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La force de l'argumentation se nourrit-elle de l'expérience vécue ? Dissertation type bac

Ce contenu a été rédigé par l'équipe éditoriale de Kartable.

Dernière modification : 24/10/2018 - Conforme au programme 2018-2019

Pondichéry, 2012, voie S

Vous développerez votre propos en vous appuyant sur les textes du corpus, sur les œuvres que vous avez étudiées en classe et sur celles que vous avez lues.

Dans quelle mesure la force d'une argumentation se nourrit-elle de l'expérience vécue ?

Document 1

Texte A : Jean de La Fontaine, "Le Loup et le Chien", Fables, livre I, V

1668

Le Loup et le Chien

Un loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli1, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire loup l'eût fait volontiers.
Mais il fallait livrer bataille ;
Et le mâtin2 était de taille
À se défendre hardiment.
Le loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
"Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères3, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? Rien d'assuré ; point de franche lippée4 :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin."
Le loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le chien, donner la chasse aux gens
Portants5 bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire ;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs6 de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse."
Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du chien pelé.
"Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor."
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.

1 Poli : le poil luisant
2 Mâtin : chien puissant
3 Hères : hommes misérables
4 Lippée : nourriture abondante et facile
5 Orthographe de l'époque ; même remarque pour "mendiants"
6 Reliefs : restes

Document 2

Texte B : Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation, livre IV

1762

Encore un coup, les plaisirs exclusifs sont la mort du plaisir. Les vrais amusements sont ceux qu'on partage avec le peuple ; ceux qu'on veut avoir à soi seul, on ne les a plus. Si les murs que j'élève autour de mon parc m'en font une triste clôture, je n'ai fait à grands frais que m'ôter le plaisir de la promenade : me voilà forcé de l'aller chercher au loin. Le démon de la propriété infecte tout ce qu'il touche. Un riche veut être partout le maître et ne se trouve bien qu'où il ne l'est pas ; il est forcé de se fuir toujours. Pour moi, je ferai là-dessus dans ma richesse ce que j'ai fait dans ma pauvreté. Plus riche maintenant du bien des autres que je ne serai jamais du mien, je m'empare de tout ce qui me convient dans mon voisinage ; il n'y a pas de conquérant plus déterminé que moi ; j'usurpe1 sur les princes mêmes ; je m'accommode sans distinction de tous les terrains ouverts qui me plaisent ; je leur donne des noms, je fais de l'un mon parc, de l'autre ma terrasse, et m'en voilà le maître ; dès lors, je m'y promène impunément, j'y reviens souvent pour maintenir la possession ; j'use autant que je veux le sol à force d'y marcher, et l'on ne me persuadera jamais que le titulaire du fonds que je m'approprie tire plus d'usage de l'argent qu'il lui produit que j'en tire de son terrain. Que si l'on vient à me vexer par des fossés, par des haies, peu m'importe ; je prends mon parc sur mes épaules, et je vais le poser ailleurs ; les emplacements ne manquent pas aux environs, et j'aurai longtemps à piller mes voisins avant de manquer d'asile.
Voilà quelque essai du vrai goût dans le choix des loisirs agréables ; voilà dans quel esprit on jouit ; tout le reste n'est qu'illusion, chimère, sotte vanité. Quiconque s'écartera de ces règles, quelque riche qu'il puisse être, mangera son or en fumier, et ne connaîtra jamais le prix de la vie.
On m'objectera sans doute que de tels amusements sont à la portée de tous les hommes, et qu'on n'a pas besoin d'être riche pour les goûter : c'est précisément à quoi j'en voulais venir. On a du plaisir quand on en veut avoir ; c'est l'opinion seule qui rend tout difficile, qui chasse le bonheur devant nous, et il est cent fois plus aisé d'être heureux que de le paraître. L'homme de goût et vraiment voluptueux n'a que faire de richesse ; il lui suffit d'être libre et maître de lui. Quiconque jouit de la santé et ne manque pas du nécessaire, s'il arrache de son cœur les biens de l'opinion, est assez riche ; c'est l'aurea mediocritas2 d'Horace. Gens à coffres-forts, cherchez donc quelque autre emploi de votre opulence3, car pour le plaisir elle n'est bonne à rien. Émile ne saura pas tout cela mieux que moi, mais, ayant le cœur plus pur et plus sain, il le sentira mieux encore, et toutes ses observations dans le monde ne feront que le lui confirmer.

