Sommaire
IL'engagement et la résistance dans la littérature au XXe siècleADéfinitionsBLes différents buts de l'engagement et de la résistance1Témoigner et dénoncer les horreurs de la guerre : le devoir de mémoire2Éveiller les consciences à la résistance et à l'hommage3Défendre la libertéIIL'engagement et la résistance dans le romanALe genre autobiographiqueBLe roman épistolaireCLa fictionIIIL'engagement et la résistance dans le théâtreALe théâtre de l'absurdeBLe retour des mythes au théâtreIVL'engagement et la résistance dans la poésieAu XXe siècle, de nombreux écrivains ont été des témoins directs des grands événements historiques : les deux guerres mondiales, la montée des extrémismes politiques, l'instauration des régimes dictatoriaux et totalitaires dans plusieurs pays. Ils se sont engagés dans ces différents conflits : ils ont pris position par leurs actions, leurs discours et leurs écrits.
Quels regards les écrivains portent-ils sur ces conflits historiques ? En quoi leurs écrits servent-ils à montrer leur engagement et leur acte de résistance ?
L'engagement et la résistance dans la littérature au XXe siècle
L'engagement et la résistance sont liés aux termes « individu » et « pouvoir », qu'il convient de définir. Les buts de l'engagement et de la résistance en littérature sont multiples.
Définitions
Les mots individu, pouvoir, engagement et résistance ont un sens précis.
Individu
L'individu renvoie à la personne individuelle, à chaque homme vivant dans la société.
Pouvoir
Le pouvoir correspond au régime politique mis en place et par extension, au dirigeant qui détient le pouvoir.
Engagement
L'engagement renvoie au fait de s'engager, c'est-à-dire de défendre des causes, des valeurs, des idéaux. C'est agir dans la cité pour ou contre le pouvoir en place et la société.
La notion d'engagement est souvent liée à celle de résistance.
Résistance
La résistance, c'est le fait de s'opposer à une force, plus particulièrement au pouvoir en place.
Écrit avec une majuscule, la Résistance désigne précisément le mouvement mis en place durant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) pour s'opposer aux forces allemandes et nazies qui occupaient la France. Des hommes et des femmes se sont réunis pour lutter contre le nazisme. Le chef de la Résistance française est Jean Moulin.
Les différents buts de l'engagement et de la résistance
S'engager et résister répondent à différents buts. Les auteurs ont le souci de témoigner de ce qui s'est passé pour dénoncer des horreurs. Ils souhaitent éveiller les consciences et pousser leurs lecteurs à agir. Ils défendent la liberté.
Témoigner et dénoncer les horreurs de la guerre : le devoir de mémoire
Les auteurs choisissent de témoigner en racontant les événements tels qu'ils se sont produits et en dénonçant les horreurs, notamment celles de la guerre. Il s'agit de remplir un devoir de mémoire et d'éviter que les nouvelles générations ne les reproduisent.
Devoir de mémoire
Le « devoir de mémoire » est une expression qui oblige, moralement, à se souvenir d'un événement historique tragique et de ses victimes afin qu'un tel événement ne se reproduise pas.
L'expression « devoir de mémoire » est apparue, dans les années 1990, en lien avec la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement en lien avec la Shoah. Depuis, elle est utilisée pour parler des autres épisodes tragiques de l'histoire.
Les écrivains racontent les horreurs de l'histoire. C'est une nécessité de les montrer en se basant directement sur la réalité afin que les gens n'oublient pas.
L'auteur donne à lire un récit historique précis sur ce qui s'est passé, sur ce qu'il a pu vivre directement afin que les gens sachent et découvrent la vérité. L'auteur n'épargne aucun détail : il dit et dénonce toutes les atrocités qu'il a pu endurer, qu'il a pu voir. Il force ainsi le lecteur à en prendre conscience.
