienfaits attendus.
- Tous les êtres humains doivent être traités équitablement.
Le risque principal que cherche à éviter la bioéthique est de faire du vivant un "moyen" plutôt qu'une fin en soi.