1 J'usurpe : je m'empare de ce qui ne m'appartient pas
2 Aurea mediocritas : "médiocrité dorée", art de vivre dans la juste mesure
3 Opulence : richesse

Document 3

Texte C : Victor Hugo, "Ultima verba", Les Châtiments, VII, 17

1853

Louis-Napoléon Bonaparte a été élu président de la Seconde République en décembre 1848. Le 2 décembre 1851, il s'autoproclame Empereur par un coup d'État. Il exerce dès lors un pouvoir dictatorial et réprime l'opposition républicaine. Hugo s'exile et compose Les Châtiments, recueil poétique destiné à discréditer le régime de Napoléon III.

Ultima verba1

[…]
Mes nobles compagnons, je garde votre culte ;
Bannis2, la République est là qui nous unit.
J'attacherai la gloire à tout ce qu'on insulte ;
Je jetterai l'opprobre3 à tout ce qu'on bénit !
Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre4,
La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non !
Tandis que tes valets te montreront ton Louvre,
Moi, je te montrerai, César5, ton cabanon6.
Devant les trahisons et les têtes courbées,
Je croiserai les bras, indigné, mais serein.
Sombre fidélité pour les choses tombées,
Sois ma force et ma joie et mon pilier d'airain !
Oui, tant qu'il sera là, qu'on cède ou qu'on persiste,
Ô France ! France aimée et qu'on pleure toujours,
Je ne reverrai pas ta terre douce et triste,
Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours !
Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente,
France ! hors le devoir, hélas ! j'oublierai tout.
Parmi les éprouvés je planterai ma tente :
Je resterai proscrit7, voulant rester debout.
J'accepte l'âpre exil, n'eût-il ni fin ni terme,
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu'un a plié qu'on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s'en vont qui devraient demeurer.
Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla8 ;
S'il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là !
Jersey, 2 décembre 1852

1 Ultima verba : "mes derniers mots".
2  Bannis : exilés ; désigne les républicains refusant le coup d'État de Louis-Napoléon.
3  Je jetterai l'opprobre : j'attacherai le déshonneur à.
4  Le sac de cendre qui me couvre : le sac et la cendre sont dans la Bible les marques de la fonction prophétique et les symboles du deuil.
5  César : désigne l'empereur Napoléon III.
6  Cabanon : cellule où l'on enferme les fous dangereux.
7  Proscrit : exilé, chassé.
8  Sylla : dictateur romain qui élimina ses opposants par les massacres et l'exil ; désigne ici Napoléon III.

Document 4

Texte D : Émile Zola, Germinal, IIIe partie, 3

1885

Étienne Lantier, mineur logé chez les Maheu, discute avec eux chaque soir des conditions de vie des mineurs. Un silence se faisait, tous soufflaient un instant, dans le malaise vague de cet horizon fermé. Seul, le père Bonnemort1, s'il était là, ouvrait des yeux surpris, car de son temps on ne se tracassait pas de la sorte : on naissait dans le charbon, on tapait à la veine2, sans en demander davantage ; tandis que, maintenant, il passait un air qui donnait de l'ambition aux charbonniers.
– Faut cracher sur rien, murmurait-il. Une bonne chope est une bonne chope… Les chefs, c'est souvent de la canaille ; mais il y aura toujours des chefs, pas vrai ? inutile de se casser la tête à réfléchir là-dessus.
Du coup, Étienne s'animait. Comment ! la réflexion serait défendue à l'ouvrier ! Eh ! justement, les choses changeraient bientôt, parce que l'ouvrier réfléchissait à cette heure. Du temps du vieux, le mineur vivait dans la mine comme une brute, comme une machine à extraire la houille, toujours sous la terre, les oreilles et les yeux bouchés aux événements du dehors. Aussi les riches qui gouvernent, avaient-ils beau jeu de s'entendre, de le vendre et de l'acheter, pour lui manger la chair : il ne s'en doutait même pas. Mais, à présent, le mineur s'éveillait au fond, germait dans la terre ainsi qu'une vraie graine ; et l'on verrait un matin ce qu'il pousserait au beau milieu des champs : oui, il pousserait des hommes, une armée d'hommes qui rétabliraient la justice. Est-ce que tous les citoyens n'étaient pas égaux depuis la Révolution ? puisqu'on votait ensemble, est-ce que l'ouvrier devait rester l'esclave du patron qui le payait ? Les grandes Compagnies, avec leurs machines, écrasaient tout, et l'on n'avait même plus contre elles les garanties de l'ancien temps, lorsque les gens du même métier, réunis en corps, savaient se défendre. C'était pour ça, nom de Dieu ! et pour d'autres choses, que tout péterait un jour, grâce à l'instruction. On n'avait qu'à voir dans le coron3 même : les grands-pères n'auraient pu signer leur nom, les pères le signaient déjà, et quant aux fils, ils lisaient et écrivaient comme des professeurs. Ah ! ça poussait, ça poussait petit à petit, une rude moisson d'hommes, qui mûrissait au soleil ! Du moment qu'on n'était plus collé chacun à sa place pour l'existence entière, et qu'on pouvait avoir l'ambition de prendre la place du voisin, pourquoi donc n'aurait-on pas joué des poings, en tâchant d'être le plus fort ?

