Métropole, 2013, voie S
Vous répondrez à la question en vous fondant sur les textes du corpus ainsi que sur les textes et œuvres que vous avez étudiés et lus.
Le romancier doit-il nécessairement faire de ses personnages des êtres extraordinaires ?
Texte A : Colette, Sido
1930
La narratrice, dont la famille habite en province, évoque le souvenir de sa mère, revenant de l'un de ses séjours à Paris.
Elle revenait chez nous lourde de chocolat en barre, de denrées exotiques et d'étoffes en coupons, mais surtout de programmes de spectacles et d'essence à la violette, et elle commençait de nous peindre Paris dont tous les attraits étaient à sa mesure, puisqu'elle ne dédaignait rien.
En une semaine elle avait visité la momie exhumée, le musée agrandi, le nouveau magasin, entendu le ténor et la conférence sur La Musique birmane. Elle rapportait un manteau modeste, des bas d'usage, des gants très chers.
Surtout elle nous rapportait son regard gris voltigeant, son teint vermeil que la fatigue rougissait, elle revenait ailes battantes, inquiète de tout ce qui, privé d'elle, perdait la chaleur et le goût de vivre. Elle n'a jamais su qu'à chaque retour l'odeur de sa pelisse en ventre-de-gris1, pénétrée d'un parfum châtain clair, féminin, chaste, éloigné des basses séductions axillaires2, m'ôtait la parole et jusqu'à l'effusion.
D'un geste, d'un regard elle reprenait tout. Quelle promptitude de main ! Elle coupait des bolducs3 roses, déchaînait des comestibles coloniaux, repliait avec soin les papiers noirs goudronnés qui sentaient le calfatage4. Elle parlait, appelait la chatte, observait à la dérobée mon père amaigri, touchait et flairait mes longues tresses pour s'assurer que j'avais brossé mes cheveux… Une fois qu'elle dénouait un cordon d'or sifflant, elle s'aperçut qu'au géranium prisonnier contre la vitre d'une des fenêtres, sous le rideau de tulle, un rameau pendait, rompu, vivant encore.
La ficelle d'or à peine déroulée s'enroula vingt fois autour du rameau rebouté5, étayé d'une petite éclisse6 de carton… Je frissonnai, et crus frémir de jalousie, alors qu'il s'agissait seulement d'une résonance poétique, éveillée par la magie de secours efficace scellé d'or…
1 pelisse en ventre-de-gris : manteau en fourrure de ventre d'écureuil
2 axillaire : qui vient des aisselles. Colette évoque les odeurs de sueur
3 bolduc : ruban
4 calfatage : traitement des coques des navires avec du goudron pour les rendre étanches
5 rebouté : réparé
6 éclisse : plaque servant à étayer, c'est-à-dire à soutenir, un membre fracturé
Texte B : John Steinbeck, Les Raisins de la colère
1939
Tom Joad est de retour chez lui. Il retrouve sa famille, son père, le vieux Tom, ses grands parents, ses frères et sœurs plus jeunes ainsi que sa mère, Man, décrite dans l'extrait suivant.
Elle regardait dans le soleil. Nulle mollesse dans sa figure pleine, mais de la fermeté et de la bonté. Ses yeux noisette semblaient avoir connu toutes les tragédies possibles et avoir gravi, comme autant de marches, la peine et la souffrance jusqu'aux régions élevées de la compréhension surhumaine. Elle semblait connaître, accepter, accueillir avec joie son rôle de citadelle de sa famille, de refuge inexpugnable1. Et comme le vieux Tom et les enfants ne pouvaient connaître la souffrance ou la peur que si elle-même admettait cette souffrance et cette peur, elle s'était accoutumée à refuser de les admettre. Et comme, lorsqu'il arrivait quelque chose d'heureux ils la regardaient pour voir si la joie entrait en elle, elle avait pris l'habitude de rire même sans motifs suffisants. Mais, préférable à la joie, était le calme. Le sang-froid est chose sur laquelle on peut compter. Et de sa grande et humble position dans la famille, elle avait pris de la dignité et une beauté pure et calme. Guérisseuse, ses mains avaient acquis la sûreté, la fraîcheur et la tranquillité ; arbitre, elle était devenue aussi distante, aussi infaillible qu'une déesse. Elle semblait avoir conscience que si elle vacillait, la famille entière tremblerait, et que si un jour elle défaillait ou désespérait sérieusement, toute la famille s'écroulerait, toute sa volonté de fonctionner disparaîtrait.
