Le rôle des pères et des grands-pères Question sur 12 points type bac

Le roman des Faux-Monnayeurs est très complexe, car il développe quatre intrigues principales, plusieurs intrigues secondaires qui s'entremêlent. Bien entendu, de très nombreux personnages se croisent et évoluent chacun de leur côté. Toutefois, un élément crée une certaine cohérence, il s'agit de la relation amicale qui unissait autrefois le vieil Azaïs, fondateur de la pension, le vieux La Pérouse, grand-père de Boris, et enfin le père d'Édouard et de Pauline. Tous trois suivent la même morale rigide et exigeante, fortement liée à la religion protestante.
Ces trois hommes sont à la tête de trois familles totalement différentes et représentant des modèles de l'époque. Il y a la famille classique et conventionnelle avec les Azaïs, la famille moins conventionnelle avec un membre perturbateur (le fils La Pérouse qui s'est enfuit avec une des élèves de son père) et enfin les Molinier, une famille recomposée avec deux enfants nés de deux mariages successifs. Pourtant, la place qu'ils y occupent est différente selon chacun. Le grand-père Molinier est mort, le grand-père Azaïs est le pilier central de la famille, celui qui soutient les membres d'un point de vue moral et financier. C'est un référent, et chaque membre de la famille vient le consulter ou lui rendre visite. Il occupe d'ailleurs une position physique dominante, au dernier étage de l'immeuble où est installé le reste de la famille. Le vieux La Pérouse s'installera à la pension afin de se rapprocher de son petit-fils Boris.

Ces trois hommes, autrefois amis, se rejoignent également autour d'un lieu central et emblématique dans le roman : la pension Vedel. Cette pension voit passer de nombreux personnages, et dans ces lieux se nouent différentes intrigues comme les relations entre Laura et Édouard, Édouard et Olivier, Bernard et Sarah, le trafic de fausse monnaie organisé par Strouvilhou qui connaît parfaitement les lieux pour y avoir été pensionnaire, ou encore le suicide de Boris. Ce lieu est donc emblématique, car il incarne le mensonge, la fausseté et la manipulation. Il semble être dramatique voire dangereux pour ceux qui y vivent, car certains semblent comme contaminés et corrompus. La pension est fortement liée à la religion et à la doctrine stricte protestante. Mais les préoccupations éducatives, morales et religieuses ne sont pas celles qui occupent principalement les tenanciers de l'établissement. Ces derniers sont avant tout occupés à faire tourner la boutique, tels des commerciaux, ils doivent faire rentrer l'argent afin de sauver la pension de la faillite. La question de l'argent est également centrale dans le roman dépeignant une société bourgeoise. Dans la famille La Pérouse, l'argent manque également pour payer la maison de retraite. Quant à Pauline, elle doit faire face aux dépenses seule, son père ne lui ayant pas laissé d'argent.
Les grands-pères sont donc à la base de la famille, mais leur influence ne se ressent pas de la même façon. Chez les Molinier, le grand-père étant décédé, il n'y a pas de cellule familiale patriarcale et étouffante. Les deux enfants sont plus libres que ceux des autres familles et ils sont parvenus à se développer en tant qu'individu plutôt qu'en tant que membre d'une famille. Peu à peu, ils se rapprochent, ce qui pousse même Pauline à confier Olivier à son oncle. Olivier est d'ailleurs un personnage très libre et unique, ce qui n'est pas du tout le cas de Boris qui trouve en son grand-père une figure maternelle et paternelle qui lui manquent. Cependant, cette influence s'avère être négative, car le vieux La Pérouse ne parvient pas à nouer une vraie relation d'amour avec ce dernier.

