Métropole, 2016, voie S
La gouvernance européenne depuis le traité de Maastricht.
Quel plan permet de répondre au sujet "La gouvernance européenne depuis le traité de Maastricht" ?
Quand le traité de Maastricht est-il signé ?
Parmi les propositions suivantes, lesquelles sont deux des grandes avancées du traité de Lisbonne ?
En quelle année l'UEM est-elle mise en place ?
Quels sont les deux pays qui refusent le TECE en 2005 ?
Quel est le traité qui remplace le TECE ?
En février 2017, l'Union européenne (UE) fêtait dans la discrétion les 25 ans du traité de Maastricht signé en février 1992. Cette discrétion ne peut qu'étonner dès lors que l'on considère la nature de ce traité qui s'apparente rien moins qu'au deuxième acte fondateur du projet politique européen après le traité de Rome de 1957.
Après deux guerres mondiales dont le bilan humain, moral et matériel, s'est avéré catastrophique, les Européens ont jugé bon de s'unir plutôt que de mourir, pour paraphraser le titre de l'essai que Gaston Riou fait paraître en 1929. Aussi, les initiatives des européistes se multiplient-elles dès la Libération. Le Congrès de La Haye de 1948 est de ce point de vue une étape importante dans la construction européenne. En 1950, la Déclaration Schuman lance le projet de CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier) avant que les traités de Rome de mars 1957 ne viennent conforter la dynamique européenne en créant la CEE (Communauté économique européenne) et l'EURATOM. Après des décennies de petits pas visant à l'intégration économique et à la mise en place progressive d'une union politique, les Européens décident d'accentuer la dynamique dans le contexte de la fin de la guerre froide et dans la perspective des élargissements à l'Est. Ce sera le traité de Maastricht.
Nous pouvons donc nous interroger sur la manière dont le traité de Maastricht a modifié la gouvernance européenne vue comme l'ensemble des moyens mis à disposition pour assurer le pilotage économique et politique d'un territoire donné. Pour ce faire, nous aborderons dans un premier temps les avancées et les limites du traité avant de considérer les évolutions ultérieures de la gouvernance européenne et les critiques qu'elles suscitent.
Maastricht : un traité majeur pour la gouvernance européenne
Une nécessaire refonte de la gouvernance européenne
Signé en 1957, le traité de Rome instituant la CEE a mis en place des institutions et un processus de prise de décisions qui conviennent à une "petite" Europe, l'Europe des six qui, le temps passant, devient l'Europe des 9, des 10 puis des 12 en 1986 après l'intégration de la Grande-Bretagne, de l'Irlande, du Danemark, de la Grèce, du Portugal et de l'Espagne. Or, la chute du mur de Berlin et l'effondrement du bloc soviétique au tournant des années 1980 - 1990 laissent penser que la CEE sera appelée à s'élargir et à intégrer les PECO (Pays d'Europe central et orientale) jusqu'alors sous le joug de Moscou. La perspective de ce grand élargissement est à la fois enthousiasmante et inquiétante dans le sens où il apparaît indispensable de repenser les institutions et de réfléchir en parallèle à la question de l'approfondissement.
Par ailleurs, il s'agit de rompre avec une période, le début des années 1980, qui a vu les Européens suivre leur propres agendas : la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher veut faire cavalier seul et s'aligner sur l'ultra-libéralisme américain ; la France de Mitterrand se lance dans des nationalisations et des dépenses qui l'affaiblissent durablement ; l'Allemagne de Kohl semble également se raidir dans un contexte de tensions accrues en Europe du fait du "regel" géopolitique. C'est dans ce contexte que Jacques Delors est nommé président de la Commission européenne en 1985. Il considère dès sa prise de poste que son mandat doit être celui de la relance. Il commet donc un rapport qui fait des propositions majeures.
En 1986, Jacques Delors réussit à faire adopter l'Acte unique européen dont l'objectif est l'achèvement du marché intérieur dont la réalisation avait été prévue dès 1957. Pour ce faire, il entend démanteler toutes les barrières physiques, politiques et fiscales qui entravent la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes. Parallèlement, et pour accélérer la procédure, l'Acte unique européen prévoit de faire adopter un certain nombre de décisions à la majorité qualifiée du Conseil des ministres. Il envisage par ailleurs de doter les institutions communautaires de nouvelles compétences. En ce sens, on peut considérer qu'il ouvre la voie au traité de Maastricht.
Maastricht : vers une union toujours plus étroite ?
