Sommaire
IIntroduction à la notion de conscienceIILa conscience de soiALa conscience de soi, le propre de l'hommeBLes différentes représentations de soi unies par la conscienceIIILes facteurs influençant la conscience de soiALa conscience face au monde extérieurBLa conscience comme intentionnalitéCL'influence de la société sur la conscienceIVLa conscience moraleALa conscience morale comme instinctBL'universalité de la conscience moraleLa notion de conscience renvoie à deux grandes significations. D'une part, la conscience peut être comprise comme conscience de soi : elle désigne alors la faculté de l'homme d'être conscient de lui-même (de ses pensées, de ses actes), mais aussi du monde qui l'entoure. D'autre part, la conscience renvoie à la conscience morale : elle désigne alors la capacité de tout individu à saisir le bien et le mal.
Introduction à la notion de conscience
La conscience est un terme très utilisé dans le langage courant.
De nombreuses expressions utilisent cette notion dans le domaine de l'action (conscience morale) aussi bien que dans celui de la connaissance (conscience de soi).
On dira que l'on « est bien conscient que... » lorsque l'on veut signifier que l'on connaît les risques ou les conséquences de ce que l'on fait. On fait alors allusion d'une part à la connaissance, d'autre part à la responsabilité. « Être conscient » a donc un sens très large.
À l'inverse, on dira que l'on agit « sans avoir conscience de ce que l'on fait », c'est-à-dire que l'on agit « machinalement », lorsqu'on ne prend pas le temps de réfléchir à ce que l'on fait, en se laissant gouverner par des « automatismes ».
On peut également relever des utilisations de la notion de conscience qui ont un autre sens.
Au niveau d'un groupe comme la société, on parlera de conscience historique ou de conscience politique : on renvoie ici à un groupe d'idées partagées par un ensemble de personnes et relevant de la « conscience collective ».
Enfin, le terme de conscience s'utilise aussi à un niveau moral, comme lorsque l'on utilise les expressions « avoir bonne ou mauvaise conscience », c'est-à-dire se sentir juste ou au contraire coupable, ou bien lorsque l'on dit qu'il faut « juger en son âme et conscience », c'est-à-dire en fonction de critères moraux.
La conscience, dans le langage courant, présente donc plusieurs sens. Peut-on proposer une définition unifiée de la conscience ? Il est en tous cas possible de lui distinguer deux grands sens :
- La conscience psychologique : c'est la capacité de chaque individu à se représenter ses actes et ses pensées.
- La conscience morale : c'est cette sorte de « juge intérieur » à chaque être humain qui lui permet de statuer sur le bien ou le mal.
Ainsi, lorsque l'on dit de l'homme qu'il est conscient, cela signifie deux choses :
- Qu'il se sait en relation avec une réalité extérieure : par l'intermédiaire du corps, des sens, sa conscience lui permet de saisir les objets qui l'entourent.
- Qu'il perçoit aussi une réalité intérieure, subjective : celle de ses états d'âme, de ses désirs, de ses souhaits.
Conscience
La conscience est la présence constante et immédiate de soi à soi. C'est la faculté réflexive de l'esprit humain, c'est-à-dire sa capacité à faire retour sur soi-même. C'est la conscience qui permet à l'homme de se prendre lui-même comme objet de pensée, au même titre que les objets extérieurs. Ainsi la conscience de soi « accompagne » la conscience « tout court », la conscience du monde extérieur.
La conscience de soi
La conscience de soi, le propre de l'homme
La conscience de soi comme capacité de faire retour sur soi est une spécificité humaine.
C'est elle qui fonde notamment le sentiment de l'existence et, pour les penseurs modernes, la pensée de la mort.
René Descartes met en évidence cette capacité de l'homme à se saisir comme pensant à travers l'expérience de pensée du cogito (« je pense, je suis »). Recherchant une première certitude, Descartes en vient à mettre en doute toute chose existante, jusqu'à l'existence du monde extérieur, auquel toute chose appartient. C'est au cours de ce doute volontairement généralisé (ou « hyperbolique ») qu'il découvre la première certitude : lorsqu'il va jusqu'à douter même de sa propre existence, il sait qu'il est en train de douter, car le doute est une pensée. C'est exactement ce signe, ce fait de sa pensée qui l'assure de son existence, et que le cogito transforme en certitude : pour penser, il faut être.
