Sommaire
ILa littérature et le lien à autruiALes formes narrativesBLe théâtreIILes relations avec la famille en littératureALa figure de la mère en littératureBLes liens avec les autres membres de la familleCL'autonomie de l'individu au sein de la familleIIILes relations avec les pairs en littératureAL'amitiéBLe rejet et la contestationAutrui, c'est l'autre, celui qui nous ressemble. Les liens avec autrui peuvent être de différentes natures : familiaux, amicaux, professionnels, etc. Les rapports avec autrui peuvent être faits d'attachement (amour, amitié) ou de tensions (conflits, disputes, haine). La littérature, notamment le roman et le théâtre, donnent à lire les différents rapports avec autrui et la façon dont on se situe par rapport à lui.
Quelles visions familiales et amicales la littérature et les réseaux sociaux donnent-ils à lire et à voir de ce rapport à autrui ? Quelle est la place de l'individu au sein d'un groupe ?
La littérature et le lien à autrui
En littérature, le lien avec autrui est souvent central. Dans l'autobiographie et le roman autobiographique, on trouve de nombreuses scènes suivant l'évolution du personnage et la construction de son rapport à autrui. Le théâtre permet également d'illustrer les liens à autrui, il a la particularité de pouvoir les mettre en scène grâce aux comédiens : la comédie est d'ailleurs souvent utilisée pour réfléchir aux liens qui unissent les hommes entre eux.
Les formes narratives
Il existe deux formes narratives abordant particulièrement les relations avec autrui : l'autobiographie et le roman autobiographique. Dans ces récits, la construction d'une personne est racontée, souvent de son enfance à l'âge adulte, et passe en grande partie par les liens avec les autres autour d'elle.
Dans l'autobiographie, l'auteur fait le récit de sa propre vie en veillant à dire la vérité et à être juste dans ses propos. Il écrit à la première personne. L'auteur, le narrateur et le personnage constituent une seule et même personne. Comme l'auteur raconte son passé et ses souvenirs, deux regards se mêlent : celui du narrateur adulte et celui du narrateur enfant. Se souvenir permet aussi à l'auteur de faire revivre ses relations avec l'autre, parents, amis, et de voir comment ces différentes relations lui ont permis de se construire.
Nathalie Sarraute, enfant, se promène avec son père au jardin du Luxembourg, à Paris.
« Il me semble que nous nous taisons. En tout cas, de ce qui a pu être dit ne sont restés que ces mots que j'entends encore très distinctement : "Est-ce que tu m'aimes, papa ?" [...] "Pourquoi me demandes-tu ça ?" Toujours avec une nuance d'amusement… parce que cela m'amuse et aussi pour empêcher qu'il me repousse d'un air mécontent, "Ne dis donc pas de bêtises"… j'insiste : Est-ce que tu m'aimes, dis-le moi. – Mais tu le sais... – Mais je voudrais que tu me le dise. Dis-le papa, tu m'aimes ou non ? [...] "Mais oui, mon petit bêta, je t'aime." »
Nathalie Sarraute
Enfance
© Gallimard, 1983
Enfant, Nathalie Sarraute fait preuve d'une certaine malice en posant plusieurs fois la même question à son père : « Est-ce que tu m'aimes ? » L'auteur insiste et a besoin d'entendre ces paroles d'amour pour se rassurer. L'aveu du père lui fait plaisir et l'assure de leurs bonnes relations et de leur entente.
Le roman autobiographique s'inspire de la vie réelle de l'auteur, mais il y a une part de fiction. Dans le roman autobiographique, l'auteur, le narrateur et le personnage ne forment pas une seule et même personne. Le personnage inventé ressemble à l'auteur et les faits rapportés sont proches de la vie réelle de l'auteur. L'auteur revient, par la fiction, sur des événements de son enfance comme les rapports difficiles avec autrui, parents ou amis. Il essaie de mieux les comprendre, de mieux les accepter, de se libérer d'une certaine souffrance ou de partager sa joie.