1 inexpugnable : qu'on ne peut pas prendre par la force
Texte C : Jean Giono, Un roi sans divertissement
1947
Mme Tim est la femme du châtelain de Saint-Baudille. Autour d'elle s'organisent des fêtes familiales dont le narrateur garde le souvenir.
(…) Mme Tim était abondamment grand-mère. Les filles occupaient aussi des situations dans les plaines, en bas autour.
À chaque instant, sur les chemins qui descendaient de Saint-Baudille on voyait partir le messager et, sur les chemins qui montaient à Saint-Baudille, on voyait monter ensuite des cargaisons de nourrices et d'enfants. L'aînée à elle seule en avait six. Le messager de Mme Tim avait toujours l'ordre de faire le tour des trois ménages et de tout ramasser.
C'étaient, alors, des fêtes à n'en plus finir : des goûters dans le labyrinthe de buis1 ; des promenades à dos de mulets dans le parc ; des jeux sur les terrasses et, en cas de pluie, pour calmer le fourmillement de jambes de tout ce petit monde, des sortes de bamboulas2 dans les grands combles3 du château dont les planchers grondaient alors de courses et de sauts, comme un lointain tonnerre.
Quand l'occasion s'en présentait, soit qu'on revienne de Mens (dont la route passe en bordure d'un coin de parc), soit que ce fût pendant une journée d'automne, au retour d'une petite partie de chasse au lièvre, c'est-à-dire quand on était sur les crêtes qui dominent le labyrinthe de buis et les terrasses, on ne manquait pas de regarder tous ces amusements. D'autant que Mme Tim était toujours la tambour-major4.
Elle était vêtue à l'opulente d'une robe de bure5, avec des fonds énormes qui se plissaient et se déplissaient autour d'elle à chaque pas, le long de son corps de statue. Elle avait du corsage et elle l'agrémentait de jabots de linon6. À la voir au milieu de cette cuve d'enfants dont elle tenait une grappe dans chaque main, pendant que les autres giclaient autour d'elle, on l'aurait toute voulue. Derrière elle, les nourrices portaient encore les derniers-nés dans des cocons blancs. Ou bien, en se relevant sur la pointe des pieds et en passant la tête par-dessus la haie, on la surprenait au milieu d'un en-cas champêtre, distribuant des parts de gâteaux et des verres de sirop, encadrée, à droite, d'un laquais (qui était le fils Onésiphore de Prébois) vêtu de bleu, portant le tonnelet d'orangeade et, à gauche, d'une domestique femme (qui était la petite fille de la vieille Nanette d'Avers), vêtue de zinzolins7 et de linge blanc, portant le panier à pâtisserie. C'était à voir !
1 buis : arbuste
2 bamboula : fête
3 combles : espaces compris entre le dernier étage de la demeure et le toit
4 tambour-major : grade militaire (sous-officier qui commande les tambours et les clairons d'un régiment) donné ici, de façon plaisante, à Mme Tim qui commande tout
5 bure : étoffe de laine brune
6 jabots de linon : ornements de tissu qui s'étalent sur la poitrine
7 zinzolins : tissus d'un violet rougeâtre
Pour quelles raisons la mère est-elle perçue comme un être d'exception ?
Texte A : Colette, Sido
1930
La narratrice, dont la famille habite en province, évoque le souvenir de sa mère, revenant de l'un de ses séjours à Paris.
Elle revenait chez nous lourde de chocolat en barre, de denrées exotiques et d'étoffes en coupons, mais surtout de programmes de spectacles et d'essence à la violette, et elle commençait de nous peindre Paris dont tous les attraits étaient à sa mesure, puisqu'elle ne dédaignait rien.
