Afrique, 2013, voie S
Vous répondrez à cette question dans un développement structuré, en vous fondant sur les textes du corpus, ceux étudiés en classe et votre culture personnelle.
Un personnage de roman ne se construit-il qu'à partir des scènes d'action ?
Texte A : Stendhal, La Chartreuse de Parme, livre premier, chapitre 11
1839
Bien qu'engagé dans une carrière ecclésiastique, Fabrice Del Dongo est amoureux d'une actrice, Marietta. Giletti, l'amant en titre de la jeune femme, jure de tuer Fabrice. Le hasard les met en présence tous les trois sur une route.
Au moment où Fabrice passait auprès de la portière ouverte, il entendit Marietta qui lui disait à demi-voix :
- Prends garde à toi ; il te tuera. Tiens !
Au même instant, Fabrice vit tomber de la portière une sorte de grand couteau de chasse ; il se baissa pour le ramasser, mais, au même instant il fut touché à l'épaule par un coup d'épée que lui lançait Giletti. Fabrice, en se relevant, se trouva à six pouces de Giletti qui lui donna dans la figure un coup furieux avec le pommeau de son épée ; ce coup était lancé avec une telle force qu'il ébranla tout à fait la raison de Fabrice ; en ce moment il fut sur le point d'être tué. Heureusement pour lui, Giletti était encore trop près pour pouvoir lui donner un coup de pointe. Fabrice, quand il revint à soi, prit la fuite en courant de toutes ses forces ; en courant, il jeta le fourreau du couteau de chasse et ensuite, se retournant vivement, il se trouva à trois pas de Giletti qui le poursuivait. Giletti était lancé, Fabrice lui porta un coup de pointe : Giletti avec son épée eut le temps de relever un peu le couteau de chasse, mais il reçut le coup de pointe en plein dans la joue gauche. Il passa tout près de Fabrice qui se sentit percer la cuisse, c'était le couteau de Giletti que celui-ci avait eu le temps d'ouvrir. Fabrice fit un saut à droite ; il se retourna, et enfin les deux adversaires se trouvèrent à une juste distance de combat.
Giletti jurait comme un damné. Ah ! Je vais te couper la gorge, gredin de prêtre, répétait-il à chaque instant. Fabrice était tout essoufflé et ne pouvait parler ; le coup de pommeau d'épée dans la figure le faisait beaucoup souffrir, et son nez saignait abondamment ; il para plusieurs coups avec son couteau de chasse et porta plusieurs bottes1 sans trop savoir ce qu'il faisait ; il lui semblait vaguement être à un assaut public. Cette idée lui avait été suggérée par la présence de ses ouvriers qui, au nombre de vingt-cinq ou trente, formaient cercle autour des combattants, mais à distance fort respectueuse ; car on voyait ceux-ci courir à tout moment et s'élancer l'un sur l'autre.
Le combat semblait se ralentir un peu ; les coups ne se suivaient plus avec la même rapidité, lorsque Fabrice se dit : à la douleur que je ressens au visage, il faut qu'il m'ait défiguré. Saisi de rage à cette idée, il sauta sur son ennemi la pointe du couteau de chasse en avant. Cette pointe entra dans le côté droit de la poitrine de Giletti et sortit vers l'épaule gauche ; au même instant l'épée de Giletti pénétrait de toute sa longueur dans le haut du bras de Fabrice, mais l'épée glissa sous la peau, et ce fut une blessure insignifiante.
Giletti était tombé ; au moment où Fabrice s'avançait vers lui, regardant sa main gauche qui tenait un couteau, cette main s'ouvrait machinalement et laissait échapper son arme.
Le gredin est mort, se dit Fabrice ; il le regarda au visage, Giletti rendait beaucoup de sang par la bouche. Fabrice courut à la voiture.
- Avez-vous un miroir ? cria-t-il à Marietta.
1 porter plusieurs bottes : porter plusieurs attaques
Texte B : Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, chapitre IV
1844
En 1625, arrivé à Paris pour se présenter à M. de Tréville, capitaine des Mousquetaires du Roi, d'Artagnan, en raison de maladresses successives, est contraint d'affronter en duel trois mousquetaires : Athos, Porthos et Aramis. Arrive le moment des affrontements, alors qu'un édit de son Éminence le cardinal de Richelieu interdit les duels.
