Métropole, 2015, voie ES
L'Asie du Sud et de l'Est : les défis de la population et de la croissance
Que signifie NPIA ?
Parmi les plans suivants, lequel aurait pu permettre de traiter le sujet ?
Comment appelle-t-on la théorie économique qui a conduit les pays asiatiques à se développer dans le cadre de la mondialisation ?
Quelle part l'Asie du Sud et de l'Est représente-t-elle dans la population mondiale ?
Quelles sont les deux grandes puissances démographiques de la région ?
En 1973, Alain Peyrefitte publiait un essai retentissant dont le titre sonnait comme un avertissement prémonitoire : Quand la Chine s'éveillera…le monde tremblera. Il y démontrait avec brio que la Chine, pays alors en retard de développement et en pleine transition démographique, avait le potentiel pour devenir une puissance économique majeure à moyen terme. Les propos d'Alain Peyrefitte ont en partie été vérifiés ces dernières années : la Chine, première puissance démographique au monde avec ses 1,3 milliards d'habitants, a connu une croissance économique fulgurante et est devenue la deuxième puissance économique mondiale talonnant les États-Unis. Croissance démographique et croissance économique iraient-elles de pair ?
L'exemple chinois peut nous amener à nous pencher sur la situation de l'Asie du Sud et de l'Est qui comprend à elle seule près de 55% de la population mondiale et enregistre des taux de croissance économique importants depuis une quinzaine d'années. Cette région dynamique et fortement peuplée connaît encore le mal-développement et se trouve confrontée à des défis de taille. On pourra donc s'interroger sur les défis que l'Asie du Sud et de l'Est a à relever en termes de croissance économique et de croissance démographique. En d'autres termes, la croissance démographique est-elle un atout pour la croissance et le développement de la région ? Et comment mettre la croissance économique au diapason du développement durable qui entend répondre aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs selon le rapport Brundtland de 1987 ?
Il nous appartiendra donc d'envisager dans un premier temps les grandes caractéristiques démographiques de la région avant de considérer ses caractéristiques économiques puis d'envisager les défis que la région doit surmonter.
Les dynamiques démographiques de l'Asie du Sud et de l'Est
Une région qui concentre une population nombreuse et dynamique
L'Asie du Sud et de l'Est est un foyer majeur de population à l'échelle mondiale : elle concentre en effet 3,8 milliards d'habitants en 2011, soit 55% de la population mondiale. Très nettement, l'Asie pèse donc aujourd'hui beaucoup plus qu'au début du XXe siècle en raison de la vigueur de sa croissance démographique.
En effet, l'Asie a connu, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, une explosion démographique vigoureuse en lien avec la transition démographique : la baisse du taux de mortalité et le maintien de l'indice synthétique de fécondité et du taux de natalité ont provoqué une augmentation sensible du taux d'accroissement naturel. Comme ailleurs dans le monde, cette transition démographique est en lien avec les progrès de la médecine et le développement économique qui permettent de lutter contre la mortalité et d'accroître l'espérance de vie. Si la région a connu une véritable explosion démographique dans la seconde moitié du XXe siècle, il faut souligner qu'aujourd'hui cette croissance ralentit fortement, notamment en Asie de l'Est. L'Asie du Sud reste quant à elle encore dynamique et, on estime que la population indienne devrait dépasser la population chinoise au cours de la première moitié du XXIe siècle. De ce point de vue, la politique de l'enfant unique, mise en place dans les années 1970, a porté ses fruits, à tel point que le gouvernement chinois la remet en cause car il est confronté à moyen terme au défi du vieillissement. Ce phénomène de vieillissement de la population est particulièrement marqué au Japon (on parle de "choc argenté") : la part des moins de 25 ans est en déclin dans la population et celle des plus de 60 ans ne cesse d'augmenter, ce qui nous amène à souligner la corrélation qui semble exister entre démographie et développement.
Cette population nombreuse se répartit inégalement à l'échelle du territoire régional.
Une inégale répartition de la population sur le territoire
Il faut noter de prime abord que la région présente une densité de population moyenne importante : avec 150 hab/km2, c'est trois fois la moyenne mondiale. Mais il apparaît que cette moyenne, comme toutes les moyennes, est trompeuse et ne permet pas d'appréhender la réalité de la situation puisque la région est marquée par des pleins et des vides démographiques.
