Les relations humaines sont complexes dans l'œuvre de Gide. Vous analyserez pourquoi le manque de sincérité empêche les personnages d'avoir de véritables relations.
À quel milieu social appartiennent la majorité des personnages ?
Quel personnage vit confortablement grâce à un héritage ?
De quelle œuvre de Gide est extraite la phrase suivante, correspondant parfaitement aux relations familiales de ce roman : "Famille, je vous hais !".
Quel personnage incarne la recherche de l'authenticité ?
Comment Gide nomme-t-il le processus qui fait s'éloigner les couples ?
Contrairement aux romans réalistes, souvent construits autour d'un personnage principal, le roman de Gide développe des intrigues multiples et prend appui sur des personnages variés qui se croisent, se découvrent et se séparent tout au long de l'œuvre. Pour autant, ces personnages semblent rencontrer des difficultés à être honnêtes les uns envers les autres, ce qui crée des tensions et des ruptures parfois violentes. C'est pourquoi il semble intéressant d'analyser les difficultés rencontrées par ces personnages du fait de leur manque de sincérité. On remarquera tout d'abord le rôle que joue l'argent, au sein des relations familiales notamment, puis seront étudiées les relations qu'entretiennent les personnages, trop souvent hypocrites.
L'argent au cœur des relations
L'argent est présent dès le titre du roman à travers l'allusion au trafic de fausse monnaie ce qui laisse sous-entendre que l'argent va poser un problème dans l'œuvre. La première mention qui y est faite renvoie donc à quelque chose de faux, d'artificiel, au mensonge et à la tromperie comme en témoigne le personnage de Georges qui raconte comment il est parvenu à faire passer sa fausse monnaie en achetant des cigarettes. Cette tromperie est vécue par lui comme une expérience grisante, le sortant de son univers familial. D'ailleurs, Strouvilhou a parfaitement choisi ses proies pour écouler sa monnaie, car il a jeté son dévolu sur des jeunes hommes de bonne famille détenant un secret essentiel pour faire chanter les parents qui souhaiteraient contacter la police. L'argent se trouve donc lié de près aux secrets de famille, inavouables et pour lesquels les parents sont prêts à payer.
Dans le roman, les personnages ont un rapport différent à l'argent. Gide, tout comme Édouard disposait d'une grande fortune personnelle, héritée. La famille Vedel-Azaïs et La Pérouse rencontrent des difficultés financières mais tentent de les étouffer afin de ne pas perdre la face, Passavant a de l'argent mais il en veut toujours plus, tout comme Vincent, à qui la mère a donné cinq mille francs qu'il a perdus au jeu. Ainsi, l'argent est bien un des thèmes essentiels du roman, mais il est lié de manière très étroite aux relations qu'entretiennent les personnages entre eux.
Le manque d'argent va être à l'origine de la rencontre entre Bernard et Édouard. Le premier fugue de chez lui et se retrouve rapidement sans un sou en poche. Il vole donc la valise d'Édouard et l'argent qu'elle contient avant de devenir le secrétaire de ce dernier. Édouard aidera également Laura à payer son hôtel. Elle refusera d'ailleurs l'argent que lui propose Vincent et qu'il perdra ensuite au jeu, ne voulant pas qu'il ait pitié d'elle. Ainsi, l'argent influence bien le regard de l'autre ou tout du moins le regard que le personnage porte sur lui-même. Certains personnages ne pouvant pas s'offrir ce qu'ils souhaitent décident donc de le voler : Georges tente de voler un livre, il vole sa mère.
L'argent est donc bien au cœur des relations entre les personnages du roman. Il s'agit d'un tabou dont on parle à demi-mots. Et c'est bien le manque de communication et de sincérité qui empêche définitivement les personnages d'avoir de bonnes relations.
Des relations hypocrites
Les personnages évoluent donc les uns à côté des autres sans parvenir parfois à énoncer de simples vérités. Le seul couple heureux de l'ouvrage, autour des personnages d'Édouard et d'Olivier ne sera formé que tardivement dans le roman, à cause des non-dits. Pourtant, beaucoup sont à la recherche d'une amitié sincère, afin de pallier les manques rencontrés dans la famille. Autour d'eux, toutes les institutions semblent également mensongères : la justice est faillible et lâche, la famille ne remplit pas son rôle protecteur, le mariage n'est pas heureux, les couples se disloquent peu à peu, sombrant dans ce que Gide nomme la décristallisation, l'éducation a également failli à travers la mort de Boris tout comme la religion à travers le personnage du pasteur Vedel. Au final, les personnages passent leur temps à mentir et à se mentir.
Les intrigues liées aux relations amoureuses sont nombreuses et variées mais elles ont toutes des points communs : le mensonge, la tromperie, les apparences faussées et la dissimulation. Les couples d'adultes ont tous des secrets, l'adultère est un thème récurrent et les relations sont dégradées. Les plus jeunes doivent eux aussi faire face à ces difficultés rencontrées : la relation entre Laura et d'Édouard restera platonique et sera rapidement remplacée par l'intérêt que portera Édouard sur Olivier ; Lilian, Marguerite et Laura, toutes trois mariées, auront cependant des relations extra-conjugales dont naîtront deux enfants. Lilian, quant à elle, mourra de la main de son amant. D'autres femmes mariées ne commettent pas d'adultères mais elles ne sont pas heureuses pour autant car elles n'aiment plus leurs époux. Toutefois, au lieu d'avouer et de quitter le domicile conjugal, elles préfèrent se résigner et dissimuler leur désespoir en trouvant refuge dans la religion par exemple.
Parmi tous ces personnages, un seul est en quête de la vérité et de l'authenticité, c'est Bernard. Il se révolte tout d'abord contre le mensonge familial qu'il reçoit comme une gifle, il attaquera violemment le juge pour ne pas l'avoir aimé alors que ce dernier l'a toujours préféré mais sans le lui dire. Bernard rompt donc avec sa famille et décide de se lancer dans la vie en se promettant de ne pas tricher. Contrairement aux autres, comme il l'explique à Laura, il ne veut pas se cacher derrière de fausses apparences, il refuse d'être un "faux-monnayeur".
Ainsi, si les personnages ne parviennent pas à avoir des relations épanouies, c'est parce qu'ils manquent d'honnêteté envers les autres, que ce soient des amis, des parents ou des connaissances. Tout est basé sur les apparences et les faux-semblants qui semblent caractériser la société bourgeoise de l'époque, telle que la perçoit Gide. Si les relations humaines sont complexes dans l'œuvre de Gide, c'est aussi parce que celles-ci sont gênées par l'argent qui complique les choses. Les références sont très nombreuses mais en même temps, de manière paradoxale, il constitue un sujet tabou dont on ne parle pas. Cela explique que les personnages éprouvent beaucoup de difficultés à être honnêtes les uns envers les autres. Ce manque de sincérité les empêche de construire une relation sereine et pérenne.