"Et maintenant que vous êtes rassemblés, Messieurs, dit d'Artagnan, permettez-moi de vous faire mes excuses".
À ce mot d'excuses, un nuage passa sur le front d'Athos, un sourire hautain glissa sur les lèvres de Porthos, et un signe négatif fut la réponse d'Aramis.
"Vous ne me comprenez pas, Messieurs, dit d'Artagnan en relevant sa tête, sur laquelle jouait en ce moment un rayon de soleil qui en dorait les lignes fines et hardies : je vous demande excuse dans le cas où je ne pourrais vous payer ma dette à tous trois, car Monsieur Athos a le droit de me tuer le premier, ce qui ôte beaucoup de sa valeur à votre créance1, Monsieur Porthos, et ce qui rend la vôtre à peu près nulle, Monsieur Aramis.
Et maintenant, Messieurs, je vous le répète, excusez-moi, mais de cela seulement, et en garde !"
À ces mots, du geste le plus cavalier qui se puisse voir, d'Artagnan tira son épée.
Le sang était monté à la tête de d'Artagnan, et dans ce moment il eût tiré son épée contre tous les mousquetaires du royaume, comme il venait de faire contre Athos, Porthos et Aramis.
Il était midi et un quart. Le soleil était à son zénith, et l'emplacement choisi pour être le théâtre du duel se trouvait exposé à toute son ardeur.
"Il fait très chaud, dit Athos en tirant son épée à son tour, et cependant je ne saurais ôter mon pourpoint ; car, tout à l'heure encore, j'ai senti que ma blessure saignait, et je craindrais de gêner Monsieur en lui montrant du sang qu'il ne m'aurait pas tiré lui-même.
- C'est vrai, Monsieur, dit d'Artagnan, et tiré par un autre ou par moi, je vous assure je verrai toujours avec bien du regret le sang d'un aussi brave gentilhomme ; je me battrai donc en pourpoint comme vous.
- Voyons, voyons, dit Porthos, assez de compliments comme cela, et songez que nous attendons notre tour.
- Parlez pour vous seul, Porthos quand aurez à dire de pareilles incongruités2, interrompit Aramis. Quant à moi, je trouve les choses que ces Messieurs se disent fort bien dites et tout à fait dignes de deux gentilshommes.
- Quand vous voudrez, Monsieur, dit Athos en se mettant en garde.
- J'attendais vos ordres, dit d'Artagnan en croisant le fer.
Mais les deux rapières3 avaient à peine résonné en se touchant, qu'une escouade4 des gardes de Son Éminence, commandée par M. de Jussac, se montra à l'angle du couvent.
- Les gardes du cardinal ! s'écrièrent à la fois Porthos et Aramis. L'épée au fourreau, Messieurs ! L'épée au fourreau !"
Mais il était trop tard. Les deux combattants avaient été vus dans une pose qui ne permettait pas de douter de leurs intentions.
"Holà ! cria Jussac en s'avançant vers eux et en faisant signe à ses hommes d'en faire autant, holà ! Mousquetaires, on se bat donc ici ? Et les édits, qu'en faisons-nous ?"
1 ce qui ôte beaucoup de sa valeur à votre créance : ce qui ôte beaucoup de valeur à ce que je vous dois
2 incongruités : paroles déplacées
3 rapières : épées longues et effilées
4 escouade : petite troupe de quelques hommes
Texte C : Guy de Maupassant, Bel-Ami, première partie, chapitre VI
1885
Georges Duroy est un séducteur qui est depuis peu un journaliste travaillant au quotidien "La Vie française". Après quelques articles politiques, il est pris à parti par le chroniqueur d'un journal concurrent nommé Langremont. Après un échange de communiqués insultants, il ne reste qu'un recours : le duel.
Puis on l'amena jusqu'à une des cannes piquées en terre et on lui remit son pistolet.
Alors il aperçut un homme debout, en face de lui, tout près, un petit homme ventru, chauve, qui portait des lunettes. C'était son adversaire.
