Pondichéry, 2012, voie S
Un descendant des Maheu, devenu médecin, a été sollicité par un journaliste dans le cadre d'une enquête sur les évolutions de la société. Dans la lettre qu'il lui adresse en réponse, il explique comment, en quelques générations, sa famille s'est libérée de la mine grâce à l'instruction.
Texte D : Émile Zola, Germinal, IIIe partie, 3
1668
Étienne Lantier, mineur logé chez les Maheu, discute avec eux chaque soir des conditions de vie des mineurs. Un silence se faisait, tous soufflaient un instant, dans le malaise vague de cet horizon fermé. Seul, le père Bonnemort1, s'il était là, ouvrait des yeux surpris, car de son temps on ne se tracassait pas de la sorte : on naissait dans le charbon, on tapait à la veine2, sans en demander davantage ; tandis que, maintenant, il passait un air qui donnait de l'ambition aux charbonniers.
– Faut cracher sur rien, murmurait-il. Une bonne chope est une bonne chope… Les chefs, c'est souvent de la canaille ; mais il y aura toujours des chefs, pas vrai ? inutile de se casser la tête à réfléchir là-dessus.
Du coup, Étienne s'animait. Comment ! la réflexion serait défendue à l'ouvrier ! Eh ! justement, les choses changeraient bientôt, parce que l'ouvrier réfléchissait à cette heure. Du temps du vieux, le mineur vivait dans la mine comme une brute, comme une machine à extraire la houille, toujours sous la terre, les oreilles et les yeux bouchés aux événements du dehors. Aussi les riches qui gouvernent, avaient-ils beau jeu de s'entendre, de le vendre et de l'acheter, pour lui manger la chair : il ne s'en doutait même pas. Mais, à présent, le mineur s'éveillait au fond, germait dans la terre ainsi qu'une vraie graine ; et l'on verrait un matin ce qu'il pousserait au beau milieu des champs : oui, il pousserait des hommes, une armée d'hommes qui rétabliraient la justice. Est-ce que tous les citoyens n'étaient pas égaux depuis la Révolution ? puisqu'on votait ensemble, est-ce que l'ouvrier devait rester l'esclave du patron qui le payait ? Les grandes Compagnies, avec leurs machines, écrasaient tout, et l'on n'avait même plus contre elles les garanties de l'ancien temps, lorsque les gens du même métier, réunis en corps, savaient se défendre. C'était pour ça, nom de Dieu ! et pour d'autres choses, que tout péterait un jour, grâce à l'instruction. On n'avait qu'à voir dans le coron3 même : les grands-pères n'auraient pu signer leur nom, les pères le signaient déjà, et quant aux fils, ils lisaient et écrivaient comme des professeurs. Ah ! ça poussait, ça poussait petit à petit, une rude moisson d'hommes, qui mûrissait au soleil ! Du moment qu'on n'était plus collé chacun à sa place pour l'existence entière, et qu'on pouvait avoir l'ambition de prendre la place du voisin, pourquoi donc n'aurait-on pas joué des poings, en tâchant d'être le plus fort ?
1 Bonnemort : surnom d'un vieux mineur, Vincent Maheu, grand-père d'une famille nombreuse employée à la mine.
2 veine : désigne la couche de charbon, le filon de houille.
3 coron : habitat dans lequel logent les familles des mineurs.
Texte D : Émile Zola, Germinal, IIIe partie, 3
1668
Étienne Lantier, mineur logé chez les Maheu, discute avec eux chaque soir des conditions de vie des mineurs. Un silence se faisait, tous soufflaient un instant, dans le malaise vague de cet horizon fermé. Seul, le père Bonnemort1, s'il était là, ouvrait des yeux surpris, car de son temps on ne se tracassait pas de la sorte : on naissait dans le charbon, on tapait à la veine2, sans en demander davantage ; tandis que, maintenant, il passait un air qui donnait de l'ambition aux charbonniers.
– Faut cracher sur rien, murmurait-il. Une bonne chope est une bonne chope… Les chefs, c'est souvent de la canaille ; mais il y aura toujours des chefs, pas vrai ? inutile de se casser la tête à réfléchir là-dessus.
