Métropole, 2014, voie L
Posté à une fenêtre, vous observez un lieu de votre choix. En vous inspirant, par exemple, des procédés employés dans les textes du corpus, rédigez la description détaillée de ce paysage, de façon à ce qu'elle reflète vos états d'âme.
Texte A : Stendhal, La Chartreuse de Parme, partie II, chapitre 18, extrait
1839
La Chartreuse de Parme raconte l'itinéraire d'un jeune aristocrate italien, Fabrice Del Dongo. Victime d'une vengeance, le personnage est emprisonné dans la citadelle de Parme. Le gouverneur de cette forteresse est le général Fabio Conti, que Fabrice avait croisé avec sa fille Clélia sept années plus tôt. Fabrice vient de revoir la jeune fille.
Il courut aux fenêtres ; la vue qu'on avait de ces fenêtres grillées était sublime : un seul petit coin de l'horizon était caché, vers le nord-ouest, par le toit en galerie du joli palais du gouverneur, qui n'avait que deux étages ; le rez-de-chaussée était occupé par les bureaux de l'état-major ; et d'abord les yeux de Fabrice furent attirés vers une des fenêtres du second étage, où se trouvaient, dans de jolies cages, une grande quantité d'oiseaux de toute sorte.
Fabrice s'amusait à les entendre chanter, et à les voir saluer les derniers rayons du crépuscule du soir, tandis que les geôliers1 s'agitaient autour de lui. Cette fenêtre de la volière n'était pas à plus de vingt-cinq pieds de l'une des siennes, et se trouvait à cinq ou six pieds en contrebas, de façon qu'il plongeait sur les oiseaux.
Il y avait lune ce jour-là, et au moment où Fabrice entrait dans sa prison, elle se levait majestueusement à l'horizon à droite, au-dessus de la chaîne des Alpes, vers Trévise. Il n'était que huit heures et demie du soir, et à l'autre extrémité de l'horizon, au couchant, un brillant crépuscule rouge orangé dessinait parfaitement les contours du mont Viso et des autres pics des Alpes qui remontent de Nice vers le Mont-Cenis et Turin : sans songer autrement à son malheur, Fabrice fut ému et ravi par ce spectacle sublime. "C'est donc dans ce monde ravissant que vit Clélia Conti ! avec son âme pensive et sérieuse, elle doit jouir de cette vue plus qu'un autre ; on est ici comme dans des montagnes solitaires à cent lieues de Parme." Ce ne fut qu'après avoir passé plus de deux heures à la fenêtre, admirant cet horizon qui parlait à son âme, et souvent aussi arrêtant sa vue sur le joli palais du gouverneur que Fabrice s'écria tout à coup : "Mais ceci est-il une prison ? est-ce là ce que j'ai tant redouté ?" Au lieu d'apercevoir à chaque pas des désagréments et des motifs d'aigreur, notre héros se laissait charmer par les douceurs de la prison.
1 geôliers : gardiens de la prison
Texte B : Gustave Flaubert, Madame Bovary, partie II, chapitre 6, extrait
1857
Emma a épousé Charles Bovary, un officier de santé. Elle mène une vie plate et médiocre, bien différente du bonheur que lui faisaient imaginer ses lectures romanesques au couvent où elle a fait ses études. Elle sombre peu à peu dans l'ennui et la mélancolie.
Un soir que la fenêtre était ouverte, et que, assise au bord, elle venait de regarder Lestiboudois, le bedeau1, qui taillait le buis, elle entendit tout à coup sonner l'Angelus2.
On était au commencement d'avril, quand les primevères sont écloses ; un vent tiède se roule sur les plates-bandes labourées, et les jardins, comme des femmes, semblent faire leur toilette pour les fêtes de l'été. Par les barreaux de la tonnelle et au-delà tout alentour, on voyait la rivière dans la prairie, où elle dessinait sur l'herbe des sinuosités vagabondes. La vapeur du soir passait entre les peupliers sans feuilles, estompant leurs contours d'une teinte violette, plus pâle et plus transparente qu'une gaze subtile arrêtée sur leurs branchages. Au loin, des bestiaux marchaient ; on n'entendait ni leurs pas, ni leurs mugissements ; et la cloche, sonnant toujours, continuait dans les airs sa lamentation pacifique.