Il le vit très bien, mais il ne pensait à rien qu'à ceci : "Quand on commandera feu, j'élèverai le bras et je tirerai". Une voix résonna dans le grand silence de l'espace, une voix qui semblait venir de très loin, et elle demanda :
"Êtes-vous prêts, messieurs ?"
Georges cria :
"Oui."
Alors la même voix ordonna :
"Feu…"
Il n'écouta rien de plus, il ne s'aperçut de rien, il ne se rendit compte de rien, il sentit seulement qu'il levait le bras en appuyant de toute sa force sur la gâchette.
Et il n'entendit rien.
Mais il vit aussitôt un peu de fumée au bout du canon de son pistolet ; et comme l'homme en face de lui demeurait toujours debout, dans la même posture également, il aperçut aussi un autre nuage blanc qui s'envolait au-dessus de la tête de son adversaire.
Ils avaient tiré tous les deux. C'était fini.
Ses témoins et le médecin le touchaient, le palpaient, déboutonnaient ses vêtements en demandant avec anxiété :
"Vous n'êtes pas blessé ?" Il répondit au hasard : "Non, je ne crois pas."
Langremont d'ailleurs demeurait aussi intact que son ennemi, et Jacques Rival1 murmura d'un ton mécontent :
"Avec ce sacré pistolet, c'est toujours comme ça, on se rate ou on se tue. Quel sale instrument !"
Duroy ne bougeait pas, paralysé de surprise et de joie : "C'était fini !" Il fallut lui enlever son arme qu'il tenait toujours serrée dans sa main. Il lui semblait maintenant qu'il se serait battu contre l'univers entier. C'était fini. Quel bonheur ! il se sentait brave tout à coup à provoquer n'importe qui.
Tous les témoins causèrent quelques minutes, prenant rendez-vous dans le jour pour la rédaction du procès-verbal, puis on remonta dans la voiture ; et le cocher qui riait sur son siège repartit en faisant claquer son fouet.
Ils déjeunèrent tous les quatre sur le boulevard, en causant de l'événement. Duroy disait ses impressions.
"Ça ne m'a rien fait, absolument rien. Vous avez dû le voir du reste ?"
1Jacques Rival : chroniqueur à "La Vie française", fameux duelliste, il fournit armes et munitions à Duroy à l'occasion de ce duel.
Comment Fabrice tue-t-il Giletti ?
Texte A : Stendhal, La Chartreuse de Parme, livre premier, chapitre 11
1839
Bien qu'engagé dans une carrière ecclésiastique, Fabrice Del Dongo est amoureux d'une actrice, Marietta. Giletti, l'amant en titre de la jeune femme, jure de tuer Fabrice. Le hasard les met en présence tous les trois sur une route.
Au moment où Fabrice passait auprès de la portière ouverte, il entendit Marietta qui lui disait à demi-voix :
- Prends garde à toi ; il te tuera. Tiens !
Au même instant, Fabrice vit tomber de la portière une sorte de grand couteau de chasse ; il se baissa pour le ramasser, mais, au même instant il fut touché à l'épaule par un coup d'épée que lui lançait Giletti. Fabrice, en se relevant, se trouva à six pouces de Giletti qui lui donna dans la figure un coup furieux avec le pommeau de son épée ; ce coup était lancé avec une telle force qu'il ébranla tout à fait la raison de Fabrice ; en ce moment il fut sur le point d'être tué. Heureusement pour lui, Giletti était encore trop près pour pouvoir lui donner un coup de pointe. Fabrice, quand il revint à soi, prit la fuite en courant de toutes ses forces ; en courant, il jeta le fourreau du couteau de chasse et ensuite, se retournant vivement, il se trouva à trois pas de Giletti qui le poursuivait. Giletti était lancé, Fabrice lui porta un coup de pointe : Giletti avec son épée eut le temps de relever un peu le couteau de chasse, mais il reçut le coup de pointe en plein dans la joue gauche. Il passa tout près de Fabrice qui se sentit percer la cuisse, c'était le couteau de Giletti que celui-ci avait eu le temps d'ouvrir. Fabrice fit un saut à droite ; il se retourna, et enfin les deux adversaires se trouvèrent à une juste distance de combat.