Par le mot penser, j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes.
René Descartes
Les Principes de la philosophie, (Principia philosophiae), trad. Claude Picot, Paris, éd. frères Delalain (1885)
1644
Le cogito cartésien est le raisonnement par lequel René Descartes aboutit à la définition de la certitude première comme étant celle de la conscience de soi (« je pense donc je suis ») : la conscience de soi appartient à une « chose pensante », l'esprit.
C'est la conscience qui fait découvrir que l'on existe et, plus spécifiquement, que l'on existe comme chose pensante. Cette connaissance doit servir de fondement et de modèle pour toute forme de connaissance. Descartes pose donc l'existence de la conscience comme une première certitude, qui met fin à tout le doute antérieur.
D'autre part, le sujet est capable de se saisir lui-même de manière immédiate. La conscience a donc la particularité de n'avoir besoin d'aucune médiation pour rendre compte d'elle-même : la conscience possède une relation immédiate à elle-même.
La conscience de soi est donc ce sentiment qui caractérise, pour un individu, la certitude de sa propre existence.
Les différentes représentations de soi unies par la conscience
La conscience de soi n'est donc pas un objet : on parlera des objets de la conscience, c'est-à-dire des choses qu'elle saisit, mais pas de la conscience comme d'un objet.
Pourtant, si l'on ne cesse jamais d'être présent à soi-même, pourquoi la conscience ne peut-elle pas acquérir le statut d'objet ? Quelle peut être sa réalité, son statut, si ce n'est pas celui d'une chose du monde ?
David Hume souligne que s'il est certain que la conscience de soi accompagne « toutes » les représentations d'un individu (description que retiendra Kant), on ne saisit jamais le moi seul. Il est en effet impossible de saisir le moi indépendamment de ces représentations, en sorte que l'existence même du moi est incertaine.
Je ne peux jamais, à aucun moment, me saisir moi-même sans une perception, et jamais je ne puis observer autre chose que la perception. Quand mes perceptions sont supprimées pour un temps, comme par un sommeil profond, aussi longtemps que je suis sans conscience de moi-même, on peut dire que je n'existe pas.
David Hume
Traité de la nature humaine, Traité de la nature humaine, livre I, trad. P. Baranger et P. Saltel, Paris, éd. GF-Flammarion (1995)
1739-1740
En effet, ce qui donne à un sujet le sentiment de son existence, ce sont les diverses perceptions qu'il sent en lui. Ainsi, on ne peut pas dire que l'on existe lorsque l'on dort puisqu'on n'a pas le sentiment – au sens large, la perception – de son existence.
La conscience de soi repose donc sur les diverses représentations et perceptions qu'un individu perçoit en lui. Elle n'aurait pas d'existence en dehors de ces représentations.
La psychologie scientifique, qui se développe à partir du XIXe siècle, va émettre une critique encore plus virulente à l'égard de la notion philosophique de conscience. Pour elle, cette notion (que ce soit chez Descartes ou chez Hume) est trop attachée à celle d'esprit, c'est-à-dire à l'idée d'une réalité spirituelle. Et pour cette raison, elle ne permet pas de traiter scientifiquement de cette réalité qu'est la conscience de soi.
Opposée à cette idée d'une conscience de soi comme sentiment d'existence de soi-même, la psychologie scientifique, incarnée notamment par le courant béhavioriste (comportementaliste) va développer l'hypothèse selon laquelle la conscience de soi repose entièrement sur les mécanismes de fonctionnement du cerveau.
Béhaviorisme
Le béhaviorisme (anglais : behavior, « comportement ») est un courant de psychologie qui affirme que la conscience n'est qu'un mythe. Selon ce courant, l'étude du psychisme ne peut passer que par l'étude des mécanismes corporels, notamment cérébraux, tels qu'ils sont manifestés par les conduites que l'on peut observer, plutôt que par les représentations de la conscience.
Les facteurs influençant la conscience de soi
La conscience face au monde extérieur
Si la conscience se définit comme conscience de soi, il n'est pas sûr qu'elle puisse être pensée sans la rapporter au monde extérieur qu'elle permet de connaître.
En tout cas, pour avoir réellement conscience et connaissance de lui-même, l'homme a besoin du rapport à autrui : il prend conscience de lui à travers le regard et la reconnaissance des autres.