Dans Le Feu. Journal d'une escouade (1916), Henri Barbusse retrace son expérience personnelle à travers la voix d'un soldat fictif. L'auteur raconte le quotidien du poilu qui perd toutes ses caractéristiques humaines : il est sale, il est couvert de boue, sa barbe n'est pas taillée, sa tenue vestimentaire dissimule les formes de son corps. Il dénonce la perte de la dignité humaine à la guerre, le soldat ressemble à un animal.
Éveiller les consciences à la résistance et à l'hommage
Durant les conflits, les écrivains se sont servi de la force de leurs écrits pour appeler leurs contemporains à résister et pour rendre hommage aux victimes.
Les écrivains manifestent leur soutien et leur solidarité. Ils invitent ceux qui les lisent à agir.
Lucie Aubrac, grande figure féminine de la Résistance, parvient à faire évader son époux emprisonné par la Gestapo. En février 1944, elle rejoint le général de Gaulle à Londres. Elle y prononce un discours dans l'émission Honneur et Patrie de la BBC, le 20 avril 1944, destiné à la France pour inviter à poursuivre les actes de résistance et pour montrer le courage des résistantes engagées.
Les auteurs éprouvent également le besoin de rendre hommage à ceux qui sont tombés sous les bombes, à ceux qui sont morts suite à des tortures, des dénonciations, des arrestations arbitraires. Les auteurs veulent sauver de l'oubli le nom des victimes, les donner en exemples.
Dans Pleine poitrine (1946), René Guy Cadou rend hommage aux vingt-sept prisonniers du camp de Châteaubriant (Loire-Atlantique), fusillés en 1941.
Défendre la liberté
Les auteurs s'engagent aussi pour défendre la liberté.
Les auteurs ont souvent écrit pour défendre la liberté sous toutes ses formes : liberté d'expression, liberté de voter, liberté de circuler, droits pour les minorités, etc.
Le poème « Liberté » (Poésie et Vérité, 1942) de Paul Éluard propose un éloge de la liberté. Ce poème suscite le désir de s'engager et de se battre pour défendre la liberté totalement anéantie durant la Seconde Guerre mondiale.
L'engagement et la résistance dans le roman
Le roman peut être construit selon différentes formes et caractéristiques. Le genre autobiographique, le roman épistolaire et la fiction sont des formes efficaces pour rendre compte de son engagement et pour faire acte de résistance contre les diverses oppressions.
Le genre autobiographique
Le roman autobiographique donne une vision réelle du monde et des faits historiques. Lorsque les écrivains ont traversé des époques troublées et vécu des horreurs, leur autobiographie est un témoignage de ce qui leur est arrivé.
Autobiographie
L'autobiographie est une œuvre dans laquelle l'auteur, le narrateur et le personnage sont une seule et même personne. L'auteur s'engage, avec sincérité et vérité, à raconter sa vie.
Grâce à l'autobiographie, l'auteur raconte ce qu'il a vécu et la manière dont il a vu et subi les horreurs de l'histoire.
« J'ai eu la chance de n'être déporté à Auschwitz qu'en 1944 […] Aussi, en fait de détails atroces, mon livre n'ajoutera-t-il rien à ce que les lecteurs du monde entier savent déjà sur l'inquiétante question des camps d'extermination. Je ne l'ai pas écrit dans le but d'avancer de nouveaux chefs d'accusation, mais plutôt pour fournir des documents à une étude dépassionnée de certains aspects de l'âme humaine. […] Le besoin de raconter aux "autres", de faire participer les "autres", avait acquis chez nous, avant comme après notre libération, la violence d'une impulsion immédiate, aussi impérieuse que les autres besoins élémentaires ; c'est pour répondre à un tel besoin que j'ai écrit mon livre ; c'est avant tout en vue d'une libération intérieure. […] Il me semble inutile d'ajouter qu'aucun des faits n'y est inventé. »
Primo Levi
Préface de Si c'est un homme
(Se questo è un uomo), trad. Martine Schruoffeneger, Paris, © Juillard (1987), 1947
Primo Levi est un rescapé des camps d'Auschwitz. Il raconte sa déportation ainsi que toutes les horreurs qu'il a vues, qu'il a subies. Dans sa préface, il explique l'importance du témoignage pour que le lecteur ne se fasse pas une fausse image de l'être humain qui est capable d'atrocités : « pour fournir des documents à une étude dépassionnée de certains aspects de l'âme humaine ». Il veut que le lecteur sache et apprenne : « de faire participer les "autres" ». C'est aussi par besoin, par nécessité que Primo Levi écrit : « c'est avant tout en vue d'une libération intérieure. »
Les écrivains peuvent alors livrer un véritable témoignage. Ils n'épargnent aucun détail.