1 Bonnemort : surnom d'un vieux mineur, Vincent Maheu, grand-père d'une famille nombreuse employée à la mine.
2 Veine : désigne la couche de charbon, le filon de houille.
3 Coron : habitat dans lequel logent les familles des mineurs.

Quel outil utilise La Fontaine pour argumenter ?

Document A : Jean de La Fontaine, "Le Loup et le Chien", Fables, livre I, V

1668

Le Loup et le Chien

Un loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli1, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire loup l'eût fait volontiers.
Mais il fallait livrer bataille ;
Et le mâtin2 était de taille
À se défendre hardiment.
Le loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
"Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères3, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? Rien d'assuré ; point de franche lippée4 :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin."
Le loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le chien, donner la chasse aux gens
Portants5 bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire ;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs6 de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse."
Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du chien pelé.
"Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor."
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.

1 Poli : le poil luisant
2 Mâtin : chien puissant
3 Hères : hommes misérables
4 Lippée : nourriture abondante et facile
5 Orthographe de l'époque ; même remarque pour "mendiants"
6 Reliefs : restes

Quel processus Rousseau utilise-t-il pour argumenter ?

Document B : Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation, livre IV

1762

Encore un coup, les plaisirs exclusifs sont la mort du plaisir. Les vrais amusements sont ceux qu'on partage avec le peuple ; ceux qu'on veut avoir à soi seul, on ne les a plus. Si les murs que j'élève autour de mon parc m'en font une triste clôture, je n'ai fait à grands frais que m'ôter le plaisir de la promenade : me voilà forcé de l'aller chercher au loin. Le démon de la propriété infecte tout ce qu'il touche. Un riche veut être partout le maître et ne se trouve bien qu'où il ne l'est pas ; il est forcé de se fuir toujours. Pour moi, je ferai là-dessus dans ma richesse ce que j'ai fait dans ma pauvreté. Plus riche maintenant du bien des autres que je ne serai jamais du mien, je m'empare de tout ce qui me convient dans mon voisinage ; il n'y a pas de conquérant plus déterminé que moi ; j'usurpe1 sur les princes mêmes ; je m'accommode sans distinction de tous les terrains ouverts qui me plaisent ; je leur donne des noms, je fais de l'un mon parc, de l'autre ma terrasse, et m'en voilà le maître ; dès lors, je m'y promène impunément, j'y reviens souvent pour maintenir la possession ; j'use autant que je veux le sol à force d'y marcher, et l'on ne me persuadera jamais que le titulaire du fonds que je m'approprie tire plus d'usage de l'argent qu'il lui produit que j'en tire de son terrain. Que si l'on vient à me vexer par des fossés, par des haies, peu m'importe ; je prends mon parc sur mes épaules, et je vais le poser ailleurs ; les emplacements ne manquent pas aux environs, et j'aurai longtemps à piller mes voisins avant de manquer d'asile.
Voilà quelque essai du vrai goût dans le choix des loisirs agréables ; voilà dans quel esprit on jouit ; tout le reste n'est qu'illusion, chimère, sotte vanité. Quiconque s'écartera de ces règles, quelque riche qu'il puisse être, mangera son or en fumier, et ne connaîtra jamais le prix de la vie.
On m'objectera sans doute que de tels amusements sont à la portée de tous les hommes, et qu'on n'a pas besoin d'être riche pour les goûter : c'est précisément à quoi j'en voulais venir. On a du plaisir quand on en veut avoir ; c'est l'opinion seule qui rend tout difficile, qui chasse le bonheur devant nous, et il est cent fois plus aisé d'être heureux que de le paraître. L'homme de goût et vraiment voluptueux n'a que faire de richesse ; il lui suffit d'être libre et maître de lui. Quiconque jouit de la santé et ne manque pas du nécessaire, s'il arrache de son cœur les biens de l'opinion, est assez riche ; c'est l'aurea mediocritas2 d'Horace. Gens à coffres-forts, cherchez donc quelque autre emploi de votre opulence3, car pour le plaisir elle n'est bonne à rien. Émile ne saura pas tout cela mieux que moi, mais, ayant le cœur plus pur et plus sain, il le sentira mieux encore, et toutes ses observations dans le monde ne feront que le lui confirmer.

