Sommaire
IS'interroger sur le romanAVers la définition usuelle1Influence de l'épopée2Le roman, un objet de divertissement3Une littérature qui réfléchit sur l'hommeBUn rapport à la réalité qui reste problématique1Une réalité qui a du mal à s'installer2Vers l'effet de réel3Une réalité déconstruiteIIS'interroger sur le personnageALe personnage, entre perfection et défauts1Un être parfait2Des défauts3Un être caractérisé par ses défautsBQuantité et qualité d'informations sur le personnage1Une caractérisation bien fournie2Le refus de cette identitéCRegards portés par les auteurs sur leurs personnagesS'interroger sur le roman
Vers la définition usuelle
Influence de l'épopée
Le roman trouve sa source dans les poèmes épiques très longs de l'Antiquité. La définition de roman s'affine au Moyen Âge avec la chanson de geste.
Entre -19 et -29, le poète Virgile compose l'Énéide, qui raconte comment le prince troyen Énée fuit sa ville mise à sac par les Grecs et erre sur la Méditerranée avant de fonder en Italie la ville d'Albe. Cet exemple montre que le roman a d'abord tiré ses sujets d'événements mythiques ou historiques, comme l'épopée.
La Chanson de Roland, célèbre chanson de geste du XIIe siècle, raconte, en vers, les exploits guerriers et la mort du chevalier Roland, neveu de Charlemagne.
Le roman, un objet de divertissement
Le roman a d'abord pour but de divertir le lecteur.
Dans Les Égarements du cœur et de l'esprit de Crébillon fils, un jeune homme cherche à séduire la meilleure amie de sa mère et finit par arriver à ses fins. La morale en est discutable : le narrateur en vient à affirmer que rien n'est impossible à un jeune homme entreprenant. En aucun cas ce roman ne dénonce ses actions. Cet exemple montre que parfois le roman n'a d'autre objectif que de divertir le lecteur.
Dans l'Odyssée du grec Homère, le lecteur suit avec plaisir les péripéties d'Ulysse pour rentrer à Ithaque. Sur son chemin, il rencontre de très nombreux obstacles. Le dieu Poséidon est en colère contre lui, car il a aveuglé son fils le cyclope Polyphème. Il rend son épopée difficile. Ulysse doit lutter contre des sirènes séductrices, des monstres, et même des vents contraires. Le plaisir du lecteur naît du fait que le héros sort vainqueur de son périple et retrouve sa femme Pénélope.
Alexandre Dumas a écrit de nombreux romans qui sont avant tout des moyens de divertir le lecteur. Ce dernier suit avec joie les exploits d'Athos, Portos, Aramis et d'Artagnan qui luttent perpétuellement contre les complots de Richelieu dans Les Trois Mousquetaires.
Une littérature qui réfléchit sur l'homme
Même les auteurs qui cherchent à divertir les lecteurs poussent à réfléchir sur la société des hommes et la condition humaine.
Don Quichotte de Cervantès raconte l'histoire d'un homme qui prend ses lectures pour la réalité. Persuadé d'être un chevalier, il erre sur les routes afin de combattre des ennemis qui s'avèrent imaginaires, comme dans le célèbre épisode des moulins à vent.
Gargantua, de François Rabelais, raconte les aventures d'un groupe de géants et de leurs vassaux. Cependant, derrière ces personnages grotesques se cache une critique de la société française de l'époque. On peut notamment y lire une proposition pour une autre société possible, dans les chapitres consacrés à l'abbaye de Thélème. Ce roman est l'un des premiers à s'interroger sur l'utilité didactique du genre romanesque.
Comme beaucoup de romans moralistes du XVIIe siècle, La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette se propose d'instruire son lectorat. Ce roman met en œuvre un personnage fictif qui, selon le narrateur, aurait vécu à la cour d'Henri II. Cette femme est un modèle de vertu. Bien qu'amoureuse du duc de Nemours qui l'aime en retour, la princesse résiste à ce sentiment. En effet, elle veut rester fidèle à son époux. Lorsque ce dernier meurt, elle se refuse toujours à Nemours, par peur qu'il cesse un jour de l'aimer.
Dans l'"Avis au lecteur" de Manon Lescaut, écrit par l'abbé Prévost, le narrateur entend dénoncer les dangers du vice en racontant les déboires du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, la femme qu'il a aimée. Le roman met également en œuvre des détails libertins qui font douter le lecteur de la dimension moralisatrice du texte.
Un rapport à la réalité qui reste problématique
Une réalité qui a du mal à s'installer
Le roman n'est d'abord pas très fidèle à la réalité.
