Sommaire
ILes marques de l'inconscientALes perceptions échappant au sujetBL'opposition entre pensées conscientes et pensées inconscientesCLe mode d'existence des pensées inconscientesIIL'inconscient psychanalytiqueALa révolution psychanalytique1L'invention de la psychanalyse2La rupture philosophique introduite par FreudBLe concept d'inconscient freudien1La structure de l'appareil psychique2Les manifestations de l'inconscient3L'appropriation par le sujet de son inconscientIIILes critiques adressées au concept d'inconscientALe concept d'inconscient n'est pas scientifiqueBLe concept d'inconscient n'est pas moralLe concept d'inconscient a un sens déterminé : il s'agit d'un concept forgé par la psychanalyse pour rendre compte du fonctionnement du psychisme humain. Cependant, le travail philosophique sur cette notion implique d'interroger plus largement les sens de l'inconscient. On peut ainsi parler, plus largement, d'inconscience pour désigner une conduite irresponsable, mais aussi pour désigner ce dont une personne ne se rend pas compte (par exemple lorsqu'elle dort). Quel que soit le sens retenu pour parler de l'inconscient, cette notion renvoie au problème de la connaissance de soi et de la liberté du sujet agissant.
Les marques de l'inconscient
Les perceptions échappant au sujet
On pense souvent que le sujet est transparent à lui-même : il aurait conscience de tout ce qu'il sent, de tout ce qu'il perçoit, et de tous ses désirs.
Pourtant, l'expérience commune nous apprend que nombre de ces choses peuvent lui échapper. C'est ce qu'illustrent les actions réflexes, comme éteindre son réveil ou éviter un projectile. Il y a un certain nombre d'actions que le sujet fait sans même y réfléchir.
Leibniz, dans ses Nouveaux essais sur l'entendement humain, s'intéresse de près à ces choses qui échappent à un sujet et remarque notamment qu'un grand nombre de perceptions ne sont pas conscientes.
Perception
La perception correspond au fait de saisir la réalité par l'esprit. Cela se fait grâce aux cinq sens du sujet.
Pour Leibniz, certaines perceptions ne sont perçues que lorsqu'elles forment un tout. C'est par exemple le cas du bruit d'une vague. Le sujet ne perçoit pas le bruit de chacune des gouttes d'eau qui composent la vague. En revanche, il perçoit comme un tout le bruit que fait la vague.
Il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c'est-à-dire des changements dans l'âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont ou trop petites, ou en trop grand nombre ou trop unies, en sorte qu'elles n'ont rien d'assez distinguant à part, mais jointes à d'autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir, au moins confusément dans l'assemblage.
Gottfried Wilhelm Leibniz
Nouveaux essais sur l'entendement humain, Jacques Brunschwig, Paris, éd. Flammarion (1993)
1765
Bien qu'on ne saisisse que le tout de ces perceptions, chacune d'entre elles produit bien un effet sur nous.
L'opposition entre pensées conscientes et pensées inconscientes
Il y aurait une différence de degré entre les perceptions conscientes et les perceptions inconscientes.
Poser une différence de degré entre le conscient et l'inconscient présuppose une continuité de l'un à l'autre. Contrairement à l'idée d'un sujet pleinement conscient de lui-même, il semblerait que l'inconscient soit au fondement de la vie psychique.
Le philosophe Arthur Schopenhauer propose de concevoir le psychisme sur le modèle d'une opposition entre les pensées conscientes et les pensées inconscientes.
Comparons notre conscience à une eau de quelque profondeur ; les pensées nettement conscientes n'en sont que la surface ; la masse, au contraire, ce sont les pensées confuses, les sentiments vagues, l'écho des intuitions et de notre expérience en général, etc.
Arthur Schopenhauer
Le Monde comme volonté et comme représentation, (Die Welt als Wille und Vorstellung), trad. Auguste Burdeau, Paris, éd. Félix Alcan (1885)
1818
Alors que les pensées inconscientes sont extrêmement nombreuses, les pensées conscientes ne représentent qu'une infime partie de ce à quoi le sujet a accès.
Il y aurait donc une opposition entre d'un côté les pensées conscientes, celles auxquelles le sujet a accès et, d'un autre côté, la masse de ses pensées inconscientes, qui constituent la matrice, le fondement de toutes ses pensées connues.