En une semaine elle avait visité la momie exhumée, le musée agrandi, le nouveau magasin, entendu le ténor et la conférence sur La Musique birmane. Elle rapportait un manteau modeste, des bas d'usage, des gants très chers.
Surtout elle nous rapportait son regard gris voltigeant, son teint vermeil que la fatigue rougissait, elle revenait ailes battantes, inquiète de tout ce qui, privé d'elle, perdait la chaleur et le goût de vivre. Elle n'a jamais su qu'à chaque retour l'odeur de sa pelisse en ventre-de-gris1, pénétrée d'un parfum châtain clair, féminin, chaste, éloigné des basses séductions axillaires2, m'ôtait la parole et jusqu'à l'effusion.
D'un geste, d'un regard elle reprenait tout. Quelle promptitude de main ! Elle coupait des bolducs3 roses, déchaînait des comestibles coloniaux, repliait avec soin les papiers noirs goudronnés qui sentaient le calfatage4. Elle parlait, appelait la chatte, observait à la dérobée mon père amaigri, touchait et flairait mes longues tresses pour s'assurer que j'avais brossé mes cheveux… Une fois qu'elle dénouait un cordon d'or sifflant, elle s'aperçut qu'au géranium prisonnier contre la vitre d'une des fenêtres, sous le rideau de tulle, un rameau pendait, rompu, vivant encore.
La ficelle d'or à peine déroulée s'enroula vingt fois autour du rameau rebouté5, étayé d'une petite éclisse6 de carton… Je frissonnai, et crus frémir de jalousie, alors qu'il s'agissait seulement d'une résonance poétique, éveillée par la magie de secours efficace scellé d'or…
1 pelisse en ventre-de-gris : manteau en fourrure de ventre d'écureuil
2 axillaire : qui vient des aisselles. Colette évoque les odeurs de sueur
3 bolduc : ruban
4 calfatage : traitement des coques des navires avec du goudron pour les rendre étanches
5 rebouté : réparé
6 éclisse : plaque servant à étayer, c'est-à-dire à soutenir, un membre fracturé
De quelles manières la mère est-elle décrite ?
Texte B : Steinbeck, Les Raisins de la colère
1939
Tom Joad est de retour chez lui. Il retrouve sa famille, son père, le vieux Tom, ses grands parents, ses frères et sœurs plus jeunes ainsi que sa mère, Man, décrite dans l'extrait suivant.
Elle regardait dans le soleil. Nulle mollesse dans sa figure pleine, mais de la fermeté et de la bonté. Ses yeux noisette semblaient avoir connu toutes les tragédies possibles et avoir gravi, comme autant de marches, la peine et la souffrance jusqu'aux régions élevées de la compréhension surhumaine. Elle semblait connaître, accepter, accueillir avec joie son rôle de citadelle de sa famille, de refuge inexpugnable1. Et comme le vieux Tom et les enfants ne pouvaient connaître la souffrance ou la peur que si elle-même admettait cette souffrance et cette peur, elle s'était accoutumée à refuser de les admettre. Et comme, lorsqu'il arrivait quelque chose d'heureux ils la regardaient pour voir si la joie entrait en elle, elle avait pris l'habitude de rire même sans motifs suffisants. Mais, préférable à la joie, était le calme. Le sang-froid est chose sur laquelle on peut compter. Et de sa grande et humble position dans la famille, elle avait pris de la dignité et une beauté pure et calme. Guérisseuse, ses mains avaient acquis la sûreté, la fraîcheur et la tranquillité ; arbitre, elle était devenue aussi distante, aussi infaillible qu'une déesse. Elle semblait avoir conscience que si elle vacillait, la famille entière tremblerait, et que si un jour elle défaillait ou désespérait sérieusement, toute la famille s'écroulerait, toute sa volonté de fonctionner disparaîtrait.
1 inexpugnable : qu'on ne peut pas prendre par la force
Comment qualifier Mme Tim ?
