Comment Victor Hugo renouvelle-t-il les codes de l'écriture théâtrale à travers Hernani afin de créer une nouvelle esthétique romantique ?
Victor Hugo respecte-t-il la règle des trois unités ?
Quel aspect de la pièce ne semble pas en adéquation avec la règle de la bienséance ?
Que mélange Victor Hugo pour créer une nouvelle esthétique ?
Qu'alterne Victor Hugo pour créer une esthétique du contraste et du mystère ?
Quelle influence semble avoir marqué l'esthétique romantique ?
Quelle particularité de l'écriture d'Hernani a fait débat au cœur de l'esthétique romantique ?
Dans la Préface de Cromwell, Victor Hugo a défini dès 1827 un idéal esthétique romantique. Il y explique l'intérêt de repenser le genre afin de l'actualiser et de répondre aux besoins de son époque. En renouvelant le genre, Victor Hugo s'attaque aux règles classiques du théâtre mais imprègne aussi son écriture d'influences riches et variées, rendant ses personnages plus authentiques. Hernani devient alors le modèle de cet idéal esthétique en 1830.
La question qu'il est intéressant de se poser est donc de savoir comment Victor Hugo a renouvelé les codes de l'écriture théâtrale à travers Hernani afin de créer cette nouvelle esthétique romantique. Pour répondre à cette question, nous nous interrogerons sur la manière dont Victor Hugo réinvente les codes du genre théâtral et crée une nouvelle écriture riche en couleurs, avant de nous intéresser au renouveau même des personnages.
Un renouvellement du genre théâtral
Au XVIIe, le genre théâtral reste très codifié : la règle des trois unités prévaut, imposant un seul lieu, une seule journée autour d'une seule action principale. L'alexandrin domine pour mettre en scène des personnages types de la comédie, de la tragédie ou de la tragi-comédie en proie aux mêmes difficultés : le mariage, l'amour, l'honneur et la trahison. La vraisemblance et la bienséance sont indiscutables pour répondre aux attentes des spectateurs. Même si le drame bourgeois du XVIIIe siècle amorce un renouveau, celui-ci se situe davantage dans les thèmes abordés, proches des préoccupations des philosophes des Lumières, plutôt que dans la création d'un nouvel art dramatique. Afin de renouveler le genre, Victor Hugo rompt donc avec les codes formels du classicisme.
Afin de renouveler le genre, Victor Hugo rompt avec ces codes. Il supprime l'unité de temps et de lieu et enrichit son action principale d'actions secondaires. Il conserve l'alexandrin mais invente le vers brisé pour mettre en scène des personnages surprenants qui n'appartiennent à aucun genre précis. Les difficultés qu'ils rencontrent sont les mêmes : mariage, amour, trahison, honneur ; mais elles touchent tous les personnages, pas seulement le héros. Cela permet à l'auteur de renouveler les topoï traditionnels du théâtre.
Victor Hugo rompt donc avec les règles traditionnelles du théâtre pour réinventer le genre et le rendre plus adéquat à son époque. Ainsi il transforme l'écriture théâtrale pour qu'elle s'inscrive elle aussi dans cette nouvelle démarche de réalité et d'authenticité.
Un écriture colorée et créative
L'écriture romantique, particulièrement celle de Victor Hugo dans Hernani, poursuit ce besoin de nouveauté, en mêlant les genres et les registres. Capable d'envolées lyriques, il donne pourtant à ses personnages un langage parfois prosaïque et étonnant pour les spectateurs. Il s'éloigne de l'alexandrin traditionnel jugé invraisemblable dans la bouche de ses personnages et lui préfère le vers brisé, qui se rapproche de la manière de parler dans la réalité.
Par ailleurs, il emprunte à l'Espagne son vocabulaire contrasté et coloré, son alternance entre grotesque et sublime ainsi que son goût pour les jeux d'ombre et de lumière. Cette couleur locale imprègne l'écriture romantique d'une tonalité étonnante, parfois mystérieuse, qui permet de faire voyager le spectateur et lui fait oublier la part de fiction de la pièce de théâtre. Cette écriture romantique ouvre la voie à l'expression de sentiments forts et imagés.
Ainsi Victor Hugo illustre avec Hernani sa conception d'une écriture romantique forte, profonde, colorée, apte à faire voyager. Par cette écriture, il confère à ses personnages une dimension humaine et authentique afin de réinventer leur place au cœur du genre théâtral.
Des personnages réinventés
En effet, en renouvelant les codes du genre et en proposant une écriture des contrastes au plus proche de la réalité humaine, Victor Hugo a réinventé le personnage théâtral même. Le personnage romantique ne respecte plus certains codes sociaux immuables : il peut avoir été déchu de ses titres de noblesse comme Hernani et redevenir noble plus tard dans la pièce. Le roi peut tomber amoureux d'une femme qui n'appartient pas à son rang et vouloir l'épouser. Le personnage romantique n'est plus ancré dans une situation sociale à laquelle il ne peut échapper. Au contraire, des perspectives d'évolution qui le poussent à se transcender s'offrent à lui.
C'est pourquoi le personnage romantique peut avoir des réactions inattendues : il est soumis à des choix autour de la question de l'amour et de l'honneur, et prend des décisions qui lui sont propres. Il en devient plus vraisemblable et humain pour le spectateur qui peut s'identifier à lui. Ambivalent, le personnage romantique est capable d'exprimer sa grandeur d'âme dans un registre lyrique, comme le roi au moment de son sacre, ou au contraire toute la bassesse de ses intentions comme le roi au moment de ses menaces envers la duègne de Doña Sol.
Dans Hernani, Victor Hugo renouvelle le genre théâtral en offrant un modèle d'esthétique romantique. Il réinvente les codes du genre, lui offrant de nouvelles libertés et une dimension plus proche de la réalité. Pour enrichir cette démarche de recherche d'authenticité et de profondeur, il renouvelle le style de l'écriture théâtrale : alternant poésie et prosaïsme, registre lyrique ou comique, lumière et ombre, Victor Hugo propose des variations stylistiques étonnantes mais capables de conférer à ses personnages davantage de complexité et d'humanisme. Ainsi, en réinventant un genre et une écriture, Victor Hugo ouvre tout un champ de perspectives à ses personnages, miroirs d'une société en quête de libertés.