Engagée dans la Résistance, Charlotte Delbo est déportée à Auschwitz en janvier 1943. Rescapée, elle témoigne avec précision de son expérience des camps.
« C'est l'appel. Tous les bloks rendent leurs ombres. Avec des mouvements gourds de froid et de fatigue une foule titube vers la Lagerstrasse. La foule s'ordonne par rangs de cinq dans une confusion de cris et de coups. Il faut longtemps pour que se rangent toutes ces ombres qui perdent pied dans le verglas, dans la boue ou dans la neige, toutes ces ombres qui se cherchent et se rapprochent pour être au vent glacé de moindre prise possible.
Puis le silence s'établit.
Le cou dans les épaules, le thorax rentré, chacune met ses mains sous les bras de celle qui est devant elle. Au premier rang, elles ne peuvent le faire, on les relaie. Dos contre poitrine, nous nous tenons serrées, et tout en établissant ainsi pour toutes une même circulation, un même réseau sanguin, nous sommes toutes glacées. Anéanties par le froid. Les pieds, qui restent extrémités lointaines et séparées, cessent d'exister. Les godasses étaient encore mouillées de la neige ou de la boue d'hier, de tous les hiers. Elles ne sèchent jamais.
Il faudra rester des heures immobiles dans le froid et dans le vent. »
Charlotte Delbo
Auschwitz et après – Aucun de nous ne reviendra
1965
La désignation des détenues par l'expression « leurs ombres » souligne l'état physique et moral dans lequel les déportées se trouvent. Elles semblent avoir perdu toute apparence humaine, elles sont épuisées par ces longues heures d'attente dans « le froid », « la neige », « la boue », « le verglas », « le vent » et par les travaux forcés auxquelles elles sont soumises. Une grande solidarité se manifeste entre ces femmes car elles font en sorte de se tenir les mains pour éviter que ces dernières ne gèlent et pour essayer ainsi de se réchauffer un peu. Charlotte Delbo, en montrant la réalité de son quotidien dans les camps, dénonce la violence et les traitements inhumains imposés par le régime nazi. Ce texte constitue aussi un véritable document historique par la précision des faits réels racontés.
Le roman épistolaire
Le roman épistolaire est une forme romanesque particulière qui évoque et témoigne des atrocités commises en se basant sur un échange de lettres.
Le mot « épistolaire » vient du latin epistola. Il signifie « la lettre » au sens de la correspondance.
Roman épistolaire
Un roman épistolaire se base sur la correspondance, c'est-à-dire un échange de lettres entre un ou plusieurs personnages.
Le roman épistolaire entraîne le lecteur au cœur de l'action. Le lecteur se retrouve aux côtés des personnages, il peut se mettre à leur place. Un sentiment d'intimité se crée, le lecteur reçoit directement les faits, les sentiments et émotions confiés.
Kathrine Kressmann Taylor utilise le pseudonyme masculin de Kressmann Taylor pour écrire. Sa nouvelle Inconnu à cette adresse publiée en 1938 est interdite par l'Allemagne nazie. C'est une nouvelle épistolaire entre Max, juif américain d'origine allemande, qui vit aux États-Unis et Martin, allemand, qui vit en Allemagne. À travers cette correspondance fictive, le lecteur assiste aux conséquences de la montée du nazisme. Martin adhère au pouvoir nazi, prend du grade au sein de celui-ci et finit par renier son amitié avec Max parce qu'il est juif et parce que la censure et la police politique lisent les courriers.
La fiction
La fiction peut évoquer la réalité historique en s'appuyant sur des faits réels.