Texte C : Jean Giono, Un roi sans divertissement
1947
Mme Tim est la femme du châtelain de Saint-Baudille. Autour d'elle s'organisent des fêtes familiales dont le narrateur garde le souvenir.
(…) Mme Tim était abondamment grand-mère. Les filles occupaient aussi des situations dans les plaines, en bas autour.
À chaque instant, sur les chemins qui descendaient de Saint-Baudille on voyait partir le messager et, sur les chemins qui montaient à Saint-Baudille, on voyait monter ensuite des cargaisons de nourrices et d'enfants. L'aînée à elle seule en avait six. Le messager de Mme Tim avait toujours l'ordre de faire le tour des trois ménages et de tout ramasser.
C'étaient, alors, des fêtes à n'en plus finir : des goûters dans le labyrinthe de buis1 ; des promenades à dos de mulets dans le parc ; des jeux sur les terrasses et, en cas de pluie, pour calmer le fourmillement de jambes de tout ce petit monde, des sortes de bamboulas2 dans les grands combles3 du château dont les planchers grondaient alors de courses et de sauts, comme un lointain tonnerre.
Quand l'occasion s'en présentait, soit qu'on revienne de Mens (dont la route passe en bordure d'un coin de parc), soit que ce fût pendant une journée d'automne, au retour d'une petite partie de chasse au lièvre, c'est-à-dire quand on était sur les crêtes qui dominent le labyrinthe de buis et les terrasses, on ne manquait pas de regarder tous ces amusements. D'autant que Mme Tim était toujours la tambour-major4.
Elle était vêtue à l'opulente d'une robe de bure5, avec des fonds énormes qui se plissaient et se déplissaient autour d'elle à chaque pas, le long de son corps de statue. Elle avait du corsage et elle l'agrémentait de jabots de linon6. À la voir au milieu de cette cuve d'enfants dont elle tenait une grappe dans chaque main, pendant que les autres giclaient autour d'elle, on l'aurait toute voulue. Derrière elle, les nourrices portaient encore les derniers-nés dans des cocons blancs. Ou bien, en se relevant sur la pointe des pieds et en passant la tête par-dessus la haie, on la surprenait au milieu d'un en-cas champêtre, distribuant des parts de gâteaux et des verres de sirop, encadrée, à droite, d'un laquais (qui était le fils Onésiphore de Prébois) vêtu de bleu, portant le tonnelet d'orangeade et, à gauche, d'une domestique femme (qui était la petite fille de la vieille Nanette d'Avers), vêtue de zinzolins7 et de linge blanc, portant le panier à pâtisserie. C'était à voir !
1 buis : arbuste
2 bamboula : fête
3 combles : espaces compris entre le dernier étage de la demeure et le toit
4 tambour-major : grade militaire (sous-officier qui commande les tambours et les clairons d'un régiment) donné ici, de façon plaisante, à Mme Tim qui commande tout
5 bure : étoffe de laine brune
6 jabots de linon : ornements de tissu qui s'étalent sur la poitrine
7 zinzolins : tissus d'un violet rougeâtre
Quel plan convient pour cette dissertation ?
Dans quel courant littéraire idéalise-t-on le personnage ?
Comment définir l'univers romanesque de Victor Hugo ?
Quels auteurs choisissent des héros ordinaires ?
Lorsqu'on parle de roman, on parle souvent de fantaisie, d'imaginaire. L'univers romanesque est associé au fabuleux et il est peuplé de personnages d'exception, comme le comte de Monte-Cristo ou encore d'Artagnan dans les récits d'Alexandre Dumas. Pourtant, le personnage de roman n'est pas toujours un être doté de qualités remarquables. Au XIXe siècle, avec le réalisme et la naturalisme, de nombreux auteurs s'intéressent par exemple à mettre en scène des "héros ordinaires".
Ainsi, bien que le personnage d'exception soit particulièrement apprécié par les lecteurs et utilisé par les écrivains, quels autres types de personnages trouve-t-on dans la littérature ?