La maison familiale est le symbole d'une famille heureuse et unie aimant vivre sous le même toit ou se retrouver lors de réunions de famille. C'est pourquoi les lieux qui sont rattachés aux trois familles sont importants.
À ce titre, la pension est un parfait exemple de vitrine familiale. En apparence, elle donne une image positive, mais en réalité les personnes qui s'y trouvent ne sont pas protégées ou se sont résignées à y vivre. Cette maison semble rigide et étouffante pour ceux qui y vivent comme en témoigne la vie de Sarah qui n'a pas un accès direct à sa chambre, et Laura. Les personnes vivent sous le même toit, mais n'habitent pas vraiment ensemble. Elles ne font que se croiser, ne se parlent jamais vraiment et ne se soucient pas de ce qui peut arriver aux autres. Chacun joue le rôle qui lui a été donné ou qu'il s'est assigné seul et la comédie sociale continue. Cette hypocrisie est présente tout au long du roman et éclatera à la fin de l'œuvre par la mort de Boris.
À l'inverse, chez les Molinier, il n'y a pas d'ancrage, aucune maison de famille n'a été laissée à la descendance. Pauline et Édouard vivent donc là où ils l'ont décidé. Édouard vit avec aisance grâce à l'argent de sa mère et habite en périphérie de la ville. Pauline quant à elle, vit dans une maison familiale dans Paris, mais chacun occupe un logement garantissant la liberté et l'autonomie de chacun.

Le rôle des pères n'est pas le même que celui des grands-pères. Leur position est plus difficile à déterminer, car ils sont la charnière entre les aïeuls et les enfants. Déjà, dès le début du roman, plusieurs pères sont absents de la vie familiale. C'est le cas du père de Boris qui est mort depuis longtemps, comme celui d'Édouard et Pauline. Ensuite, le père de Passavant meurt au début du roman et celui de Bernard meurt symboliquement lorsque ce dernier apprend qu'il n'est pas son père biologique. Les pères qui sont toujours présents ne sont guère enviables. Aucun n'incarne le patriarche aimé par sa progéniture, les personnages ne correspondent pas au rôle. Les enfants ne sont pas proches de leur père naturel. En revanche, à l'exemple de Bernard qui s'enfuit de sa famille, beaucoup sont à la recherche d'un père spirituel, de quelqu'un qui les aide à faire leur entrée dans le monde adulte.

Dans le roman, les enfants sont donc en rupture avec leurs parents et plus précisément avec le chef de famille qui incarne l'autorité. À ce titre, la célèbre phrase des Nourritures terrestres, "famille, je vous hais" semble s'incarner dans le personnage de Bernard. Dès le début du roman, ce dernier paraît étouffer dans sa famille. La découverte du secret que les siens gardent va mettre le feu aux poudres. Il découvre en effet que l'homme qui l'a élevé n'est pas son père, même s'il est le préféré de ce dernier, chose qu'il ignore. Cette découverte sert d'élément déclencheur et aide Bernard à s'émanciper et à quitter le domicile familial. Mais ce n'est pas une rupture définitive, car il y retournera à la fin du roman. Ce retour est à interpréter par le lecteur, car aucune explication n'est clairement donnée quant aux motivations de Bernard. Peut-être est-ce la fin de son apprentissage de la vie.

Le père doit servir de modèle au fils, en cela il a un rôle important au niveau de la construction personnelle. Ceci étant, le fils ne peut exister vraiment qu'après s'être confronté au père. C'est pourquoi la position des fils permet de comprendre l'influence du père. Ainsi, les personnages de Bernard et Armand s'opposent en tout point. L'un vit sans se soucier de ce que penserait son père et l'autre agit toujours en se définissant par rapport à la norme familiale. Avant de s'émanciper totalement par l'exercice du secrétariat, ils passeront encore une fois sous la domination de deux hommes, Édouard et Passavant. Bernard tente de s'échapper du carcan familial, mais c'est pourtant au sein de sa famille qu'il retournera. Armand, quant à lui, n'a même pas bougé, il est resté ancré dans sa famille. Refusant de s'avouer la vérité, il est toujours à la recherche d'excuses afin de justifier sa présence. À la fin du roman, ils occupent la même place qu'au début, leur situation n'a donc pas évolué.
Boris est également un personnage intéressant à étudier, car il ne se définit pas en fonction de son père qui est mort ou de sa mère absente, mais il a au fond de lui des règles qu'il a intégrées et pense à eux d'une façon totalement fantasmée. Son seul parent est son grand-père, mais il exerce sur lui une mauvaise influence. Privé d'aide et de soutien, Boris meurt à la fin du roman.