Le mode d'existence des pensées inconscientes
Si l'homme n'a accès qu'à ses pensées conscientes, il importe de préciser le mode d'existence des pensées inconscientes.
Henri Bergson s'est intéressé à cette question. Généralement, on considère que les états psychologiques passés, tels que les souvenirs ou les rêves, n'existent pas ou plus, car ils ne sont pas conscients. Contrairement à cette idée répandue, Bergson tente de mettre en évidence que le fait de n'avoir pas conscience de ses états psychologiques ne signifie pas qu'ils n'existent pas et qu'ils n'ont pas d'effet sur le sujet.
Pour expliquer cette idée, il procède par analogie : ce n'est pas parce que je n'ai pas conscience de l'existence de la ville autour de moi en un instant précis que celle-ci n'existe pas. De la même façon, ce n'est pas parce que je n'ai pas une représentation consciente de mes souvenirs à un instant précis que ceux-ci n'ont pas d'existence.
C'est ainsi que Bergson distingue deux types de mémoire :
- La mémoire habitude : Il s'agit d'une mémoire fondée sur la répétition. Elle permet par exemple d'apprendre par cœur un poème ou une leçon.
- La mémoire pure : Il s'agit des souvenirs qui restent endormis dans notre conscience. Ils ne sont pas présents pour notre conscience, ce qui ne signifie pas qu'ils n'existent plus.
Les souvenirs que ma mémoire conserve ainsi dans ses plus obscures profondeurs y sont à l'état de fantômes invisibles.
Henri Bergson
L'Énergie spirituelle. Essais et conférences, Paris, éd. Félix Alcan
1919
Les souvenirs continuent donc d'exister dans le sujet malgré le fait qu'il n'en ait pas à tout moment une représentation consciente.
Il est possible de parler de représentations inconscientes dès lors que l'on comprend qu'il existe un certain nombre de contenus mentaux qui, tout en n'étant pas conscients à un moment précis, n'en continuent pas moins d'exister et d'avoir un effet sur le sujet. Ces représentations inconscientes peuvent resurgir à un instant précis du présent dès lors qu'il présente un intérêt pour une action à réaliser.
L'inconscient psychanalytique
La révolution psychanalytique
L'invention de la psychanalyse
À l'origine, Freud est un médecin qui se spécialise dans l'étude du système neurologique.
Les travaux qu'il présente sont d'abord conçus comme des hypothèses scientifiques, et plus particulièrement comme des outils cliniques destinés à soigner les névroses.
Névrose
Selon Freud, la névrose est le résultat d'un conflit entre les pulsions inconscientes et les exigences morales de la conscience. Elle est différente de la psychose, dont le malade n'a pas conscience et qui est plus grave.
Si Freud est considéré comme le père de la psychanalyse, c'est parce qu'au cours de ses travaux sur les névroses, il en vient à forger l'hypothèse de l'existence d'un inconscient dans le psychisme humain. Formuler l'hypothèse de l'inconscient est pour lui à la fois une nécessité théorique, pour comprendre comment fonctionne le psychisme, mais aussi pratique, puisqu'elle doit permettre de guérir des malades ne présentant pas de symptômes physiques expliquant leurs névroses.
La rupture philosophique introduite par Freud
La formulation du concept d'inconscient est décisive pour la pensée philosophique du sujet.
En effet, ce concept introduit l'idée que l'homme n'est pas transparent à lui-même. L'idée d'un homme gouverné par son inconscient psychique s'oppose à l'idée d'une suprématie de la conscience. En introduisant la vision d'un sujet décentré par rapport à lui-même à cause de ses pulsions inconscientes, Freud fait de la conscience une partie infime du psychisme humain.
Le moi n'est pas maître dans sa propre maison.
Sigmund Freud
Essais de psychanalyse appliquée, trad. Marie Bonaparte et E. Marty, Paris, éd. Gallimard, coll. « Les Essais » (n° 61), (1952)
1933
Freud introduit une vraie révolution en s'attaquant à la vision classique du sujet conçu comme entièrement conscient de lui-même, capable d'une totale maîtrise de ses passions.