Négocié en 1991, le traité sur l'Union européenne (TUE), plus communément appelé traité de Maastricht, est signé en février 1992 par l'ensemble des pays membres de la CEE et marque un tournant majeur dans la construction européenne. Le traité crée en effet l'Union européenne qui repose sur trois piliers : les Communautés européennes, la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la coopération policière et judiciaire. En outre, le traité de Maastricht lance l'Union économique et monétaire (UEM) dont l'objectif affiché est la création d'une monnaie unique, l'euro, à l'horizon 2002. On comprend d'emblée que le traité sur l'Union européenne veut approfondir l'intégration.
En créant la PESC, les Européens entendent faire porter la voix de l'Europe et coordonner leurs prises de positions vis-à-vis du monde extérieur ; cela suppose de déléguer des compétences à celui qui est en charge de cette PESC, en l'occurrence l'Allemand Jürgen Trumpf puis l'Espagnol Javier Solana. De même, en créant Europol et Eurojust, les Européens souhaitent approfondir leur coopération policière et judiciaire et ce d'autant que l'on s'achemine vers l'ouverture des frontières intérieures dans le cadre de la convention de Schengen signée en 1985 et qui entre en vigueur en 1995. Il faut que la police et la justice soient en mesure de traquer les malfaiteurs dans une Europe ouverte.
Enfin, et surtout, la création de l'UEM est un tournant majeur. Les gouvernements européens qui décident d'adopter la monnaie unique (et non commune), acceptent d'abandonner leur souveraineté monétaire au profit d'une institution communautaire indépendante : la BCE (Banque centrale européenne) installée à Francfort. La création de la monnaie unique européenne marque donc une forte volonté d'intégration ; elle doit forcer les Européens à aller vers plus de convergence économique (ce sont les critères de convergences ou critères de Maastricht : déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB, dette publique inférieure à 60% du PIB, inflation inférieure à 2%). Cette convergence doit aboutir à terme à une convergence fiscale, sociale et donc politique.
Maastricht et l'intégration citoyenne
En forçant l'intégration européenne, en approfondissant davantage le lien qui unit les pays membres de ce qui allait devenir, en 1993, l'Union européenne, les dirigeants européens faisaient un pari. Pour le réussir, ils décidèrent aussi de faire porter l'effort sur la base : les citoyens. Ainsi, on crée une citoyenneté européenne qui laisse donc entendre que l'UE est une "cité", c'est-à-dire un corps politique partageant un destin commun et mû par un idéal particulier. Les Européens avaient déjà la possibilité d'élire les députés au Parlement européen au suffrage universel direct depuis 1979. La création de la citoyenneté européenne renforce donc le sentiment d'appartenance collective.
Par ailleurs, le politique et le symbolique allant souvent de pair, les Européens dotent l'UE d'un hymne (la 9e symphonie de Beethoven), d'un drapeau et d'une journée (le 9 mai, en hommage à la déclaration Schuman de 1950 qui fut à l'origine de la CECA, grand ancêtre de l'UE). On pourrait aussi rappeler que depuis 1987, l'Europe finance le programme d'échanges à destination des étudiants dont l'appellation est à elle seule un programme : Erasmus. Il s'agit bien sûr de créer du lien, de favoriser les échanges culturels et donc la connaissance de l'autre. En d'autres termes, faire l'union par le bas en même temps qu'on la fait par le haut, c'est-à-dire par les institutions.
Cet aspect est naturellement renforcé par la mise en place effective de la convention de Schengen en 1995 qui permet la libre circulation des personnes à l'intérieur de l'espace Schengen qui comprend les pays ayant accepté d'ouvrir leurs frontières en échange de la création de Frontex qui doit assurer la surveillance et le contrôle des frontières extérieures communes de l'UE. Désormais, la liberté de circulation est donc totale en Europe : capitaux, marchandises et hommes peuvent se déplacer sans entrave. L'intégration est en marche. Cependant, loin de tout régler, Maastricht semble être resté au milieu du gué et les défis lancés à l'Europe et à sa gouvernance restent importants.
Le traité de Maastricht apparaît donc comme une étape majeure dans la construction européenne. En créant l'UEM, en mettant en place la PESC ou octroyant une citoyenneté européenne aux ressortissants des pays membres, il fait avancer l'approfondissement. Cependant, la question de la gouvernance reste pendante.
La gouvernance européenne : les défis d'une Europe élargie
Amsterdam et Nice : beaucoup de bruit pour rien ?