Le roman met en place une intrigue développée dans un espace et un temps réels, en lien avec une période historique précise. Le roman relate la vie de ses personnages de manière totale ou partielle. Même si la fiction est un récit inventé, elle peut se baser sur la réalité historique et l'évoquer avec beaucoup de réalisme.
Anthime et Bossis sont deux amis originaires de Vendée. Dans les tranchées, ils subissent de violents et affreux bombardements.
« C'est alors qu'après les trois premiers obus tombés trop loin, puis vainement explosés au-delà des lignes, un quatrième percutant de 105 mieux ajusté a produit de meilleurs résultats dans la tranchée : après qu'il a disloqué l'ordonnance du capitaine en six morceaux, quelques-uns de ses éclats ont décapité un agent de liaison, cloué Bossis par le plexus à un étai de sape, haché divers soldats sous divers angles et sectionné longitudinalement le corps d'un chasseur-éclaireur. »
Jean Echenoz
14
© Éditions de Minuit, 2012
Dans son roman 14, Jean Echenoz imagine l'histoire de ses deux personnages, Anthime et Bossis. L'auteur relate avec beaucoup de réalisme les combats de la Première Guerre mondiale en se basant sur des faits réels. Les conditions de vie dans les tranchées sont décrites avec plusieurs éléments réalistes :
- les grades et fonctions des soldats : « capitaine », « un agent de liaison », « divers soldats » notamment Bossis, « un chasseur-éclaireur » ;
- les armes et leur diamètre : « les trois premiers obus », « un quatrième percutant de 105 » ;
- les positionnements dans les tranchées : « au-delà des lignes », « dans la tranchée », « à un étai de sape », « sous divers angles », « longitudinalement » ;
- les blessures « disloqué », « en six morceaux », « décapité », « cloué Bossis par le plexus », « haché », « sectionné ».
L'engagement et la résistance dans le théâtre
Les auteurs de théâtre utilisent l'absurde et ont recours aux mythes pour rendre compte de leur engagement. Ils font ainsi acte de résistance contre les différentes oppressions.
Le théâtre de l'absurde
Le théâtre de l'absurde naît au XXe siècle. Il est nourri par l'idée que la vie humaine n'a pas de sens. Les guerres mondiales ont profondément marqué les esprits et désabusé les artistes.
L'absurde est un courant culturel, littéraire et artistique qui naît au milieu du XXe siècle. Il répond à une angoisse existentielle nourrie par les horreurs des deux guerres mondiales, par le totalitarisme. Les écrivains et les artistes sont envahis par une sensation d'impuissance face au génocide juif, à la torture, aux assassinats, à l'utilisation de la bombe atomique à Hiroshima et à Nagasaki. Les dramaturges emploient l'absurde pour montrer à quel point les régimes totalitaires et les guerres se basent sur l'arbitraire, sur l'injustice et sur des actes barbares.
« CALIGULA.
Écoute bien. Premier temps : tous les sénateurs, toutes les personnes de l'Empire qui disposent de quelque fortune – petite ou grande, c'est exactement la même chose – doivent obligatoirement déshériter leurs enfants et tester sur l'heure en faveur de l'État.
L'INTENDANT.
Mais César…
CALIGULA.
Je ne t'ai pas encore donné la parole. À raison de nos besoins, nous ferons mourir ces personnages dans l'ordre d'une liste établie arbitrairement. À l'occasion, nous pourrons modifier cet ordre – toujours arbitrairement. Et nous hériterons.
CAESONIA, se dégageant.
Qu'est-ce qui te prend ?
CALIGULA, imperturbable.