C'est pour cette raison que des individus isolés, comme Robinson Crusoé, peuvent devenir fous s'ils ne se créent pas une forme artificielle d'altérité.
L'homme a également besoin du rapport aux choses : c'est en particulier dans ses productions ou ses œuvres qu'il prend conscience de lui-même. L'existence d'une extériorité, c'est-à-dire d'un monde extérieur, ainsi que de la confrontation à l'altérité, c'est-à-dire à autrui, sont donc nécessaires à la constitution de la conscience de soi.
La conscience comme intentionnalité
Puisque la conscience se construit d'abord dans son rapport au monde extérieur, il est possible de la définir comme capacité à se rapporter aux objets du monde.
Autrement dit, la conscience ne serait jamais pure conscience de soi, mais toujours conscience de quelque chose. C'est ce que l'on appelle la conscience comme intentionnalité. C'est cette idée que la conscience est toujours conscience de quelque chose qu'elle vise comme son objet que développe Edmund Husserl, à la suite de Franz Brentano.
Le mot intentionnalité ne signifie rien d'autre que cette particularité foncière et générale qu'a la conscience d'être conscience de quelque chose.
Edmund Husserl
Idées directrices pour une phénoménologie, (Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie), trad. Paul Ricœur, Paris, éd. Gallimard, coll. « Tel » (1985)
1913
La conscience est toujours conscience de quelque chose. On ne peut donc pas la penser indépendamment des objets qu'elle vise.
Mais la notion d'intentionnalité ne vise pas seulement les objets du monde extérieur.
L'intentionnalité se manifeste, selon Brentano, dans l'amour, la haine, le désir, la croyance, le jugement, la perception ou l'espoir. Il est constitutif de chacun de ces phénomènes qu'il vise un objet. Sans un objet aimé, pas d'amour. Sans un objet de croyance, pas de croyance. Sans un objet jugé, pas de jugement. Sans un objet perçu, pas de perception. Sans un objet espéré, pas d'espoir, et ainsi de suite pour tout acte mental comme relation d'un sujet à un objet.
Pierre Jacob
L'Intentionnalité. Problèmes de philosophie de l'esprit, Paris, éd. Odile Jacob
2004
L'objet visé par la conscience peut donc être un objet immatériel tel que l'amour, l'espoir, la croyance. On le voit, la notion d'objet est ici prise au sens large : il s'agit de tout ce que peut penser la conscience comme différent d'elle-même, qui caractérise un sujet.
Cette conception de la conscience comme intentionnalité a une autre conséquence : c'est que même lorsque le sujet tente de se saisir lui-même comme conscience, c'est toujours un objet qu'il vise. En effet, dans cette situation, le sujet se vise lui-même comme objet.
On le voit, il est impossible de concevoir la conscience (même comme conscience de soi) autrement que comme conscience de quelque chose. Le monde extérieur est donc en ce sens nécessaire à l'existence même de la conscience.
L'influence de la société sur la conscience
Si le monde extérieur est déterminant dans la construction de la conscience de soi, le fait que l'homme vive au milieu d'autres hommes est probablement un fait tout aussi déterminant.
Comprendre comment se forme la conscience nécessiterait de ce point de vue que l'on tienne compte de l'influence de la société sur la perception que l'individu a de lui-même.
Karl Marx relève avec force ce rôle décisif joué par la société : il considère que le système de pensée de chacun est conditionné par ses « conditions matérielles d'existence ». Autrement dit, notre appartenance à une classe sociale déterminée mais aussi à un moment de l'histoire précis détermine en grande partie la perception que l'homme a de lui-même.
Ainsi, pour que l'individu parvienne à une conscience complète et transparente de lui-même, il faut qu'il ait conscience de l'influence du milieu social et historique dans lequel il évolue.
La conscience morale
La conscience morale comme instinct
Si la conscience est, comme on l'a vu, conscience de soi et capacité de se construire en relation avec le monde extérieur, cette notion désigne également la capacité de chaque individu de saisir par lui-même, par « intuition », les valeurs morales.
Il s'agit dans ce cas non seulement d'une présence de soi à soi-même, mais aussi d'un état moral intérieur à chacun : c'est cet état intérieur que l'on nomme conscience morale.