À ce tintement répété, la pensée de la jeune femme s'égarait dans ses vieux souvenirs de jeunesse et de pension. Elle se rappela les grands chandeliers, qui dépassaient sur l'autel les vases pleins de fleurs et le tabernacle3 a colonnettes. Elle aurait voulu, comme autrefois, être encore confondue dans la longue ligne des voiles blancs, que marquaient de noir ça et là les capuchons raides des bonnes sœurs inclinées sur leur prie-Dieu ; le dimanche, à la messe, quand elle relevait sa tête, elle apercevait le doux visage de la Vierge parmi les tourbillons bleuâtres de l'encens qui montait. Alors un attendrissement la saisit ; elle se sentit molle et tout abandonnée, comme un duvet d'oiseau qui tournoie dans la tempête ; et ce fut sans en avoir conscience qu'elle s'achemina vers l'église, disposée à n'importe quelle dévotion, pourvu qu'elle y absorbât son âme et que l'existence entière y disparût.
1 bedeau : employé d'une église préposé au service matériel
2 angelus : sonnerie de cloche qui annonce l'heure de la prière
3 tabernacle : petite armoire qui renferme les hosties
Texte C : Émile Zola, L'Assommoir, chapitre 1, extrait
1876
Gervaise Macquart, une jeune provinciale, a suivi Lantier, son amant, à Paris. Vers cinq heures du matin, tandis que ses deux enfants dorment paisiblement, Gervaise, accoudée à la fenêtre de sa chambre d'hôtel, s'inquiète de l'absence de Lantier qui n'est pas rentré de la nuit.
L'hôtel se trouvait sur le boulevard de la Chapelle1, à gauche de la barrière Poissonnière. C'était une masure2 de deux étages, peinte en rouge lie de vin jusqu'au second, avec des persiennes pourries par la pluie. Au-dessus d'une lanterne aux vitres étoilées, on parvenait à lire, entre les deux fenêtres : Hôtel Boncœur, tenu par Marsoullier, en grandes lettres jaunes, dont la moisissure du plâtre avait emporté des morceaux. Gervaise, que la lanterne gênait, se haussait, son mouchoir sur les lèvres. Elle regardait à droite, du côté du boulevard de Rochechouart, où des groupes de bouchers, devant les abattoirs, stationnaient en tabliers sanglants ; et le vent frais apportait une puanteur par moments, une odeur fauve de bêtes massacrées. Elle regardait à gauche, enfilant un long ruban d'avenue, s'arrêtant, presque en face d'elle, à la masse blanche de l'hôpital de Lariboisière, alors en construction.
Lentement, d'un bout à l'autre de l'horizon, elle suivait le mur de l'octroi3, derrière lequel, la nuit, elle entendait parfois des cris d'assassinés ; et elle fouillait les angles écartés, les coins sombres, noirs d'humidité et d'ordure, avec la peur d'y découvrir le corps de Lantier, le ventre troué de coups de couteau. Quand elle levait les yeux, au-delà de cette muraille grise et interminable qui entourait la ville d'une bande de désert, elle apercevait une grande lueur, une poussière de soleil, pleine déjà du grondement matinal de Paris. Mais c'était toujours à la barrière Poissonnière qu'elle revenait, le cou tendu, s'étourdissant à voir couler, entre les deux pavillons trapus de l'octroi, le flot ininterrompu d'hommes, de bêtes, de charrettes, qui descendait des hauteurs de Montmartre et de la Chapelle. Il y avait là un piétinement de troupeau, une foule que de brusques arrêts étalaient en mares sur la chaussée, un défilé sans fin d'ouvriers allant au travail, leurs outils sur le dos, leur pain sous le bras ; et la cohue s'engouffrait dans Paris où elle se noyait, continuellement. Lorsque Gervaise, parmi tout ce monde, croyait reconnaître Lantier, elle se penchait davantage, au risque de tomber ; puis, elle appuyait plus fortement son mouchoir sur la bouche, comme pour renfoncer sa douleur.