Avec la dislocation de l'URSS et la fin de la guerre froide, l'Europe est confrontée au défi de l'élargissement. Car, après plus de 40 ans de séparation, les Européens se retrouvent et entendent partager un destin commun marqué par l'économie libérale de marché, la démocratie et l'humanisme. Aussi, dès 1993, les Européens réfléchissent-ils aux critères à appliquer aux pays désireux d'intégrer l'UE. Ces critères de Copenhague sont les suivants : il faut que l'impétrant respecte la démocratie et l'État de droit, il doit avoir adopté une économie de marché et, enfin, il doit s'engager à accepter l'acquis communautaire, c'est-à-dire accepter toutes les règles et directives adoptées par l'Europe avant son adhésion. Ainsi élaborés, ces critères permettent d'étudier les candidatures des pays désireux de rejoindre l'UE. En 1995, ce sont l'Autriche, la Suède et la Finlande qui adhèrent. L'Europe passe à 15. L'élargissement de 2004 est quant à lui d'une tout autre ampleur : ce sont huit PECO (Pays d'Europe centrale et orientale) qui sont admis : Pologne, Estonie, Lettonie, Lituanie, République tchèque, Slovaquie, Slovénie et Hongrie. À ces huit, il faut adjoindre Chypre et Malte. Les élargissements se poursuivent en 2007 et 2013 avec la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie. Avec 28 États membres et 510 millions d'habitants, l'UE semble avoir atteint une masse critique.
Ces élargissements successifs et massifs ont néanmoins lancé un défi de taille à l'UE dont les institutions risquent la paralysie et l'asphyxie. C'est dans ce contexte que sont signés les traités d'Amsterdam en 1997 et de Nice en 2001. Leur objectif est de permettre de gouverner une Europe élargie. Ainsi, il est décidé que les États pourront mener des coopérations renforcées dans certains domaines qui ne relèvent pas des compétences de l'UE. Et ce afin de permettre une intégration toujours plus accrue sans braquer les pays plus réticents. Les responsables politiques refusent en revanche d'abandonner le principe du vote à l'unanimité ce que d'aucuns jugeaient indispensable pour le bon fonctionnement des institutions. À Nice, en 2001, on se contente d'élargir les domaines où s'applique le principe de la majorité qualifiée et on affecte un poids aux voix des États afin de pouvoir déterminer la majorité qualifiée. Néanmoins, les réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux et le fonctionnement de l'UE s'en ressent. Les négociations n'en finissent pas et aboutissent souvent sur des demi-mesures qui ne satisfont personne. L'Europe élargie semble tourner à vide. C'est pour remédier à des défaillances qu'est instituée une "Convention sur l'avenir de l'Europe" dont la présidence est confiée à Valéry Giscard d'Estaing.
Le séisme de 2005
Alors que la perspective de voir les PECO adhérer à l'UE se rapproche, les Européens entendent pallier les lacunes des traités d'Amsterdam et de Nice pourtant adoptés dans cette perspective. Après de longs mois de négociation, la Convention accouche d'un projet signé en octobre 2004 et soumis à ratification au cours de 2005. Il s'agit du traité établissant une constitution pour l'Europe (TECE). Celui-ci expose pour la première fois les valeurs sur lesquelles l'Europe repose : la démocratie, la liberté, l'égalité et l'État de droit sont reconnus comme des éléments constitutifs de l'identité européenne. Dans ce cadre, la charte des droits fondamentaux est intégrée au TECE ; ces droits ainsi présentés sont opposables en justice, ce qui peut apparaître comme une avancée importante.
Outre cet aspect, le TECE propose quelques innovations importantes en termes de gouvernance : la Commission européenne doit voir le nombre de commissaires réduit ; la règle selon laquelle chaque pays dispose d'un commissaire est jugée dépassée à l'heure où les pays membres vont être portés à 24 puis à 28. On propose donc une rotation. Le TECE propose en outre la création des postes de haut représentant pour les Affaires étrangères de l'UE et de Président européen désigné pour deux ans renouvelables. Le TECE s'inquiète également du "déficit démocratique" de l'UE. Ainsi, les citoyens européens obtiennent le droit de pétitionner afin de forcer les institutions bruxelloises à revoir leurs propositions et les pouvoirs du Parlement européen sont élargis ; enfin les parlements nationaux ont la possibilité de demander le réexamen d'une proposition de la commission s'ils représentent plus d'un tiers des assemblées législatives.