La population asiatique est en effet inégalement répartie à l'échelle régionale puisque deux foyers de population s'imposent : l'Asie du Sud et ses 1,7 milliards d'habitants et l'Asie de l'Est et ses 1,6 milliards d'âmes. Avec 700 millions d'habitants, l'Asie du Sud-Est apparaît comme un foyer secondaire à l'échelle régionale. Cette inégalité se retrouve surtout lorsque que l'on analyse le poids des pays : deux géants démographiques s'imposent clairement : la Chine et ses 1,3 milliards d'habitants ; l'Inde et ses 1,25 milliards d'habitants. Ces deux pays rassemblent à eux seuls 68% de la population de la région et plus de 35% de la population mondiale.
Cette inégalité de répartition se retrouve à l'échelle régionale puisqu'on trouve des foyers de population très densément peuplés sur les littoraux, notamment à Java, aux Philippines, mais aussi sur côtes orientales et méridionales de l'Inde et de la Chine. On peut aussi rappeler que les vallées fluviales comme la vallée du Huang He, la vallée du Yangzi-Jiang en Chine, mais aussi la vallée du Brahmapoutre en Inde sont particulièrement peuplées. A contrario, la région présente des déserts de population importants, notamment à l'intérieur des terres : le désert de Gobi en Mongolie, le désert du Thar en Inde ou la Chine intérieure en sont les meilleurs exemples.
La répartition de cette population est par ailleurs influencée par la transition urbaine qui marque la région et modifie sensiblement les équilibres. On peut de prime abord souligner que la population asiatique est faiblement urbanisée (42%) si l'on compare avec les pays riches et développés du Nord mais qu'elle concentre 43% des citadins du monde (1,7 milliards). Là encore cependant, il faut souligner l'inégalité caractéristique de la région en terme d'urbanisation : la Corée du Sud affiche ainsi 83% de citadins quand l'Inde n'en affiche que 35%.
Pour appréhender la réalité, il faut voir la dynamique en cours : la région connaît un phénomène généralisé d'urbanisation accélérée avec un fort exode rural : c'est la transition urbaine qui se concrétise par l'explosion du nombre de citadins et par l'étalement urbain qui marque les villes asiatiques. Cette transition urbaine se traduit aussi par la multiplication des mégapoles qui abritent plus de 10 millions d'habitants : on considère que 199 des 500 mégapoles mondiales se situent aujourd'hui dans la région. Sans compter que la région compte certaines des plus grandes villes mondiales : Tokyo est ainsi, et de loin, la plus grande ville au monde avec ses 37 millions d'habitants, suivie de Shanghai (23 millions), Bombay (21), Osaka-Kobe (20), et Pékin (19,5). Bombay devrait détrôner Tokyo d'ici 2050.
La région connaît donc un phénomène de métropolisation important qu'il faut lier à l'émergence économique : en effet, le dynamisme économique des villes asiatiques tend à attirer une population en quête d'emploi.
Une région émergente
Une forte croissance économique
D'un point de vue économique, il est peu de dire que la région est une région globalement émergente qui affiche des taux de croissance du PIB bien supérieurs à la moyenne mondiale depuis plus d'une décennie : entre 8 et 10% contre 1 à 3% pour les pays occidentaux. L'Asie représente ainsi une part croissante du PIB mondial : alors qu'elle pesait moins d'un quart de celui-ci dans les années 1980, elle représentait près de 35% en 2012 et on estime que sa part dépassera les 40% à la fin de la décennie. Cette croissance est nourrie par une activité commerciale débordante dans le cadre de la mondialisation : l'Asie représente près de 30% du commerce mondial de marchandises et 25% des services.
Cette croissance économique asiatique n'est cependant pas homogène à l'échelle de la région. La Chine apparaît comme le moteur économique avec des taux de croissance à deux chiffres dans les années 2000 ; l'Inde semble moins dynamique et le Japon est en situation de stagflation depuis le début des années 1990. Ces inégalités s'expliquent par la date d'entrée des pays dans le jeu économique mondialisé et par leur arrivée à maturité. Cela s'explique aussi par les choix de spécialisation fonctionnelle des pays et par le rôle de l'État dans l'accompagnement de la croissance.
Des générations d'oies sauvages
La révolution industrielle est née en Europe avant de se diffuser aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. L'Asie a longtemps semblé en marge et la domination coloniale ou semi-coloniale des Européens l'a maintenue dans une situation de dépendance économique nuisible, à l'exception notable du Japon qui, depuis l'ère Meiji a tenté de combler son retard en intégrant les techniques les plus modernes de l'Occident. Les pays de la région, à des dates différentes, ont tenté de combler leur retard de développement et de mener des politiques actives visant à rattraper l'Occident. À cet égard, on peut citer la théorie dite du "vol d'oies sauvages" qui a été définie par l'économiste japonais Kaname Akamatsu (1896 - 1974) dans les années 1930 et qui prend en compte le fonctionnement du système libéral tel que Adam Smith et David Ricardo l'ont théorisé à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, notamment, sur la question des avantages comparatifs.
