Amérique du Nord 2013 voie S
Vous êtes metteur en scène au sein d'une compagnie qui s'apprête à monter L'illusion comique. Vous écrivez aux comédiens un texte détaillant vos choix pour représenter l'extrait de l'acte I, scène 2.
Pierre Corneille, L'Illusion comique, acte I, scène 2, vers 121 à 153
1635
Désespéré par l'absence de son fils que sa sévérité a poussé à fuir, Pridamant, sur les conseils de son ami Dorante, consulte le célèbre magicien Alcandre. Celui-ci lui propose de faire apparaître son fils sous ses yeux.
ALCANDRE :
Commencez d'espérer ; vous saurez par mes charmes1
Ce que le ciel vengeur refusait à vos larmes.
Vous reverrez ce fils plein de vie et d'honneur :
De son bannissement il tire son bonheur.
C'est peu de vous le dire : en faveur de Dorante
Je veux vous faire voir sa fortune éclatante.
Les novices de l'art2, avec tous leurs encens,
Et leurs mots inconnus, qu'ils feignent tout puissants,
Leurs herbes, leurs parfums et leurs cérémonies,
Apportent au métier des longueurs infinies,
Qui ne sont, après tout, qu'un mystère pipeur3,
Pour se faire valoir, et pour vous faire peur :
Ma baguette à la main, j'en ferai davantage.
(Il donne un coup de baguette, et on tire un rideau, derrière lequel sont en parade4 les plus beaux habits des comédiens.)
Jugez de votre fils par un tel équipage :
Eh bien, celui d'un prince a-t-il plus de splendeur ?
Et pouvez-vous encor douter de sa grandeur ?
PRIDAMANT :
D'un amour paternel vous flattez les tendresses ;
Mon fils n'est point de rang à porter ces richesses,
Et sa condition ne saurait consentir
Que d'une telle pompe5 il s'ose revêtir.
ALCANDRE :
Sous un meilleur destin sa fortune rangée,
Et sa condition avec le temps changée,
Personne maintenant n'a de quoi murmurer6
Qu'en public de la sorte il aime à se parer.
PRIDAMANT :
A cet espoir si doux j'abandonne mon âme :
Mais parmi ces habits je vois ceux d'une femme ;
Serait-il marié ?
ALCANDRE :
Je vais de ses amours
Et de tous ses hasards vous faire le discours.
Toutefois, si votre âme était assez hardie,
Sous une illusion vous pourriez voir sa vie,
Et tous ses accidents devant vous exprimés
Par des spectres pareils à des corps animés ;
Il ne leur manquera ni geste ni parole.
1charmes : sortilèges, pouvoirs magiques
2art : ici, l'art du magicien
3pipeur : trompeur
4en parade : costumes dépliés, présentés de façon spectaculaire
5pompe : somptueuse richesse, déploiement de faste
6murmurer : protester, se plaindre à voix basse
Qu'est-il attendu de vous ?
Quel type de texte devez-vous rédiger ?
Au théâtre, qu'est-ce qu'une didascalie ?
À quel mouvement littéraire appartient Corneille ?
- On attend de vous un texte descriptif et explicatif.
- Le texte doit être écrit pour des acteurs. On peut écrire à la première personne, mais ce n'est pas obligatoire. On attend par contre que mention soit faite des comédiens, à qui ce texte est destiné.
- Des indications sur le décor doivent apparaître. Il y a des didascalies dans la scène. Le metteur en scène les suit-il précisément ? Imagine-t-il autre chose ? Que font les acteurs quand ils parlent ? Il y a très peu de didascalies, il faut donc imaginer beaucoup de choses.
- Doivent surtout apparaître des indications sur les costumes choisis, la façon de parler, sur quels phrases l'acteur doit insister, le ton de la voix, etc.
- On doit donner des indications sur sa vision de la scène : on a le choix d'insister sur la côté comique ou tragique.