1 La Chapelle : quartier misérable du Paris du XIXe siècle
2 masure : petite habitation délabrée
3 octroi : lieu où est perçue une taxe
Texte D : Marcel Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, "Noms de pays : le pays", extrait
1919
L'action se déroule en Normandie. Le narrateur prend le train pour aller visiter l'église de Balbec.
Les levers de soleil sont un accompagnement des longs voyages en chemin de fer, comme les œufs durs, les journaux illustrés, les jeux de cartes, les rivières où des barques s'évertuent sans avancer. À un moment où je dénombrais les pensées qui avaient rempli mon esprit, pendant les minutes précédentes, pour me rendre compte si je venais ou non de dormir (et où l'incertitude même qui me faisait me poser la question, était en train de me fournir une réponse affirmative), dans le carreau de la fenêtre, au-dessus d'un petit bois noir, je vis des nuages échancrés1 dont le doux duvet était d'un rose fixé, mort, qui ne changera plus, comme celui qui teint les plumes de l'aile qui l'a assimilé ou le pastel sur lequel l'a déposé la fantaisie du peintre. Mais je sentais qu'au contraire cette couleur n'était ni inertie, ni caprice, mais nécessité et vie. Bientôt s'amoncelèrent derrière elle des réserves de lumière. Elle s'aviva, le ciel devint d'un incarnat2 que je tâchais, en collant mes yeux à la vitre, de mieux voir car je le sentais en rapport avec l'existence profonde de la nature, mais la ligne du chemin de fer ayant changé de direction, le train tourna, la scène matinale fut remplacée dans le cadre de la fenêtre par un village nocturne aux toits bleus de clair de lune, avec un lavoir encrassé de la nacre opaline3 de la nuit, sous un ciel encore semé de toutes ses étoiles, et je me désolais d'avoir perdu ma bande de ciel rose quand je l'aperçus de nouveau, mais rouge cette fois, dans la fenêtre d'en face qu'elle abandonna à un deuxième coude de la voie ferrée ; si bien que je passais mon temps à courir d'une fenêtre à l'autre pour rapprocher, pour rentoiler4 les fragments intermittents et opposites de mon beau matin écarlate et versatile5 et en avoir une vue totale et un tableau continu.
1 échancré : creusé
2 incarnat : rouge clair
3 opalin : qui est d'une teinte laiteuse et bleuâtre
4rentoiler : remettre une toile neuve à la place de celle qui a été usée
5 versatile : sujet à de brusques revirements
Quel temps utilise-t-on dans une description au passé ?
Quel passage est adapté aux consignes ?
Que doit décrire le texte ?
À quel genre doit se conformer le texte ?
À quelle personne le texte doit-il être écrit ?
- La personne doit regarder par la fenêtre.
- Le texte doit être écrit à la première personne.
- L'émotion du personnage doit structurer le texte. Ce n'est pas le paysage qui suscite une émotion mais l'émotion qui transfigure le paysage.
- Le texte doit être descriptif.
- On peut reprendre les procédés d'écriture du texte s'ils sont bien exploités.
- On doit solliciter le champ lexical du sentiment choisi.
- La description doit être progressive.
- Il faut mêler description du paysage et sentiment choisi. Il doit y avoir une cohérence entre les deux.
- Il ne faut pas perdre de vue le sujet et se mettre à faire une simple description de paysage sans rapport avec l'état d'âme du personnage.
- Le langage doit être soutenu.