Giletti jurait comme un damné. Ah ! Je vais te couper la gorge, gredin de prêtre, répétait-il à chaque instant. Fabrice était tout essoufflé et ne pouvait parler ; le coup de pommeau d'épée dans la figure le faisait beaucoup souffrir, et son nez saignait abondamment ; il para plusieurs coups avec son couteau de chasse et porta plusieurs bottes1 sans trop savoir ce qu'il faisait ; il lui semblait vaguement être à un assaut public. Cette idée lui avait été suggérée par la présence de ses ouvriers qui, au nombre de vingt-cinq ou trente, formaient cercle autour des combattants, mais à distance fort respectueuse ; car on voyait ceux-ci courir à tout moment et s'élancer l'un sur l'autre.
Le combat semblait se ralentir un peu ; les coups ne se suivaient plus avec la même rapidité, lorsque Fabrice se dit : à la douleur que je ressens au visage, il faut qu'il m'ait défiguré. Saisi de rage à cette idée, il sauta sur son ennemi la pointe du couteau de chasse en avant. Cette pointe entra dans le côté droit de la poitrine de Giletti et sortit vers l'épaule gauche ; au même instant l'épée de Giletti pénétrait de toute sa longueur dans le haut du bras de Fabrice, mais l'épée glissa sous la peau, et ce fut une blessure insignifiante.
Giletti était tombé ; au moment où Fabrice s'avançait vers lui, regardant sa main gauche qui tenait un couteau, cette main s'ouvrait machinalement et laissait échapper son arme.
Le gredin est mort, se dit Fabrice ; il le regarda au visage, Giletti rendait beaucoup de sang par la bouche. Fabrice courut à la voiture.
- Avez-vous un miroir ? cria-t-il à Marietta.
1 porter plusieurs bottes : porter plusieurs attaques.
Quelle qualité de d'Artagnan ressort dans cette scène de combat ?
Texte B : Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, chapitre IV
1844
En 1625, arrivé à Paris pour se présenter à M. de Tréville, capitaine des Mousquetaires du Roi, d'Artagnan, en raison de maladresses successives, est contraint d'affronter en duel trois mousquetaires : Athos, Porthos et Aramis. Arrive le moment des affrontements, alors qu'un édit de son Éminence le cardinal de Richelieu interdit les duels.
"Et maintenant que vous êtes rassemblés, Messieurs, dit d'Artagnan, permettez-moi de vous faire mes excuses".
À ce mot d'excuses, un nuage passa sur le front d'Athos, un sourire hautain glissa sur les lèvres de Porthos, et un signe négatif fut la réponse d'Aramis.
"Vous ne me comprenez pas, Messieurs, dit d'Artagnan en relevant sa tête, sur laquelle jouait en ce moment un rayon de soleil qui en dorait les lignes fines et hardies : je vous demande excuse dans le cas où je ne pourrais vous payer ma dette à tous trois, car Monsieur Athos a le droit de me tuer le premier, ce qui ôte beaucoup de sa valeur à votre créance1, Monsieur Porthos, et ce qui rend la vôtre à peu près nulle, Monsieur Aramis.
Et maintenant, Messieurs, je vous le répète, excusez-moi, mais de cela seulement, et en garde !"
À ces mots, du geste le plus cavalier qui se puisse voir, d'Artagnan tira son épée.
Le sang était monté à la tête de d'Artagnan, et dans ce moment il eût tiré son épée contre tous les mousquetaires du royaume, comme il venait de faire contre Athos, Porthos et Aramis.
Il était midi et un quart. Le soleil était à son zénith, et l'emplacement choisi pour être le théâtre du duel se trouvait exposé à toute son ardeur.
"Il fait très chaud, dit Athos en tirant son épée à son tour, et cependant je ne saurais ôter mon pourpoint ; car, tout à l'heure encore, j'ai senti que ma blessure saignait, et je craindrais de gêner Monsieur en lui montrant du sang qu'il ne m'aurait pas tiré lui-même.