Dans L'Astrée d'Honoré d'Urfé, des bergers et des bergères se trouvent séparés les uns des autres, dans une forêt magique, dès le début du roman. Chacun cherche à retrouver la personne qui occupe ses pensées. Cet exemple montre la tentation pour certains auteurs d'avoir recours à l'évocation d'un imaginaire merveilleux.
La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette s'inscrit dans le contexte historique de la France du XVIe siècle. Cependant, les détails historiques sont très peu présents et des anachronismes existent. Le roman met en œuvre une réalité déformée, idéalisée.
Certains romanciers, comme Choderlos de Laclos dans Les Liaisons dangereuses, ont recours à la forme épistolaire pour donner l'illusion de raconter une histoire vraie. La succession des lettres donne l'impression que les événements se sont réellement produits.
Vers l'effet de réel
Petit à petit s'installe un souci de réalisme chez les écrivains, qui culmine au XIXe siècle.
Dans Les Misérables, Victor Hugo dresse le portrait de différents personnages appartenant à toutes les couches sociales de la société : des miséreux comme Fantine, des nantis à l'image de l'évêque de Digne, des hommes de bien et des tristes sires. Cet exemple montre que les romans du XIXe siècle entendent refléter davantage la réalité dans le roman.
Les romans réalistes entendent refléter la société de leur temps pour en dénoncer les injustices. Dans Le Père Goriot, Honoré de Balzac raconte les destins contraires de deux hommes qui vivent dans une même pension de famille. Tandis que le jeune et ambitieux Eugène de Rastignac évolue chaque jour un peu plus dans le grand monde, il assiste à la déchéance de son voisin, le vieux père Goriot, qui se sacrifie chaque jour pour fournir à ses deux filles tout le luxe qu'elles réclament.
Un roman, c'est un miroir qu'on promène le long d'un chemin.
Stendhal
Le Rouge et le Noir, Paris, éd. Levasseur
1830
Cette citation justifie la définition donnée par Stendhal du roman réaliste. Elle insiste sur la ressemblance quasi symétrique entre le monde réel qui inspire le romancier réaliste et celui qui est décrit dans l'œuvre.
Le Rouge et le Noir de Stendhal est inspiré d'un fait divers survenu dans la région de Grenoble : un jeune homme, éconduit par sa maîtresse, une femme mariée, la tue un dimanche à l'église. Il est condamné à mort.
Le roman naturaliste reprend également la dimension réflexive sur la société. Dans Pot-Bouille, Zola n'hésite pas à décrire de manière très crue les réalités d'un accouchement. Il ne tait aucun détail, pas même les plus ragoûtants. Il entend ainsi informer le lecteur de la manière dont se déroule un accouchement.
Une réalité déconstruite
À partir du XXe siècle, les romanciers se mettent à questionner la réalité, qui devient étrange ou absurde dans leurs œuvres.
Dans Le Procès de Franz Kafka, la ville de Budapest devient un espace labyrinthique. La réalité représentée n'est plus tout à fait logique.
Dans Les Gommes d'Alain Robbe-Grillet, le narrateur suit l'enquête menée par le personnage central, nommé Wallas, qui recherche l'assassin d'un certain Daniel Dupont. Cependant, le cadre spatio-temporel est protéiforme : sa mémoire lui joue des tours, il ne reconnaît pas la ville où, enfant, il était venu voir son père. Le récit présente de nombreuses énigmes, par exemple la raison pour laquelle Wallas recherche une gomme bien spécifique. Ainsi, ce roman est un exemple de représentation incohérente et déformée de la réalité.
Dans Zazie dans le métro, publié en 1959, Raymond Queneau emploie une langue alliant le registre soutenu, pourvu de nombreuses images, et une langue plus prosaïque, à la fois populaire et amusante. Le langage lui-même se fait donc moins réaliste. Le genre romanesque flirte avec les autres genres littéraires, comme la poésie.
S'interroger sur le personnage
Le personnage, entre perfection et défauts
Un être parfait
Au début, le roman présente des personnages assez simples, et les héros sont souvent des êtres parfaits.
Dans l'Odyssée, Homère raconte les aventures d'Ulysse, héros de la guerre de Troie, qui erre sur les mers dans l'espoir d'un retour vers son pays. Ce personnage est un fin stratège et un homme moralement exemplaire.
Dans La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette, le personnage éponyme est un exemple de vertu et respecte en cela les idéaux de la tradition romanesque. Toutefois, cette femme est en proie à une passion qu'elle s'évertue à combattre : elle aime profondément le duc de Nemours, que, même veuve, elle refusera d'épouser, au nom de l'idéal de cet amour.
