Sommaire
IUn monde parfait et égalitaireIIUne vie parfaitement rythméeIIILa question de l'uniformitéIVLa position du narrateurVLa tonalité polémiqueChacun est libre d'occuper à sa guise les heures comprises entre le travail, le sommeil et le repas - non pour les gâcher dans les excès de la paresse, mais afin que tous, libérés de leur métier, puissent s'adonner à quelque bonne occupation de leur choix. la plupart consacrent les heures de loisirs à l'étude. Chaque jour en effet des leçons accessibles à tous ont lieu avant le début du jour... Hommes et femmes y affluent librement, chacun choisissant la branche d'enseignement qui convient le mieux à sa forme d'esprit. Si quelqu'un préfère consacrer ces heures de surcroît à son métier, [...] on ne l'en détourne pas. Bien au contraire, on le félicite de son zèle à servir l'État.
Après le repas du soir, on passe une heure à jouer, l'été dans les jardins, l'hiver dans les salles communes [...] ; on y fait de la musique, on se distrait en causant. Les Utopiens ignorent complètement les dés et tous les jeux de ce genre, absurdes et dangereux.
Arrivés à ce point il nous faut, pour nous épargner une erreur, considérer attentivement une objection. Si chacun ne travaille que six heures par jour, penserez-vous, ne risque-t-on pas inévitablement de voir une pénurie d'objets de première nécessité ?
Bien loin de là : il arrive que cette courte journée de travail produise, non seulement en abondance, mais même en excès, tout ce qui est indispensable à l'entretien et au confort de la vie. Vous me comprendrez aisément si vous voulez bien penser à l'importante fraction de la population qui reste inactive chez les autres peuples, la presque totalité des femmes d'abord, la moitié de l'humanité ; ou bien, là où les femmes travaillent, ce sont les hommes qui ronflent à leur place. Ajoutez à cela la troupe des prêtres et de ceux qu'on appelle les religieux, combien nombreuse et oisive ! A joutez-y tous les riches et surtout les propriétaires terriens, ceux qu'on appelle les nobles. Ajoutez-y leur valetaille, cette lie de faquins en armes; et les mendiants robustes et bien portants qui inventent une infirmité pour couvrir leur paresse. Et vous trouverez, bien moins nombreux que vous ne l'aviez cru, ceux dont le travail procure ce dont les hommes ont besoin.
Thomas More
L'Utopie
1516
Un monde parfait et égalitaire
- Le monde utopique que présente Thomas More est basé sur la liberté de l'homme : "chacun est libre", "à sa guise", "librement", "chacun choisissant", "préfère".
- L'égalité est présente entre tous les Utopiens, hommes et femmes, il n'y a pas de titres de noblesse : "chacun", "la plupart", "tous", "hommes et femmes".
- Il y a une valorisation du travail manuel à une époque où il est dévalorisé : "beaucoup d'hommes qui ne sont tentés par aucune science, aucune spéculation".
- On note des valeurs humanistes avec l'importance accordée à l'étude : "leçons accessibles à tous". Il y a l'idée de l'éducation pour tous.
- Les Utopiens peuvent apprendre ce qu'ils veulent : "la branche d'enseignement qui lui convient le mieux".
- Une certaine importance est accordée au plaisir : "à jouer", "divertissements", "distrait".
Une vie parfaitement rythmée
- C'est la description de la journée d'un Utopien. L'évocation est chronologique.
- Les Utopiens travaillent six heures par jour, trois le matin et trois l'après-midi.
- Ils consacrent trois heures aux loisirs ou à du travail supplémentaire.
- Ils ont une heure de jeux après le repas du soir.
- Ils consacrent du temps à manger et dormir.
La question de l'uniformité
- Le texte présente une société uniforme. Tous les Utopiens semblent identiques. C'est une vie collective où l'individu semble être ignoré.
- La vie est toujours décrite en groupe : "les salles communes qui servent de réfectoire".
- Les journées sont toutes pareilles : "avant le début du jour", "après le repas du soir".
- Le texte est donc ambigu. Thomas More décrit une société idéale dans le sens où tout le monde est égal. Il écrit à l'époque d'Henri VIII, roi d'Angleterre, un siècle où les inégalités sont alors très importantes. Il a l'espoir d'une société égalitaire. En même temps, cette vie parfaitement uniforme et organisée a quelque chose d'inquiétant.
La position du narrateur
- Le narrateur prend le lecteur à partie avec l'utilisation du "vous" : "penserez-vous", "si vous voulez bien penser".
- Il y a plusieurs impératifs, "ajoutez" est répété trois fois. Il y a l'idée que le narrateur présente quelque chose au lecteur.
- On trouve aussi le futur : "vous me comprendrez aisément", "vous trouverez". Cela permet la projection du lecteur dans le futur.
- Le narrateur souligne ainsi que le lecteur ne peut qu'être d'accord avec lui. C'est une argumentation presque mathématique : "ajoutez" et "vous trouverez".
La tonalité polémique
- Il y a une tonalité polémique dans le texte. Le ton est très autoritaire.
- On retrouve des attaques contre la société anglaise du XVIe siècle. À l'inégalité de son temps, Thomas More oppose une société idéale.
- Il dénonce le temps de travail. Les Utopiens ont six heures de travail, ce qui est relativement peu comparé aux travailleurs anglais qui n'avaient pas de limite de temps.
- Le lexique péjoratif est utilisé : "inactive", "ronflent", "oisive", "trouve", "ceux qu'on appelle", "valetaille", "lie de faquins", "inventent".
- Il y a une anaphore avec "ajoutez".
- On note plusieurs répétitions comme "ceux qu'on appelle".
- Il y a également une accumulation avec la répétition de la conjonction de coordination "et".
- Des attaques virulentes contre ceux qui ne font rien sont faites, contre les "hommes qui ronflent", les "prêtres", les "nobles", les "valets", et les "mendiants".
En quoi ce texte peint-il une société utopique ?
I. L'égalité entre tous les hommes
II. Une éducation humaniste pour tous
III. Une vie de paix et d'amour
En quoi cette représentation d'une société utopique est-elle ambiguë ?
I. La liberté et l'égalité de tous
II. Une journée parfaitement réglée
III. L'uniformisation de la société, une atmosphère inquiétante
Que dénonce Thomas More ?
I. L'inégalité
II. Le manque d'éducation
III. La fainéantise