La double énonciation Exercice fondamental

Le jeu théâtral repose sur un principe de double énonciation : en effet, contrairement aux autres textes qui ne sont destinés qu'au lecteur, le texte théâtral a plusieurs destinataires. Cette spécificité peut donner lieu à différents effets et jeux avec le spectateur.

Tout d'abord, le texte théâtral présente une situation d'énonciation très spécifique puisqu'il a deux émetteurs et plusieurs destinataires. L'auteur, qui écrit le texte, est le premier émetteur tandis que le personnage qui le dit sur scène est un second émetteur. On peut également distinguer trois types de destinataires : tout d'abord, le metteur en scène lit la pièce et décide de la manière dont vont être jouées les répliques. Ces répliques parviennent donc au spectateur par le prisme de ce premier regard. Seconde catégorie de destinataires, les personnages s'écoûtent entre eux sur scène. Le spectateur apparaît comme le destinataire ultime, celui qui perçoit le texte dans son intégralité, enrichi par la mise en scène et le jeu des acteurs. À travers les dialogues de ses personnages, le dramaturge s'adresse au spectateur lui-même pour lui faire passer un message.

En effet, l'échange entre les personnages n'est qu'un premier niveau de lecture. En jouant avec les apartés, les entrées et sorties sur scène mais aussi la complicité avec un spectateur qui partage les mêmes références culturelles, le dramaturge met en scène des personnages qui ne disposent que d'une partie des informations tandis que le spectateur sait tout ce qui se passe. Dans le Tartuffe de Molière, par exemple, on retrouve un exemple de double énonciation dans la scène d'exposition. Dans cette première scène, Madame Pernelle fait la morale aux personnages présents sur scène : c'est le premier niveau d'énonciation. Mais elle fait également le portrait de Tartuffe ce qui permet au public de découvrir qui sont les personnages avant que la pièce ne débute vraiment tout en éveillant l'intérêt du spectateur pour le personnage central qui n'est pas encore présent. Cette spécificité de la situation d'énonciation théâtrale permet donc de dynamiser les échanges des personnages mais donne également lieu à des jeux souvent comiques qui reposent sur ce que le public sait et que le personnage ne sait pas. Le quiproquo notamment est comique aux yeux du spectateur qui, contrairement aux personnages qui dialoguent, est conscient des ressorts du malentendu. Le dispositif de la confidence inappropriée, par exemple, repose sur une méprise. Ainsi, dans L'École des Femmes, Horace se confie à Arnolphe alors que celui-ci est son rival, le barbon qui enferme Agnès. Le quiproquo de la confidence inappropriée peut également être tragique, comme dans Britannicus de Racine lorsque Britannicus demande conseil à son confident Narcisse, alors que celui-ci est l'espion de Néron : ce dispositif renforce l'effroi et la pitié chez le spectateur qui assiste impuissant à la catastrophe, au destin fatal qui se noue sous ses yeux. Enfin, la double énonciation peut également avoir une portée critique : au travers des propos d'un personnage caricatural ou tragique, qui n'a pas conscience de son propre ridicule ou de sa démesure, le dramaturge cherche souvent à faire passer un message satirique pour amener les spectateurs à réfléchir sur leurs mœurs.