Jean-Jacques Rousseau est l'un des penseurs qui défend le plus fortement l'idée qu'il existe un sens naturel de la morale, c'est-à-dire une capacité innée à saisir ce que sont le bien et le mal. Avant même que les humains ne vivent dans des sociétés constituées, régies par des lois et où des institutions transmettent des croyances morales, accompagnées de jugements, ils sont capables de sens moral.
Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d'un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rend l'homme semblable à Dieu, c'est toi qui fais l'excellence de sa nature et la moralité de ses actions.
Jean-Jacques Rousseau
Émile ou De l'éducation, Paris, éd. Garnier (1961)
1762
Jean-Jacques Rousseau définit la conscience comme un « instinct divin » : c'est un moyen immédiat et infaillible de reconnaître le bien et le mal.
Pour Rousseau, la conscience morale, « instinct divin » qui permet de reconnaître le bien et le mal, est donc innée : elle est renforcée par la pitié, ce sentiment qui fait partager à tout être humain la souffrance d'autrui. Pourtant, Rousseau nous dit aussi que la perfectibilité, c'est-à-dire le développement de la raison, conduit l'homme à l'immoralité. Cela suppose que l'homme vit déjà en société, ce qui corrompt son sens moral.
L'homme est bon naturellement, mais le développement de la raison et la vie en société étouffent ce sens moral. Dans cette situation, c'est à la raison, bien comprise, qu'il appartient de rétablir la moralité : ce sera l'un des buts du « contrat social », la loi corrigeant les effets de l'immoralité entraînée par le développement des sociétés dans l'histoire.
L'universalité de la conscience morale
Si l'on dit que la conscience morale est universelle, c'est parce que la raison, présente en chaque humain, lui indique le contenu de la loi morale.
De ce point de vue, la conscience morale peut être vue comme la volonté d'agir consciemment et librement selon les règles que nous fournit la raison.
Ainsi, pour Emmanuel Kant, la morale repose sur des impératifs catégoriques : ce sont des impératifs qui commandent sans aucune condition. Ces impératifs indiquent à l'homme ce qu'il doit faire. Ces impératifs sont universels : ils s'appliquent à tout le monde, sans exception et sans considération d'aucun intérêt autre que moral.
Impératif catégorique
L'impératif catégorique est un concept de la philosophie d'Emmanuel Kant qui correspond à ce qui doit être fait inconditionnellement et sans autre justification ou intérêt. Seules les actions qui suivent ce principe sont moralement bonnes.
La formulation principale de l'impératif catégorique est la suivante :
Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle.
Emmanuel Kant
Fondements de la métaphysique des mœurs, (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten), trad. Victor Delbos, Paris, éd. Le Livre de Poche (1993)
1785
Cette formulation de l'impératif catégorique indique que la raison peut découvrir par elle-même les normes morales qu'elle doit suivre. Ces normes (celles du Bien) se ramènent toutes à la cohérence du principe (universel et inconditionnel) de l'impératif appelé, pour cette raison, catégorique.
Pour Kant, avant d'agir, il faut toujours se demander s'il serait souhaitable que tout le monde agisse en fonction du même principe. Autrement dit, il faut se demander si ce qui motive l'action de l'individu, le principe qui la commande, pourrait être une règle universelle. Dans le cas contraire, il ne peut être qu'hypothétique, c'est-à-dire valable seulement sous condition.
Si l'on s'apprête à mentir, il faut se demander s'il est possible de souhaiter que le mensonge devienne une règle universelle (un principe). Si c'est impossible, alors l'action n'est pas morale. Pour le mensonge, on voit bien qu'on ne peut pas souhaiter que le mensonge devienne une règle générale des relations humaines : aucune confiance ne serait alors possible, et la société serait elle-même détruite dans son principe, ce qui est contradictoire.
Une société où tout le monde ment ou peut mentir à tout le monde ne mérite pas le nom de société, ce qui est contradictoire : donc, on ne peut pas vouloir une société où tout le monde mentirait.
On appelle cette expérience de pensée le test d'universalisation de la maxime de l'action. Il s'agit donc de se demander ici si la règle d'une action, ce qui la motive, est universalisable.
La conscience morale constitue donc cette capacité de l'homme à se demander chaque fois si la règle de son action est conforme au devoir moral, à la loi de la raison.