1 J'usurpe : je m'empare de ce qui ne m'appartient pas
2 Aurea mediocritas : "médiocrité dorée", art de vivre dans la juste mesure
3 Opulence : richesse

Quelle émotion Victor Hugo veut-il éveiller chez le lecteur en utilisant son exil ?

Document C : Victor Hugo, "Ultima verba", Les Châtiments, VII, 17

1853

Louis-Napoléon Bonaparte a été élu président de la Seconde République en décembre 1848. Le 2 décembre 1851, il s'autoproclame empereur par un coup d'État. Il exerce dès lors un pouvoir dictatorial et réprime l'opposition républicaine. Hugo s'exile et compose Les Châtiments, recueil poétique destiné à discréditer le régime de Napoléon III.

Ultima verba1

[…]
Mes nobles compagnons, je garde votre culte ;
Bannis2, la République est là qui nous unit.
J'attacherai la gloire à tout ce qu'on insulte ;
Je jetterai l'opprobre3 à tout ce qu'on bénit !
Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre4,
La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non !
Tandis que tes valets te montreront ton Louvre,
Moi, je te montrerai, César5, ton cabanon6.
Devant les trahisons et les têtes courbées,
Je croiserai les bras, indigné, mais serein.
Sombre fidélité pour les choses tombées,
Sois ma force et ma joie et mon pilier d'airain !
Oui, tant qu'il sera là, qu'on cède ou qu'on persiste,
Ô France ! France aimée et qu'on pleure toujours,
Je ne reverrai pas ta terre douce et triste,
Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours !
Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente,
France ! hors le devoir, hélas ! j'oublierai tout.
Parmi les éprouvés je planterai ma tente :
Je resterai proscrit7, voulant rester debout.
J'accepte l'âpre exil, n'eût-il ni fin ni terme,
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu'un a plié qu'on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s'en vont qui devraient demeurer.
Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla8 ;
S'il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là !
Jersey, 2 décembre 1852

1 Ultima verba : "mes derniers mots".
2  Bannis : exilés ; désigne les républicains refusant le coup d'État de Louis-Napoléon.
3  Je jetterai l'opprobre : j'attacherai le déshonneur à.
4  Le sac de cendre qui me couvre : le sac et la cendre sont dans la Bible les marques de la fonction prophétique et les symboles du deuil.
5  César : désigne l'empereur Napoléon III.
6  Cabanon : cellule où l'on enferme les fous dangereux.
7  Proscrit : exilé, chassé.
8  Sylla : dictateur romain qui élimina ses opposants par les massacres et l'exil ; désigne ici Napoléon III.

Comment Émile Zola nourrit-il son argumentation ?