« Le jour de la rentrée [...], du plus loin qu'elle entend les grelots de la diligence, madame Lepic tombe sur ses enfants et les étreint d'une seule brassée. Poil de Carotte ne se trouve pas dedans. Il espère patiemment son tour, la main déjà tendue vers les courroies de l'impériale, ses adieux tout prêts, à ce point triste qu'il chantonne malgré lui. »
Jules Renard
Poil de Carotte
1894
Jules Renard raconte sa propre enfance dans son roman autobiographique, Poil de Carotte. Son héros, Poil de Carotte, incarne les douleurs et malheurs de son enfance. Ici, il est triste car sa mère ne l'embrasse pas pour lui dire au revoir à la différence de son frère et de sa sœur.
Aujourd'hui, les nouvelles technologies et les réseaux sociaux constituent un nouveau mode de communication et de relations sociales. Le lien à autrui se complexifie : il peut se faire uniquement via le numérique. Les liens sociaux se font et se défont sur les réseaux qui ont désormais pris une place primordiale dans les relations humaines et le rapport à autrui. La littérature rend compte de la complexité et parfois de la violence de ce nouveau rapport à l'autre.
Dans le roman Elle a menti pour les ailes, paru en 2020, Francesca Serra raconte l'histoire d'une jeune fille qui entre au lycée et cherche à intégrer le groupe des jeunes les plus populaires. L'autrice s'intéresse particulièrement à l'utilisation de plus en plus importante des réseaux sociaux chez les jeunes, et particulièrement Instagram et Snapchat. L'héroïne du roman devient très populaire, mais une vidéo la compromettant se met à circuler en ligne. Elle subit alors le harcèlement de ses camarades et est rejetée par les autres. Sa chute sociale débute dans l'espace numérique.
Le théâtre
Le théâtre, plus particulièrement la comédie, donne une représentation des relations avec autrui. Elle met souvent en scène de façon comique les relations familiales pour mieux réfléchir aux liens entre les personnes. Molière a particulièrement utilisé la comédie pour mettre en scène les relations entre les individus et en proposer une critique et une évolution.
La comédie se divise en plusieurs parties, appelées « actes », elles-mêmes subdivisées en scènes. La comédie invite à faire rire par l'utilisation de différentes formes de comique :
- comique de situation ;
- comique de gestes ;
- comique de mots ;
- comique de caractère.
La pièce de théâtre est propice à exposer les relations entre les personnages : les relations familiales ou amicales, les relations d'entente ou de conflit. Les dialogues des comédiens permettent aux spectateurs de se rendre compte directement des liens entre les personnages.
Octave a demandé de l'aide à Scapin, le valet très rusé de son ami Léandre, pour le sortir de la mauvaise situation dans laquelle il se trouve. Il l'explique à la jeune fille qu'il aime.
« HYACINTHE.
Ah ! Octave, est-il vrai ce que Sylvestre vient de dire à Nérine ? Que votre père est de retour, et qu'il veut vous marier ?
OCTAVE.
Oui, belle Hyacinthe, et ces nouvelles m'ont donné une atteinte cruelle. Mais que vous-je ? vous pleurez ! Pourquoi ces larmes ? Me soupçonnez-vous, dites-moi, de quelque infidélité, et n'êtes-vous pas assurée de l'amour que j'ai pour vous ?
HYACINTHE.
Oui, Octave, je suis sûre que vous m'aimez ; mais je ne le suis pas que vous m'aimiez toujours.
OCTAVE.
Eh ! Peut-on vous aimer, qu'on ne vous aime toute sa vie ? »
Molière
Les Fourberies de Scapin, acte I, scène 3
1671
Le spectateur comprend les liens d'amour qui unissent Octave et Hyacinthe. Il soupçonne facilement les relations conflictuelles avec le père qui veut imposer à son fils Octave, de prendre une fille de son choix pour épouse. Sylvestre est le valet d'Octave, Nérine, la nourrice de Hyacinthe : ils se transmettent les informations concernant leurs maîtres car ils sont inquiets pour eux.