Du coup, Étienne s'animait. Comment ! la réflexion serait défendue à l'ouvrier ! Eh ! justement, les choses changeraient bientôt, parce que l'ouvrier réfléchissait à cette heure. Du temps du vieux, le mineur vivait dans la mine comme une brute, comme une machine à extraire la houille, toujours sous la terre, les oreilles et les yeux bouchés aux événements du dehors. Aussi les riches qui gouvernent, avaient-ils beau jeu de s'entendre, de le vendre et de l'acheter, pour lui manger la chair : il ne s'en doutait même pas. Mais, à présent, le mineur s'éveillait au fond, germait dans la terre ainsi qu'une vraie graine ; et l'on verrait un matin ce qu'il pousserait au beau milieu des champs : oui, il pousserait des hommes, une armée d'hommes qui rétabliraient la justice. Est-ce que tous les citoyens n'étaient pas égaux depuis la Révolution ? puisqu'on votait ensemble, est-ce que l'ouvrier devait rester l'esclave du patron qui le payait ? Les grandes Compagnies, avec leurs machines, écrasaient tout, et l'on n'avait même plus contre elles les garanties de l'ancien temps, lorsque les gens du même métier, réunis en corps, savaient se défendre. C'était pour ça, nom de Dieu ! et pour d'autres choses, que tout péterait un jour, grâce à l'instruction. On n'avait qu'à voir dans le coron3 même : les grands-pères n'auraient pu signer leur nom, les pères le signaient déjà, et quant aux fils, ils lisaient et écrivaient comme des professeurs. Ah ! ça poussait, ça poussait petit à petit, une rude moisson d'hommes, qui mûrissait au soleil ! Du moment qu'on n'était plus collé chacun à sa place pour l'existence entière, et qu'on pouvait avoir l'ambition de prendre la place du voisin, pourquoi donc n'aurait-on pas joué des poings, en tâchant d'être le plus fort ?
1 Bonnemort : surnom d'un vieux mineur, Vincent Maheu, grand-père d'une famille nombreuse employée à la mine.
2 veine : désigne la couche de charbon, le filon de houille.
3 coron : habitat dans lequel logent les familles des mineurs.
Quel début de lettre vous paraît convenable ?
Dans le genre épistolaire, que faut-il utiliser ?
À quel courant littéraire appartient Emile Zola ?
Texte D : Émile Zola, Germinal, IIIe partie, 3
1668
Étienne Lantier, mineur logé chez les Maheu, discute avec eux chaque soir des conditions de vie des mineurs. Un silence se faisait, tous soufflaient un instant, dans le malaise vague de cet horizon fermé. Seul, le père Bonnemort1, s'il était là, ouvrait des yeux surpris, car de son temps on ne se tracassait pas de la sorte : on naissait dans le charbon, on tapait à la veine2, sans en demander davantage ; tandis que, maintenant, il passait un air qui donnait de l'ambition aux charbonniers.
– Faut cracher sur rien, murmurait-il. Une bonne chope est une bonne chope… Les chefs, c'est souvent de la canaille ; mais il y aura toujours des chefs, pas vrai ? inutile de se casser la tête à réfléchir là-dessus.
Du coup, Étienne s'animait. Comment ! la réflexion serait défendue à l'ouvrier ! Eh ! justement, les choses changeraient bientôt, parce que l'ouvrier réfléchissait à cette heure. Du temps du vieux, le mineur vivait dans la mine comme une brute, comme une machine à extraire la houille, toujours sous la terre, les oreilles et les yeux bouchés aux événements du dehors. Aussi les riches qui gouvernent, avaient-ils beau jeu de s'entendre, de le vendre et de l'acheter, pour lui manger la chair : il ne s'en doutait même pas. Mais, à présent, le mineur s'éveillait au fond, germait dans la terre ainsi qu'une vraie graine ; et l'on verrait un matin ce qu'il pousserait au beau milieu des champs : oui, il pousserait des hommes, une armée d'hommes qui rétabliraient la justice. Est-ce que tous les citoyens n'étaient pas égaux depuis la Révolution ? puisqu'on votait ensemble, est-ce que l'ouvrier devait rester l'esclave du patron qui le payait ? Les grandes Compagnies, avec leurs machines, écrasaient tout, et l'on n'avait même plus contre elles les garanties de l'ancien temps, lorsque les gens du même métier, réunis en corps, savaient se défendre. C'était pour ça, nom de Dieu ! et pour d'autres choses, que tout péterait un jour, grâce à l'instruction. On n'avait qu'à voir dans le coron3 même : les grands-pères n'auraient pu signer leur nom, les pères le signaient déjà, et quant aux fils, ils lisaient et écrivaient comme des professeurs. Ah ! ça poussait, ça poussait petit à petit, une rude moisson d'hommes, qui mûrissait au soleil ! Du moment qu'on n'était plus collé chacun à sa place pour l'existence entière, et qu'on pouvait avoir l'ambition de prendre la place du voisin, pourquoi donc n'aurait-on pas joué des poings, en tâchant d'être le plus fort ?
1 Bonnemort : surnom d'un vieux mineur, Vincent Maheu, grand-père d'une famille nombreuse employée à la mine.
2 veine : désigne la couche de charbon, le filon de houille.
3 coron : habitat dans lequel logent les familles des mineurs.
Quel genre littéraire doit-être adopté ?
- Il s'agit ici d'écrire une lettre. C'est le genre épistolaire. On attend de l'élève qu'il respecte la forme de la lettre. Cela signifie qu'il faut une date (ultérieure au texte de Zola), un objet, une formule de politesse (Cher monsieur), des paragraphes, une formule de salutation, et le nom de la personne qui écrit en fin de lettre.
- Une connaissance historique des évolutions dans la société française est nécessaire pour s'atteler à ce travail.
