Sommaire
IUn texteALa trace d'un discoursBUn récit directIIUn art du spectacleAÀ voir ou à (re)présenterBUne énonciation doubleIIIUne rencontreADes techniques au service du sensBDeux artistes pour une œuvreUn texte
La trace d'un discours
Une pièce de théâtre est essentiellement constituée des paroles prononcées par des personnages. Il peut s'agir :
- De dialogues entre deux ou plusieurs personnages
- De monologues proférés par un personnage
Dialogue
Le dialogue est l'échange verbal entre deux ou plusieurs personnages. À travers celui-ci, le spectateur doit comprendre le déroulement de la pièce.
Le théâtre représente une chambre à demi démeublée, un grand fauteuil de malade est au milieu. Figaro, avec une toise, mesure le plancher. Suzanne attache à sa tête, devant une glace, le petit bouquet de fleurs d'orange appelé chapeau de la mariée.
FIGARO.
Dix-neuf pieds sur vingt-six.
SUZANNE.
Tiens, Figaro, voilà mon petit chapeau : le trouves-tu mieux ainsi ?
FIGARO (lui prend les mains).
Sans comparaison, ma charmante. Oh ! que ce joli bouquet virginal, élevé sur la tête d'une belle fille, est doux, le matin des noces, à l'œil amoureux d'un époux !...
SUZANNE (se retire).
Que mesures-tu donc là, mon fils ?
FIGARO.
Je regarde, ma petite Suzanne, si ce beau lit que Monseigneur nous donne aura bonne grâce ici.
SUZANNE.
Dans cette chambre ?
FIGARO.
Il nous la cède.
SUZANNE.
Et moi, je n'en veux point.
FIGARO.
Pourquoi ?
SUZANNE.
Je n'en veux point.
FIGARO.
Mais encore ?
SUZANNE.
Elle me déplaît.
FIGARO.
On dit une raison.
SUZANNE.
Si je n'en veux pas dire ?
FIGARO.
Oh ! quand elles sont sûres de nous !
Beaumarchais
La Folle Journée, ou le Mariage de Figaro, dans Œuvres complètes, éd. Laplace (1876)
Création : 1784
Le Mariage de Figaro de Beaumarchais débute sur un dialogue entre Figaro et sa fiancée Suzanne. Celle-ci apprend à Figaro (et en même temps au spectateur) que le Comte Almaviva la désire et n'autorisera leur mariage que s'il obtient un moment intime avec elle.
Monologue
Le monologue est un discours prononcé par un personnage seul sur scène. Le personnage y exprime ses pensées et ses sentiments.
GEORGE DANDIN.
Ah ! Qu'une femme Demoiselle est une étrange affaire, et que mon mariage est une leçon bien parlante à tous les paysans qui veulent s'élever au-dessus de leur condition, et s'allier, comme j'ai fait, à la maison d'un gentilhomme. La noblesse de soi est bonne : c'est une chose considérable assurément, mais elle est accompagnée de tant de mauvaises circonstances, qu'il est très bon de ne s'y point frotter. Je suis devenu là-dessus savant à mes dépens, et connais le style des nobles lorsqu'ils nous font nous autres entrer dans leur famille. L'alliance qu'ils font est petite avec nos personnes. C'est notre bien seul qu'ils épousent, et j'aurais bien mieux fait, tout riche que je suis, de m'allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi, s'offense de porter mon nom, et pense qu'avec tout mon bien je n'ai pas assez acheté la qualité de son mari. George Dandin, George Dandin, vous avez fait une sottise la plus grande du monde. Ma maison m'est effroyable maintenant, et je n'y rentre point sans y trouver quelque chagrin.
Molière
George Dandin ou le Mari confondu, Paris, éd. Louandre (1910)
1668
Au début de George Dandin de Molière, le personnage éponyme se présente et expose sa situation. Il exprime à cette occasion toute sa souffrance.
Les paroles des personnages sont des répliques. Il en existe de plusieurs types dans un dialogue :
- La tirade est un long discours théâtral. Un seul personnage parle. Les autres personnages présents sur scène sont à l'écoute. La tirade est l'occasion pour son locuteur de développer une idée, un sentiment.
- Le récit théâtral est une tirade prononcée par un messager qui expose aux autres des événements qui se sont passés hors scène.
- La répartie est une réplique très courte.
- La stichomythie est une série de répliques très courtes.
Il existe également différents types de monologues :
- Le soliloque, lorsque le personnage divague seul.
- Les stances, qui se donnent à entendre comme des poèmes que le personnage déclame.
- L'aparté, qui intervient dans un dialogue : le personnage expose ses pensées à voix haute. Exceptionnellement, le personnage n'est pas seul sur scène, mais le jeu du comédien le sépare symboliquement des autres personnages.
- L'adresse au public, grâce à laquelle le personnage se tourne explicitement vers le public.