Le personnage de roman est avant tout le héros d'une histoire, souvent un être remarquable qui fascine le lecteur, ce qu'il faut montrer dans une première partie. Toutefois, il peut être un personnage ordinaire, comme la deuxième partie l'expliquera. Dans une dernière partie, il conviendra de souligner en quoi le statut du personnage peut être complexe.
Le personnage d'exception à la source de la littérature
Le personnage d'exception de l'Antiquité à aujourd'hui
- Les personnages exceptionnels sont les premiers héros de roman. En effet, dans l'Antiquité, les récits comme l'Iliade ou l'Odyssée racontent les péripéties et les exploits de demi-dieux comme Ulysse ou Hercule dans l'Odyssée ou l'Iliade d'Homère.
- La fascination pour les héros d'exception ne s'estompe pas avec le temps. Au Moyen Âge, les personnages des romans de chevalerie sont de valeureux chevaliers accomplissant des exploits guerriers. C'est ce que l'on découvre dans les récits de Chrétien de Troyes avec Lancelot. On peut également citer d'autres auteurs qui choisissent de mettre en scène des personnages qui ne sont même pas humains, comme Rabelais avec le géant Gargantua ou encore les extraterrestres dans Micromégas.
- Au XIXe siècle, bien que les héros ordinaires soient prisés, on trouve encore de nombreux récits dans lesquels le héros est doté de grandes qualités. C'est le cas dans les récits de Jules Verne, les héros sont qualifiés par leur courage et leur intelligence.
- Enfin, au XXe siècle, des personnages se découvrant des qualités incroyables et vivant des aventures hors du commun dans des univers magiques connaissent un grand succès. On peut citer Le Seigneur des anneaux de Tolkien ou encore Harry Potter de J. K. Rowling.
Les qualités fascinantes du personnage d'exception
- Le caractère extraordinaire des personnages passe par leur physique. Les héros sont souvent très beaux et fantasmés. C'est le cas de la Princesse de Clèves qui est décrite comme étant la plus belle femme à la cour de France, ou encore de Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir, si beau qu'il ressemble presque à une femme.
- Le personnage de roman est souvent extraordinaire de par sa condition. Dans les épopées antiques c'est un demi-dieu, comme Hercule. Jusqu'au XIXe siècle, c'est souvent un noble. Sa position privilégiée en fait quelqu'un que le lecteur admire et envie.
- Le personnage d'exception a des qualités très positives. Il est souvent exceptionnellement bon, à l'image de Jean Valjean dans Les Misérables.
- Le personnage de roman idéalisé et hors norme permet de divertir le lecteur, de fantasmer la réalité, de donner des modèles. Il permet de faire rêver. À l'image des héros de contes de fées, les personnages d'exception sont souvent dichotomiques, c'est-à-dire qu'ils sont parfaitement bons et souvent en lutte contre les personnages profondément mauvais.
L'écrivain décrit des personnages extraordinaires pour divertir, amuser et faire rêver. Toutefois, il peut également choisir de peindre des personnages plus réalistes permettant de faire réfléchir le lecteur.
Le personnage romanesque pour peindre le réel et questionner le lecteur
Le personnage pour donner l'illusion du vrai
- Le personnage d'exception ne permet pas de peindre la réalité. Au XIXe siècle, avec le réalisme et le naturalisme, les écrivains tentent de représenter le monde tel qu'il est. Les caractères des personnages deviennent plus complexes. Les auteurs affirment que personne n'est vraiment héroïque, vraiment parfait. Zola et Balzac estiment ainsi qu'être héroïque est caricatural.
- Le personnage d'exception est idéal, il ne correspond pas à la réalité humaine. Les écrivains réalistes et naturalistes rejettent cette idéalisation. Avec Madame Bovary, Gustave Flaubert dénonce les conséquences de la littérature ne cherchant qu'à divertir et faire rêver. Son héroïne est profondément imparfaite et complexe.
- Les personnages cessent d'être uniquement nobles. Avec les Rougon-Macquart, Émile Zola s'intéresse avant tout à la classe ouvrière ou la classe moyenne. Il entend démontrer comment la société et l'hérédité façonnent les hommes. Ses personnages sont loin de correspondre à un idéal : il y a des prostituées, des tueurs ou encore des alcooliques.