- C'est vrai, Monsieur, dit d'Artagnan, et tiré par un autre ou par moi, je vous assure je verrai toujours avec bien du regret le sang d'un aussi brave gentilhomme ; je me battrai donc en pourpoint comme vous.
- Voyons, voyons, dit Porthos, assez de compliments comme cela, et songez que nous attendons notre tour.
- Parlez pour vous seul, Porthos quand aurez à dire de pareilles incongruités2, interrompit Aramis. Quant à moi, je trouve les choses que ces Messieurs se disent fort bien dites et tout à fait dignes de deux gentilshommes.
- Quand vous voudrez, Monsieur, dit Athos en se mettant en garde.
- J'attendais vos ordres, dit d'Artagnan en croisant le fer.
Mais les deux rapières3 avaient à peine résonné en se touchant, qu'une escouade4 des gardes de Son Éminence, commandée par M. de Jussac, se montra à l'angle du couvent.
- Les gardes du cardinal ! s'écrièrent à la fois Porthos et Aramis. L'épée au fourreau, Messieurs ! L'épée au fourreau !"
Mais il était trop tard. Les deux combattants avaient été vus dans une pose qui ne permettait pas de douter de leurs intentions.
"Holà ! cria Jussac en s'avançant vers eux et en faisant signe à ses hommes d'en faire autant, holà ! Mousquetaires, on se bat donc ici ? Et les édits, qu'en faisons-nous ?"
1 ce qui ôte beaucoup de sa valeur à votre créance : ce qui ôte beaucoup de valeur à ce que je vous dois.
2 incongruités : paroles déplacées
3 rapières : épées longues et effilées
4 escouade : petite troupe de quelques hommes
Comment Maupassant présente-il Duroy dans cet extrait ?
Texte C : Guy de Maupassant, Bel-Ami, première partie, chapitre VI
1885
Georges Duroy est un séducteur qui est depuis peu un journaliste travaillant au quotidien "La Vie française". Après quelques articles politiques, il est pris à parti par le chroniqueur d'un journal concurrent nommé Langremont. Après un échange de communiqués insultants, il ne reste qu'un recours : le duel.
Puis on l'amena jusqu'à une des cannes piquées en terre et on lui remit son pistolet.
Alors il aperçut un homme debout, en face de lui, tout près, un petit homme ventru, chauve, qui portait des lunettes. C'était son adversaire.
Il le vit très bien, mais il ne pensait à rien qu'à ceci : "Quand on commandera feu, j'élèverai le bras et je tirerai". Une voix résonna dans le grand silence de l'espace, une voix qui semblait venir de très loin, et elle demanda :
"Êtes-vous prêts, messieurs ?"
Georges cria :
"Oui."
Alors la même voix ordonna :
"Feu…"
Il n'écouta rien de plus, il ne s'aperçut de rien, il ne se rendit compte de rien, il sentit seulement qu'il levait le bras en appuyant de toute sa force sur la gâchette.
Et il n'entendit rien.
Mais il vit aussitôt un peu de fumée au bout du canon de son pistolet ; et comme l'homme en face de lui demeurait toujours debout, dans la même posture également, il aperçut aussi un autre nuage blanc qui s'envolait au-dessus de la tête de son adversaire.
Ils avaient tiré tous les deux. C'était fini.
Ses témoins et le médecin le touchaient, le palpaient, déboutonnaient ses vêtements en demandant avec anxiété :
"Vous n'êtes pas blessé ?" Il répondit au hasard : "Non, je ne crois pas."
Langremont d'ailleurs demeurait aussi intact que son ennemi, et Jacques Rival1 murmura d'un ton mécontent :
"Avec ce sacré pistolet, c'est toujours comme ça, on se rate ou on se tue. Quel sale instrument !"
Duroy ne bougeait pas, paralysé de surprise et de joie : "C'était fini !" Il fallut lui enlever son arme qu'il tenait toujours serrée dans sa main. Il lui semblait maintenant qu'il se serait battu contre l'univers entier. C'était fini. Quel bonheur ! il se sentait brave tout à coup à provoquer n'importe qui.