Le rire sert à dénoncer les défauts des hommes. Mettre en scène les relations entre les hommes et leurs problèmes permet de réfléchir à la façon de les faire évoluer. Ainsi, à la fin de la comédie, le lecteur-spectateur assiste à un retournement de situation qui permet à l'histoire de bien se terminer.
Les pièces de Molière mettent particulièrement en évidence :
- les relations avec la famille (des pères injustes, autoritaires, tyranniques) ;
- les valets qui sont amis et complices des maîtres.
« ARGANTE.
Venez, mon fils, venez vous réjouir avec nous de l'heureuse aventure de votre mariage. Le Ciel…
OCTAVE, sans voir Hyacinthe.
Non, mon père, toutes vos propositions de mariage ne serviront de rien. Je dois lever le masque avec vous, et l'on vous a dit mon engagement.
ARGANTE.
Oui ; mais tu ne sais pas…
OCTAVE.
Je sais toit ce qu'il faut savoir.
ARGANTE.
Je veux te dire que la fille du seigneur Géronte…
OCTAVE.
La fille du seigneur Géronte ne me sera jamais de rien.
GÉRONTE.
C'est elle…
OCTAVE.
Non, Monsieur, je vous demande pardon, mes résolutions sont prises. [...] Non, vous dis-je, mon père, je mourrai plutôt que de quitter mon aimable Hyacinthe. […]
ARGANTE.
Hé bien ! c'est elle qu'on te donne. Quel diable d'étourdi, qui suit toujours sa pointe ! »
Molière
Les Fourberies de Scapin, acte III, scène 10
1671
Les relations familiales sont tendues : le père d'Octave, Argante, veut imposer à son fils, Octave, une jeune fille en épouse. Octave la refuse car il aime Hyacinthe. Molière utilise différentes formes de comique : comique de situation (Octave ne voit pas Hyacinthe comme le souligne la didascalie), comique de mots (Octave coupe la parole à Argante), et un quiproquo sur l'identité de la jeune fille pour se moquer de l'entêtement d'Octave qui ne veut pas écouter les paroles de son père. La pièce se termine bien puisque la jeune fille prévue par le père pour son fils est celle désirée et aimée.
Les relations avec la famille en littérature
La famille est le premier groupe que l'enfant rencontre et auquel il se confronte pour faire l'expérience de son rapport aux autres et construire sa personnalité. La mère est une figure centrale en littérature, idéalisée ou diabolisée, elle reste la figure la plus représentée. Le père, les frères et les sœurs sont également mis en scène.
La figure de la mère en littérature
La figure de la mère a beaucoup inspiré les écrivains. La mère peut être idéalisée, elle est celle qui permet l'harmonie familiale, le bonheur, celle qui protège et nourrit l'enfant. Sa perte provoque un profond chagrin. La mère peut également être diabolisée.
La mère est une figure essentielle pour l'enfant : elle est un repère d'amour. Elle aime, console, apaise, rassure, donne de la tendresse, nourrit. Elle est aussi un guide, celle qui éduque l'enfant et lui enseigne les premiers savoirs. Ainsi, la mère est souvent une figure valorisée en littérature.
« Elle revenait chez nous lourde de chocolat en barre, de denrées exotiques et d'étoffes en coupons, mais surtout de programmes de spectacles et d'essence à la violette, et elle commençait de nous peindre Paris dont tous les attraits étaient à sa mesure, puisqu'elle ne dédaignait rien.
En une semaine elle avait visité la momie exhumée, le musée agrandi, le nouveau magasin, entendu le ténor et la conférence sur La Musique birmane. Elle rapportait un manteau modeste, des bas d'usage, des gants très chers.
Surtout elle nous rapportait son regard gris voltigeant, son teint vermeil que la fatigue rougissait, elle revenait ailes battantes, inquiète de tout ce qui, privé d'elle, perdait la chaleur et le goût de vivre.