Le personnage-miroir pour réfléchir sur la condition humaine
- L'écrivain peut choisir de faire des personnages des êtres qui permettent de questionner le monde, de réfléchir sur la condition humaine. On peut parler de personnage-miroir. C'est un personnage auquel le lecteur peut s'identifier. Il est comme lui, il lui ressemble plus. Balzac a ainsi pour but de peindre la réalité, la vérité, "de faire concurrence à l'état civil".
- Par ailleurs, si les personnages ne sont plus simplement idéalisés, il est plus facile pour le lecteur de s'y identifier. La princesse de Clèves est trop parfaite pour qu'on puisse s'y retrouver complètement, alors qu'un personnage comme Emma Bovary présente des failles comme les humains.
- Particulièrement au XXe siècle, le personnage représente l'idéologie de l'auteur. Ainsi, dans les romans d'Albert Camus, le personnage est confronté à l'absurdité du monde, comme Meursault dans L'Étranger, alors que dans les romans de Jean-Paul Sartre il incarne l'existentialisme. Le personnage n'est plus défini par son passé, son physique, sa psychologie. Il devient un moyen pour l'écrivain de bousculer le lecteur.
L'écrivain peut donc choisir de ne pas faire des personnages d'exception mais plutôt ordinaires ou même énigmatiques. Toutefois, le statut du personnage de roman est plus complexe qu'il n'y paraît.
La complexité du statut de personnage
Transfigurer la banalité
- Un homme apparemment ordinaire peut être vu comme incroyable à travers les yeux d'un personnage. C'est le cas dans les textes du corpus, où les mères sont vues à travers les yeux d'une personne qui les aime et donc les idéalise. C'est une question de point de vue. Il y a de l'admiration dans le regard porté sur ces mères. On peut également citer les mères dans Les Racines du ciel de Romain Gary ou dans Le Livre de ma mère d'Albert Cohen.
- Un personnage ordinaire confronté à une situation extraordinaire peut devenir héroïque. C'est le cas de Bilbo le hobbit ou de Harry Potter.
- Un héros négatif peut impressionner même s'il est un antihéros. C'est notamment le cas de Valmont dans Les Liaisons dangereuses.
- Le roman permet de révéler la part d'héroïsme cachée dans les gens ordinaires, il peut également rendre fascinant ce qui est dérangeant voire mauvais.
Un personnage façonné par l'idéologie du romancier
- La façon dont le personnage est présenté dépend de ce que l'auteur veut dire. Par exemple, si l'auteur veut faire rêver son lecteur, il inventera des personnages parfaits, merveilleux. C'est le cas dans les contes de fées.
- Si l'auteur veut dénoncer, il choisira plutôt des héros ordinaires. Le personnage lui servira alors à défendre ses idées. Le roman sera engagé. C'est ce que font les auteurs du XIXe siècle.
- Parfois, l'auteur peut choisir de mêler personnage extraordinaires et ordinaires. C'est ce que plusieurs auteurs du Nouveau Roman ont fait. Par exemple, dans les romans de Camus, il y a souvent des personnages très complexes. On peut citer le docteur dans La Peste qui est héroïque, et la foule, qui est ordinaire et banale.
Le personnage de roman est donc complexe. Il n'a pas qu'une seule forme, il est difficile d'en donner une définition précise. Il est rarement schématique : il peut être parfait, il peut être ordinaire, il peut être banal mais devenir héroïque ou l'inverse. En fonction de ses intentions, un romancier choisira plutôt d'idéaliser ses personnages, ou des les montrer complexes ou normaux. Le roman peut faire rêver, mais il peut aussi dénoncer ou être un miroir de l'Homme. Le personnage de roman est donc multiforme, comme finalement le sont les êtres humains dans la vraie vie. Il existe des êtres extraordinaires, des hommes ordinaires, des gens qui semblent parfaitement bons et d'autres parfaitement mauvais. On peut ainsi se demander si le roman n'est pas un miroir de la réalité complexe du monde.