Tous les témoins causèrent quelques minutes, prenant rendez-vous dans le jour pour la rédaction du procès-verbal, puis on remonta dans la voiture ; et le cocher qui riait sur son siège repartit en faisant claquer son fouet.
Ils déjeunèrent tous les quatre sur le boulevard, en causant de l'événement. Duroy disait ses impressions.
"Ça ne m'a rien fait, absolument rien. Vous avez dû le voir du reste ?"
1Jacques Rival : chroniqueur à la "Vie française", fameux duelliste, il fournit armes et munitions à Duroy à l'occasion de ce duel.
Qu'est-ce qu'une scène d'action peut apprendre sur le personnage qui la joue ?
Que peut-on dire du narrateur dans le point de vue omniscient ?
Que permet une plongée dans les pensées du personnage ?
Quel plan est adapté pour répondre au sujet traité ?
Le personnage est un être de papier, une création essentielle et centrale du roman. Il est celui que le lecteur va suivre, auquel il va s'identifier ou duquel il va se méfier, et qu'il pourra juger positif ou négatif. Dans les premiers romans, au Moyen Âge, le personnage est un héros, souvent un valeureux chevalier. Le lecteur suit ses aventures héroïques, ses combats. Longtemps, le personnage est caractérisé par ses actions extraordinaires et sa moralité, jusqu'à Madame de Lafayette, qui dans son œuvre, donne de l'importance à la psychologie du personnage. Au fil des évolutions des mouvements littéraires, le personnage se qualifie ou se disqualifie, tour à tour par ses actions, ses pensées, ses ambitions ou ce qu'il représente.
Par ailleurs, les actions elles-mêmes deviennent moins héroïques. Les personnages réalistes cessent d'être des héros parfaits. Justement, la façon dont ils réagissent face à une situation permet de les définir, de déterminer leur personnalité. Toutefois, en focalisation interne, une plongée dans la tête du personnage reste un moyen de construire efficacement un héros.
Dès lors, on peut se demander en quoi les scènes d'action permettent de construire le personnage ? Surtout, quelles sont les autres données qui permettent de donner vie à un héros de papier ?
Dans un premier temps, il conviendra de voir en quoi le héros est un personnage d'action. Ensuite, il faudra montrer comment la psychologie du personnage permet au lecteur de s'attacher au héros. Enfin, nous analyserons comment le personnage est façonné par son époque et les idées de son créateur.
Le héros : un personnage d'action
Les sources du roman
- À l'origine, les héros de roman sont des personnages extraordinaires, auxquels il arrive des aventures incroyables. Des épopées d'Homère aux romans d'aventures d'aujourd'hui, le personnage de roman est un héros qui affronte des difficultés, vit des péripéties. Il se construit ainsi.
- Les origines du roman sont les épopées héroïques avec des personnages surhumains comme Ulysse ou Hercule dans l'Odyssée ou l'Iliade d'Homère.
- Les romans de chevalerie, avec des personnages qui font des exploits guerriers (les romans de Chrétien de Troyes).
- Des personnages incroyables, magiques ou mystérieux (les contes de fées, la fantaisie comme Le Seigneur des anneaux de Tolkien).
- Le personnage de roman est donc initialement un personnage d'action.
L'action pour divertir et définir
- De nombreux romans avec de l'action connaissent un vif succès.
- Le roman policier, le roman d'aventures, le roman de gare ou à l'eau de rose ne sont pas des romans très littéraires. Ils dénoncent rarement quoique ce soit, mais leur succès est symptomatique du besoin du lecteur de rêver. La lecture, c'est aussi passer un moment agréable. Les aventures des héros permettent cela. Suivre d'Artagnan et les mousquetaires est divertissant.
- Dans les romans fleuves ou les romans rocambolesques le lecteur oublie son quotidien, il se plonge dans les péripéties incroyables des personnages. On peut aussi citer les grandes fresques familiales comme La Chronique des Pasquier, où le lecteur suit une famille sur plusieurs générations.