Le TECE doit être ratifié par les parlements nationaux ou par voie référendaire. Estimant que les citoyens doivent se réapproprier le projet européen, les gouvernements français et néerlandais décident de soumettre le texte à l'approbation populaire. C'est un échec : le TECE est largement rejeté par les Français et les Néerlandais, ce qui plonge l'UE dans une grave crise existentielle dont elle ne sort qu'avec le traité de Lisbonne de 2007 qui reprend une bonne partie du traité constitutionnel de 2005 (extension du vote à la majorité qualifiée, mise en place du président et du haut représentant de l'Union, renforcement des pouvoirs du Parlement, initiative citoyenne, charte des droits fondamentaux, etc.). Ce traité est critiqué par de nombreux responsables politiques qui y ont vu un déni de démocratie et une confirmation de leurs doutes à l'égard de l'UE.
L'Europe face à elle-même : critiques et insuffisance de la gouvernance européenne
Le refus du TECE par les Français et les Néerlandais a confirmé le désamour de nombre d'Européens pour le projet de construction européenne qui s'est déjà manifesté en 1992. Le traité de Maastricht n'a en effet été adopté en France qu'à 51% des suffrages. Plus généralement, on constate la montée de l'euroscepticisme, voire de l'europhobie. De ce point de vue, la demande de divorce du Royaume-Uni validée par référendum en juin 2016 est révélatrice de la désillusion européenne. Et ce alors même que les objectifs fondamentaux de la construction européenne, à savoir la paix et la prospérité, ont été atteints. Ce sentiment de défiance à l'égard de l'Europe s'explique en grande partie par les problèmes de gouvernance.
Le rêve européen a donc viré au cauchemar pour un certain nombre d'Européens qui voient dans la construction européenne une entreprise anti-démocratique et anti-patriotique. Les partis d'extrême droite comme d'extrême gauche critiquent à longueur de campagnes électorales cette "dictature bruxelloise" aux mains de "technocrates" non élus qui détiendraient les vrais leviers du pouvoir. Par ailleurs, ils critiquent le libéralisme économique défendu par l'Europe depuis sa création et en appellent au retour du protectionnisme. Les crises économiques qui se sont succédées ces dernières décennies ont pu donner le sentiment que l'Union européenne était incapable de protéger ses citoyens ; pis, que son modèle économique était responsable de leur malaise et de leur mal-être.
À l'heure où le monde connaît de graves crises politiques qui poussent des millions de personnes sur les routes, la question du contrôle des frontières européennes s'avère particulièrement sensible. La "crise migratoire" de 2015 - 2016 est de ce point de vue révélatrice des faiblesses de l'UE et a entraîné des flots de critiques contradictoires. Cette question est à mettre en relation avec celle de l'identité européenne. Qu'est-ce que l'Europe ? Une entité géographique ? Un projet politique ? Un peu les deux ? Les débats les plus virulents tournent de ce point de vue autour de la question de l'adhésion de la Turquie. Pays majoritairement musulman dont seulement une infime partie du territoire se situe sur le continent européen, la Turquie, pour beaucoup, n'aurait pas vocation à intégrer l'Europe.
Enfin, l'euroscepticisme est encore renforcé par l'incapacité de l'Europe à peser véritablement sur les affaires du monde. L'UE est bien ce "nain politique" sur lequel beaucoup ironisent. Son effacement dans les grandes crises internationales est flagrant. Elle laisse souvent la place aux pays les plus dynamiques comme la France ou la Grande-Bretagne qui n'ont pas encore fait le deuil de leur puissance et qui entendent peser sur les affaires internationales, notamment grâce leur siège au conseil de sécurité de l'ONU et à leur outil militaire.
L'Union européenne née en 1993 est donc aujourd'hui encore confrontée aux défis de la gouvernance. Ces défis sont d'autant plus difficiles à relever que l'Europe est une construction politique originale qui doit à la fois favoriser l'intégration des territoires et des peuples qui la composent et respecter leur indépendance. L'UE n'est autre qu'une association d'États indépendants jaloux de leurs prérogatives et désireux de conserver des marges de manœuvre et ce d'autant que l'opinion publique semble se raidir.
Le "déficit démocratique" dont l'UE est accusée et son incapacité supposée à protéger ses citoyens des crises et des dangers de la mondialisation expliquent en partie ce désamour. La complexité du fonctionnement de l'Europe, les débats sans fin qui animent les sphères bruxelloises et leur caractère "technocratique" contribuent également à éloigner l'Europe des citoyens. Après l'euphorie de la fin des années 1980, l'Europe est donc entrée dans l'ère du doute puis dans celle des crises existentielles avec la crise grecque et le Brexit. S'unir ou mourir disait Gaston Riou. Peut-être le "saut fédéral" s'avérera-t-il la seule planche de salut pour l'Europe.