Pour les tenants du "vol d'oies sauvages", il s'agit de définir un secteur d'activité dans lequel le pays jouit d'un avantage comparatif indéniable afin de le développer pour l'export. En général, il s'agit des secteurs liés à l'extraction de ressources naturelles ou à la production manufacturière de base nécessitant une main-d'œuvre nombreuse, peu qualifiée et peu onéreuse. Cette production sera massivement exportée et les bénéfices ainsi générés pourront être réinvestis dans des secteurs plus valorisants : c'est ce qu'on appelle la remontée de filière. Cela permettra d'augmenter la valeur ajoutée de la production et de développer progressivement le pays. Cette théorie suppose donc, on l'aura compris, une intégration aux circuits économiques mondiaux et l'acceptation des règles du libre-échange.
Le Japon des années 1950 - 1960 est le premier pays à appliquer cette théorie : il passe de la production textile et sidérurgique à la production automobile puis développe l'industrie électronique et informatique avant d'investir dans les nanotechnologies. Le rôle du METI (Ministère de l'économie, du commerce et de l'industrie) est essentiel ; c'est lui qui oriente les investissements et élabore le plan d'ensemble. Le Japon connaît ainsi son miracle économique et une période de haute croissance qui le conduit à devenir la deuxième puissance économique mondiale dès 1968.
Les NPIA (Nouveaux pays industrialisés d'Asie) prennent à leur tour leur envol : les Dragons que sont la Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan s'imposent dans les années 1970 comme des puissances émergentes concurrençant sérieusement les pays développés ; les Tigres que sont la Thaïlande, la Malaisie, l'Indonésie, le Vietnam et les Philippines suivent le même modèle dans les années 1980. La Chine opère de son côté une révolution silencieuse avec Deng Xiaoping (1904 - 1997) qui crée les Zones économiques spéciales (ZES) sur les littoraux dans le cadre des "quatre modernisations" de la fin des années 1970. La Chine devient "l'atelier du monde" et entre dans "l'économie socialiste de marché" qui la conduit à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001. Comme ses concurrents régionaux, elle a pu bénéficier de sa démographie dynamique : jouissant d'une main-d'œuvre pléthorique, elle a pu produire à bas coût pour le monde entier et s'imposer comme un acteur incontournable de l'économie mondialisée.
Une intégration croissante de l'économie asiatique
Les pays asiatiques représentent plus de 30% du commerce mondial et près de 35% du PIB mondial ; l'Asie est un donc pôle de croissance majeur à l'échelle planétaire et la Chine, en tant qu'"atelier du monde", apparaît comme un maillon incontournable de l'économie mondiale. On peut rappeler à cet égard que la Chine et l'Inde font partie des BRICS qui rassemblent les pays émergents les plus dynamiques et soucieux de peser sur les affaires du monde. Ils comptent dans les négociations menées à l'OMC ou dans le cadre du G20. L'intégration croissante des pays asiatiques se traduit par le nombre de plus en plus important de firmes transnationales qui en sont originaires : l'Asie comptait ainsi, en 2013, 171 des 500 plus grandes entreprises mondiales (Acer, Pétronas, Sony, Toyota, Sinopec, Tata, Samsung, etc.). Par ailleurs, l'intégration asiatique se traduit par la part croissante qu'elle représente dans le trafic maritime mondial : elle exporte ses produits manufacturés et importe des matières premières en quantité croissante.
Si l'Asie est ouverte sur le monde, elle commerce aussi avec elle-même : 55% du commerce extérieur des pays asiatiques se fait désormais au sein de la région. Cette intégration régionale passe par l'AFTA (Asean Free Trade Area) créée en 2002 pour renforcer les liens économiques entre les pays de la région. On peut aussi noter que les IDE intra-asiatiques sont importants : le Japonais Toyota s'implante ainsi en Chine et dans la plupart des pays de la région pour produire et vendre ses véhicules : c'est le "circuit intégré asiatique".
Malgré, ou à cause de, cette part croissante de l'Asie dans la croissance économique mondiale et son développement effréné, un certain nombre de défis doivent être relevés.
Des défis à relever
La question du développement humain
Malgré une forte croissance économique, la pauvreté touche encore plusieurs centaines de millions de personnes. Cette pauvreté se traduit par une malnutrition chronique : on estime que 12% de la population souffre de malnutrition à l'échelle régionale. Globalement donc, le niveau de développement humain reste faible en comparaison des standards occidentaux. Hormis au Japon, en Corée du Sud, à Taïwan, à Hong Kong et à Singapour, l'IDH est toujours inférieur à 0,8. L'Asie du Sud semble plus en retard de développement que l'Asie de l'Est.