- On voit que le roman plaît au lecteur pour différentes raisons, et notamment pour ses péripéties. L'action permet surtout de mieux saisir qui est le personnage. Un héros qui affronte les dangers comme d'Artagnan est courageux. Un héros comme Duroy dans Bel-Ami qui tremble avant le duel est vu comme un lâche. La façon dont réagit le personnage de roman face à une situation permet donc de le définir.
- Le personnage de roman a donc avant tout été un héros d'action. Ses aventures le définissent. La façon dont il réagit à une situation permet d'en savoir plus sur son caractère (lâche, courageux, etc.).
Le héros toutefois n'est pas simplement un personnage d'action, et il n'est pas non plus un personnage qui ne se construit que par rapport à ses actes. L'auteur lui invente également une pensée, des sentiments, des idées.
Dans la tête du personnage
La personnalité du héros
- Le héros de roman a une personnalité. Il peut avoir des qualités exceptionnelles. Cela signifie que c'est un personnage qui se démarque particulièrement des autres.
- On peut citer la princesse de Clèves, qui est dotée d'une immense beauté. Celle-ci est rappelée plusieurs fois au cours du roman et symbolise la jeune femme.
- On peut aussi évoquer des personnages qui ont une grandeur d'âme incroyable. Jean Valjean dans Les Misérables en est un bon exemple. Autrefois petit criminel, il devient formidable, très bon, prêt à risquer sa vie pour aider un homme.
- Une personnalité hors du commun n'est pas toujours marquée par la bonté. Ainsi, Javert dans Les Misérables est constamment soupçonneux. On peut également citer la marquise de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses, qui est très intelligente, mais utilise cette qualité pour faire le mal.
- Les sentiments, et notamment l'amour, sont très importants pour définir un personnage. On peut citer la passion de Des Grieux pour Manon dans Manon Lescaut.
- Le roman met aussi en scène des personnages dont la personnalité est étrange, incompréhensible même pour le lecteur. Ainsi, Meursault dans L'Étranger se caractérise par son apparente froideur. Camus présente un héros qui ne réagit pas "normalement" selon les règles de la société. Il ne pleure pas à la mort de sa mère. C'est un personnage qui étonne, qui pose question. La personnalité permet donc de construire un personnage.
Les pensées du personnage
- Le roman permet de plonger le lecteur dans les pensées du personnage, plusieurs outils s'offrent à l'écrivain pour cela.
- On peut écrire à la première personne du singulier, ainsi, le lecteur est mis à la place du personnage. Le personnage et le narrateur ne font qu'un, comme Meursault dans L'Étranger de Camus.
- Les romans épistolaires permettent de révéler les désirs et sentiments des personnages, mais aussi de voir comment ils peuvent mentir ou manipuler. On peut citer La Nouvelle Héloïse de Rousseau pour les sentiments et Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos pour la manipulation.
- Une technique naît à la fin du XIXe siècle, avec le poète Édouard Dujardin. C'est la technique du "flux de conscience", "stream of consciousness". Les auteurs anglo-saxons sont les maîtres en la matière, comme Virginia Woolf dans Mrs Dalloway, mais Proust, dans À la recherche du temps perdu, utilise aussi cette technique. Le lecteur suit les réflexions, pensées et sentiments du personnage, de façon ininterrompue et parfois surprenante, car on passe d'une idée à une autre sans lien logique. C'est en suivant le cheminement de la pensée d'un personnage que le lecteur peut se l'imaginer. Il n'y a pas de scènes d'action dans de tels romans.
- L'auteur peut aussi plonger le lecteur dans les pensées du personnage en utilisant le point de vue omniscient. Il permet non seulement de dévoiler l'intimité du héros mais aussi de l'analyser. C'est ce que fait Madame de Lafayette dans ses romans. C'est aussi une technique très utilisée par Flaubert par exemple dans L'Éducation sentimentale.
L'identification au personnage
- Le lecteur se sent plus proche du personnage s'il est dans ses pensées. Il a plus d'empathie.
- Le lecteur ressent les émotions du personnage. Il trouve sa situation plus touchante ou terrible, comme dans Le Dernier Jour d'un condamné de Victor Hugo, qui permet au lecteur de se mettre véritablement à la place d'un homme condamné à mort.