Texte D : Émile Zola, Germinal, IIIe partie, 3

1885

Étienne Lantier, mineur logé chez les Maheu, discute avec eux chaque soir des conditions de vie des mineurs. Un silence se faisait, tous soufflaient un instant, dans le malaise vague de cet horizon fermé. Seul, le père Bonnemort1, s'il était là, ouvrait des yeux surpris, car de son temps on ne se tracassait pas de la sorte : on naissait dans le charbon, on tapait à la veine2, sans en demander davantage ; tandis que, maintenant, il passait un air qui donnait de l'ambition aux charbonniers.
– Faut cracher sur rien, murmurait-il. Une bonne chope est une bonne chope… Les chefs, c'est souvent de la canaille ; mais il y aura toujours des chefs, pas vrai ? inutile de se casser la tête à réfléchir là-dessus.
Du coup, Étienne s'animait. Comment ! la réflexion serait défendue à l'ouvrier ! Eh ! justement, les choses changeraient bientôt, parce que l'ouvrier réfléchissait à cette heure. Du temps du vieux, le mineur vivait dans la mine comme une brute, comme une machine à extraire la houille, toujours sous la terre, les oreilles et les yeux bouchés aux événements du dehors. Aussi les riches qui gouvernent, avaient-ils beau jeu de s'entendre, de le vendre et de l'acheter, pour lui manger la chair : il ne s'en doutait même pas. Mais, à présent, le mineur s'éveillait au fond, germait dans la terre ainsi qu'une vraie graine ; et l'on verrait un matin ce qu'il pousserait au beau milieu des champs : oui, il pousserait des hommes, une armée d'hommes qui rétabliraient la justice. Est-ce que tous les citoyens n'étaient pas égaux depuis la Révolution ? puisqu'on votait ensemble, est-ce que l'ouvrier devait rester l'esclave du patron qui le payait ? Les grandes Compagnies, avec leurs machines, écrasaient tout, et l'on n'avait même plus contre elles les garanties de l'ancien temps, lorsque les gens du même métier, réunis en corps, savaient se défendre. C'était pour ça, nom de Dieu ! et pour d'autres choses, que tout péterait un jour, grâce à l'instruction. On n'avait qu'à voir dans le coron3 même : les grands-pères n'auraient pu signer leur nom, les pères le signaient déjà, et quant aux fils, ils lisaient et écrivaient comme des professeurs. Ah ! ça poussait, ça poussait petit à petit, une rude moisson d'hommes, qui mûrissait au soleil ! Du moment qu'on n'était plus collé chacun à sa place pour l'existence entière, et qu'on pouvait avoir l'ambition de prendre la place du voisin, pourquoi donc n'aurait-on pas joué des poings, en tâchant d'être le plus fort ?

1 Bonnemort : surnom d'un vieux mineur, Vincent Maheu, grand-père d'une famille nombreuse employée à la mine.
2 Veine : désigne la couche de charbon, le filon de houille.
3 Coron : habitat dans lequel logent les familles des mineurs.

Qu'est-ce que convaincre ?

Qu'est-ce que persuader ?

Quelle place a l'expérience personnelle dans une argumentation ?

Quel est le plan adapté pour répondre à ce sujet ?

L'écrivain est un homme. Comme tous les hommes, il a sa vie, faite d'expériences diverses. Lorsqu'il écrit, il utilise forcément ce qui le constitue pour argumenter. Certains pensent que l'expérience personnelle est même primordiale, qu'elle est à la source de la formation de notre pensée. Ainsi, utiliser ses expériences pour argumenter serait infaillible pour remporter l'approbation du lecteur.
On peut toutefois se demander s'il n'y a pas des limites à utiliser son expérience personnelle. Par ailleurs, la force de l'argumentation vient souvent de son caractère universel. L'argumentation se nourrit donc de l'expérience vécue dans une certaine mesure, mais pas de façon générale.
D'où vient la force de l'argumentation nourrie par l'expérience personnelle ? N'y a-t-il pas des limites à utiliser simplement son vécu ?
Tout d'abord, il faudra montrer la place que l'expérience personnelle tient dans la réflexion. Ensuite, il conviendra de montrer comment la généralisation du propos est importante et quelles sont les limites de l'exemple vécu. Enfin, il faudra s'interroger sur les autres moyens de convaincre et persuader en littérature.

I

La force de l'argumentation "authentique"

A

L'expérience personnelle : un exemple

  • Une argumentation nourrie de l'expérience personnelle est plus forte, plus persuasive, car elle est plus vivante. Elle est souvent plus détaillée, plus intime. Victor Hugo, dans Les Châtiments, détaille ainsi son exil et fait sentir au lecteur ce qu'il ressent. Le lecteur s'oppose ainsi au régime de Napoléon III qui a forcé le départ de l'écrivain.
  • Les idées défendues par l'écrivain ne sont plus abstraites. Elles deviennent concrètes, elles deviennent "incarnées". Dans "Ultima verba", Victor Hugo peut ainsi légitimer sa prise de position contre Napoléon III, puisqu'il en est lui-même victime. Il ne parle plus d'autres, mais de lui. Il sert d'exemple.
  • L'auteur livre un récit personnel, une expérience personnelle. Il y a une valeur autobiographique et on peut donc parler de témoignage. On peut citer Histoire de ma vie de George Sand.
  • Le témoignage n'est pas forcément livré sous la forme d'une autobiographie. Il peut s'agir de réflexions comme Promenades du rêveur solitaire de Rousseau, ou encore d'essais comme les Essais de Montaigne. L'auteur peut aussi choisir l'apologue ou le traité. Différents genres se prêtent donc au récit d'une expérience personnelle.
  • Le témoignage de l'auteur permet en tout cas d'apporter au lecteur une nouvelle perspective sur un fait, sur une expérience.
B

