Sommaire
ILe programme éducatif de GargantuaII"Un esprit sain dans un corps sain"IIIL'éducation humaniste contre l'éducation scolastiqueIVDes méthodes éducatives humanistesPuis il le soumit à un rythme de travail tel qu'il ne perdait pas une heure de la journée, mais consacrait au contraire tout son temps aux lettres et au noble savoir. Gargantua s'éveillait donc vers quatre heures du matin1. Tandis qu'on le frictionnait, on lui lisait quelques pages des Saintes Écritures, à voix haute et claire, avec la prononciation convenable. Cet office était confié à un jeune page, originaire de Basché2, nommé Anagnostes3. (…)
Puis il allait aux lieux secrets excréter le produit des digestions naturelles. Là son précepteur répétait ce qu'on avait lu et lui expliquait les points les plus obscurs et les plus difficiles. Quand ils revenaient, ils considéraient l'état du ciel, notant s'il était tel qu'ils l'avaient remarqué le soir précédent, et en quels signes entrait le soleil, et aussi la lune ce jour-là.
Cela fait, on l'habillait, on le peignait, on le coiffait, on l'apprêtait, on le parfumait et pendant ce temps, on lui répétait les leçons du jour précédent. Lui-même les récitait par cœur et les confrontait avec quelques exemples pratiques concernant la vie humaine, ce qui leur prenait parfois deux ou trois heures, mais, d'ordinaire on s'arrêtait quand il était complètement habillé. Ensuite, pendant trois bonnes heures, on lui faisait la lecture.
Alors ils sortaient, en discutant toujours du sujet de la lecture et ils allaient se divertir au Grand Bracque, ou dans les prés et jouaient à la balle, à la paume, à la pile en triangle, s'exerçant élégamment le corps comme ils s'étaient auparavant exercés l'esprit. Tous leurs jeux se faisaient en liberté, car ils abandonnaient la partie quand il leur plaisait, et ils s'arrêtaient d'ordinaire quand la sueur leur coulait sur le corps, ou qu'ils étaient autrement fatigués. Alors, ils étaient très bien essuyés et frictionnés, ils changeaient de chemise, et allaient voir si le dîner était prêt en se promenant doucement. Là, en attendant, ils récitaient à voix claire et avec éloquence quelques maximes retenues de la leçon.
Cependant, Monsieur l'Appétit venait ; c'est au bon moment qu'ils s'asseyaient à table. Au commencement du repas, on lisait quelque histoire plaisante des anciennes prouesses jusqu'à ce qu'il prît son vin. Alors, si on le jugeait bon, on continuait la lecture, ou ils commençaient à deviser joyeusement tous ensemble. Pendant les premiers mois, ils parlaient de la vertu, de la propriété, des effets et de la nature de tout ce qui leur était servi à table : du pain, du vin, de l'eau, du sel, des viandes, des poissons, des fruits, des herbes, des racines et de leur préparation. Ce faisant, Gargantua apprit en peu de temps tous les passages relatifs à ce sujet dans Pline, Athénée, Dioscoride, Julius Pollux, Gallien, Porphyre, Oppien, Polybe, Héliodore, Aristote, Elien et d'autres. Après s'être entretenus là-dessus, ils faisaient souvent, pour plus de sûreté, apporter à tables les livres en question. Gargantua retint si bien, si parfaitement ce qui se disait là-dessus qu'il n'y avait pas alors de médecin qui sût la moitié de ce qu'il savait. Après, ils parlaient des lectures du matin, et terminant leur repas par quelque confiture de coings, il se curait les dents avec un bout de lentisque, se lavait les mains et les yeux de belle eau fraîche et tous rendaient grâce à Dieu par quelques beaux cantiques à la louange de la munificence et bonté divines.
Là-dessus, on apportait des cartes, non pas pour jouer, mais pour y apprendre mille petits jeux et inventions nouvelles qui tous découlaient de l'arithmétique. De cette façon, il prît goût à la science des nombres et tous les jours, après le dîner et le souper, il y passait son temps avec autant de plaisir qu'il en prenait d'habitude aux dés ou aux cartes.