Un récit direct
Une pièce de théâtre est un récit dans lequel il n'existe pas de narrateur. L'action se déroule directement sous les yeux du spectateur, qui voit les comédiens jouer des personnages sous ses yeux. Le texte de théâtre est un texte habituellement long. Afin de faciliter la compréhension du lecteur et du spectateur, celui-ci est souvent découpé en plusieurs parties et parfois en différentes sous-parties.
Traditionnellement, les pièces sont divisées en actes et scènes. Ces divisions n'existaient pas lors de la création des spectacles.
L'acte dure traditionnellement le temps de l'utilisation d'une bougie. En effet, les scènes de théâtre étaient autrefois éclairées par de nombreux jeux de bougies qu'il fallait changer environ tous les trois quarts d'heure. Le changement des bougies nécessitait l'évacuation de la scène et parfois de la salle. Beaucoup de salles ont gardé cette pratique de l'entracte même si aujourd'hui elles sont éclairées par des lumières artificielles.
La scène est une unité d'action. Elle change à l'entrée ou à la sortie de scène d'un ou plusieurs personnages. Certains dramaturges ne proposent pas ce découpage. Ils intitulent les différentes parties de la pièce des tableaux.
Tableau
Un tableau est un ensemble d'actions dans un même lieu et une même époque.
Mère Courage et ses enfants de Bertolt Brecht est une pièce divisée en tableaux.
Une pièce de théâtre, comme tous les récits, débute par la mise en place de l'action. On appelle alors cette première scène (avec parfois les scènes qui lui succèdent) la scène d'exposition.
Dans la première scène de Dom Juan, pièce de Molière de 1665, Sganarelle fait un portrait de Dom Juan, son maître, à Gusman. Ainsi, il présente le personnage principal.
Traditionnellement, la pièce s'achève sur un retour à une situation stable. Souvent, les péripéties sont interrompues par la solution apportée par un ou plusieurs personnages : c'est le dénouement.
Dans L'École des femmes de Molière, Enrique reconnaît sa fille Agnès et empêche ainsi définitivement le mariage de celle-ci avec Arnolphe. Agnès épousera Horace, son amant.
Le récit évolue donc essentiellement grâce aux paroles proférées par les personnages.
En un mot, les discours ne sont au théâtre que les accessoires de l'action, quoique toute la tragédie, dans la représentation, ne consiste qu'en discours.
L'abbé d'Aubignac
La Pratique du théâtre, Amsterdam, éd. Jean Frédéric Bernard (1715)
1657
Pour ce critique, l'action avance au moyen du discours entre les personnages.
Un art du spectacle
À voir ou à (re)présenter
Le texte de théâtre est écrit pour être joué devant un public.
[Le théâtre] ne peut pas exister sans la relation acteur/spectateur, sans la communion de perception directe, “vivante”.
Jerzy Grotowski
Vers un théâtre pauvre, trad. Claude B. Levenson, Paris, éd. L'Âge d'homme (1993)
1971
Cette citation permet de rappeler que le théâtre ne devient théâtre que lorsqu'il y a en présence un comédien et un spectateur.
Le théâtre est surtout une performance vivante, réalisée devant le spectateur. Le texte en est une partition, que le metteur en scène interprète et fait jouer à ses comédiens et techniciens.
Pour cela, le metteur en scène doit tenir compte des didascalies présentes dans le texte. Il s'agit de tous les éléments du texte de théâtre qui ne sont pas proférés par les personnages. On compte notamment :
- Les indications de la gestuelle des comédiens
- Des précisions spatio-temporelles
- Des indications sur les éléments du décor, les costumes, l'éclairage
- Des indications sonores, etc.
Anne Ubersfeld, dans Lire le théâtre, publié en 1977, insiste beaucoup sur la dimension lacunaire du texte théâtral. Pour elle, le théâtre ne devient théâtre qu'une fois représenté sur scène.
Une des caractéristiques les plus étonnantes du texte théâtral, la moins visible, mais peut-être la plus importante, c'est son caractère incomplet.
Anne Ubersfeld
Lire le théâtre, Paris, Éditions sociales (1982)
1977
Anne Ubersfeld dit ici que le texte de théâtre a la caractéristique essentielle d'être lacunaire.
Le texte présente donc ce que l'on nomme communément le "devenir théâtral", et une "théâtralité" d'après Roland Barthes.
La théâtralité, c'est le théâtre moins le texte.
Roland Barthes
"Le Théâtre de Baudelaire", dans Théâtre populaire, n°8
juillet-août 1954
Roland Barthes définit la théâtralité comme l'ensemble de ce qui constitue un spectacle théâtral, en dehors du texte.
Une énonciation double
Un théâtre présente une double énonciation :
- Les personnages communiquent entre eux.