Elle n'a jamais su qu'à chaque retour l'odeur de sa pelisse en ventre-de-gris1, pénétrée d'un parfum châtain clair, féminin, chaste, éloigné des basses séductions axillaires2, m'ôtait la parole et jusqu'à l'effusion. D'un geste, d'un regard elle reprenait tout. Quelle promptitude de main ! Elle coupait des bolducs3 roses, déchaînait des comestibles coloniaux, repliait avec soin les papiers noirs goudronnés qui sentaient le calfatage4. Elle parlait, appelait la chatte, observait à la dérobée mon père amaigri, touchait et flairait mes longues tresses pour s'assurer que j'avais brossé mes cheveux… Une fois qu'elle dénouait un cordon d'or sifflant, elle s'aperçut qu'au géranium prisonnier contre la vitre d'une des fenêtres, sous le rideau de tulle, un rameau pendait, rompu, vivant encore.
La ficelle d'or à peine déroulée s'enroula vingt fois autour du rameau rebouté5, étayé d'une petite éclisse6 de carton… Je frissonnai, et crus frémir de jalousie, alors qu'il s'agissait seulement d'une résonance poétique, éveillée par la magie de secours efficace scellé d'or… »
1 Pelisse en ventre-de-gris : manteau en fourrure de ventre d'écureuil
2 Axillaire : qui vient des aisselles. Colette évoque les odeurs de sueur.
3 Bolduc : ruban
4 Calfatage : traitement des coques des navires avec du goudron pour les rendre étanches
5 Rebouté : réparé
6 Éclisse : plaque servant à étayer, c'est-à-dire à soutenir, un membre fracturé
Colette
Sido
© Kra, 1930
Dans cet extrait, la mère est associée à la nature, elle est comme une femme nourricière qui prend soin des enfants. C'est une figure positive et centrale autour de laquelle la famille s'organise.
La mort de la mère provoque une très grande souffrance. Les mots permettent de maintenir sa mémoire en vie et de montrer à quel point les sentiments entre une mère et un enfant peuvent être forts.
Albert Cohen reste inconsolable à la mort de sa mère. Il lui écrit un livre pour lui rendre hommage.
« Je ne la veux pas dans les rêves, je la veux dans la vie, ici, avec moi, bien vêtue par son fils et fière d'être protégée par son fils. Elle m'a porté pendant neuf mois et elle n'est plus là. Je suis un fruit sans arbre, un poussin sans poule, un lionceau tout seul dans le désert, et j'ai froid. Si elle était là, elle me dirait : "Pleure, mon enfant, tu seras mieux après." Elle n'est pas là et je ne veux pas pleurer. Je ne veux pleurer qu'auprès d'elle ? […] Mais je veux être aussi son petit garçon d'autrefois, je veux qu'elle me dessine son bateau qui transporte un gros nougat, je veux qu'elle me dessine ses fleurs ingénues que j'essayerai de recopier, je veux qu'elle renoue ma cravate et qu'elle me donne une petite tape après. Je veux être le petit garçon de Maman […] »
Albert Cohen
Le Livre de ma mère
© Gallimard, 1954
La répétition du verbe « veux » et l'opposition entre les mots « rêves » et « vie » soulignent l'intensité du manque ressenti face à l'absence de la mère qui renvoie l'auteur dans une profonde solitude (répétition de « sans », « tout seul » et la métaphore « j'ai froid »). Albert Cohen se rappelle les gestes de sa mère, ses dessins, ses attentions pour montrer tout l'amour qu'il lui porte, tout l'amour qu'elle lui portait, toute la complicité harmonieuse qui existait entre eux.
La figure de la mère peut également être négative. Elle fait peur aux enfants, elle les maltraite, elle les abandonne ou les terrorise.
Le narrateur de Vipère au poing de Hervé Bazin (1948), maltraité et violenté par sa mère, grave sur les écorces des arbres : « VF ». Cette inscription signifie « Vengeance à Folcoche ». Folcoche est le surnom donné à la mère détestée et associe les mots « folle » et « coche », de « cochonne ».
