Dans quelle mesure l'amélioration du niveau de vie en Asie du Sud et de l'Est engendre-t-elle des inégalités, voire des conflits ?
Quels espaces profitent le plus de la croissance ?
Comment a évolué le nombre de personnes vivant dans la pauvreté absolue ?
Quelle est la part des personnes vivant dans la pauvreté absolue au sein de la population indienne ?
La formidable croissance économique que de nombreux pays asiatiques ont connue, au cours des dernières décennies, s'est accompagnée de l'émergence dans ces pays d'une classe moyenne dont les caractéristiques seraient proches de celle des pays riches et d'une classe aisée. Cependant cela crée d'importantes inégalités qui ne sont pas sans provoquer des tensions.
L'émergence de la classe moyenne en Asie du Sud est rendue possible par la conjonction de deux facteurs liés : l'urbanisation et le développement du secteur tertiaire. En effet, les classes moyennes se concentrent dans les centres urbains. En Inde, 60% des effectifs de la classe moyenne habitent en ville. Au Pakistan, le taux d'urbanisation, en constante augmentation depuis les années 70, est passé de 30% en 2000 à 37,4% en 2012. Les ménages urbains pakistanais dépensent d'ailleurs en moyenne 90 euros de plus par mois en biens de consommation qu'un ménage rural. Au Sri Lanka, la classe moyenne représente 35,1% des ménages citadins et seulement 17,2% des ménages ruraux. Cette prédominance de la classe moyenne dans les environnements urbains conduit celle-ci à revendiquer de meilleures infrastructures, notamment dans les transports, l'énergie et l'accès à l'eau. Le phénomène d'urbanisation participe à l'émergence des services, secteur pourvoyeur d'emplois salariés et de revenus plus stables. Le développement des services permet à une nouvelle frange de la population d'occuper des emplois salariés et de dégager une épargne, point de départ de la constitution d'une classe moyenne.
Presque partout en Asie, le niveau de vie moyen s'élève, avec de profondes conséquences sociales. Une minorité s'enrichit brutalement, les classes moyennes s'étoffent et consomment de plus en plus, la grande pauvreté recule en part relative : entre 1981 et 2005, le taux d'extrême pauvreté en Asie de l'Est est passé de 79 à 18%. Toutefois il reste 280 millions d'Asiatiques de l'Est vivant avec moins d'1,25 $ par jour (175 millions en Chine) et 570 millions d'Asiatiques du Sud. L'Asie demeure le continent qui compte le plus de pauvres. On a l'habitude de dire qu'en Inde il y a de la croissance sans qu'il n'y ait de développement en dehors de quelques poches urbaines. Le problème se pose de manière encore plus accentuée dans ses voisins d'Asie du Sud. En Chine le mécontentement social s'exprime par des grèves, des révoltes locales à propos desquelles les autorités chinoises ne communiquent même plus du fait de leur expansion. Dans les grandes villes littorales les mingongs qui vivent comme des citoyens de second rang (pas de droits sociaux, pas de scolarisation publique pour leurs enfants) sont expulsés mais commencent à résister aux expulsions. Dans les campagnes souvent surpeuplées, l'enjeu est de continuer à intensifier et moderniser l'agriculture sans perdre d'emplois, pour ne pas alimenter l'exode rural. On assiste actuellement en Asie à l'exode rural le plus massif que l'histoire a jamais connu.
En Chine, les inégalités sont profondes entre les régions littorales, moteurs de la croissance, et l'intérieur où des poches de pauvreté persistent, ce qui, superposé aux questions nationales, suscite la contestation tibétaine ou ouïghoure. En Inde, les Etats de la moitié sud-ouest ont un revenu par habitant trois fois supérieur à ceux qui sont dans la moitié nord-est. Les Etats les plus riches et leurs métropoles (Mumbai) s'enrichissent encore plus vite que les autres, parce qu'ils attirent les investissements extérieurs. Des contestations sont envisageables, comme celles du passé, au Pendjab, l'Etat du Nord-Ouest frontalier du Pakistan, qui avait une communauté sikh majoritaire et un niveau de vie très supérieur à la moyenne nationale. Les deux se sont combinés pour donner un séparatisme violent dans les années 1980, lorsque l'élite pendjabie en a eu assez d'être le grenier à blé de l'Inde et a voulu créer un Etat sikh. Aujourd'hui les tensions entre hindous et musulmans (13%) demeurent fortes. Au Gujarat, le gouvernement local, nationaliste hindouiste, refuse d'appliquer la politique sociale nationale de promotion de la minorité musulmane.
- Le niveau de vie a augmenté en Asie et une classe moyenne est apparue.
- De nombreux Asiatiques vivent encore sous le seuil de pauvreté.
- Des tensions sociales éclatent dans un grand nombre de ces pays.