- Le lecteur peut revivre des émotions qu'il a vécues, se rappeler par exemple son premier amour comme dans Le Rouge et le Noir avec la rencontre de Julien et Madame de Rénal, ou affronter le deuil et la mort avec des récits comme Guerre et Paix de Léon Tolstoï.
- Le lecteur peut aussi découvrir de nouvelles émotions ou sensations, essayer de comprendre l'impensable. C'est le cas quand on le plonge dans les pensées d'un fou comme dans Journal d'un fou de Gogol, d'un assassin comme dans Crime et Châtiment de Féodor Dostoïevski ou encore d'un pédophile comme dans Lolita de Vladimir Nabokov.
- Cette technique permet de faire du roman un miroir du lecteur. Le personnage devient plus "vrai", plus familier au lecteur quand celui-ci peut mieux comprendre sa psychologie, avoir accès à ses sentiments et ses pensées. Les scènes d'action ne sont donc pas les seules à construire le personnage.
Le héros se construit donc à partir des scènes d'action et des scènes qui donnent accès à sa psychologie. Mais le personnage de roman est aussi un produit de son temps, façonné par les idées de son époque.
Des héros représentants de leur temps
Un porte-parole de l'auteur
- Le personnage peut être un porte-parole de l'auteur. Ce dernier peut l'utiliser pour dénoncer quelque chose, pour dire, pour exprimer. Parfois, auteur et narrateur se confondent. C'est par exemple le cas avec Bardamu, qui est un double littéraire de Céline, et qui apparaît aussi bien dans Voyage au bout de la nuit que dans Mort à crédit.
- Certains personnages sont là pour défendre les idées de l'auteur. Par exemple, dans l'œuvre de Zola, l'écrivain est un personnage très positif, l'un des rares à ne pas être moqué, et il représente Zola. Il symbolise un idéal. Tolstoï fait de même dans ses romans, le personnage de Lévine dans Anna Karénine est un double de lui.
- Les personnages permettent alors de dévoiler les réflexions de l'auteur sur la condition humaine. Ils sont des doubles, ou des moyens d'exprimer des idées. Leurs discours sont donc essentiels.
Des représentants de leur époque
- Le personnage de roman est un produit de son époque et du courant littéraire. Les héros de Zola sont souvent des hommes issus de milieux très pauvres. Ils se battent et luttent contre leur condition, mais ne peuvent jamais y échapper. L'auteur utilise ses recherches pour créer ses personnages. Il fait un travail journalistique pour montrer au lecteur la situation des plus démunis. Le personnage se construit donc à partir des recherches de l'écrivain. Dans Bel-Ami, Maupassant peint un arriviste. Il dénonce, à travers son héros, le milieu bourgeois et la corruption du monde des journalistes. Le personnage est pauvre au départ et fait tout ce qu'il peut pour monter dans la haute société. Les héros dans Les Liaisons dangereuses sont des libertins. L'auteur s'inspire des hommes et des femmes de la cour qui jouent le jeu de la séduction et de la manipulation.
- Les personnages de roman sont façonnés selon le courant littéraire auquel l'auteur appartient. Les écrivains romantiques comme Alexandre Dumas ou Victor Hugo préfèrent des héros exceptionnels. Les écrivains naturalistes ou réalistes choisissent des personnages médiocres. Les auteurs du Nouveau Roman préfèrent des personnages plus obscurs.
Le héros de roman se construit bien à partir des scènes d'action : la façon dont il réagit à telle ou telle situation permet au lecteur de mieux cerner le personnage. Toutefois, le héros de roman se construit également grâce aux scènes qui plongent le lecteur dans ses pensées. Détailler la psychologie du personnage, ses idées et ses sentiments permet à l'écrivain de faire le portrait d'un homme ou d'une femme dont le lecteur peut se sentir plus proche. Le héros de roman est surtout un être qui est façonné par les idées de son créateur et par son époque.
On peut donc affirmer que le personnage de roman est complexe. L'écrivain doit manier différents outils pour en faire un héros capable d'éveiller l'intérêt du lecteur, qui voudra alors le suivre dans ses diverses aventures.