Dans les contes de fées, la figure de la belle-mère est souvent négative : elle est celle qui refuse de laisser la place aux enfants et cherche à tout prix à garder le pouvoir ou à rester belle.
Dans Blanche-Neige, la belle-mère tente de faire assassiner sa belle-fille lorsqu'elle devient plus belle qu'elle.
Les liens avec les autres membres de la famille
Au sein de la famille, le rapport des frères et sœurs est également très important : ils sont souvent les compagnons de jeu, ceux avec lesquels on grandit. La figure du père est présente en littérature, elle symbolise souvent l'autorité et le respect.
On joue avec ses frères et sœurs, on grandit avec eux, on apprend avec eux, on se confie à eux. La littérature donne à lire des scènes de confidences entre frères et sœurs : ce sont les premiers amis, les premiers confidents.
Cléante et Élise sont frères et sœurs et enfants d'Harpagon. Leur père est un riche bourgeois qui fait preuve d'une très grande avarice.
« CLÉANTE.
Je suis bien aise de vous trouver seule, ma sœur ; et je brûlais de vous parler, pour m'ouvrir à vous d'un secret.
ÉLISE.
Me voilà prête à vous ouïr, mon frère. Qu'avez-vous à me dire ?
CLÉANTE.
Bien des choses, ma sœur, enveloppées d'un mot. J'aime.
ÉLISE.
Oui, j'aime. Mais avant que d'aller plus loin, je sais que je dépends d'un père, et que le nom de fils me soumet à ses volontés. »
Molière
L'Avare, acte I, scène 2
1668
Cléante est très pressé de se confier à sa sœur comme le souligne la métaphore « je brûlais de vous parler ». S'il ne peut avertir son père de son bonheur d'aimer, il peut confier son « secret » à sa sœur qui saura l'écouter, le comprendre, le conseiller car leurs relations fraternelles sont bonnes et harmonieuses.
La figure du père incarne souvent l'autorité. Au théâtre, ils sont souvent représentés, notamment dans les comédies de Molière. Au XVIIe siècle, ce sont les pères qui décident du mariage de leurs fils en leur imposant l'épouse de leur choix. Le mariage est un contrat entre deux familles qui est conclu par les pères. Le mariage est fondé sur l'argent et les titres de noblesse et donc, non pas sur l'amour. Et ce point pose souvent problème : les pères imposent leurs décisions à leurs enfants et sont contre eux comme le montrent les comédies de Molière.
Octave vient d'apprendre par son valet, Sylvestre, le retour de son père, Argante, qui souhaite marier son fils à la fille du seigneur Géronte.
« SCAPIN.
Qu'est-ce, Seigneur Octave, qu'avez-vous ? Qu'y a-t-il ? Quel désordre est-ce là ? Je vous vois troublé.
OCTAVE.
Ah ! Mon pauvre Scapin, je suis perdu, je suis désespéré, je suis le plus infortuné de tous les hommes. […] Mon père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier.
SCAPIN.
Hé bien ! Qu'y a-t-il là de si funeste ?
OCTAVE.
Hélas ! Tu ne sais pas la cause de mon inquiétude.
SCAPIN.
Non ; mais il ne tiendra qu'à vous que je la sache bientôt ; et je suis homme consolatif, homme à m'intéresser aux affaires des jeunes gens.
OCTAVE.
Ah ! Si tu pouvais trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la peine où je suis […] »
Molière
Les Fourberies de Scapin, acte I, scène 2
1671
Octave confie son malaise (« inquiétude », « troublé ») à Scapin, valet de Léandre. Il lui demande son aide car il ne veut pas se marier avec la femme choisie par son père. Il a désobéi et enfreint le code de respect et d'autorité paternelle.
L'autonomie de l'individu au sein de la famille
Face aux rapports conflictuels avec la famille, l'enfant doit apprendre à trouver son autonomie : il se détache alors de ses parents.