C'est pourquoi Freud affirme que la théorie de l'inconscient est la troisième des trois grandes « blessures narcissiques » de l'humanité.
- La première a été introduite par Nicolas Copernic, qui a mis en évidence que la Terre n'était pas le centre de l'Univers.
- La seconde a été introduite par Charles Darwin qui a démontré que l'homme n'était pas le centre de la création.
- Finalement, Freud et la psychanalyse introduisent l'idée que l'homme n'est pas maître de sa propre conscience.
Le concept d'inconscient freudien
La structure de l'appareil psychique
L'inconscient freudien comprend d'abord tout ce à quoi le sujet ne pense pas.
Par exemple, le sujet a sans cesse des automatismes, dans les gestes, les pensées et les paroles.
Qu'une chose se passe dans ton âme ou que tu en sois de plus averti, voilà qui n'est pas la même chose.
Sigmund Freud
Essais de psychanalyse appliquée, trad. Marie Bonaparte et E. Marty, Paris, éd. Gallimard, coll. « Les Essais » (n° 61), (1952)
1933
Ce n'est pas parce que le sujet ne perçoit pas ce qui se passe en lui que des choses n'existent pas à l'intérieur de lui.
La définition freudienne de l'inconscient n'inclut pas uniquement ces choses auxquelles le sujet ne pense pas. Pour lui, l'inconscient comprend aussi des pensées refoulées par l'esprit, non pas de manière volontaire, mais spontanée. L'inconscient, au sens freudien, est le produit du refoulement. Il s'agit en fait de désirs et de pulsions refoulés dans l'inconscient en raison de leur incompatibilité avec les exigences morales et sociales intériorisées par le sujet.
Pour rendre plus claire sa conception du psychisme humain, Freud propose une première division de l'appareil psychique, qu'il décrit comme une maison à trois étages :
- Le conscient est ce qui permet l'adaptation du sujet au réel.
- Le préconscient regroupe tout ce dont le sujet n'a momentanément pas conscience, bien qu'il puisse l'exprimer par le langage. Par exemple, un patient de Freud déclare : « j'ai rêvé d'une femme plus âgée, mais ce n'est pas ma mère ». Dans cet exemple, le patient parle réellement de sa mère, mais « déniant » cette interprétation, qui est juste. Il ne reconnaît que ce que sa conscience accepte. Le langage sert donc à la fois à parler de l'inconscient et à le censurer en conformité avec la morale de la conscience.
- L'inconscient, qui représente la plus grande part de l'appareil psychique, regroupe l'ensemble des désirs qui cherchent à rejoindre le préconscient mais qui sont refoulés, sous l'effet d'une censure morale interne au sujet.
À partir des résultats de ses nouveaux travaux, Freud propose bientôt une nouvelle division de l'appareil psychique :
- Le « ça » est le réseau désordonné et inconscient des pulsions, entièrement régi par le principe de plaisir.
- Le « surmoi » est l'instance morale, également inconsciente, qui regroupe les normes sociales et familiales intériorisées par le sujet.
- Le « Moi » (qui représente la plus petite part de l'appareil psychique) est un médiateur, qui cherche à concilier les pulsions du « ça » avec les interdits du « surmoi ». De cette instance dépend l'équilibre psychique de la personne.
Les divisions de l'appareil psychique humain d'après Freud
Refoulement
Le refoulement est un mécanisme psychique de défense consistant à mettre à distance, à reléguer dans l'inconscient, un souvenir, un désir, une émotion qui entre en conflit avec la conscience. Le refoulement est un mécanisme inconscient : le sujet conscient ne sait pas qu'il refoule une pensée, celle-ci lui est donc inaccessible en dehors des diverses manifestations de son inconscient.
Les manifestations de l'inconscient
Le concept d'inconscient est au départ forgé afin de guérir des patients atteints d'importants troubles du comportement les handicapant dans leur vie quotidienne. Mais finalement, la structure de l'appareil psychique mise en évidence par Freud concerne tous les êtres humains.
Ainsi, les pulsions inconscientes sont actives et tentent en permanence de se satisfaire chez nous tous.