Des défauts
Plusieurs romanciers s'intéressent toutefois aux défauts de leurs personnages.
Le personnage de Gauvain, exemple parfait de l'idéal chevaleresque, est présent dans de nombreux romans de Chrétien de Troyes (comme Yvain ou le Chevalier au lion). Il est présenté comme le plus grand chevalier au monde. Il allie force et dextérité dans son art et il est également un homme courtois envers les femmes et secourable envers les plus faibles, comme les pauvres, les veuves et les orphelins. Cependant, dans les derniers romans du cycle, ce personnage est jugé trop sûr de lui, donc trop orgueilleux pour être digne de trouver le Graal, un objet accessible uniquement à un chevalier parfait (que symbolise Galaad dans Le Conte du Graal).
Le Chevalier à la charrette de Chrétien de Troyes raconte les aventures du chevalier Lancelot qui se déroulent dans l'univers imaginaire du royaume de Logres. Ce chevalier présente encore des caractéristiques positives, mais son attachement à la reine Guenièvre (qui est mariée) le rend imparfait.
Un être caractérisé par ses défauts
Dans certains romans, les auteurs se concentrent sur les défauts des personnages.
Don Quichotte, roman espagnol de Cervantès, raconte les aventures rocambolesques du personnage éponyme, qui, dans un délire continu, se prend pour un chevalier du temps jadis. Il est accompagné par un serviteur, Sancho Pansa, qui veille sur son maître et tente de le ramener à la raison. Ce roman se moque des clichés sur le personnage du chevalier.
Dans Le Roman comique publié en 1651, Scarron met en œuvre une troupe de comédiens. Les comédiens vivaient très souvent dans la misère et le vagabondage. Ce roman est l'un des premiers à raconter les aventures de personnages autrefois jugés peu dignes d'intérêt.
Dans Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline raconte les pérégrinations de Ferdinand Bardamu : la Première Guerre mondiale, les usines américaines, les colonies, etc. Ce picaro des temps modernes met le lecteur en présence de la misère humaine et de la méchanceté. Cet exemple montre qu'un personnage très imparfait peut être le centre d'un récit et susciter un certain intérêt chez le lecteur.
Quantité et qualité d'informations sur le personnage
Une caractérisation bien fournie
Au XIXe siècle particulièrement, les romanciers livrent des descriptions très précises des personnages, tant physiques que psychologiques. Ils suivent leurs héros dans leur évolution humaine.
Au début du Père Goriot d'Honoré de Balzac, le narrateur dresse le portrait d'un personnage central dans le roman, la mère Vauquer, propriétaire de la pension où se déroule le récit. Détails physiques, gestes et paroles rapportées s'entremêlent pour représenter une femme austère et cupide, mais dans le fond secourable.
Dans La Chartreuse de Parme de Stendhal, le personnage principal se nomme Fabrice del Dongo. Il est le fils cadet de la famille, il a un frère et un père. Il vit sous la protection de sa tante, qui l'affectionne. Son histoire se déroule dans les années qui suivent l'abdication de Napoléon Ier. Il est tour à tour soldat, prisonnier et prédicateur. Il est également fou amoureux de Clélia Conti, avec qui il vit une histoire d'amour jusqu'à son décès, et dont il a un fils, Sandrino. Cet exemple montre que les romanciers ont pu, à certains moments de l'histoire littéraire, établir une véritable identité sociale pour leurs personnages.
Faire concurrence à l'état civil.
Honoré de Balzac
Avant-propos à La Comédie humaine, dans Œuvres complètes de H. de Balzac, tome 1, Paris, éd. Houssiaux (1855)
1842
Cette citation justifie la définition du personnage de roman selon Honoré de Balzac. D'après lui, un roman doit présenter un réseau de personnages à l'image de la société humaine, dans toute son étendue et toutes ses disparités.
Dans Les Misérables de Victor Hugo, le narrateur décrit Cosette aux différents âges de sa vie. Par ailleurs, cette dernière présente un passé, celui de son arrivée chez les Thénardier, et un avenir, avec Marius. Cet exemple montre que le portrait d'un personnage peut également comporter des indications biographiques et présenter une progression, comme pour une personne réelle.
Du côté de chez Swann, roman de Marcel Proust publié en 1913, s'ouvre sur des souvenirs du narrateur. Ces souvenirs sont pour lui l'occasion de réfléchir sur le fonctionnement de la mémoire. La caractérisation du personnage se fait ici par l'introspection. Ce sont les souvenirs, les réflexions et les pensées du personnage qui permettent de le définir.
