Centres étrangers, 2017
Quelles images des figures paternelles le roman Les Faux-Monnayeurs et le Journal des Faux-Monnayeurs de Gide donnent-ils ?
Quel type de famille représentent les familles Molinier et Profitendieu ?
Quel père est défaillant d'un point de vue social car il couvre une affaire de mœurs ?
À propos de quel père cette phrase est-elle prononcée dans le roman : "il croit toujours qu'il n'y a qu'à prier Dieu pour que tout s'arrange. "
À quel père la phrase suivante fait-elle référence : "Je signe du ridicule nom qui est le vôtre, que je voudrais pouvoir vous rendre, et qu'il me tarde de déshonorer."
Quelle relation est établie entre les pères et leurs enfants tout au long du roman ?
Les figures paternelles sont présentes dans le roman, mais toujours disposées en toile de fond. Ce ne sont pas des personnages qui agissent au premier plan. Toutefois, les pères ont une fonction importante car ils permettent de faire réagir les autres personnages notamment en ce qui concerne l'affrontement des valeurs. Ainsi, les jeunes ont soif d'émancipation et de liberté alors que les personnages plus âgés, les figures paternelles, ont surtout en tête de maintenir l'ordre et les convenances même si certains ne semblent même plus y croire eux-mêmes. C'est pourquoi, face à ces figures paternelles souvent défaillantes, certains personnages se lancent en quête d'une figure paternelle de substitution afin de continuer à évoluer. Il semble donc intéressant de se demander quelles images des figures paternelles le roman Les Faux-Monnayeurs ainsi que le Journal des Faux-Monnayeurs permettent d'offrir aux lecteurs. Tout d'abord, on analysera la place qu'occupent les pères dans la société avant de se pencher sur leur place au sein de la famille.
La place des pères dans la société
Le roman est organisé autour de trois familles : Molinier, Profitendieu et Vedel-Azaïs. Ces familles peuvent présenter des points communs. Les deux premières représentent la famille nombreuse et bourgeoise. Dans une société patriarcale, les figures paternelles incarnent donc le conformisme social et la nécessité de maintenir les apparences et l'ordre établi. C'est pour cela que Bernard ne sait pas qui est son père et que ce secret ne lui aurait jamais été dévoilé s'il n'avait pas lui-même fait cette découverte. La famille bourgeoise est donc fortement liée au mensonge et au secret afin d'éviter le scandale et sauver les apparences, même si cela doit faire souffrir ses membres.
Les pères incarnent surtout l'autorité rien que par les métiers qu'ils occupent. Deux d'entre eux sont magistrats et un autre est homme d'église. Toutefois, leur moralité n'est pas un modèle. Albéric Profitendieu, au nom de son amitié avec Oscar Molinier, ne va pas au bout de l'affaire de fausse-monnaie et de mœurs sur laquelle il travaille afin que le fils de son ami, Georges, ne soit pas inquiété. De même, afin de sauver les apparences, il n'explique pas les véritables raisons du départ de Bernard. Un autre père est également pris en défaut par Gide, il s'agit du pasteur Vedel qui dirige la pension et qui préfère son métier et ses occupations sociales à ses enfants. D'ailleurs, ces derniers ne sont pas liés à leur père et Armand est proche du sentiment de haine. Avec ces personnages, ce sont également toutes les valeurs religieuses qui sont mises à mal. Même la femme de Vedel se moque de lui : " Prosper croit toujours qu'il n'y a qu'à prier Dieu pour que tout s'arrange."
Enfin, tout au long du roman, les pères et leurs enfants sont en opposition et parfois de manière violente. Cette opposition est cependant traditionnelle, elle constitue une sorte de passage obligé vers l'âge adulte et l'émancipation de la jeunesse. Gide affirme d'ailleurs dans Le Journal des Faux-Monnayeurs "exposer pourquoi, en regard des jeunes gens, ceux de la génération qui les a précédés, paraissent à ce point rassis, résignés, raisonnables".
Les pères n'occupent pas une place prépondérante dans la société. Même s'ils incarnent l'autorité, ils n'assument pas leurs responsabilités et se montrent régulièrement défaillants que ce soit d'un point de vue moral ou financier. Les pères ne jouent pas leur rôle social, mais ils ne parviennent pas non plus à jouer leur rôle au sein de leur propre famille.
La place des pères au sein de leur famille
Alors que la place que les pères occupent dans la société semble défaillante, celle-ci n'est guère plus glorieuse au sein de leur famille. Ainsi, dès le début du roman, deux pères disparaissent du champ d'action, il s'agit de manière symbolique du père de Bernard qui n'est pas son père biologique et du vieux Comte Passavant qui meurt. Toutefois, avant même l'incipit du roman, des pères avaient déjà disparus : celui de Boris, remplacé par le grand-père, et celui d'Édouard et de Pauline.
Alors qu'ils sont toujours présents dans le roman, leur rôle n'en est pas moins négatif ou superficiel. Le père Vedel est quasi-inexistant et le père Molinier sera oublié par ses enfants. Face à ces pères défaillants se pose la question de la filiation qui est moquée par Molinier et Édouard qui critiquent l'éducation bourgeoise. Ainsi, afin que les jeunes personnages puissent évoluer et devenir adultes à leur tour, ils doivent s'émanciper et se détacher de la figure paternelle. C'est d'ailleurs sur cette rupture que s'ouvre le roman à travers le personnage de Bernard qui découvre une lettre adressée à sa mère, datant d'il y a 17 ans. Il apprend ainsi que Profitendieu n'est pas son père biologique. Cette découverte marque le départ de sa nouvelle vie, il s'enfuit après avoir écrit à son tour une lettre au juge Profitendieu en inscrivant : "Je signe du ridicule nom qui est le vôtre, que je voudrais pouvoir vous rendre, et qu'il me tarde de déshonorer." Cette lettre n'est pas véritablement un acte de rupture comme aimerait le croire Bernard car il ne se rebelle pas contre son père, il semble en colère contre lui alors qu'il devrait l'être davantage contre sa mère. D'ailleurs, cette fuite du père fait davantage penser à une quête d'identité. En effet, une fois son parcours initiatique accompli, Bernard revient vivre au sein de sa famille.
Le besoin d'appartenir à une famille et de trouver un modèle auquel se rattacher semble indispensable pour se construire, c'est pour cela que Bernard, même s'il quitte sa famille a tôt fait de se trouver un père de substitution en la personne d'Édouard. De même, il retournera dans sa famille à la fin de l'œuvre.
Il est important également de noter que les pères ne sont pas proches de leurs enfants, aucun ne témoigne de tendresse véritable à leurs égards, sauf Profitendieu, de manière paradoxale, envers Bernard.
Dans le roman, les pères n'incarnent donc pas l'autorité. Leurs enfants ne les respectent pas, ils préférèrent rechercher une figure paternelle positive chez des étrangers, décidant de se chercher des pères de substitution pour remplacer les leurs, défaillants. Sous couvert de maintenir l'ordre ou de protéger une réputation, les pères ne jouent pas non plus leur rôle social avec honnêteté. La famille semble donc être l'incarnation parfaite du mensonge et de la tromperie.