Je m'accoudai à la fenêtre, mes deux mains jointes sous mon menton. Il m'était difficile de réfléchir posément, de calmer mon esprit agité, et je respirai l'air glacé pour tenter de m'apaiser. J'entendais toujours les terribles paroles de mon père, elles ne cessaient de résonner à mes oreilles, de réanimer ma peine et ma colère. Ses paroles grondaient en moi, et mes pensées s'insurgeaient contre elles. Le vent claquait contre mon visage, et le tonnerre, au loin, rugissait. Ma respiration refusait de retrouver un rythme plus régulier, et je bouillais toujours intérieurement. Il me semblait que mon sang était devenu une lave incandescente, prête à éclabousser le paysage sous mes yeux de sa rouge colère. À l'horizon, j'apercevais la mer ; les vagues roulaient et venaient se jeter contre les rochers dans un rugissement inquiétant. Cette musique violente s'accompagnait des cris sinistres et lointains de la tornade. Aucun oiseau ne chantait, comme s'ils craignaient le retour de la tempête dont la rumeur leur parvenait. Le soleil refusait obstinément de paraître, de réchauffer la terre meurtrie par les rafales de pluie. Les feuilles aux arbres tremblaient que le vent ne les arrache, et même les troncs solides semblaient vaciller, se remettant à peine de l'orage qui s'était terminé. Aucune présence animale, aucune présence humaine n'osait troubler ce paysage dévasté par les hurlements du ciel.
Je plissai les yeux pour voir si la lumière revenait, là-bas, à l'horizon, mais les nuages gris restaient obstinément à leur place, malgré les efforts entrepris par le souffle d'une brise glaciale pour les emporter. Comme il est difficile de se remettre d'une telle colère ! Tout devient sombre, comme ces ombres qui dévorent le paysage, passent au-dessus de la mer et du sable, couvrent les arbres et arrivent sur la maison. Toutes les créatures vivantes paraissent être des ennemis potentiels, notre âme frissonne de haine et voudrait déverser sur elles la bile contenue trop longtemps par notre frêle personne. Mais aucun être ne se risque à pointer le nez hors de sa cachette. Ce ne sont pas des flaques qui teintent les trottoirs, mais des ruisseaux torrentiels qui s'élancent le long des rues. Ce ne sont pas des feuilles qui ont été arrachées par la tempête, mais des branches entières qui laissent les arbres nus et démunis. Ce ne sont pas des rayons de lumière que les éclairs provoquent, mais de violentes déchirures qui transpercent l'être en déchirant le ciel. Un dernier grondement, sourd, retentit, alors que mon cœur se serre et que mes poings se crispent sur la rambarde de la fenêtre. Toutefois, le cœur n'y est plus vraiment. Je voudrais encore rugir, mais je sens la force de mon énervement qui me quitte.
La pluie, qui ne cesse de tomber, apaise l'écorce fraîchement exposée à l'air libre. Comme un baume qui soigne, elle glisse contre les troncs, se pose sur l'herbe, imprègne la terre et soulage les souffrances. Intimement liée à la colère divine, les larmes du ciel déferlent sur la terre, comme un signe de repentir. Après la haine vient la tristesse, et le paysage désolé goûte à l'eau salée des regrets. Les éclairs ont cessé de s'abattre sur l'herbe trempée, et le feu de Zeus ne fait plus trembler la végétation qui, bien qu'encore inquiète, frisonne plus qu'elle ne tremble. Les oiseaux se taisent toujours, mais un chien aboie dans un jardin voisin. Une porte claque, quelqu'un ose sortir, et ses pas résonnent un instant dans le silence, rythmé par la tranquille musique de la pluie. Les paroles sévères de mon père s'estompent avec les nuages. Je n'entends plus que de très loin un violent écho de mots douloureux. Les gouttes d'eau s'espacent petit à petit. Tout à coup, le fin rideau de pluie est illuminé par un rayon cristallin de soleil, un timide faisceau lumineux qui miroite faiblement avant de disparaître. Mais il est bientôt suivi par un autre. Puis un autre. Les fleurs à ma fenêtre paraissent moins grises. La pluie cesse. Les dernières gouttes sur les pétales rosées disparaissent déjà. Je soupire.