L'ordre des exécutions n'a en effet aucune importance. Ou plutôt ces exécutions ont une importance égale, ce qui entraîne qu'elles n'en ont point. D'ailleurs, ils sont aussi coupables les uns que les autres. (Rudement à l'intendant) Tu exécuteras ces ordres sans délai. Les testaments seront signés dans la soirée par tous les habitants de Rome, dans un mois au plus tard par tous les provinciaux. Envoie des courriers. »
Albert Camus
Caligula
© Gallimard, 1944
L'empereur romain Caligula exerce sa tyrannie en poussant la logique aux limites de l'absurde. Caligula donne des ordres « rudement » : « Écoute bien », « Envoie des courriers. » et impose sa vision des choses sans accepter aucune contradiction. Il exerce son pouvoir en usant de la force, de l'intimidation, de son autorité. Il souhaite déshériter la population puis l'éliminer « arbitrairement » : « L'ordre des exécutions n'a en effet aucune importance. »
Avec cette pièce, Camus dénonce l'occupation allemande, les arrestations, les meurtres et déportations arbitraires. Il fait aussi référence à la volonté nazie d'exterminer le peuple juif.
Le retour des mythes au théâtre
Le théâtre a recours aux mythes antiques pour dénoncer et pour critiquer les horreurs de l'histoire.
Les écrivains puisent dans les textes fondateurs de l'Antiquité des personnages, des idées, des réflexions essentielles sur l'humanité. Ils reprennent différents mythes (Œdipe, Électre, Hélène et la guerre de Troie, Antigone, etc.) en les adaptant à leur époque car le mythe demeure intemporel. Par ces reprises et adaptations, les auteurs critiquent le pouvoir en place et dénoncent les horreurs et les atrocités.
La figure d'Antigone est particulièrement importante pendant le Seconde Guerre mondiale. Antigone est la fille d'Œdipe, qui est le roi de Thèbes. Après sa mort, les deux frères d'Antigone, Étéocle et Polynice se battent à mort car Polynice veut prendre le pouvoir qu'Étéocle refuse catégoriquement de partager. Polynice, le rebelle, perd la vie dans ce combat. L'oncle d'Antigone, Créon, interdit que l'on enterre le défunt selon les rites funéraires traditionnels. Mais Antigone refuse cette décision et désobéit : elle veut enterrer son frère même au prix de sa propre vie.
Jean Anouilh est un dramaturge qui puise souvent son inspiration dans les mythes de l'Antiquité. Il s'inspire d'Antigone de Sophocle et écrit Antigone en 1946. Mise en scène pour la première fois en 1944, sous l'occupation allemande, elle connaît un très grand succès et n'est pas sans faire écho aux événements qui sont en train de se dérouler.
« ANTIGONE.
Vous êtes odieux ! (…)
CRÉON.
Un matin, je me suis réveillé roi de Thèbes. Et Dieu sait si j'aimais autre chose dans la vie que d'être puissant…
ANTIGONE.
Il fallait dire non, alors !
CRÉON.
Je le pouvais. Seulement, je me suis senti tout d'un coup comme un ouvrier qui refusait un ouvrage. Cela ne m'a pas paru honnête. J'ai dit oui.
ANTIGONE.
Eh bien, tant pis pour vous. Moi, je n'ai pas dit "oui" ! Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux dire "non" encore à tout ce que je n'aime pas et je suis seul juge. Et vous, avec votre couronne, avec vos gardes, avec votre attirail, vous pouvez seulement me faire mourir par ce que vous avez dit "oui". »
Jean Anouilh
Antigone
© Éditions de la Table ronde, 1946
Antigone incarne l'allégorie de la force et de l'engagement : elle est libre de dire oui ou non. Anouilh critique ainsi les gens qui se soumettent sans exercer leur libre arbitre. Antigone dénonce aussi la manière tyrannique dont Créon se sert du pouvoir : il abuse de son statut pour user du droit de vie et de mort sur ses sujets. Cela fait référence aux arrestations, aux emprisonnements, aux mises à mort arbitraires et injustes durant la Seconde Guerre mondiale.
L'engagement et la résistance dans la poésie
La poésie est également un genre littéraire efficace pour rendre compte de son engagement et pour faire acte de résistance contre les différentes oppressions. La poésie permet l'expression des sentiments et peut émouvoir, toucher le lecteur.