- On attend que la didascalie "Il donne un coup de baguette, et on tire un rideau, derrière lequel sont en parade les plus beaux habits des comédiens" soit expliquée. Qui est le "on" ? Voit-on les personnes qui tirent le rideau ? Est-ce que cela se fait en coulisses ? Comment sont les beaux habits ?
- Le style ne doit pas être très littéraire. Il s'agit d'une note explicative et descriptive. Il convient de se montrer précis. Le texte ne doit pas être exalté, il s'agit plutôt d'une notice.
- On attend un vocabulaire de théâtre (coulisses, décor, costume, entrée, etc.).
Je souhaite monter cette pièce en insistant sur l'aspect comique des personnages, et sur le merveilleux. Cette scène est importante dans la pièce, c'est le moment où tout se met en place. C'est à partir de cette deuxième scène que l'illusion commence.
Alcandre est joué par Pierre, qui correspond à l'idée que je me fais du personnage. Il est âgé, avec une longue barbe blanche, mais il est aussi très énergique. Il faudra insister sur la profondeur de sa voix, mais aussi sa vitalité. Pour apporter une touche contemporaine à la pièce, les personnages seront vêtus assez simplement, d'un pantalon et d'une chemise. Alcandre porte un pantalon sombre et une chemise très rouge. C'est Félix qui va jouer Pridamant. Ce dernier porte aussi un pantalon sombre, mais une chemise blanche. Contrairement à Alcandre qui porte une longue barbe, il est rasé de près, et ses cheveux sont coupés très courts. Il se tient un peu voûté, pour souligner son âge et sa tristesse.
Au début de la scène, Alcandre entraîne Pridamant au milieu de la scène. Il le tient par les épaules pour le réconforter. La scène est plongée dans l'obscurité, seule un spot lumineux est dirigé sur Pierre et Félix. Il faudra que vous marchiez assez lentement. Vous sortirez côté cour et irez tranquillement au milieu de la scène. Lorsqu'Alcandre dit "Apportent au métier des longueurs infinies", il faut absolument que vous soyez au centre.
La baguette d'Alcandre est très simple, fine, noire. Au moment où il dit "j'en ferai davantage" il se tourne vers le fond de la scène. Attention, il ne faut pas complètement tourner le dos au public pour qu'il puisse bien entendre. Des acteurs habillés tout en noir vont venir sur scène quand Alcandre donne un coup de baguette. Ils vont tirer le lourd rideau noir du fond. Là, il faut que les acteurs qui jouent se tiennent prêts. Corneille parle simplement de beaux vêtements suspendus. Je préfère présenter tous les acteurs qui joueront ensuite. Je veux qu'ils se tiennent immobiles comme dans un tableau. Ils sont vêtus avec des vêtements extravagants, de toutes les couleurs. Les matières sont scintillantes et riches. Il faudra surtout ne pas bouger, que cela soit comme un tableau avant qu'il ne se mette en mouvement. Le fils de Pridamant se tient évidemment au centre du tableau. Une lumière très vive se fera sur ce petit tableau. Alcandre et Pridamant devront se déplacer côté jardin pour que le public puisse admirer ce tableau. Une musique type renaissance va être jouée à partir de ce moment.
Alcandre va ensuite laisser Pridamant sur le côté et venir se placer devant le tableau. Pendant qu'il parle, il montre le tableau, fait des gestes vers lui, comme s'il expliquait à Pridamant ce qui se trouve dessus. Il présente ainsi le fils de Pridamant, insiste en passant plusieurs fois sa main sur sa riche toilette. Émerveillé, Pridamant s'approche, puis il recule, sceptique. C'est là qu'il dit, sur un ton de reproche : "D'un amour paternel vous flattez les richesses". Ensuite, Alcandre le rassure avec sa réplique, et Pridamant se rapproche en disant "à cet espoir si doux...".
Pridamant a un côté un peu ridicule, il est fasciné par le tableau mais en même temps il ne cesse de reculer, comme s'il ne pouvait y croire. À la fin de la scène, le tableau s'anime, les acteurs commencent à bouger.