La croissance a créé des inégalités fortes entre les territoires et entre les catégories sociales. Les littoraux sont généralement plus développés que l'intérieur des terres : c'est le cas en Chine où les littoraux sont bien intégrés à la mondialisation et en tirent des bénéfices alors que la Chine continentale en est exclue et vit dans la pauvreté. Les villes sont plus développées que les campagnes ; elles sont les points d'appui de la mondialisation, des centres de commandement à différentes échelles et produisent plus de richesse. À cet égard, on peut opposer Shanghai aux campagnes de la Chine centrale. Dans les villes enfin, on constate une forte ségrégation socio-spatiale : les Central Business District (CBD) à l'occidentale se développent à quelques encablures de grands bidonvilles, à l'exemple de Mumbai qui accueille le plus grand bidonville d'Inde dans le quartier de Dharavi. Une élite bien intégrée cohabite donc avec une masse plus pauvre ; ces inégalités socio-économiques sont criantes et sont mises en lumière grâce à l'indice de Gini. On estime que l'écart de revenu peut aller de 1 à 10 entre les plus riches et les plus pauvres. Ces inégalités posent de manière plus générale la question de la durabilité du modèle de développement asiatique.
Le modèle de développement asiatique est-il durable ?
Les pays plus avancés connaissent des taux de croissance plus faibles que leurs voisins et assez proches de ceux des pays du Nord. Le Japon, depuis 1992, même s'il reste un pays riche et prospère, a une croissance atone. La Chine et, dans une moindre mesure l'Inde, connaissent un ralentissement économique depuis quelques années en raison de leur forte dépendance aux marchés du Nord passablement déprimés depuis la crise financière de 2008. La Chine est passée de 12% de croissance au milieu des années 2000 à 7% en 2014. Le modèle de développement extraverti rencontre donc ses limites ; le développement du marché intérieur semble s'imposer mais les classes moyennes ne sont pas assez nombreuses pour prendre le relais de la demande mondiale. Pour ce faire, il faudrait lutter plus efficacement contre les inégalités socio-économiques mais l'augmentation progressive et relative du coût de la main-d'œuvre dans certains pays au nom de cette lutte réduit l'attractivité et la compétitivité, ce qui fait décliner l'activité économique. La Chine est en train de connaître cette évolution qui, après avoir consenti des augmentations de salaires, se voit concurrencer par des pays à plus bas coûts de main-d'œuvre comme le Bangladesh dont la population est toujours en croissance et dans une situation très précaire.
Après avoir connu le boom démographique dans la seconde moitié du XXe siècle, l'Asie s'apprête à devoir faire face au vieillissement de sa population, ce qui constitue pour elle un défi d'autant plus grand qu'elle est encore marquée par un certain mal-développement. Plus âgée, la population est moins compétitive et plus coûteuse (soins, retraites…) ; elle innove moins. Ce "choc argenté" touche déjà le Japon mais, à moyen terme, c'est toute la région qui sera concernée. La Chine qui a profité de son trop-plein démographique pendant des années voit son modèle remis en cause : elle ne peut plus faire valoir son capital humain comme un avantage comparatif ; au contraire, à terme, cela risque de la pénaliser.
Enfin, la durabilité du modèle économique asiatique se pose d'un point de vue énergétique et environnemental. Pour alimenter sa machine économique, l'Asie consomme beaucoup d'énergie ; sa consommation de pétrole a augmenté de 73% entre 1990 et 2005 et sa consommation de charbon de 99% ! Cette forte dépendance fragilise la région et hypothèque son avenir à l'heure de la raréfaction des ressources. Cette dépendance aux énergies fossiles pose aussi des problèmes en termes de qualité de l'air. L'Asie est devenue la première émettrice de CO2 du monde et la Chine a dépassé les États-Unis et ceci n'est pas sans avoir des conséquences en termes de santé publique à moyen et long termes.
L'Asie du Sud et de l'Est est donc une région particulièrement dynamique qui a connu des taux de croissance économique et démographique très importants au cours des dernières décennies. La région a pu bénéficier de l'atout démographique pour accélérer son développement économique : avec une main-d'œuvre nombreuse et peu coûteuse, elle a pu devenir "l'atelier du monde" en profitant de la mondialisation et de la libéralisation des échanges commerciaux.
Cependant, ce modèle de développement semble atteindre aujourd'hui ses limites comme en témoigne le tassement du taux de croissance. La durabilité de ce modèle est questionnée. Pour autant, il paraît prématuré de dire que l'Asie est en voie d'assoupissement.