Elles se manifestent sous des formes déguisées, afin de tromper la vigilance de la conscience. Les actes manqués (erreurs, oublis, lapsus), les rêves, ainsi que certains symptômes pathologiques tels que les phobies ou troubles de la parole, sont autant de manifestations de l'inconscient. Freud recense d'ailleurs ces manifestations dans son ouvrage Psychopathologie de la vie quotidienne.
Parmi ces différentes manifestations de l'inconscient, les rêves jouent un rôle majeur : remplis de symboles qui doivent être interprétés, leur analyse constitue pour Freud « la voie d'accès royale à l'inconscient ». Pour la psychanalyse, le rêve est en effet la réalisation imaginaire de désirs refoulés, et il doit être analysé en fonction de son double contenu :
- Le contenu « manifeste » : C'est le récit que l'on peut faire consciemment d'un rêve.
- Le contenu « latent » : C'est la signification réelle du rêve du point de vue de l'inconscient.
L'interprétation du rêve consiste, à partir du contenu manifeste, à essayer de remonter au contenu latent. L'interprétation des rêves est une activité très difficile, dans la mesure où les significations dépendent de chaque individu, de son histoire et de ses désirs. C'est la raison pour laquelle il n'existe pas une méthode valant absolument pour expliquer les rêves : le rêve ne peut se comprendre que rapporté par celui qui l'a fait et interprété selon son histoire personnelle.
L'appropriation par le sujet de son inconscient
L'hypothèse de l'inconscient semble donc mettre en évidence le fait que l'homme n'est pas entièrement maître de lui-même, de ses pensées et de ses actions.
Néanmoins, cette réduction du pouvoir qu'il a sur lui-même ne doit pas être pensée comme une fatalité : l'inconscient et ses manifestations peuvent aussi faire l'objet d'une appropriation par le sujet. C'est l'enjeu de la cure psychanalytique : lorsqu'un patient entame un travail sur lui-même avec un psychanalyste, les manifestations de son inconscient sont étudiées, en même temps que le passé de l'individu.
Là où était le Ça, le Moi doit advenir.
Sigmund Freud
Nouvelles conférences sur la psychanalyse, trad. Anne Berman, Paris, éd. Gallimard, coll. « Idées » (n° 247) (1971), 1936
1932
Le but de la cure psychanalytique, pour le patient, est d'être à nouveau capable de vivre normalement, en faisant advenir à la conscience les mécanismes inconscients qui jouent comme autant de blocages.
La cure psychanalytique a pour but, grâce à un travail sur les diverses manifestations de l'inconscient d'un patient éclairé par son histoire personnelle, d'aider celui-ci à vaincre ses troubles du comportement. Cette cure repose largement sur l'usage de la parole, et notamment sur la libre association d'idées. Il s'agit pour le sujet de conquérir un pouvoir sur cette partie de son psychisme qui lui échappe.
Parallèlement à la cure psychanalytique, Freud évoque aussi le mécanisme de sublimation, mécanisme par lequel un individu parvient à exprimer positivement ses pulsions, empêchant ainsi qu'elles soient à l'origine de pathologies. C'est en particulier ce qui se passe dans l'exercice d'activités telles que l'art, la littérature ou bien encore la recherche scientifique.
Les critiques adressées au concept d'inconscient
Le concept d'inconscient n'est pas scientifique
Tout d'abord, le caractère scientifique de la théorie de Freud a été remis en cause.
Pour Freud, la psychanalyse constitue une science à part entière : elle est supposée avoir le même degré de scientificité que les autres sciences de la nature. Elle s'appuie cependant sur la biologie, dont Freud, médecin, va jusqu'à écrire qu'elle englobera un jour la psychanalyse. Cette approche n'est pas celle de la très grande majorité des psychanalystes, qui pensent que la psychanalyse, sans être exactement une science, est pourtant autonome. La psychanalyse est une pratique liée à la parole et non, comme la biologie et la médecine, au corps.
Ainsi, les observations et analyses des cas cliniques viennent-elles selon lui prouver son hypothèse de l'existence de l'inconscient. C'est justement ce critère de scientificité de la psychanalyse que le philosophe des sciences Karl Popper remet en question.