1 Quatre heures du matin : à l'heure solaire, soit cinq heures du matin aujourd'hui. C'était l'heure normale du lever pour les gens du XVIe siècle qui se levaient et se couchaient avec le soleil.
2 Basché : localité près de Chinon
3 Anagnostes : mot grec qui signifie lecteur.
Rabelais
Gargantua
1535
Le programme éducatif de Gargantua
- Le texte présente les différentes activités de la journée.
- D'abord, le lever : "s'éveillait donc vers quatre heures du matin".
- Puis, la toilette et la lecture : "Tandis qu'on le frictionnait, on lui lisait quelques pages des Saintes Écritures".
- La lecture s'étend sur plusieurs heures : "pendant trois bonnes heures, on lui faisait la lecture"
- Ensuite, il y a l'exercice physique : "jouaient à la balle, à la paume, à la pile en triangle, s'exerçant élégamment le corps".
- Puis le repas, après avoir revu les cours de la journée, où on discute et échange : "ils commençaient à deviser joyeusement tous ensemble".
- Enfin les prières : "tous rendaient grâce à Dieu".
- Et l'arithmétique qu'on apprend en s'amusant : "Là-dessus, on apportait des cartes, non pas pour jouer, mais pour y apprendre mille petits jeux et inventions nouvelles qui tous découlaient de l'arithmétique".
"Un esprit sain dans un corps sain"
- Rabelais souligne l'importance de l'exercice physique : "mens sana in corpore sano", c'est-à-dire "un esprit sain dans un corps sain".
- L'idéal de Rabelais est celui de l'esprit et du corps entraînés. L'éducation présentée ici touche à tous les domaines : la religion, l'astrologie, la morale, le sport, la littérature, la médecine.
- Cette éducation très large permet surtout d'ouvrir l'esprit et d'éveiller la curiosité. Les jeunes gens discutent entre eux, échangent.
- Rabelais insiste sur l'importance de bien boire et manger, de dormir. Il faut prendre soin de son corps.
- Le régime alimentaire doit être varié et sain.
- Une grande importance est accordée à l'hygiène du corps. Rabelais dénonce ici le peu d'hygiène au Moyen Âge, qui s'explique notamment par la religion catholique qui accorde plus d'importance à l'âme qu'au corps.
Cette importance du corps vient de l'Antiquité.
L'éducation humaniste contre l'éducation scolastique
- Ici, il y a un retour à l'Antiquité. Gargantua lit les textes dans la langue originale. Au Moyen Âge, on étudiait en général les textes une fois qu'ils étaient interprétés. Ce retour aux textes originaux montre une volonté de revenir à la racine, de faire sa propre interprétation.
- L'éducation proposée ici par Rabelais s'oppose donc à l'éducation scolastique du Moyen Âge. C'est une éducation humaniste où l'esprit doit s'ouvrir et réfléchir par lui-même.
- L'enseignement scolastique accorde de l'importance uniquement à la culture livresque. Ici, Rabelais étend l'éducation à tous les domaines.
Des méthodes éducatives humanistes
- Contrairement à l'éducation scolastique, Rabelais propose une éducation où l'élève n'est pas soumis à son professeur.
- Il y a une vérification des connaissances. On fait réciter à l'élève les leçons apprises la veille.
- La journée est parfaitement organisée et il y a plusieurs activités.
- On utilise les livres pour vérifier, valider les connaissances. On ne demande pas à l'élève d'apprendre simplement par cœur sans comprendre.
- L'éducation est ludique. On apprend l'arithmétique en s'amusant.
- Il n'y a pas de châtiment corporel.
Comment s'organise la programme éducatif de Gargantua ?
I. Les leçons en groupe
II. L'importance accordée au corps
III. Les jeux
D'après ce texte, quelles sont les méthodes de l'éducation humaniste ?
I. Le respect de l'élève
II. L'importance accordée au corps
III. Une éducation qui forme l'esprit
En quoi cette éducation diffère-t-elle de l'éducation scolastique ?
I. Le retour aux textes originaux
II. L'importance accordée au corps
III. L'ouverture d'esprit
D'après Rabelais, qu'est-ce qui fait un homme sain et intelligent ?
I. La capacité à raisonner et disserter
II. Une ouverture d'esprit sur tous les domaines
III. L'importance accordée au corps