On donne le texte suivant extrait de Le Spectateur français de Marivaux :
Je m'amusais l'autre jour dans la boutique d'un libraire, à regarder des livres ; il y vint un homme âgé, qui, à la mine, me parut homme d'esprit grave ; il demanda au libraire, mais d'un air de bon connaisseur, s'il n'avait rien de nouveau. J'ai le Spectateur, lui répondit le libraire. Là-dessus mon homme mit la main sur un gros livre, dont la reliure était neuve, et lui dit : - Est-ce cela ? - Non, monsieur, reprit le libraire, le Spectateur ne paraît que par feuille, et le voilà. - Fi ! repartit l'autre, que voulez-vous qu'on fasse de ces feuilles-là ? Cela ne peut être rempli que de fadaises, et vous êtes bien de loisir, d'imprimer de pareilles choses. - L'avez-vous lu, ce Spectateur ? lui dit le libraire. - Moi ! le lire, répondit-il ; non, je ne lis que du bon, du raisonnable, de l'instructif, et ce qu'il me faut n'est pas dans vos feuilles. Ce ne sont ordinairement que de petits ouvrages de jeunes gens qui ont quelque vivacité d'écolier, quelques saillies plus étourdies que brillantes, et qui prennent les mauvaises contorsions de leur esprit pour des façons de penser légères, délicates et cavalières. Je n'en veux point, mon cher ; je ne suis point curieux d'originalités puériles.
- En effet, je suis du sentiment de Monsieur, dis-je alors, en me mêlant de la conversation ; il parle en homme sensé. Pures bagatelles que des feuilles ! La raison, le bon sens et la finesse peuvent-ils se trouver dans si peu de papier ? Ne faut-il pas un vaste terrain pour les contenir ? Un bon esprit s'avisa-t-il jamais de penser et d'écrire autrement qu'en gros volumes ? Jugez de quel poids peuvent être des idées enfermées dans une feuille d'impression que vous allez soulever d'un souffle ! Et quand même elles seraient raisonnables, ces idées, est-il de la dignité d'un personnage de cinquante ans, par exemple, de lire une feuille volante, un colifichet ? Cela le travestit en petit jeune homme, et déshonore sa gravité ; il déroge. Non, à cet âge-là, tout savant, tout homme d'esprit ne doit ouvrir que des in-folio, de gros tomes respectables par leur pesanteur, et qui, lorsqu'il les lit, le mettent en posture décente ; de sorte qu'à la vue du titre seul, et retournant chaque feuillet du gros livre, il puisse se dire familièrement en lui-même : Voilà ce qu'il faut à un homme aussi sérieux que moi, et d'une aussi profonde réflexion. Là-dessus il se sent comme entouré d'une solitude philosophique, dans laquelle il goûte en paix le plaisir de penser qu'il se nourrit d'aliments spirituels, dont le goût n'appartient qu'aux raisons graves. Eh bien, monsieur, qu'en dites-vous ? N'est-ce pas là votre pensée ?
Quelle est la cible visée par le texte ? Justifier la réponse.
Quelle est la thèse défendue par le texte ? Justifier la réponse.
Quels sont les procédés de l'ironie mis en œuvre ? Justifier la réponse.