La famille est le premier groupe dans lequel l'enfant évolue. Il doit apprendre à s'en détacher, à rompre les liens afin de se libérer des tensions éventuelles. Il doit construire sa propre personnalité et conquérir plus d'autonomie. L'enfant s'affirme, il se construit parfois en opposition à ses parents.
« Il n'osait plus me raconter des histoires de son enfance. Je ne lui parlais plus de mes études. […] Il se fâchait quand je me plaignais du travail ou critiquais les cours. Le mot "prof" lui déplaisait, ou "dirlo", même "bouquin". […] Devant la famille, les clients, de la gêne, presque de la honte que je ne gagne pas encore ma vie à dix-sept ans, autour de nous toutes les filles de cet âge allaient au bureau, à l'usine ou servaient derrière le comptoir de leurs parents. »
Annie Ernaux
La Place
© Gallimard, 1983
Annie Ernaux évoque les relations tendues avec son père qui n'accepte pas que sa fille fasse des études. Il n'y a plus d'échanges entre eux comme le montre l'emploi de la négation dans les deux premières phrases. Les études deviennent un sujet tabou, mais l'auteure maintient son choix pour s'émanciper et pour choisir son métier.
Les relations avec les pairs en littérature
Les pairs, ce sont ceux qui ont le même âge, la même situation. On les rencontre d'abord à l'école. Établir le contact avec le groupe n'est pas toujours aisé : on peut se faire des amis mais aussi des ennemis. Affirmer son indépendance face aux pairs est primordial. Ces thématiques sont particulièrement abordées en littérature.
L'amitié
L'amitié est un sentiment très fort d'affection qui est réciproque entre deux personnes. En littérature, on trouve de nombreuses relations amicales : l'ami est celui qui permet de s'émanciper, de se sentir accepté, d'avoir un premier contact fort en dehors de la famille.
L'amitié est une relation privilégiée et unique qui peut reposer sur des goûts communs ou des différences, de la complicité, du soutien, de l'admiration. L'amitié aide l'individu à se former, à grandir, à appréhender le monde, à surmonter des épreuves, à vivre des grands moments de joie. L'amitié est donc une relation très précieuse.
« Le jour où j'entrai en quatrième-première – j'allais sur mes dix ans – le tabouret voisin du mien était occupé par une nouvelle : une petite noiraude, aux cheveux coupés court. En attendant Mademoiselle, et à la sortie de la classe, nous causâmes. Elle s'appelait Élizabeth Mabille, elle avait mon âge. […] Il ne m'était jamais rien arrivé de si important : elle me parut tout de suite un personnage. […] Zaza aimait comme moi les livres et l'étude ; en outre, elle était dotée d'une quantité de talents qui me faisaient défaut. […] j'admirais, autant que la vivacité de ses récits, son adresse à fabriquer un objet qui ressemblait à un vrai journal. »
Simone de Beauvoir
Mémoires d'une jeune fille rangée
© Gallimard, 1958
L'école est souvent le lieu où se nouent les premières amitiés. C'est le cas de Simone de Beauvoir et d'Élizabeth Mabille. Les deux jeunes filles partagent plusieurs points communs : l'amour des livres et des études. Elles se comprennent et une très grande complicité amicale les lie au point qu'elles deviennent inséparables. Leur relation amicale est également très positive car Simone de Beauvoir est fascinée par Zaza qu'elle « admire ». Par leurs différents partages (livres, activités), elles grandissent toutes deux et apprennent l'une de l'autre.
Le rejet et la contestation
À l'inverse de l'amitié, on peut être rejeté par un groupe ou s'inscrire contre lui. Les pairs sont alors perçus comme négatifs. De nombreux héros en littérature sont des personnages différents, des êtres marginalisés qui sont rejetés ou se définissent contre le groupe.