Le processus d'identification

  • Parler de soi, c'est parler de l'Homme en général. On rapporte ses joies, ses peines. L'écrivain fait d'une situation personnelle une situation universelle : tout le monde comprend la tristesse, la joie, le doute et la peur.
  • Un homme peut rapporter son expérience pour servir d'exemple. Il peut aussi parler pour les autres. C'est ce que fait Primo Levi dans Si c'est un homme. Il raconte sa vie dans les camps de concentration. Son expérience permet de comprendre comment vivaient les prisonniers sous le régime nazi. C'est un peu comme si la voix des morts nous parvenait. Le lecteur comprend l'horreur du système de concentration.
  • L'utilisation de l'expérience personnelle permet l'authenticité. Le lecteur a l'impression que ce qu'on lui raconte est vrai. Il a donc confiance. Il peut alors adhérer plus facilement à la pensée de l'auteur.
  • Le lecteur peut aussi s'identifier plus facilement à un auteur qui relate un fait personnel. L'auteur suscite alors la sympathie du lecteur.

Le recours à l'expérience vécue peut être une force pour l'argumentation si l'auteur tend ensuite à la généralisation.

II

Vers la généralisation

A

La force de la démarche inductive

  • Lorsqu'il raconte son expérience personnelle, l'auteur effectue souvent une démarche inductive. Cela signifie que le cheminement de la pensée va de l'exemple à la généralisation. L'auteur prend un événement concret et le transforme en idée abstraite. Zola par exemple utilise ses personnages comme des exemples pour parler de la misère humaine. Lantier devient un symbole de la condition des mineurs.
  • L'expérience vécue persuade : elle s'adresse à la sensibilité. Le lecteur a de l'empathie.
B

L'universalité des propos

  • Chacun porte en soi "la forme entière de l'humaine condition" d'après Montaigne. L'expérience vécue peut donc devenir universelle. Elle n'est pas que personnelle, elle peut servir d'exemple. Parler de soi, c'est parler des autres.
  • En racontant son expérience personnelle, l'auteur peut convaincre plus facilement. Il parle de quelque chose qu'il a expérimenté, qu'il connaît. De plus, il peut exposer ses sentiments, ses impressions, et donc persuader le lecteur, toucher sa sensibilité. Tous les hommes font l'expérience de la vie, se posent les mêmes questions. Si un auteur se réfère à son expérience personnelle, il peut pousser le lecteur à adhérer à son point de vue.
C

L'importance de généraliser

  • L'auteur qui utilise une expérience particulière n'est pas objectif. Il est forcément influencé par ses propres sentiments. Sa réflexion peut être faussée par son expérience.
  • Les Pensées de Pascal sont influencées par son appartenance au courant janséniste. Il défend par ailleurs la religion catholique et s'attaque à plusieurs reprises aux autres religions. Si certaines pensées sont réellement universelles et parlent à tous les hommes, certaines ne peuvent pas l'être.
  • Certains auteurs écrivent pour un certain lectorat. Rousseau base toute son expérience sur le fait qu'il est un homme. Souvent, dans ses écrits, il rejette l'idée que la femme peut être l'égale de l'homme et comprendre ses écrits.
  • L'expérience vécue n'est pas un argument logique. Elle ne peut pas être érigée en loi. C'est un cas particulier. Il faut généraliser.
  • L'expérience vécue persuade plus qu'elle ne convainc : elle s'adresse à la sensibilité plus qu'à la raison. Le pathos (sentiments, émotions) ne permet pas au lecteur de réfléchir avec un esprit clair. Il a de l'empathie. Il va donc avoir tendance à être influencé. L'expérience personnelle doit donc avant tout être un exemple.
  • Il faut prendre du recul, réfléchir. La pensée ne doit pas accepter un seul exemple, il faut voir le problème ou la question dans son ensemble. L'expérience du deuil d'une personne par exemple ne sera pas la même qu'une autre (Meursault dans L'Étranger et les poèmes de Victor Hugo dans Les Contemplations après la mort de sa fille).
  • L'expérience personnelle peut changer. En effet, on peut changer d'avis sur un événement, on peut, après quelque temps, voir les choses autrement. Ainsi, Montaigne n'a pas cessé de réécrire les Essais jusqu'à sa mort.
  • Une expérience ne suffit pas, il faut une pluralité d'expériences.