- La lettre est destinée à un journaliste pour une enquête. Le style doit donc être formel, le langage soutenu. On évitera tout débordement émotionnel, ce n'est pas le but ici. Le personnage qui écrit la lettre ne connaît pas le journaliste.
- Le descendant des Maheu est devenu médecin. C'est donc un homme éduqué qui a un poste plutôt élevé dans la société. Sa famille étant d'origine modeste, on s'attend à ce qu'il défende l'accès à l'éducation. Plusieurs termes dans l'intitulé valident cette idée, comme "évolutions", "libérée" et "grâce à l'instruction".
- Il s'agit d'un témoignage. Le personnage doit expliquer comment sa famille a eu accès à l'éducation. On attend une lettre qui raconte l'histoire de la famille, donc utilisation du passé. Il faut partir des personnages présents dans le texte du corpus, et imaginer qui sont les descendants.
- L'intitulé du sujet mentionne "quelques générations". Il faut donc parler d'au moins deux générations.
- On attend un texte qui défende l'accès à l'instruction. L'élève doit être capable de montrer pourquoi l'éducation peut libérer les opprimés.
Professeur Maheu Paris, le 10 janvier 1960
152 rue de Rennes
75 014, Paris
Cher Monsieur,
Je vous écris cette lettre en réponse à votre sollicitation. Vous me questionniez sur la façon dont les évolutions dans la société française m'ont aidé à devenir ce que je suis aujourd'hui, c'est-à-dire médecin. Il est vrai qu'en quelques générations, ma famille a connu de grands changements. Il est tout à fait intéressant de comprendre comment j'ai pu devenir médecin, alors que mes arrière-grands-parents étaient mineurs.
On peut dire que l'"ascenseur social" a été bénéfique pour moi. En effet, l'école m'a permis d'accéder à un statut social que ma famille n'avait encore jamais eu. Je voudrais ici rendre hommage à mes instituteurs et mes professeurs. Grâce à eux, j'ai reçu une très bonne instruction. Ils m'ont poussé à bien travailler à l'école, puis à continuer mes études après le lycée. Jamais je ne serais allé à l'université sans leurs encouragements.
Il faut d'abord que je vous parle un peu de ma famille. Mon grand-père, Henri, était le petit-fils de Bonnemort, et le fils de Toussaint Maheu, tous deux mineurs. Lorsque j'étais enfant, je le respectais beaucoup. Il me répétait sans cesse que je devais bien me tenir à l'école, écouter l'instituteur et faire mes devoirs. Il insistait sur le fait que seule l'école pouvait me faire "devenir quelqu'un". Il avait donné les mêmes conseils à mon propre père. Henri avait été très marqué par la vie de ses ancêtres, et notamment par la mort de son oncle, qui avait été fusillé. Il voulait que ses descendants sortent de la misère qu'il avait lui-même connue. Mon père avait ainsi continué ses études, et il était devenu comptable. Cette situation plaisait à mon grand-père Henri, mais il me poussait à faire mieux que mon père.
Mon grand-père n'avait pas pu aller à l'école. Il était persuadé que seule l'instruction pouvait permettre à son propre fils d'échapper aux mines. Il est mort en 1925, à cause d'un problème des poumons. Mon père a été très fier que je décide de poursuivre des études de médecine, il pensait que c'était une belle revanche sur la vie. Il regrettait simplement que son propre père n'ait pas pu être guéri.
Mon grand-père et mon père assuraient que l'oppression des mineurs était possible car ils ne savaient ni lire ni écrire. Mon père a d'ailleurs appris à mon grand-père à lire, et je me souviendrai toujours de la fierté qu'il avait à pouvoir lire le journal, même s'il butait encore sur certains mots.
L'idée que l'instruction puisse libérer les peuples ne vient pas de mon grand-père Henri, mais de mon arrière-grand-père, que je n'ai pas connu. Il avait rencontré un certain Étienne Lantier, qui l'a convaincu que seule l'instruction permettrait aux mineurs de se libérer. Il avait bien raison. Ces idées étaient très jacobines, mais aussi communistes. Il évoquait souvent Karl Marx. Il était contre le pouvoir des patrons et pour des droits sociaux. C'est après son passage parmi les mineurs que ma famille a commencé à développer une pensée politique. Après le travail, tout le monde essayait de s'instruire.
Je suis l'héritier de cette idée que l'école peut sauver, aider à avoir une vie meilleure. C'est grâce à l'idée selon laquelle les ouvriers devaient être respectés et accéder à l'éducation que j'ai pu devenir médecin aujourd'hui. Je dédie d'ailleurs beaucoup de mon temps à la visite de quartiers difficiles, afin de consulter les malades qui sont trop pauvres pour bénéficier de soins médicaux. Je pense que la seule façon de se libérer de la bêtise et de la pauvreté, c'est d'aller à l'école, d'apprendre ses leçons, et surtout de croire que tout est possible. Un descendant de mineur peut devenir médecin. Pourquoi pas président ?
Je vous prie, Monsieur, d'agréer l'expression de mes salutations distinguées,
Professeur Maheu