- L'ensemble des discours des personnages, leurs actions ainsi que tous les éléments représentés sur scène (décor, fond sonore, etc.) sont à destination d'un spectateur.
Celle-ci est à prendre en compte dans l'interprétation de la pièce.
L'existence de deux énonciations implique également l'existence de deux cadres spatio-temporels :
- Celui du spectateur : son époque, son lieu de vie, le théâtre dans lequel il se trouve, le temps que dure la représentation, etc.
- Celui des personnages : leur époque, le lieu où se déroule chacune des scènes, le moment du déroulement de celles-ci. Il s'agit du temps et de l'espace dramatiques.
Ainsi, la représentation peut proposer une notion de temps et de l'espace plutôt symbolique.
Traditionnellement, les personnages agissent sans montrer qu'ils se sentent observés. Il s'agit de la dramaturgie du quatrième mur. Toutefois, quelques textes rompent avec cette convention théâtrale.
- Dans la scène 7 de l'acte IV de L'Avare de Molière, Harpagon, en plein délire, semble s'apercevoir de l'existence du public. Beaucoup de metteurs en scène le font s'adresser à ce dernier.
- Dans Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand, Cyrano surgit de la salle pour interpeller les personnages présents sur scène.
- Dans Antigone de Jean Anouilh, le prologue est le premier à parler à l'ouverture du rideau. Il présente les différents personnages au public.
- Dans La Résistible Ascension d'Arturo Ui de Bertolt Brecht, la pièce s'ouvre sur le personnage du bonimenteur qui met en garde contre l'illusion théâtrale.
Une rencontre
Des techniques au service du sens
Le théâtre met donc en mouvement différents intervenants :
- Le dramaturge, qui compose le texte de théâtre.
- Le metteur en scène (qui a remplacé le directeur de troupe), qui répartit les rôles, propose des solutions de représentation (décor visuel et parfois sonore, machinerie, placement, gestuelle et intonation des comédiens, choix des costumes, des accessoires, etc.).
- Le comédien, qui joue le rôle d'un personnage présent dans le texte.
- Les techniciens, qui réalisent tout ce qui n'est pas dit ou joué par les personnages (costumier, éclairagiste, machiniste, accessoiriste, musicien, etc.).
- Le spectateur, qui assiste à la représentation et donne un sens à l'action qui se joue.
Ainsi, l'analyse d'une pièce de théâtre nécessite un regard sur la mise en scène. Celle-ci est réalisée par un metteur en scène, selon son interprétation du texte. Ses choix scénographiques (décors, costumes, musiques, bruitages, éclairages, etc.) mettent en relief cette interprétation du texte.
[La mise en scène est] la totalité du spectacle scénique émanant d'une pensée unique qui la conçoit, la règle et l'harmonise.
Jacques Copeau
Critiques d'un autre temps. Études d'art dramatique, Paris, éd. Gallimard, coll. "Blanche"
1924
Copeau définit le travail du metteur en scène. Ce dernier dirige et harmonise le chaos que pourrait engendrer toutes les composantes de cet art du spectacle.
Deux artistes pour une œuvre
La création théâtrale se réalise donc, comme le souligne le philosophe Henri Gouhier, en "deux temps". Si l'auteur conçoit d'abord le texte, celui-ci nécessite une seconde création, la mise en scène. Les critiques contemporains s'interrogent sur la place que chacun doit accorder à l'autre : faut-il donner la priorité au texte ou à la mise en scène ? Plusieurs théories s'affrontent :
- Certains metteurs en scène, comme Jean-Louis Barrault ou Antonin Artaud, considèrent que le spectacle théâtral est la combinaison de différents éléments, dont le texte. Le texte n'est donc qu'un élément à coordonner avec les autres, il peut être interprété à la guise du metteur en scène.
- D'autres metteurs en scène, comme Jacques Copeau, estiment que tout le spectacle théâtral part du texte et que donc il est nécessaire de suivre le texte et l'auteur.
[Nous devons renoncer] à la superstition théâtrale du texte et à la dictature de l'écrivain.
Antonin Artaud
Le Théâtre et son double, Paris, éd. Gallimard
1938
Artaud revendique la primauté de la mise en scène sur le texte.
D'autres metteurs en scène proposent un consensus : si la mise en scène est une interprétation autonome de l'œuvre théâtrale, elle part du texte, qui contient en lui-même les pistes qu'exploitera le metteur en scène.
Je ne pense pas que les metteurs en scène et les acteurs soient plus importants que les poètes, je pense tout le contraire : ce sont les poètes dramatiques qui font avancer le théâtre. Parce qu'ils proposent aux acteurs et aux metteurs en scène [...] des tâches irréalisables.
Antoine Vitez
Écrits sur le théâtre, Paris, éd. P.O.L., coll. "Essais"
1995
Pour Antoine Vitez, le texte reste à l'origine de la mise en scène.