Il est parfois difficile de s'intégrer à un groupe parce que l'on est différent, parce que l'on n'a pas été éduqué comme les autres, parce que l'on se sent différent. On peut également être exclu par les autres qui se moquent de nos différences (développement intellectuel, handicap physique et/ou mental, orientation sexuelle, physique disgracieux, etc.). On peut alors être victime de harcèlement. Ce rejet des autres est particulièrement difficile. On expérimente alors l'humiliation, la peine, la tristesse, la souffrance et la colère.
Jean-Paul Sartre raconte son enfance dans son autobiographie intitulée Les Mots. Enfant, il était seul et exclu.
« Sur les terrasses du Luxembourg, des enfants jouaient, je m'approchais d'eux, ils me frôlaient sans me voir, je les regardais avec des yeux de pauvre : comme ils étaient forts et rapides ! comme ils étaient beaux ! Devant ces héros de chair et d'os, je perdais mon intelligence prodigieuse, mon savoir universel, ma musculature athlétique, mon adresse spadassine ; je m'accotais à un arbre, j'attendais. Sur un mot du chef de la bande, brutalement jeté : "Avance, Pardaillan, c'est toi qui feras le prisonnier", j'aurai abandonné mes privilèges. Même un rôle muet m'eût comblé ; j'aurais accepté dans l'enthousiasme de faire un blessé sur une civière, un mort. L'occasion ne m'en fut pas donnée : j'avais rencontré mes vrais juges, mes contemporains, mes pairs, et leur indifférence me condamnait. Je n'en revenais pas de me découvrir par eux : […] un gringalet qui n'intéressait personne. »
Jean-Paul Sartre
Les Mots
© Gallimard, 1964
Le jeune Sartre est seul, exclu du groupe par les enfants de son âge. Il se sent ignoré (« sans me voir »), différent, faible. Il observe leur jeu avec souffrance car il est exclu. Cette situation aussi douloureuse soit-elle va lui apprendre à grandir et à connaître les difficiles lois du groupe.
On peut aussi choisir de s'inscrire contre le groupe, parce qu'on rejette leurs idées. Face à une injustice ou à un mauvais jugement, l'individu peut se détacher de lui, prendre position contre lui. Il affirme librement son point de vue. Il s'émancipe d'un groupe qui ne lui correspond pas pour devenir pleinement ce qu'il est.
Alexis est un réfugié russe pendant la Première Guerre mondiale. Au lycée, il rencontre Thierry, élève handicapé, et tous deux deviennent amis.
« Soudain, un grand de première, une brute nommée Neyrat, intercepta le ballon et, en s'enfuyant, bouscula Thierry Gozelin, qui perdit l'équilibre et tomba lourdement sur le gravier de la cour. Immédiatement, Alexis se jeta à la poursuite de Neyrat et, le saisissant par le bras, lui cria en pleine face :
— Tu ne peux pas faire attention, espèce de salaud ?
Neyrat se dégagea d'un coup sec et planta son poing sous le nez d'Alexis.
— Toi, le bolchevik, tu vas fermer ta gueule si tu ne veux pas que je t'écrase comme une punaise !
— Je ne suis pas un bolchevik ! hurla Alexis, indigné. Je suis un Russe blanc !
— Tous les Russes sont des traîtres ! rétorqua Neyrat. Ils nous ont bien laissés choir en 17 ! […]
— C'est très choix d'avoir pris ma défense, murmura-t-il. Mais ça n'en valait pas la peine. J'ai entendu ce que disait cet abruti. Personne ne pense comme lui. Tous les gens sensés font la différence entre nos alliés de Russie et ceux qui nous ont lâchés. »
Henri Troyat
Aliocha
© Flammarion, 1991
Alexis défend son ami Thierry volontairement bousculé. Il assume son geste qui est juste pour lui au point de se mettre le reste des camarades, donc du groupe, à dos et d'être victime d'injures concernant ses origines. Et Thierry le rassure en lui donnant librement son point de vue. Ces deux adolescents sont amis et en plus, sont liés par leur capacité à être indépendants et à penser par eux-mêmes.