Dans Madame Bovary, Flaubert se moque de l'héroïne, qui cherche à calquer son existence sur celle, idéale, des personnages de roman. Cet exemple montre que la description détaillée d'un personnage est si courante à la fin du XIXe siècle que certains auteurs en jouent pour inviter le lecteur à prendre du recul vis-à-vis de la vraisemblance romanesque.
Le refus de cette identité
La caractérisation réaliste des personnages est remise en cause par les écrivains du XXe siècle.
Dans Le Procès de Franz Kafka, le personnage central, Joseph K., n'a pas de nom de famille identifiable. Son identité manque de réalité.
Dans L'Étranger d'Albert Camus, le héros n'est nommé que par son nom de famille, Meursault, ce qui limite la dimension intime de son portrait. Par ailleurs, le texte élude toute description physique de certains personnages (notamment le narrateur-personnage).
Chez Nathalie Sarraute, certains personnages n'ont même plus de nom ou de prénom, comme dans Les Fruits d'or.
Dans Les Gommes, Alain Robbe-Grillet fait du passé et de l'avenir du personnage central, nommé Wallas, une question à élucider.
Regards portés par les auteurs sur leurs personnages
Les personnages imaginaires m'affolent, me poursuivent, ou plutôt c'est moi qui suis dans leur peau.
Gustave Flaubert
Correspondance, Paris, éd. Louis Conard (1926)
1866
Cette citation montre à quel point Flaubert s'assimile à ses personnages.
Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d'êtres, se comporte dans une société, en s'épanouissant pour donner naissance à dix, à vingt individus qui paraissent, au premier coup d'œil, profondément dissemblables, mais que l'analyse montre intimement liés les uns aux autres. L'hérédité a ses lois, comme la pesanteur.
Émile Zola
La Fortune des Rougon, Paris, éd. Charpentier (1879)
1871
Cette citation de la préface montre que Zola fait du personnage un être réaliste au point de devenir le cobaye d'une expérience.
Si je soupçonne que les actions futures du héros sont fixées à l'avance par l'hérédité, les influences sociales ou quelque autre mécanisme, mon temps reflue sur moi ; il ne reste plus que moi, moi qui lis, moi qui dure, en face d'un livre immobile. Voulez-vous que vos personnages vivent ? Faites qu'ils soient libres.
Jean-Paul Sartre
Situations I, Paris, éd. Gallimard, coll. "Blanche"
1947
Jean-Paul Sartre rappelle que le personnage n'est qu'une fiction. Si le lecteur n'est plus fasciné par le récit, par exemple parce que les personnages ou les situations sont schématiques, il ne prendra plus de plaisir à lire.
Nous en a-t-on assez parlé du "personnage" ! Et ça ne semble, hélas, pas près de finir. Cinquante années de maladie, le constat de son décès enregistré à maintes reprises par les plus sérieux essayistes, rien n'a encore réussi à le faire tomber du piédestal où l'avait placé le XIXe siècle. [...]
Aucune des grandes œuvres contemporaines ne correspond en effet sur ce point aux normes de la critique.
Alain Robbe-Grillet
Pour un nouveau roman, Paris, Éditions de Minuit
1963
Dans cet extrait, l'auteur constate la mort d'une conception traditionnelle du personnage de roman.
C'est par lui [le personnage] que le roman peut se faire expérience du monde, en m'obligeant à devenir moi aussi un être imaginaire. En lisant, je me livre, je m'oublie ; je me compare, je m'absorbe, je m'absous. Sur le modèle et à l'image du personnage je deviens autre. [...]
Grâce à la fiction, chacun porte une tête multiple sur ses épaules ; il se fait une âme ouverte ; un cœur régénéré.
Danièle Sallenave
Le Don des morts, Paris, éd. Gallimard, coll. "Blanche"
1991
L'auteure accorde au personnage une fonction cathartique : s'oubliant dans le personnage, le lecteur vit de multiples expériences qui font évoluer son regard sur le monde et sur lui-même.
Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Leur univers n'est ni plus beau ni plus édifiant que le nôtre. Mais eux, du moins, courent jusqu'au bout de leur destin, et il n'est même jamais de si bouleversants héros que ceux qui vont jusqu'à l'extrémité de leur passion. [...] C'est ici que nous perdons leur mesure, car ils finissent alors ce que nous n'achevons jamais.
Albert Camus
Le Mythe de Sisyphe, Paris, éd. Gallimard
1942
Camus admet la ressemblance de certains univers romanesques avec la réalité, mais il rappelle également que le personnage de roman est un être au destin prédéterminé.