En effet, selon lui, une théorie n'est scientifique que s'il est possible d'énoncer les conditions dans lesquelles elle serait fausse : c'est le critère de falsifiabilité. Autrement dit, une théorie n'est scientifique que dans la mesure où l'observation ou l'expérience peuvent théoriquement la réfuter. Or, il est impossible de tester expérimentalement la psychanalyse, où tout semble être interprétation, à commencer par le rêve que Freud considère comme « la voie royale d'accès à l'inconscient ».
Aucun type d'expérience ne permet de penser une réfutation possible de l'interprétation, qui est ainsi « trop vraie pour être scientifique » d'après le critère de Popper.
Quant aux deux théories psychanalytiques, elles relèvent d'une tout autre catégorie. Elles sont purement et simplement impossibles à tester comme à réfuter. Il n'existe aucun comportement humain qui puisse les contredire. […] Certes, les théories psychanalytiques étudient certains faits, mais elles le font à la manière des mythes. Elles contiennent des indications psychologiques fort intéressantes, mais sous une forme qui ne permet pas de les tester.
Karl Popper
Conjectures et réfutations : la croissance du savoir scientifique, (Conjectures and refutations) trad. Michelle-Irène B. de Launay, Marc Buhot de Launay, Paris, éd. Payot, coll. « Bibliothèque scientifique » (2006)
1963
Popper ne rejette donc pas la psychanalyse en tant que telle, puisqu'il reconnaît sa forte valeur explicative des comportements humains. Néanmoins, il refuse qu'on lui octroie le statut de science en raison de son caractère non falsifiable.
Le concept d'inconscient n'est pas moral
La contestation la plus directe des théories de l'inconscient de Freud vient probablement du philosophe Alain.
En effet, Alain adresse deux reproches majeurs à la théorie de l'inconscient, et notamment aux dérives auxquelles donne lieu cette théorie. D'une part, pour lui, il semble absurde d'affirmer l'existence de pensées auxquelles on ne pense pas : toute pensée requiert un sujet qui les pense. De ce point de vue, l'inconscient est une invention, à la manière d'un personnage mythique. D'autre part, Alain souligne que dire du sujet qu'il n'est pas la source de ses pensées, qu'un autre pense en lui (l'inconscient), c'est lui ôter toute responsabilité quant à ses actes. C'est ce qui, pour Alain, est inacceptable.
Il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d'inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l'inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu'il n'y a point de pensées en nous sinon par l'unique sujet, Je, cette remarque est d'ordre moral.
Alain
Éléments de philosophie, Paris, éd. Gallimard, coll. « Folio essais » (1990)
1916
Accepter l'hypothèse de l'inconscient, compris comme l'existence dans un sujet d'une instance qui lui est étrangère et prend des décisions à sa place, constitue une faute morale. En effet, cela revient à se dégager de la responsabilité de ses actions et de ses pensées.
Jean-Paul Sartre reprendra cette critique morale de l'inconscient tout en la radicalisant. Pour comprendre cette critique, il faut prendre en compte l'idée majeure de Sartre selon laquelle l'homme est condamné à être libre.
Pour Sartre, ce qui définit l'homme, c'est d'abord le fait d'exister. Il n'y a donc pas d'autre nature humaine que le fait d'exister et de pouvoir librement choisir sa vie. L'existence est donc première par rapport à l'essence, c'est-à-dire à la nature de l'homme, qui n'est que le résultat de ce qu'il fait de sa vie. De ce point de vue, la liberté humaine est totale et inaliénable, mais elle comprend des conséquences inévitables, à commencer par la responsabilité.
C'est en raison de cette entière liberté de l'homme que l'hypothèse d'un inconscient psychique ne peut être acceptée par certains philosophes : l'homme ne se définit pas par son essence ni par un inconscient ni par des déterminismes ni par un destin ou une volonté divine, mais uniquement par son existence. L'homme est responsable de chacun de ses actes et de chacune de ses pensées : il ne peut pas invoquer, à titre d'excuse, un inconscient qui déciderait à sa place. Affirmer l'existence de l'inconscient revient à faire preuve de ce que Sartre nomme « mauvaise foi », car cela permet de se dédouaner de sa responsabilité morale. L'individu qui invoque l'inconscient tente ainsi de se cacher derrière autre chose, afin de ne pas assumer les conséquences de ses choix.