La poésie est dite engagée quand le poète exprime, en plus de ses émotions, ses idées, ses convictions, ses prises de position sur le monde qui l'entoure. Le poète s'adresse alors à ses contemporains, à ses compagnons d'armes, à ses ennemis. Les destinataires peuvent être interpellés dans le poème et rendus visibles par l'utilisation du « tu » ou du « vous ». L'engagement du poète s'affiche par le pronom personnel « je ».
La poésie engagée s'inscrit dans une réalité historique et sociale précise. Les noms des lieux, des personnes concernées, les événements historiques sont précisés afin de montrer l'authenticité du contexte.
Durant la Seconde Guerre mondiale, la poésie a été beaucoup utilisée par René Char, Louis Aragon, Robert Desnos, Paul Éluard, René Guy Cadou. Cette poésie est dite poésie de la Résistance.
Les poètes marquent ainsi leur engagement par la dénonciation des atrocités, par leur soutien apporté aux victimes, par l'hommage qu'ils leur rendent. Les poètes dénoncent aussi les atrocités commises durant cette période et défendent les valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité.
Joseph Kessel et Maurice Druon, son neveu, écrivent Le Chant des partisans en 1943. La musique est initialement composée en 1941 sur un texte russe et est l'œuvre d'Anna Marly. Le Chant des partisans, appelé aussi Chant de la libération, est l'hymne de la Résistance française durant l'occupation par l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Ami, entends-tu
Le vol noir des corbeaux
Sur nos plaines ?
Ami, entends-tu
Les cris sourds du pays
Qu'on enchaîne ?
Ohé ! partisans,
Ouvriers et paysans
C'est l'alarme !
Ce soir l'ennemi
Connaîtra le prix du sang
Et des larmes. »
Joseph Kessel, Maurice Druon
Le Chant des partisans
1943
Le premier couplet s'adresse directement à tous ceux qui souhaitent s'engager et résister. Les auteurs utilisent un singulier qui renvoie au collectif. « Le vol noir des corbeaux » est la métaphore de l'ennemi, de l'Allemand qui occupe la France à cette époque. La métaphore « Les cris sourds du pays » renvoie à la fois aux souffrances endurées et à la volonté de briser les chaînes de l'occupation allemande. Les auteurs appellent au combat, autre forme d'engagement.
Si la poésie sert à dénoncer, à résister, à critiquer l'oppression, à témoigner des horreurs de l'histoire, à servir le devoir de mémoire, elle engage aussi la sensibilité du poète et donne à lire ses sentiments, ses émotions. La poésie propose alors une vérité historique plus humaine à travers la vision subjective d'un auteur et de son expérience personnelle, elle délaisse l'objectivité froide du strict écrit historique. Durant les combats, les emprisonnements, les poètes peuvent éprouver de la peur, de la peine, de la douleur, de la souffrance, de l'amour également.
« Mon fils aimé
j'ai reçu ta lettre
Tu me parles déjà comme une grande personne
tu insistes sur tes efforts à l'école
et je sens ta passion de comprendre
de chasser l'obscurité, la laideur
de pénétrer les secrets du grand livre de la vie (….)
Tu penses encore
ceux qui ont fait les prisons
sont certainement fous
et tant et tant d'autres choses
Oui mon fils aimé
c'est comme ça qu'on commence à réfléchir
à comprendre les hommes
à aimer la vie
à détester les tyrans
et c'est comme ça
que je t'aime
que j'aime penser à toi
du fond de ma prison. »
Abdellatif Laâbi
Sous le bâillon, le poème : écrits de prison (1972-1980)
© L'Harmattan, 1981
Ce poète, écrivain et traducteur marocain est emprisonné pendant huit ans en raison de son combat politique. Durant ses années d'emprisonnement, il rédigera ce recueil. Il écrit à son fils, lui parle comme s'il était à ses côtés comme le suggère l'interpellation du premier vers, « Mon fils aimé ». Il lui dit toutes ses réflexions et lui confie les sentiments éprouvés comme l'amour qu'il lui porte. Le verbe « aimer » soit sous forme conjuguée, soit sous forme de participe passé, est employé quatre fois dans cet extrait.