La force de l'expérience vécue en argumentation a donc des limites. Il y a d'autres façons pour convaincre et persuader.

III

Les limites de cette démarche

A

La fiction pour éveiller l'empathie

  • La fiction peut convaincre le lecteur. Émile Zola n'a pas vécu ce qu'il raconte. Dans le texte du corpus, Lantier est un personnage fictif. Zola n'est pas un ouvrier, il a reçu une très bonne éducation, il écrit des romans, il n'a pas une vie difficile. Pourtant, il est capable de se mettre dans la peau d'un personnage mineur, non éduqué, qui réclame des droits. Zola utilise sa connaissance des idées révolutionnaires, son engagement en faveur des plus démunis. Mais c'est la situation de Lantier qui émeut le lecteur et le rattache à ses idées. La fiction a donc un fort pouvoir persuasif.
  • L'empathie du lecteur peut naître sans utilisation du vécu. Par exemple, dans Journal d'un condamné, Victor Hugo parvient à placer le lecteur dans la peau d'un condamné à mort. Il n'a pas vécu cette situation, il peut tout de même se mettre à la place de l'homme, et émouvoir le lecteur.
  • Certaines situations dans la fiction rappellent au lecteur des expériences qu'il a vécues, d'autres non, mais qui parviennent néanmoins à le toucher. La force d'une argumentation vient donc aussi de la capacité de l'écrivain à créer des personnages qui semblent vrais, dont les soucis et les malheurs peuvent parler au lecteur, même s'ils n'ont pas expérimenté eux-mêmes ce dont ils parlent.
B

Avoir des arguments

  • L'expérience personnelle doit avant tout servir d'exemple. Elle ne peut pas être un argument. L'auteur doit donc nourrir sa réflexion d'arguments pour efficacement mener une argumentation.
  • Il faut prendre en compte plusieurs exemples, plusieurs idées, et les confronter pour mieux valider son opinion. C'est ce que fait La Fontaine dans la fable du corpus. Il met en scène deux personnages qui débattent des pour et des contre de la domestication.
  • Pour se forger une idée juste du monde, il faut conjuguer l'expérience vécue avec d'autres éléments argumentatifs. Il faut multiplier les sources. Dans les Essais, Montaigne ne cesse de faire référence à d'autres auteurs, ou bien à la vie de certains proches. Il pousse le lecteur à lire les œuvres antiques pour se former une opinion de leurs idées.
  • Tout comme on ne peut pas se contenter d'un seul auteur (Montaigne, Pascal et Rousseau doivent être lus ensemble, discutés, comparés), on ne peut se contenter d'un exemple. L'expérience vécue a sa place dans l'argumentation, et peut être un exemple très fort, mais elle ne doit pas prendre le dessus sur la réflexion et la raison.

En conclusion, l'expérience vécue peut alimenter l'argumentation efficacement. Les anecdotes que racontent les auteurs peuvent servir à mieux appréhender certaines idées, certains événements. Le lecteur se sent plus proche de l'auteur. Cette méthode permet de s'attirer la sympathie du lecteur. Mais elle ne doit pas devenir une vérité générale. Elle doit s'inscrire dans une démonstration, elle doit servir d'exemple parmi d'autres. Le lecteur doit donc prendre de la distance. L'expérience personnelle doit lancer la réflexion, elle ne doit pas être le but ultime d'une argumentation.
Par ailleurs, il existe d'autres façons de convaincre efficacement. La fiction permet de placer le lecteur dans la tête d'un personnage, et même si ce personnage n'a rien vécu que l'auteur a vécu, on peut être ému. L'auteur doit aussi multiplier les exemples, ne pas se servir uniquement de son expérience personnelle. Il est important de faire dialoguer différentes idées et différents exemples entre eux.

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